Les États fragiles et la consolidation d une paix durable



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Transcription:

DOSSIER DE POLITIQUE DE L INS Par Stephen Baranyi Les États fragiles et la consolidation d une paix durable 1 UN ÉLAN INTERNATIONAL Depuis les événements dramatiques du 11 septembre 2001, la question de la consolidation de la paix est revenue à l ordre du jour sur la scène internationale. Ces dernières années, d importantes opérations, au lendemain de guerres ou d invasions, ont été lancées dans divers pays tels que l Afghanistan, la République démocratique du Congo, Haïti, l Iraq ou encore le Soudan. La plupart de ces opérations ont recours à un déploiement à grande échelle de forces internationales de maintien de la paix ou de stabilisation. Certaines mobilisent d énormes fonds pour reconstruire les infrastructures endommagées, relancer les économies et poser les bases d une gouvernance démocratique. D autres par contre essaient de consolider la paix tout en étant engagées dans des guerres le cas de l Iraq est celui qui soulève le plus de controverses, mais des opérations semblables se déroulent ailleurs. Au Sommet mondial du millénaire de septembre 2005, les Nations Unies et ses États membres sont convenus de créer une Commission de la consolidation de la paix dans le but d améliorer la coordination de telles opérations. Cette Commission fera le lien entre les efforts des gouvernements hôtes et ceux des agences des NU, d autres organismes multilatéraux tels que la Banque mondiale et des organisations régionales, ainsi que des donateurs et contributeurs de troupes. La Commission présentera son rapport au Conseil de sécurité durant les crises et dans la période suivant immédiatement la guerre. Par la suite, il pourra faire rapport au Conseil économique et social des NU sur les défis à long terme de la consolidation de la paix. Toutes ces dispositions pourraient promouvoir la mise en application de la doctrine de la Responsabilité de protéger (RDP) proposée en premier lieu par la Commission internationale de l intervention et de la souveraineté des États en 2001 y compris son approche intégrée pour réagir à de graves crises humanitaires. Les démarches ainsi entreprises par les NU vont de pair avec les efforts déployés dans le cadre d autres tribunes. Ainsi, par l intermédiaire du Comité d aide au développement (CAD) de l OCDE, les donateurs élaborent des principes pour leur engagement dans des États fragiles. Certains gouvernements du Nord ont d ailleurs déjà mis en place des mécanismes pour augmenter leur rôle dans de tels contextes. Vers la fin des années 1990, le Royaume-Uni (RU) a montré la voie en mettant à l essai de nouvelles modalités pour recueillir des fonds et «se joindre» aux efforts britanniques en matière de consolidation de la paix et de prévention des conflits. Encore plus récemment, le Département d État des États-Unis a créé le «Office for Reconstruction and Stabilization» qui est chargé de coordonner l engagement du gouvernement américain dans les États fragiles. Les moyennes puissantes, quant à elles, conçoivent leurs propres mécanismes. Bien qu à première vue toutes ces démarches puissent paraître encourageantes, du fait qu il existe un besoin évident de répondre plus rapidement et de façon plus robuste sur la scène internationale à certaines crises humanitaires, ce à quoi il faut ajouter les réponses coordonnées combinant la gouvernance et les réformes socioéconomiques sur le long terme, nombre de parties prenantes n en sont pas moins préoccupées par la tendance affichée par certains acteurs internationaux à privilégier le recours à la force, particulièrement depuis le 11 septembre, par les conflits qui découlent de récentes interventions internationales, et par les résultats mitigés des efforts antérieurs dans le domaine de la consolidation de la paix. L INSTITUT NORD-SUD 1 Le présent document est le résultat du projet intitulé «Quelle sorte de paix est possible?» (QSP), partenariat entre diverses institutions de huit pays. Le projet QSP est financé par l Agence canadienne de développement international (ACDI), la Ford Foundation, le Centre de recherches pour le développement international (CRDI) et l Agence norvégienne pour la coopération en développement (NORAD). Pour de plus amples renseignements, voir www.nsi-ins.ca. Les recommandations politiques pour le Canada découlent également de l engagement de l INS auprès du Comité coordonnateur canadien pour la consolidation de la paix (CCCCP) et du Conseil canadien pour la coopération internationale (CCCI).

Possibilités et préoccupations (suite) Quels sont les résultats des différentes entreprises de consolidation de la paix sur le court et le long terme? Quels sont les résultats dans le domaine de la gouvernance démocratique et de la relance économique, aux échelles nationale et locale? Quels facteurs expliquent les résultats distincts : Quelles ont été les répercussions des différentes interventions militaires internationales sur la consolidation de la paix? Quelles ont été les répercussions des relations de pouvoir entre les forces nationales conservatrices et réformistes y compris les relations entre les sexes? Par ailleurs, quel genre de paix est possible au lendemain du 11 septembre? Telles sont les questions que le projet «Quelle sorte de paix est possible?» (QSP), initiative de coopération de divers partenaires de huit pays, a abordé avec moi depuis 2003. Ce projet est le résultat de notre participation à divers débats sur les résultats des efforts de consolidation de la paix dans nos pays et ailleurs, et de notre désir commun d apporter une contribution à plus long terme par un dialogue politique reposant sur des faits. Six cas particuliers ont été choisis, deux d