Emilie MOUTON Aurélie POTEAU Master II DGRH Année 2003-2004 Sociologie des organisations
Fiche pratique sur le télétravail Le droit du travail a reposé pendant longtemps sur un modèle unique : le travail dans l entreprise. Le télétravail bouleverse ce modèle puisque, selon une première approche, il signifie «travailler loin du centre de production». Pour appréhender la notion de télétravail il nous faut donc en donner une définition, en exposer les avantages et inconvénients, évoquer le problème du statut du télétravailleur et enfin étudier les clauses liées à la mise en place du télétravail. 1. Définition La première définition du télétravail nous vient d un rapport officiel de Thierry Breton. Selon ce rapport, le télétravail se caractérise par trois facteurs : Le télétravail s effectue à distance c est-à-dire hors des abords immédiats de l endroit où le résultat du travail est attendu. Le donneur d ordre ne peut pas physiquement surveiller l exécution de la prestation de travail. Cependant, l absence de surveillance physique ne veut pas dire absence de surveillance car les nouvelles technologies permettent de contrôler le travail à distance. La prestation de travail se fait au moyen de l outil informatique c est-à-dire de l ordinateur et/ou de télécommunication (portable, fax ). Cette définition proposée dans ce rapport a été confirmée par un accord cadre au niveau européen : en effet, les partenaires sociaux européens ont signé, le 16 juillet 2002, un accord cadre interprofessionnel sur le télétravail. L article 2 de cet accord donne une définition du télétravail : Le télétravail est une forme d organisation et/ou de réalisation du travail utilisant les technologies de l information dans le cadre d un contrat de travail ou d une relation d emploi dans laquelle un travail, qui aurait pu également être réalisé dans les locaux de l employeur, est effectué hors de ces locaux de façon régulière. 2. Avantages et inconvénients du télétravail En ce qui concerne les avantages, l employeur voit une réduction du coût prohibitif des locaux, de l absentéisme, une augmentation de la productivité car le télétravailleur n est pas gêné par des facteurs extérieurs (collègues, téléphone ). Le salarié, quant à lui, arrive mieux à concilier son travail et sa famille. De plus, ses coûts sont moindres car il n a pas de frais de déplacement par exemple et enfin sa motivation est accrue car il est moins stressé. Du côté des pouvoirs publics, les frais de sécurité sociale sont moindres car il y a moins d absentéisme. Le télétravail permet aussi de maintenir les emplois même en cas de délocalisation. Il entraîne un aménagement plus harmonieux du territoire, moins de pollution, moins d embouteillage. Mais le télétravail présente également des inconvénients comme un contrôle plus difficile de l exécution du travail car il n y a pas de surveillance directe, des coûts en terme d installation et de formation du télétravailleur pour l employeur. Mais également, un sentiment d isolement, une charge de travail souvent plus lourde pour le télétravailleur. Enfin, les pouvoirs publics sont confrontés à une augmentation du travail dissimulé, du taux de vacance des immeubles destinés à l activité commerciale. 3. Le problème du statut du télétravailleur Le grand problème juridique est de savoir quelle est la nature du contrat liant le télétravailleur au donneur d ordre. En effet, le télétravailleur dispose d une grande autonomie personnelle notamment dans l organisation de son travail. En pratique on s aperçoit que le télétravail peut donner lieu à trois régimes juridiques différents : en effet, selon les cas, le télétravailleur peut soit être considéré comme salarié de droit commun, soit comme travailleur à domicile, soit enfin comme travailleur
