COMITÉ DE DISCIPLINE DE L'ORDRE PROFESSIONNEL DES INGÉNIEURS DU QUÉBEC CANADA PROVINCE DE QUÉBEC DISTRICT DE LONGUEUIL N : 22-03-0282 DATE : Le 15 août 2006 LE COMITÉ : Me Paule Gauthier Miville Gagnon Présidente Membre LOUIS TREMBLAY, ingénieur, ès qualités de syndic de l Ordre des ingénieurs du Québec c. Partie plaignante BERNARD LEFEBVRE, ingénieur Partie intimée DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION [1] Lors de l audition du 5 juillet 2006, l intimé a plaidé coupable à l égard des infractions à l article 2.01 du Code de déontologie des ingénieurs contenues aux chefs nos 2, 3 et 5 de la plainte du 3 septembre 2003. Cette plainte se lit comme suit : «Monsieur Bernard Lefebvre, ingénieur, inscrit au tableau de l Ordre des ingénieurs du Québec sous ce titre (no 115600) a refusé ou négligé de satisfaire à certaines obligations imposées par le Code de déontologie des ingénieurs (R.R.Q., c. I-9, r.3) et le Code des professions (L.R.Q. c. C-26), et plus particulièrement :
No : 22-03-0282 PAGE : 2 1. À La Prairie, district de Longueuil, ou à L Île-Perrot, district de Beauharnois, le ou vers le 31 août 2000, dans le cadre d une demande d autorisation relative à un projet d installation d aqueduc et d égouts sur la rue Picasso, l ingénieur Bernard Lefebvre a fait preuve d un manque d intégrité et exprimé un avis qui n était pas basé sur d honnêtes convictions en affirmant que le projet ne touchait pas à un milieu humide, contrevenant ainsi aux articles 3.02.01 et 2.04 du Code de déontologie des ingénieurs et 59.2 du Code des professions; 2. À La Prairie, district de Longueuil, entre le ou vers le 4 octobre et le ou vers le 3 novembre 2000, dans le cadre de travaux d aqueduc et d égouts sur la rue Picasso dont il assurait la surveillance, l ingénieur Bernard Lefebvre a permis et/ou toléré la réalisation des travaux alors que les autorisations requises par la loi n avaient pas été émises par le Ministère de l Environnement, contrevenant ainsi aux articles 2.01 et 3.02.08 du Code de déontologie des ingénieurs et 59.2 du Code des professions; 3. À La Prairie, district de Longueuil, ou à L Île-Perrot, district de Beauharnois, le ou vers le 9 avril 2001, lors de l émission des plans relatifs à un projet de nettoyage d un cours d eau reliant un marécage à la rivière Saint-Jacques, l ingénieur Bernard Lefebvre a omis de tenir compte des conséquences de l exécution des travaux sur l environnement, contrevenant ainsi aux articles 2.01 du Code de déontologie des ingénieurs et 59.2 du Code des professions; 4. À La Prairie, district de Longueuil, entre le ou vers le 20 novembre 2001 et le ou vers le mois de janvier 2002, dans le cadre de travaux d aqueduc et d égouts sur la rue Samuel de Champlain dont il assurait la surveillance, l ingénieur Bernard Lefebvre a permis et/ou toléré la réalisation des travaux alors que les autorisations requises par la loi n avaient pas été émises par le Ministère de l Environnement, contrevenant ainsi aux articles 2.01 et 3.02.08 du Code de déontologie des ingénieurs et 59.2 du Code des professions; 5. À La Prairie, district de Longueuil, entre le ou vers le 4 juin et la fin août 2002, dans le cadre de travaux d aqueduc et d égouts sur le boulevard Pompidou dont il assurait la surveillance, l ingénieur Bernard Lefebvre a permis et/ou toléré la réalisation des travaux alors que les autorisations requises par la loi n avaient pas été émises par le Ministère de l Environnement, contrevenant ainsi aux articles 2.01 du Code de déontologie des ingénieurs et 59.2 du Code des professions;» [2] Vu l absence de preuve prépondérante en regard des chefs nos 1 et 4, le procureur de l intimé a demandé au Comité de discipline que ces chefs soient retirés.