entre eux le Guatemala et le Mozambique sont largement considérés comme ayant remporté des «succès relatifs» du fait que les guerres y ont pris fin, que les anciens combattants ont été démobilisés et que l on a constaté un progrès dans le domaine du développement démocratique. Deux autres soit Haïti et les Territoires palestiniens sont des sociétés dans lesquelles des tentatives ambitieuses visant à consolider la paix durant les années 1990, ont échoué et où la violence a resurgi avec vengeance. Dans ces deux cas, les perspectives des tentatives actuelles visant à consolider la paix sont plutôt incertaines. Les deux derniers pays l Afghanistan et le Sri Lanka ont connu des interventions militaires et des efforts de paix durant la guerre froide. L Afghanistan s est engagé à consolider la paix sur les talons d une intervention militaire davantage multilatérale. Au Sri Lanka, la recherche d une solution négociée est toujours dans une impasse. Une des caractéristiques communes de ces deux situations est la difficulté de promouvoir des réformes énergiques et de mettre en place des processus faisant appel à la participation qui pourraient contribuer de façon décisive à une paix durable. Le présent document résume les conclusions de ces six études de cas et avance des recommandations de principes pour les responsables canadiens et leurs partenaires dans certains contextes. Revue des «succès relatifs» au Guatemala et au Mozambique 2 Du point de vue des NU, ces deux pays ont été le théâtre d opérations de paix quintessencielles de deuxième génération soit des missions qui sont allées bien audelà des opérations classiques de maintien de la paix pour englober des tâches touchant la consolidation de la paix telles que la démobilisation des combattants, le contrôle des élections, la promotion des droits de la personne et l aide aux réformes économiques. Du point de vue des pays hôtes, il s est agi également d expériences exemplaires d organisations nationales se chargeant de missions complexes de consolidation de la paix, naturellement dirigées par des agences de l extérieur durant la période d établissement de la paix et celle suivant immédiatement l après-guerre. Dans les deux cas en question, nombre d acteurs nationaux et externes ont reconnu que la consolidation de la paix a apporté avec elle d énormes progrès. Des guerres longues, coûteuses et catastrophiques ont pris fin. La reprise de conflits violents sur une même échelle n est pas à l horizon, dans un cas comme dans l autre. Des dizaines de milliers d anciens combattants ont été démobilisés; des centaines de milliers de réfugiés et de personnes déplacées vers l intérieur ont été réinstallés; plusieurs rondes d élection ont été organisées lesquelles ont été largement considérées comme ayant été libres et justes. Dans ces deux contextes, les élections ont fait partie de processus plus larges de démocratisation comportant d importantes dimensions locales. Plus particulièrement au Mozambique, la fin de la guerre a été accompagnée par des taux de croissance macroéconomique durables tournant autour de 8 p. 100 par an depuis 1994. Les femmes et d autres populations qui étaient auparavant toujours exclues ont joué des rôles importants dans ces processus. Et pourtant, ces réalisations plutôt impressionnantes ne traduisent qu une partie des attentes des principales parties prenantes, et n incluent que quelques-uns des changements qui étaient considérés comme essentiels pour consolider la paix sur le long terme. Deux aspects négatifs ressortent plus particulièrement : le premier concerne le domaine de la démocratisation du fait que l amélioration de la liberté et l augmentation de la participation n ont pas été suivies par des changements en profondeur dans les relations de pouvoirs. Au Guatemala et au Mozambique, cela est particulièrement évident au niveau local où la gouvernance démocratique reste l exception plutôt que la règle. Le deuxième aspect négatif touche le domaine du développe- ment socioéconomique. Même au Mozambique, les bienfaits de la croissance n ont pas encore atteint les populations les plus pauvres des campagnes. Un processus limité de décentralisation ne touchant que 33 des 151 villes et principales agglomérations du Mozambique, appliqué de façon inégale aux municipalités où l opposition du RENAMO (Resistencia Nacional Mocambicana/Résistance nationale mozambicaine) a le soutien de la population traduit bien ces tendances. Comme l a d ailleurs indiqué en 2004 le maire de Nacala, au nord du Mozambique : «on ne peut pas parler de décentralisation parce que le contrôle opéré par le gouvernement central reste fort et par conséquent les municipalités n ont pas les outils nécessaires pour travailler efficacement». Malgré les écarts entre ce qui a été réalisé et ce qui était jugé nécessaire pour garantir une paix durable, nos partenaires guatémaltèques et mozambicains n en ont pas moins conclu que les fondations ont été posées pour procéder à des transformations au lendemain de conflits. Il est maintenant impératif que dans ces deux sociétés les organismes gouvernementaux nationaux et plus particulièrement les pouvoirs exécutif et législatif collaborent avec d autres organisations nationales pour étendre largement les processus de développement sensibles aux effets des conflits au-delà de leurs capitales et de quelques privilégiés. Afin de forger une paix durable, il est essentiel de procéder à une décentralisation plus profonde ainsi qu à un nouvel engagement envers le développement local dans ses dimensions politiques et économiques. Malgré quelques tendances inquiétantes, il semble qu il y ait encore beaucoup de place pour s orienter dans cette direction au lendemain du 11 septembre tout au moins dans ces deux sociétés.