indépendant. Cependant en pratique, si ces trois statuts sont applicables à la fonction de télétravailleur, le télétravailleur reste dans la majorité des cas un salarié de droit commun. 4. La particularité du contrat de travail d un télétravailleur Cette particularité se manifeste au niveau des clauses liées à la mise en place du télétravail. Trois clauses sont généralement vivement recommandées dans un contrat de télétravail : Il faut tout d abord un nécessaire et double volontariat c est-à-dire que le télétravail doit être mis en place à la suite d un volontariat du futur télétravailleur. Il faut donc prévoir un éventuel échec du télétravail et il faut alors prévoir une période d essai comprenant la possibilité d un retour immédiat dans l entreprise si nécessaire. Il faut ensuite maintenir des liens avec l entreprise : le gros problème du télétravailleur est le sentiment d isolement, il est donc nécessaire de prévoir dans le contrat le rattachement à un supérieur hiérarchique et à une unité proche. Enfin, il faut prévoir une clause de réversibilité car le télétravail n est pas toujours couronné de succès et il faut donc permettre le retour au bureau en cas d échec. Face à cette présentation synthétique du télétravail, il nous faut maintenant traiter d un point plus particulier : «le temps et le télétravail». Face à ce thème on est en droit de se demander quelle est la situation actuelle du télétravail face à la notion du temps. Pour répondre à cette problématique, il nous faut étudier dans un premier temps le télétravail : une notion au cœur des évolutions socioculturelles (I) puis dans un second temps, la difficulté d évaluation du temps de travail d un télétravailleur (II). I- Le télétravail : une notion au cœur des évolutions socioculturelles Le télétravail est au cœur d évolutions socioculturelles et techniques majeures notamment celles de notre manière de percevoir le temps, notre utilité et notre engagement dans la vie sociale. Le temps de travail, défini par contrat, est l un des éléments structurants d un ensemble plus vaste de temps sociaux. Au Moyen-Age, les notions de temps de travail et de temps de vie étaient confondues. En effet, à l époque, la majorité de la population était dans le secteur agricole, sous la domination de l Eglise et de la noblesse. Le temps religieux était le temps dominant, le temps des travailleurs était rythmé par le cycle des saisons et des fêtes religieuses. La durée du travail s allonge lors de la révolution industrielle au XVIII et au XIX siècle. Le sociologue R. Sue montre dans son ouvrage «Temps et Ordre social» le basculement du temps religieux au temps de travail qui se manifeste symboliquement par la lutte opposant «l horloge à la cloche» et où le temps de l horloge succède au temps des cloches. Cet allongement de la durée du travail va de pair avec le développement du taylorisme. Selon R. Sue, le développement des ateliers, des manufactures, des entreprises minières, enferme le travail dans un lieu clos qui permet d exercer un contrôle précis et rigoureux du temps. Pour Mr Morin, auteur de «La Grande Mutation du travail et de l emploi», les salariés se voient appliquer la règle des trois unités : unité de temps qui se caractérise par l horaire collectif, l unité de lieu : l usine et l unité d action : l ensemble du personnel est affecté à la fabrication d un produit. Pendant de nombreuses années (en particulier pendant «les trente glorieuses», de 1945 à 1975),la gestion du temps de travail était donc collective et les salariés étaient soumis à la règle des trois unités. En réaction à cette logique industrielle et marchande toute puissante, le souci d améliorer les conditions de travail et de vie apparaît. Cette amélioration va passer par plusieurs étapes. Notamment, les années 1980 voient le développement de l aménagement du temps de travail c est-à-dire le recours à de nouvelles formes d organisation du travail dérogeant aux horaires traditionnels hebdomadaires permettant de répondre à des besoins d adaptation de l activité de l entreprise ou aux attentes des salariés. En effet, si la notion de travail constitue une valeur centrale de la construction sociale et de l identité individuelle, il convient également de rappeler son caractère relatif, dans le sens où il ne résume pas l ensemble des