Qu avons-nous appris de nos échecs? République d Haïti et Territoires palestiniens Il existe, de toute évidence, de très grandes différences dans ces deux cas. Au cours des deux dernières décennies, Haïti a été confronté à toutes sortes de conflits bien que l on ne puisse pas parler de guerre civile entre deux grandes forces nationales politico-économiques. Ces conflits ont des dimensions internationales profondes en fait, les régimes ont changé à la suite d interventions militaires internationales en 1994 et 2004. Et pourtant, cette situation est profondément différente de celle qui existe dans les Territoires palestiniens où le conflit est principalement d ordre international entre un État israélien puissant et une Autorité palestinienne faible. Parmi les autres grandes différences, il est bon de citer la prédominance des États-Unis et la faiblesse des organismes multilatéraux au Moyen- Orient, le contraste qui en découle entre les rôles importants que jouent les NU dans le domaine de la paix à Haïti et les rôles mineurs qu elles jouent dans les Territoires palestiniens et, bien entendu, le fait qu il n y a pas de parallèle haïtien aux Accords de paix d Oslo. Malgré ces très grandes différences, il est intéressant d analyser ensemble Haïti et les Territoires palestiniens du fait qu ils partagent des éléments communs. Durant le milieu des années 1990, ces deux régions étaient considérées comme de véritables «phares» pour la consolidation de la paix au lendemain de la guerre froide. Ces prétentions avaient d ailleurs une certaine crédibilité en raison de réalisations remarquables. Dans les deux cas, la combinaison de pressions internes et d interventions externes a entraîné un changement politique : réinstallation du président élu constitutionnellement et lancement de réformes politiques en Haïti, et retour du gouvernement en exil de l Organisation de libération de la Palestine et établissement de l Autorité palestinienne sous son leadership. Dans les deux cas, des réformes socioéconomiques furent entreprises et une amélioration de la conjoncture macroéconomique fut enregistrée. Le développement local fit par ailleurs partie des plans officiels de ces deux gouvernements. Et pourtant, dans les deux cas, de telles réalisations initiales masquèrent en fait de grosses failles révélées par un affaiblissement du consensus sur la paix et le retour de la Le Canada et les 3D dans les États fragiles En avril 2005, le gouvernement a publié un Énoncé de politique internationale dans lequel il s étend sur son engagement envers les réponses intégrées «3D» à la fragilité des États, combinant ainsi diplomatie, défense et développement. Dans la pratique, ces initiatives prévoient : de renforcer les capacités des Forces canadiennes à déployer rapidement des forces assez importantes et bien équipées pour participer à des opérations internationales de maintien de la paix et de stabilisation; d augmenter la capacité des Affaires étrangères à apporter des réponses canadiennes à des crises et à fournir de l aide dans des domaines sensibles tels que la réforme du secteur de la sécurité, dans le cadre du Groupe de travail pour la stabilisation et la reconstruction (GTSR) et du Fonds pour la paix et la sécurité mondiales; et de regrouper les capacités de l Agence canadienne de développement international et d autres organismes canadiens en vue de contributions à long terme à une bonne gouvernance et à un développement économique et social dans les États fragiles par l intermédiaire du Corps canadien et d autres mécanismes. Guatemala La consolidation de la paix a entraîné d énormes avantages à ce pays d Amérique centrale depuis la signature des accords de paix finaux en décembre 1996, notamment : la fin des hostilités et la démobilisation de quelque 25 000 anciens membres des Forces armées et d un millier d anciens combattants de la guérilla; la consolidation des processus électoraux démocratiques, et l adoption de nouvelles lois pour diminuer l exclusion des peuples autochtones; et des avancées dans la décentralisation dans le cadre de conseils de développement, et la mise en place de structures de développement axées sur la participation de la collectivité au niveau des districts et à l échelle nationale. Et pourtant, des engagements sur des accords de paix clés n ont pas été mis en œuvre : les assemblées législatives successives ne sont pas parvenues à adopter des lois sur les accords de paix dans des domaines clés comme la réforme fiscale et la régularisation des terres des peuples indigènes; des réformes fiscales minimales n ont pas été entreprises et la priorité des dépenses publiques n a pas été réaffectée de la sécurité aux besoins sociaux, tels que la santé et l éducation, et la décentralisation reste toujours limitée dans la pratique. L augmentation de la participation des femmes et des peuples indigènes ne leur a pas pour autant permis d avoir une plus forte influence sur les importantes décisions au niveau local. Ces résultats mitigés s expliquent par un certain nombre de facteurs : la mise en application des accords de paix a été limitée par la convergence de stratégies parmi les élites réformistes du gouvernement, les anciens chefs de la guérilla, la société civile organisée, et la communauté internationale sous la houlette des NU. Ces limites sont également dues à la désorganisation temporaire des réseaux conservateurs nationaux, et ces derniers soit certaines branches du gouvernement telles que le Congrès et le pouvoir judiciaire, des parties du secteur corporatif national, et d anciens membres des patrouilles de défense civile se sont regroupés pour s opposer à la mise en application de réformes en profondeur en matière de consolidation de la paix. Le processus de paix pourrait néanmoins mener à une paix durable si le gouvernement Berger décidait : de travailler avec le Congrès pour adopter des lois codifiant les engagements clés en matière de paix; de renouveler ses efforts pour augmenter les niveaux d imposition et générer les ressources nationales nécessaires au financement des engagements en cours dans des domaines comme le développement rural, et d appuyer activement les efforts des conseils de développement pour contribuer à la consolidation de la paix en renforçant leurs capacités dans les domaines de la production de revenus, de la gestion financière et de l engagement public. Les conseils de développement et les organisations de la société civile (OSC) devraient concevoir des stratégies plus précises pour permettre la mise en application des accords de paix en suspens et renforcer la participation des femmes, des peuples indigènes et des pauvres dans les processus de développement. La communauté internationale quant à elle devrait augmenter son soutien aux agents de changement du gouvernement, aux conseils et OSC qui contribuent à ces mesures, et au programme de consolidation d une paix durable à long terme. 3

Qu avons-nous appris de nos échecs? République d Haïti et Territoires palestiniens (suite) violence organisée en quelques années. Le caractère altéré des processus de démocratisation a constitué une des failles dans les deux cas en question. L Organisation de libération de la Palestine a lutté pour garder le contrôle d une Autorité palestinienne centralisée qui plaçait en premier la survie de son régime et les priorités en matière de sécurité des Israéliens, avant le développement démocratique. Quant à Haïti, le mouvement Lavalas a sapé la mise en place d institutions démocratiques indépendantes telles que le Conseil électoral, et subordonné les processus de décentralisation à ses objectifs partisans. Une des autres failles principales vient du fait que les avantages de la relance économique ne reposaient pas sur une base solide ni n ont été largement distribués. En Haïti, l économie est retombée en récession en 1997, quant aux Territoires palestiniens la récession s est produite après l Intifada de la mosquée al Aqsa de 2000. Malgré des différences marquées, dans ces deux sociétés la récession économique a aggravé le mécontentement social, augmenté la violence et amenuisé ce qui restait de l édifice de la paix. Dans les deux cas, l échec des efforts de consolidation de la paix a débouché sur la création ou la perpétuation d États fragiles. Ces tendances réalisations initiales dans le domaine de la consolidation de la paix masquant d importantes failles dans les domaines du développement démocratique et économique faisant éclater la paix peuvent également s expliquer en partie par des facteurs communs. L un d entre eux concerne les stratégies des élites intolérantes qui ont convergé avec celles des puissances extérieures pour étouffer le développement des institutions démocratiques, la décentralisation et l inclusion sociopolitique. Dans les deux cas, malgré leur engagement et le financement important du développement démocratique, les donateurs n ont pas adopté une approche coordonnée, à long terme, pour promouvoir la démocratie. Un des autres facteurs concerne les modèles conventionnels de stabilisation économique adoptés dans les deux cas, sur l ordre des donateurs, lesquels modèles étaient vulnérables aux fluctuations de l aide externe et aux bouleversements politiques intérieurs. Toujours dans les deux cas, les agences nationales et internationales ne sont pas parvenues à protéger les civils des violations des droits de la personne malgré des investissements initiaux dans la réforme du secteur de la justice et de la sécurité, et également malgré le déploiement d une importante présence internationale en Haïti. En Israël et dans les Territoires palestiniens, aucun soldat du maintien de la paix n a été déployé pour faciliter la conciliation de la paix. Un avenir incertain : l Afghanistan et le Sri Lanka L Afghanistan et le Sri Lanka forment un ensemble «curieux» du fait que ces deux pays sont clairement distincts. Par exemple, en Afghanistan, on relève la présence de conflits interreliés entre un gouvernement central faible dirigé par des réformateurs libéraux et appuyé par la communauté internationale officielle, et d autre part des conservateurs islamiques appuyés par un mouvement islamique transnational, et des chefs de guerre régionaux ayant leurs propres objectifs. Une expérience ambitieuse en matière de consolidation de la paix est en cours, reposant sur les ententes négociées après l invasion dirigée par les États-Unis en octobre 2001. Au Sri Lanka, il n y a actuellement «ni guerre, ni paix» entre le gouvernement central cinghalais et un mouvement d autonomie ethnique divisé, les Tigres de libération de l Eelam tamoul (TLET). La consolidation de la paix est en suspens, jusqu à la conclusion possible des pourparlers de paix. Chaque société est enferrée dans des relations internationales complexes, où des pouvoirs régionaux jouent des rôles clés dans chaque cas, l Ouest occupant un rôle majeur en Afghanistan comparativement à son engagement limité au Sri Lanka. Malgré toutes ces différences, on n en relève pas moins des points communs moins visibles. Dans les deux cas, il y a par exemple une reconnaissance assez large du fait que la consolidation de la paix passe par des changements fondamentaux à long terme, y compris dans les villes secondaires et dans les campagnes. Toutefois, toujours dans les deux cas, on relève une tendance à revenir à des mesures à court terme, dans des domaines tels que la sécurité et la politique économique, et les acteurs principaux ont été en mesure de bloquer tout mouvement envers les changements fondamentaux qui sont indispensables pour en arriver à une paix durable. Bien avant que les pourparlers de paix au Sri Lanka se retrouvent dans une impasse en avril 2003, plusieurs obstacles s étaient dressés en cours de route, rendant les progrès particulièrement difficiles. D une part, les dirigeants des TLET s étaient montrés bien peu sensibles aux demandes des autres intervenants pour qu une décentralisation des pouvoirs vers le nord et l est soit accompagnée d une démocratisation des pratiques des TLET. D autre part, le gouvernement du Front national uni (FNU) était dans l impossi- bilité de répondre positivement aux propositions des TLET en matière d arrangements intérimaires qui auraient servi de modèle d autonomie régionale. La position du gouvernement du FNU a été affaiblie par ses politiques économiques conventionnelles, axées sur le marché, qui n ont pu distribuer les dividendes de la paix au nord et à l est, ou encore aux pauvres des régions rurales du sud. Ainsi, en avril 2004, cette situation a entraîné l élection d un gouvernement de coalition dirigé par l Alliance des peuples qui disposait d une marge encore moindre pour retourner à la table de négociation. Dans le même temps, et malgré les efforts de médiation déployés par le gouvernement norvégien, les TLET se sentirent de plus en plus écartés par les autres acteurs internationaux en raison de la guerre internationale menée aux terroristes. Enfin, malgré la création d un sous-comité de la société civile pour la paix et la réconciliation, la société civile est restée en marge des pourparlers de paix. Tous ces éléments, la pression qu ils ont eue sur l entente sur le cessez-le-feu, ce à quoi il faut ajouter les terribles destructions causées par le Tsunami en décembre 2004, ont rendu difficile l examen d options novatrices en faveur d une consolidation de la paix entraînant des transformations. 4