activités humaines ni la diversité dans la recherche du sens et de la cohésion sociale. On peut ainsi classer les activités humaines en quatre catégories non réductibles les unes aux autres : Les activités de culture, de formation, d éducation, de contemplation ; Les activités individuelles (familiales, amicales, amoureuses) ; Les activités collectives relationnelles de la vie en société; Les activités collectives de production de biens matériels, de services et de biens sociaux. On assiste donc à une diversification profonde des temps sociaux entraînant de nouvelles formes d organisation du travail comme le télétravail. Ce dernier va profiter autant à l homme, à sa qualité de vie, à son autonomie et à son bien être, qu'à la productivité des entreprises. En un siècle, la proportion de temps de vie consacré au travail a diminué de moitié, passant de 25 à 11 %, alors que la durée du temps libre connaissait l évolution exactement inverse. 1 Selon A. Supiot, la temporalité du modèle de rationalisation industrielle liée à l avènement du salariat a conduit à une opposition binaire entre temps de travail, assimilé au temps de la subordination, et temps libre assimilé à un temps d inactivité. Cette opposition du temps de travail et du temps libre ignore le travail reproductif, c est-à-dire d une part le travail ménager et éducatif, et d autre part le travail de formation scolaire et professionnelle. Elle ignore aussi le temps contraint par le travail, notamment le temps de trajet du domicile au travail, ou le temps libre dévolu en fait au travail, c est le cas de presque tous les emplois créatifs ou de responsabilité, qui préoccupent l esprit bien au-delà de la prestation. Or, Selon Messieurs Marot et Lemesle, la souplesse dans l organisation du temps de travail est un corollaire du télétravail. Dans le télétravail, le temps de travail peut selon l activité et les contraintes de disponibilité des systèmes d information, alterner avec les tâches domestiques de façon plus ou moins large. Donc, le télétravail permet de dépasser la dualité temps de travail/ temps libre : le télétravailleur pourra alterner sans contrainte temps de travail et temps sociaux. Cependant même si l on s aperçoit que le télétravail répond aux attentes actuelles en matière de gestion des temps, un domaine pose problème lorsque l on met en place cette nouvelle forme d organisation : celui de l évaluation du temps de travail d un télétravailleur. II- La difficulté d évaluation du temps de travail d un télétravailleur Le système légal et réglementaire qui structure le temps de travail est fondé sur les trois mécanismes suivants : la limitation de la durée de travail, l encadrement des heures de travail et la garantie du temps de repos. En droit du travail, la référence au «temps de travail» permet d une part de borner l emprise patronale sur la vie du salarié, et d autre part d évaluer la prestation de ce dernier. Le temps joue comme limite à la sujétion du travail. Dans ce contexte, le chef d entreprise se voit obliger de contrôler le temps de travail de ses salariés. Selon P. Blasco et D. Loubet, la mesure du travail se trouve au cœur de la réflexion sur le télétravail pour lequel les tâches sont effectuées à distance et sans aucun moyen de contrôle par l entreprise durant l accomplissement. Nous sommes alors amenés à nous demander si la mesure du travail par le temps constitue encore une valeur pertinente. En effet, même en écartant les situations de travail à distance, de nombreuses réflexions concourent à disqualifier la mesure du travail par le temps car le travail se dilate jusqu à occuper la totalité du temps disponible. Le temps, symbole de l organisation taylorienne du travail, semble être une piètre échelle de mesure du travail et la diffusion de cette idée est un préalable majeur au développement du télétravail. Non seulement il est difficile aujourd hui de présenter simplement les horaires d une entreprise tant sont variés les systèmes au sein d une même unité de travail, mais l évolution des activités économiques et du travail aboutit à rendre de plus en plus souvent ardu le repérage des limites mêmes de ce qui est l activité professionnelle. Dans le cadre du télétravail, les conditions de réalisation du travail sont de moins en moins définies de façon précise en raison de la plus grande autonomie accordée au 1 Le travail dans vingt ans, Rapport de la Commission Boissonnat, CGP, la Documentation Française, Editions Odile Jacob, 1995.