Les Territoires palestiniens Les accords de paix d Oslo de 1993 et 1995 ont payé d importants dividendes de paix aux Palestiniens comme aux Israéliens : Israël s est retiré de certaines parties des territoires occupés, et les Palestiniens ont diminué leurs attaques contre des cibles israéliennes; l Organisation de libération de la Palestine est revenue créer l Autorité palestinienne, ce qui comprenait la tenue d élections pour le Conseil législatif, et l économie a augmenté en moyenne de 5p.100 par an entre 1995 et 2000. Et pourtant, quelques failles dans les accords et leur mise en application expliquent certains échecs : La branche exécutive et la vieille garde de l OLP ont conservé le contrôle sur le pouvoir, résisté aux demandes de responsabilité envers le Conseil législatif et la branche judiciaire, et repoussé les demandes d inclusion des mouvements d opposition dans les élections locales. La nature intérimaire des accords de paix, ainsi que leur tendance à privilégier les priorités à court terme en matière de sécurité d Israël et de la vielle garde de l OLP, ont sapé les droits de la personne et le développement démocratique sur le long terme. La communauté internationale n a pas été en mesure de déployer des soldats du maintien de la paix ni des observateurs en raison de l opposition du gouvernement israélien et de l appui apporté par les États-Unis à cette position. Tous ces éléments ont contribué à la deuxième Intifada en 2000. Ce renouveau de violence suivi d une réoccupation a entraîné l économie en période de récession, rétréci les espaces démocratiques, et favorisé la popularité du Hamas, du Jihad islamique et de la nouvelle garde nationaliste de l OLP. L actuel processus de désengagement unilatéral d Israël, la construction de la barrière de sécurité par Israël et la poursuite de la construction d implantations sur la rive occidentale du Jourdain, ont favorisé ces tendances. Il se passe actuellement certains événements positifs qu il faudrait appuyer : Les élections locales progressives commencées en décembre 2004 devraient se terminer en décembre 2005. Elles ont déjà ouvert de larges espaces à la participation des mouvements d opposition et des femmes aux politiques démocratiques. Les mesures prises en vue de la tenue d élections au Conseil législatif, prévues provisoirement en janvier 2006, ainsi que des réformes juridiques et institutionnelles pour garantir leur équité. Des tentatives pour relancer les discussions autour de la feuille de route par le Quartet et pour en arriver à une entente permanente afin de régler les questions fondamentales. Quelles sont les perspectives de ce scénario? Selon le Palestinian Centre for Policy and Survey Research : «peu de progrès pourront être réalisés sans une solide intervention internationale; et pourtant, la réussite de la consolidation de la paix palestinienne est probablement davantage une mission impossible pour la communauté internationale au lendemain du 11 septembre.» Afghanistan L intervention internationale contre le gouvernement taliban en octobre 2001 et la mise en application de l Accord de Bonn ont, depuis, entraîné des avantages à l Afghanistan : Les processus complexes de réforme constitutionnelle et de consultation démocratique ont conduit à des élections présidentielles et parlementaires relativement libres en 2004-2005. La démobilisation et le désarmement des combattants non étatiques ont commencé, tout comme la reconstruction sur une grande échelle dans certaines régions. On a aussi recensé d importantes initiatives dans des domaines tels que les droits des femmes, et une amnistie pour les cadres talibans qui ont déposé leurs armes. Et pourtant, ces premières réalisations sont bien fragiles : La guerre contre les Talibans et Al-Qaïda d une part, et la coalition dirigée par les États-Unis d autre part, se poursuivent dans les provinces du Sud et de l Est. L État central reste faible et incapable de fournir des biens de base tels que la sécurité publique. Les équipes de reconstruction provinciales (ÉRP), dotées de personnel international, sont des remplacements problématiques à une présence élargie du gouvernement central, bien qu un certain mouvement de la part d ÉRP en faveur d un renforcement des administrations provinciales semble prometteur. Le développement des collectivités rurales, élément clé à la consolidation de la paix dans un pays où 70 p. 100 de la population vit dans des régions rurales, n en est qu à ses premiers pas en dehors de l économie de l opium. Le Programme de solidarité nationale (PSN) traduit bien les résultats mitigés des efforts de consolidation de la paix : Le PSN a été lancé par le ministère pour la Réhabilitation et le développement des collectivités rurales (MRRD) en 2003, afin de favoriser le développement participatif et d améliorer les relations entre les communautés rurales et l État central. En septembre 2005, près de 9 000 des 20 000 villages afghans avaient été atteints dans le cadre de petits projets du PSN, lesquels portaient généralement sur l élaboration et la mise en application participative d initiatives de développement communautaire dans des domaines tels que l infrastructure des transports et la santé publique. Pour avoir droit à une subvention du PSN, les communautés doivent élire un Conseil de développement communautaire (CDC) auquel siègent des représentants masculins et féminins. La portée à laquelle en est déjà arrivé le PSN est impressionnante. En effet, l expérience de la participation locale s est avérée positive pour nombre de communautés, y compris les femmes. Et pourtant, la durabilité des projets du PSN est mise en doute. Les preuves avancées par quatre communautés révèlent que la consultation avec les parties prenantes n est pas adéquate, que les chefs de guerre régionaux et les commandants locaux maintiennent toujours beaucoup d influence, alors que les femmes et les pauvres sont encore marginalisés lorsque vient le moment de prendre de grandes décisions. Qui plus est, les projets communautaires ne sont pas interreliés ni connectés à de plus vastes programmes de développement rural. Bien des choses pourraient être faites pour transformer cette situation : Au niveau macro-économique, le gouvernement Karzai et la communauté internationale pourraient renouveler les tentatives visant à harmoniser leurs politiques, dans le but d en arriver à la consolidation d une paix durable. Pour y parvenir, il faudrait par exemple passer de façon plus dynamique de la guerre à l engagement avec les Talibans, tout en s assurant que les ÉRP sont renforcées plutôt que de contourner les administrations provinciales, et en consacrant les ressources à un plus grand investissement dans la bonne gouvernance et le développement socio-économique. Au niveau des programmes, cela pourrait nécessiter de fournir des fonds à long terme au PSN pour élargir sa portée et assurer la durabilité de ses efforts en matière de développement rural. Le MRRD, les partenaires auxiliaires et les conseils de développement devraient renforcer leurs capacités pour mettre en application de bonnes pratiques en matière de développement participatif aux étapes de la conception, de la mise en application et de l évaluation des projets, y compris trouver des moyens plus efficaces d assurer la participation des femmes et des pauvres au niveau communautaire. Que va-t-il véritablement se passer dans la pratique? Selon le Centre des études politiques et de développement d Afghanistan : On dit souvent de l Afghanistan qu il se relève tout juste d un conflit, mais il reste bien des questions quant à l exactitude de cette description. Bien que la paix soit à l horizon, la distance de cet horizon n est pas claire le développement rural pourrait bien être l élément le plus critique pour déterminer si c est la paix ou bien un conflit qui se trouve à l horizon pour l Afghanistan. 5

CONCLUSIONS Cette analyse comparative nous rappelle que les possibilités de consolidation de la paix varient considérablement dans le temps et dans l espace. Les expériences du Guatemala et du Mozambique, où des résultats à long terme peuvent être observés, démontrent bien que la consolidation de la paix est possible : les guerres peuvent prendre fin, la démocratisation peut prendre place, la relance économique peut se produire, et un leadership national peut être réinstallé. Les réalisations de ces pays reposent sur des accords de paix qui ont été difficilement négociés entre les belligérants, sur plusieurs années, avec l aide d une médiation internationale. De toute évidence, ces résultats ne sont pas suffisants : les limites de la démocratisation, de la décentralisation et du développement socio-économique, particulièrement dans les campagnes, pourraient bien saper la paix si elles ne sont pas abordées. Quoi qu il en soit, les partenaires du projet QSP sont convaincus que d autres progrès peuvent être atteints grâce à la consolidation d une paix durable dans le cadre de mesures telles que le développement rural et local davantage inclusif, la réforme fiscale, et une plus grande participation des femmes, malgré les contraintes de l environnement au lendemain du 11 septembre. Quant aux expériences de Haïti et des Territoires palestiniens, elles nous rappellent que des étapes mêmes toutes petites vers la consolidation d une paie durable sont bien difficiles à franchir. Malgré des réalisations considérables, ces deux sociétés font face à un renouveau de violence, à une récession économique et à l effondrement des processus transitoires après quelques années. Cette situation s explique par la présence de facteurs comme la nature incomplète des ententes transitoires, leur impossibilité de se pencher sur les causes fondamentales du conflit, et la résistance des acteurs nationaux et internationaux à des réformes démocratiques et socioéconomiques plus approfondies. Le fait que ces échecs se soient produits dans l environnement «porteur» que représentaient les années suivant la guerre froide, devrait nous faire réfléchir. Cela nous rappelle en effet que les forces conservatrices de différentes origines beaucoup plus variées que la gamme étroite des éléments criminels évoquée par le concept de «destructeur» peuvent facilement converger pour étouffer les efforts en faveur de la consolidation de la paix et perpétuer la fragilité des États. La portée d une telle convergence s est élargie au cours de la période suivant le 11 septembre. Dans les Territoires palestiniens, les partenaires du projet QSP en sont arrivés à la conclusion qu il serait peut-être impossible à la communauté internationale de parvenir au genre de cohérence nécessaire pour faire échec aux forces conservatrices aux niveaux national et régional, tout au moins pour le moment. Les perspectives d une paix durable en Haïti, en Afghanistan et au Sri Lanka, restent également incertaines. En Haïti, les efforts en faveur de la consolidation de la paix sont gênés par le fait qu elle s est produite au lendemain d une intervention internationale fortement contestée, et par la résurgence de certaines tendances telles que l opportunisme électoral qui ont sapé les efforts dans les années 1990. En Afghanistan, ces mêmes efforts de consolidation de la paix sont limités par la guerre prolongée et les énormes défis dans les domaines de la mise en place d un état démocratique et du développement socio-économique axé sur la participation. Quant au Sri Lanka, les efforts de maintien de la paix sont axés sur le respect du cessez-le-feu et le renouvellement des pourparlers de paix; ainsi, il reste difficile d élargir la participation au processus de paix et de promouvoir d importants changements institutionnels qui pourraient transformer le conflit. En résumé, les politiques adoptées au lendemain du 11 septembre ont ouvert la voie à des changements dans ces trois pays, mais les nouvelles priorités accordées à la stabilité à court terme ont limité les options pour entreprendre des changements à long terme et cesser d être des États fragiles. Quand bien même il existerait des circonstances aussi difficiles, les intervenants n en ont pas moins des options politiques. L important est de se concentrer sur l objectif à long terme, soit la consolidation d une paie durable, et un soutien davantage systématique aux agents du changement qui travaillent en vue de la réalisation de cet objectif. À partir de la recherche effectuée par la Banque mondiale, le Secrétaire générale des NU, Kofi Annan, nous a récemment rappelé que : Environ la moitié des pays qui sortent d une guerre retombent dans la violence dans les cinq années qui suivent Si nous voulons prévenir les conflits, nous devons veiller à ce que les accords de paix soient appliqués de manière viable et durable. (Note du Secrétaire général sur le projet de Commission de consolidation de la paix, le 17 avril 2005) Le présent mémoire avance les options à cet égard pour les agences canadiennes. Les mémoires indiqués sur la couverture arrière offrent des recommandations davantage exhaustives pour les parties prenantes des six pays ciblés du Sud et de la Norvège. Options stratégiques pour le Canada L approche 3D que le gouvernement canadien a adoptée en 2004, et qui est élaborée dans l Énoncé de politique internationale (ÉPI) de 2005, offre un point de départ intéressant pour participer à la consolidation de la paix et répondre aux plus vastes défis de la fragilité des États. Le renforcement des capacités du ministère de la Défense nationale à déployer des forces militaires convenablement équipées et formées, dans des délais opportuns, pourrait permettre au Canada d augmenter ses contributions à des opérations de consolidation de la paix et de protection des êtres humains. En créant le Fonds pour la paix et la sécurité mondiales (FPSM), le gouvernement pourrait grandement renforcer la capacité des Affaires étrangères à réagir immédiatement à des crises et à des initiatives de consolidation de la paix au lendemain de conflits, plus particulièrement dans des régions qui ne sont pas admissibles à l aide publique au développement comme les opérations de paix et la réforme du secteur de la sécurité. Le nouveau Cadre stratégique de l ACDI pour l engagement dans les États fragiles offre une bonne approche pour orienter son engagement à long terme dans les sociétés vulnérables. Le Groupe de travail pour la stabilisation et la reconstruction (GTSR) pourrait permettre au gouvernement d approfondir les synergies entre ces activités. 2 6 2 Pour des analyses plus détaillées de la politique et des programmes du Canada dans ce domaine, voir Stephen Baranyi, «Quel avenir pour le Canada et la consolidation de la paix? Innovation et efficacité dans une période de turbulences», dans Yvan Conoir et Gérard Herna, éditeurs; Faire la Paix (Québec : Les Presses de l Université de Laval, 2005); Stephen Baranyi, «Le Canada et la paix et sécurité dans la Déclaration du Millénaire» dans Vers 2015 Respecter nos engagements du Millénaire (Ottawa : L Institut NordSud, 2005); Stephen Baranyi et Kristiana Powell, «Bringing gender back into Canada s engagement in fragile states,» document de l INS pour l ACDI, août 2005 disponible sur www.nsi-ins.ca.