télétravailleur dans la gestion de son temps. Dans ce cas, la définition rigoureuse du temps de travail devient difficile et ce dernier n est plus directement représentatif de l engagement professionnel. La charge psychologique, le stress, les délais, la «densité du travail» deviennent des indicateurs aussi pertinents pour mesurer la charge de travail. De plus, la diffusion à grande échelle des technologies de l information et de la communication ont singulièrement compliqué la situation en faisant tomber les frontières de temps et de lieux de travail. Le télétravail, ou le travail à distance à l aide d ordinateurs portables inclus dans des réseaux de communication s accroît. Il permet le travail à partir d une combinaison de lieux (entreprise, moyens de transport, lieux d établissement des clients ) et dans des temps éclatés. Cette forme d organisation du travail bouleverse la conception classique de mesure du travail par la durée. Prenant en compte la difficulté de contrôler le temps de travail effectif d un télétravailleur, T. Breton envisage dans son rapport trois hypothèses permettant de mesurer ce dernier : On peut tout d abord avoir recours à la connexion permanente : en effet, le contrat exige parfois d être en connexion permanente avec le serveur central ou une base, bande de données. Dans cette hypothèse, le salarié va disposer des relevés d un logiciel de productivité et l entreprise aura de son côté un relevé des horaires de travail. Ensuite on peut faire appel à l évaluation forfaitaire du temps nécessaire à la réalisation d un travail : la plupart des télétravaux peuvent donner lieu à une évaluation forfaitaire de temps nécessaire à leur réalisation. Il suffit que la prestation de travail soit quantifiable. C est le cas, par exemple, du télé-secrétariat ou de la saisie à distance de données : il est possible de déterminer combien de temps met en moyenne une secrétaire pour taper une page et une employée pour saisir x données. Selon T. Breton, un «étalonnage» est réalisable par référence au temps passé en entreprise, pour réaliser des travaux identiques. Par contre pour les travaux de conception, de création intellectuelle cette méthode n est pas applicable, il faut donc avoir recours à un autre outil de mesure : le forfait. L adoption du forfait : C est un accord au terme duquel les parties au contrat de travail conviennent de fixer une rémunération forfaitaire mensuelle incluant le paiement d un certain nombre d heures supplémentaires. Seuls les cadres autonomes peuvent opter pour une convention de forfait car ils disposent d une réelle autonomie dans l organisation de leur emploi du temps pour l exercice des fonctions qui leur sont confiées. Or ces cadres nous intéressent car ils sont proches, au niveau de la gestion de leur temps de travail, des télétravailleurs. Il faut distinguer plusieurs types de conventions de forfait : Le forfait annuel en jours ou en heures qui selon le cas imposent des limites journalières et hebdomadaires de travail ou un contingent de jours travaillés par an à ne pas dépasser. Le forait hebdomadaire ou mensuel en heure. Ce forfait est inscrit au contrat de travail avec la mention du nombre d heures inclues au forfait et les heures accomplies au delà du forfait sont des heures supplémentaires. En guise de conclusion, il nous semble opportun de reprendre une remarque formulée par T. Breton selon laquelle, le télétravail ne constitue pas un travail spécifique par sa nature, rendant nécessaire l élaboration d un statut juridique particulier. Faire du travail à distance mettant en œuvre des technologies nouvelles et sophistiquées ne crée pas de difficultés, de blocages ou de risques juridiques, qui existent déjà et sont inventoriés, mais est susceptible seulement de les amplifier.
Bibliographie «Le télétravail en France : situation actuelle, perspectives de développement et aspects juridiques» de Thierry Breton «Réduire et Aménager le temps de travail : pourquoi? comment?» de David Alis «Que sais-je : le télétravail» de Raymond-Marin Lemesle et Jean-Claude Marot «Temps de travail, temps sociaux : pour une approche globale» de Annie Gauvin et Henry Jacot «Décryptons le télétravail» de P. Blasco et D. Loubet «Tous DRH : Gérer les temps de travail» de David Alis