Toutefois, pour que ces innovations soient efficaces, elles doivent être mises en application de façon à contribuer centralement aux objectifs de la consolidation d une paix durable et de la prévention des conflits. À ce titre, le gouvernement du Canada devrait : Être davantage judicieux quant à sa participation à des interventions militaires et à des opérations de reconstruction dirigées par des militaires, du fait que l expérience démontre qu il est très difficile de passer de telles situations à la consolidation d une paix durable, particulièrement au lendemain du 11 septembre. Ainsi qu il est indiqué dans un mémoire récent du Comité coordonnateur canadien pour la consolidation de la paix : «La démocratie et la bonne gouvernance ne peuvent s obtenir au bout d un fusil. Pour parvenir à la consolidation d une paix durable, il faut le consentement des parties et une prise en charge locale». Le critère de Responsabilité de protéger (RDP) que le Canada promeut à travers le monde devrait être utilisé de façon plus systématique et ouverte pour décider si le Canada participe, et de quelle manière, à des opérations militaires étrangères et à des processus de reconstruction. S assurer que les activités en faveur de la consolidation de la paix, appuyées par le FPSM, sont conformes aux normes établies en matière de droits de la personne au niveau international; aux engagements internationaux clés tels que la Résolution 1325 (2000) du Conseil de sécurité des NU sur les femmes, la paix et la sécurité; aux nouveaux principes de la RDP, et aux Directives pour les bonnes pratiques d action humanitaire élaborées par le Comité d aide au développement (CAD) de l OCDE. Cela est d autant plus important dans les domaines sensibles comme la réforme du secteur de la sécurité. Le Canada doit par ailleurs s assurer que les sommes venant du FPSM, destinées à des activités immédiatement au lendemain de crises, permettent de poser efficacement les fondations de la consolidation d une paix durable, et ne finissent pas par étouffer des contributions vitales aux priorités telles que la réduction de la pauvreté dans les États fragiles. Renforcer la capacité financière, analytique et opérationnelle de l ACDI pour appuyer les programmes de consolidation de la paix à long terme dans les domaines critiques que sont la gouvernance démocratique et le développement socioéconomique, aux niveaux national et local. Cela devrait inclure le maintien de fonds importants pour un appui à long terme à certaines méthodes de consolidation de la paix, semblables au niveau de financement pour les «États en crise». Mettre à l essai, dans des situations de consolidation de la paix et dans d autres États fragiles, de nouvelles façons d institutionnaliser la coopération avec des agents du changement de l élite et de la base, pour s assurer que les acteurs marginalisés comme les peuples indigènes, les pauvres, les femmes et les mouvements d opposition, peuvent participer à un changement pacifique. Investir davantage de ressources, y compris apporter plus d attention au niveau supérieur, destinées à élaborer une compréhension commune des approches sexospécifiques des interventions militaires, des opérations de reconstruction dirigées par des militaires et des initiatives à long terme de consolidation de la paix dans les ministères gouvernementaux pertinents. S assurer que la contribution qu apporte le Canada au maintien de la paix tient justement compte des impératifs de sécurité à court terme et de la nécessité d examiner les facteurs structurels de la guerre dans le cadre de stratégies de transformation à long terme dans des domaines tels que le développement rural. La façon dont le Canada s y prendra dans la pratique variera selon le pays, du fait que les possibilités et autres contraintes pour la consolidation d une paix durable sont spécifiques aux situations rencontrées. En Afghanistan, le Canada devrait de façon transparente surveiller et évaluer les efforts de l équipe de reconstruction provinciale au Kandahar; chercher un meilleur équilibre entre l investissement dans la Force internationale d assistance à la sécurité (FIAS) par rapport à des priorités à plus long terme comme le développement rural; appuyer plus activement le Programme de solidarité nationale et aider au renforcement de sa capacité pour faciliter la mise en place de véritables processus de développement rural axés sur la participation. Au Guatemala, le Canada devrait rester engagé dans les initiatives de consolidation de la paix à long terme. L ACDI devrait maintenir sa coopération dans des domaines critiques où elle possède de l expérience, par exemple la promotion de l égalité des sexes, la réforme fiscale équitable et la gouvernance locale démocratique. En Haïti, le Canada devrait poursuivre son appui au déploiement complet et à la bonne conduite de la MINUSTAH (Mission des Nations Unies pour la Stabilisation en Haïti/United Nations Stabilization Mission in Haiti), aux réformes de la Police nationale, à la tenue d élections démocratiques, et à la mise en place du Cadre de coopération intérimaire. Parallèlement, les dirigeants canadiens devraient être davantage ouverts à l évaluation des résultats jusqu à présent, et discuter de façon constructive de diverses options qui pourraient ramener la question de la durabilité à long terme au centre du processus décisionnel. Dans les Territoires palestiniens, le Canada devrait activement soulever les préoccupations que lui suscitent les aspects négatifs des démarches unilatérales d Israël; favoriser un retour à la feuille de route du Quartet en vue de négociations sur un statut permanent; encourager l émergence d un système politique davantage inclusif, et appuyer la tenue d élections parlementaires et locales, tout en augmentant son aide pour renforcer les capacités municipales en matière de gouvernance démocratique et de développement socio-économique inclusif. Au Mozambique, le Canada devrait poursuivre ses initiatives de consolidation de la paix à long terme dans le cadre de son engagement primaire dans le secteur de la santé. Par l intermédiaire de son programme de gouvernance, l ACDI devrait chercher des moyens d appuyer l élaboration et la mise en application d une stratégie nationale pour la décentralisation démocratique et ainsi apporter son appui complémentaire au partenariat de la Fédération des municipalités canadiennes et de l Association nationale des municipalités. 7

Options stratégiques pour le Canada (suite) Au Sri Lanka, le Canada devrait redoubler ses efforts en vue d un retour aux pourparlers de paix tout en cherchant des moyens de faciliter l élargissement de la participation aux nouvelles discussions. Le Canada devrait par ailleurs rester activement engagé dans la reconstruction au lendemain de la catastrophe causée par le Tsunami, tout en s assurant que cette aide ne polarise pas davantage les communautés divisées, et continuer de partager son expérience du fédéralisme avec les parties prenantes du Sri Lanka, y compris celles qui sont le plus opposées pour le moment à des réformes en profondeur. Le Canada peut également contrebalancer sa contribution à la consolidation d une paix durable dans le cadre de son engagement envers des processus multilatéraux. Au sein du CAD de l OCDE, le Canada devrait collaborer avec la Norvège et d autres nations pour assurer un suivi des recommandations du rapport Utstein de 2004 à propos de l évaluation stratégique des activités de consolidation de la paix, ce qui permettrait de s assurer que les nouvelles directives en matière d évaluation comportent des dispositions pour évaluer les répercussions à long terme de la consolidation de la paix et faire participer les intervenants de la société civile aux processus d évaluation, aux niveaux national et local. Dans le Learning and Advisory Process (LAP) (Processus consultatif et d apprentissage) du CAD sur les partenariats difficiles, le Canada devrait aider au renforcement du libellé sur la promotion de l égalité des sexes, des droits de la personne et de l engagement à long terme dans l ébauche des principes pour un bon engagement international dans les États fragiles. Le Canada devrait continuer de jouer un rôle clé dans l instauration de ces nouveaux principes en Haïti, tout en faisant davantage participer les OSC à ce processus au Canada, et plus particulièrement sur le terrain dans ce pays. Le Canada devrait aussi profiter des processus LAP du CAD dans d autres pays, comme au Soudan, où il peut travailler étroitement avec la Norvège, pour tirer profit des nouvelles approches aux programmes dans les États fragiles, de façon plus ouverte et transparente. Dans le cadre du suivi du Sommet mondial du Millénaire des Nations Unies, le Canada devrait appuyer la création de la Commission de consolidation de la paix, d un Fonds pour la consolidation de la paix, et d un Bureau de soutien à la consolidation de la paix au Secrétariat. Le Canada devrait également apporter une forte contribution au Fonds de soutien, et surveiller le rendement de ces organismes pour s assurer que les efforts initiaux en matière de consolidation de la paix, coordonnés par la Commission, posent de solides bases pour la consolidation d une paix durable, notamment en assurant un lien étroit entre la surveillance par le Conseil de sécurité et le Conseil économique et social. Le Canada devrait par ailleurs favoriser l engagement des institutions financières internationales et d autres donateurs aux délibérations de la Commission, dans l ensemble et dans les pays prioritaires. Il est essentiel que cet engagement repose sur les expériences réelles de la reconstruction au lendemain des conflits et non pas sur les règles strictes de la réforme axée sur le marché. Au CAD, aux NU ainsi que dans le cadre d autres tribunes, le Canada devrait s assurer que la préoccupation actuelle causée par les crises n esquive pas la nécessité de poursuivre sa contribution à la consolidation de la paix dans des pays/territoires tels que le Guatemala, le Mozambique et les Territoires palestiniens, qui restent fragiles et sont toujours vitaux du point de vue de la prévention des conflits. Dans le cadre de ces tribunes, le Canada devrait aussi jouer un rôle plus actif pour s assurer que les préoccupations immédiates en matière de sécurité «n étouffent pas» les mesures nécessaires pour assurer des changements «plus souples», par exemple l égalité des sexes, la participation démocratique et le développement rural durable étant donné l importance intrinsèque de ces objectifs et de leurs liens avec l objectif tout aussi fondamental de la prévention des conflits à long terme. Ressources du projet QSP Omar Zakhilwal et Jane Thomas. «Afghanistan: What kind of peace is possible? Rural Development and Peacebuilding», et dossier de politique à venir du Centre d études politiques et de développement d Afghanistan, 2005. Gabriel Aguilera et al. «Guatemala: Entre la paz posible y la paz deseable» et «Guatemala: qué clase de paz es posible?». Guatemala: Programa de Participación y Democracia, 2005. Hérard Jadotte. Document de travail et dossier de politique à venir de l Université de Notre Dame, 2005. Khalil Shikaki. «What kind of peace is possible? The case of Palestine: 1993-2005» et dossier de politique à venir du Palestinian Center for Policy Survey Research, 2005. Eduardo Sitoe et Carolina Hunguana. Document de travail et dossier de politique à venir du Centro de Estudios de Democracia y Desenvolvimiento, 2005. Jayadeva Uyangoda. «Transition from Civil War to Peace: Challenges of Peacebuilding in Sri Lanka» et dossier de politique à venir du Social Scientists Association, 2005. Arne Strand, Kristian Harpviken et Wenche Hauge. «Fighting for peace: the role of former combatants in peace processes» du Chr. Michelsen Institute and PRIO, 2005. Stephen Baranyi. «What kind of peace is possible in the post-9/11 era?» Ottawa : L Institut NordSud, 2005. D ici la fin du mois d octobre 2005, toutes ces publications seront disponibles sur la page Web du projet QSP à l adresse http://www.nsiins.ca/english/research/progress/p28.asp. Il sera possible de se procurer des copies imprimées à la Conférence internationale QSP à Vilankulo, Mozambique, les 20 et 21 novembre; aux séances d information d Ottawa, les 24 et 25 octobre, et aux séances d information à Oslo, les 23 et 24 novembre 2005. Une version éditée des études de cas finales et des documents d autres experts sera publiée sous la forme d un livre en 2006. L INSTITUT NORD-SUD L Institut Nord-Sud (INS) est un organisme de bienfaisance, créé en 1976 pour effectuer des recherches stratégiques spécialisées sur les relations entre les nations industrialisées et en voie de développement. En sa qualité d organisme indépendant, l Institut collabore avec une vaste gamme d organisations canadiennes et internationales oeuvrant dans des domaines connexes. L INS reçoit un financement de base de l ACDI. Le contenu du présent document représente les points de vue et les conclusions de ses auteurs mais pas nécessairement ceux des administrateurs de l INS, de ses commanditaires ou partisans, ni des personnes consultées dans le cadre de sa rédaction. 8 Tous photos CIDA. Photographes : Peter Bennett, Pierre St-Jacques, Pedram Pirnia, (trois photos couvertures), Brian Atkinson (page 3), Bruce Paton (page 7).