No : 22-03-0282 PAGE : 3 [3] En ce qui concerne les infractions à l article 59.2 du Code des professions contenues aux chefs nos 2, 3 et 5 et l infraction à l article 3.02.08 du Code de déontologie des ingénieurs contenue au chef no 2, le procureur de l intimé a requis l arrêt des procédures, par application des principes posés dans l arrêt Kienapple c. R., [1975] 1 R.C.S. 729. [4] Séance tenante, le Comité de discipline a déclaré l intimé coupable des infractions à l article 2.01 du Code de déontologie des ingénieurs prévues aux chefs nos 2, 3 et 5 de la plainte. Les procureurs des parties ont ensuite soumis leurs recommandations communes sur sanction, soit une réprimande et une amende de 3 000 $ pour chacune des trois (3) infractions. REPRÉSENTATIONS CONJOINTES SUR SANCTION [5] Au soutien de leurs représentations conjointes sur sanction, les procureurs des parties ont indiqué que la preuve établie dans le dossier de l ingénieur Louis Lamarche (Ingénieurs (Ordre professionnel des) c. Lamarche, 22-03-0280, 6 avril 2006), directeur du Service du génie de la ville La Prairie, devait être versée au présent dossier, vu les liens entre ces deux dossiers. Ils ont référé également, de façon plus particulière, au certificat (S-48), au compte-rendu d une rencontre avec le syndic le 19 juin 2003 (S-49), de même qu au témoignage rendu par l intimé dans le cadre du dossier Lamarche. [6] À l époque des faits reprochés dans la plainte, l intimé était à l emploi de la firme Genivar. Il a été appelé, avec d autres ingénieurs, à superviser les travaux en cause à la ville de La Prairie.
No : 22-03-0282 PAGE : 4 [7] L intimé était alors âgé de 27 ans seulement. Il était un ingénieur «junior» au tout début de sa carrière. Contrairement aux ingénieurs dans les affaires connexes Lamarche, précitée et Ingénieurs (Ordre professionnel des) c. Houde, 22-03-0281 rendue le 21 juin 2006, qui impliquaient respectivement le directeur du Service du génie et le directeur général de la ville de La Prairie, l intimé en l instance n était pas en situation d autorité. [8] Le procureur du syndic s est dit d accord avec les représentations conjointes en insistant entre autres sur le fait qu une radiation pour les infractions commises par l intimé serait inappropriée vu les circonstances. DÉCISION [9] La Cour d appel a rappelé dans l arrêt Pigeon c. Daigneault, [2003] R.J.Q. 1090 (requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée (C.S. Can. 09-10-03-29829)), les objectifs que doit permettre d atteindre une sanction disciplinaire, soit la protection du public, la dissuasion du professionnel de récidiver, l exemplarité à l égard des autres membres de la profession qui pourraient être tentés de poser des gestes semblables et, finalement, le droit pour le professionnel visé d exercer sa profession. [10] Par ailleurs, le Tribunal des professions a rappelé à maintes reprises 1, suivant en cela les enseignements du juge Fish (alors à la Cour d appel) dans l arrêt Verdi- Douglas c. R., J.E. 2002-249 (C.A.), l attitude à adopter lorsque les procureurs des parties, après de sérieuses négociations, présentent de façon conjointe au tribunal leurs représentations quant aux sanctions à imposer. En fait, à moins que les représentations ne soient déraisonnables, qu elles portent atteinte à l intérêt public ou qu elles jettent un discrédit sur l administration de la justice, le tribunal ne devrait pas les écarter. Comme 1 Voir notamment : Mathieu c. Dentistes, 2004 Q.C.T.P. 27 et Malouin c. Notaires, 2002 Q.C.T.P. 15.
No : 22-03-0282 PAGE : 5 le Comité de discipline a eu l occasion de le souligner dans l affaire connexe Houde impliquant le directeur général de la ville de La Prairie, ce principe ne signifie cependant pas que le Comité de discipline n a plus aucune latitude en matière de sanctions dès que des représentations communes lui sont soumises 2. Le Comité de discipline n est en effet pas lié par les recommandations communes des parties quant à la sanction à imposer, mais il ne peut les écarter sans motifs valables. [11] Dans l imposition d une sanction, le Comité de discipline doit également considérer les facteurs objectifs et subjectifs, atténuants et aggravants, qui sont pertinents au dossier. [12] En l instance, comme dans les affaires connexes Houde et Lamarche, précitées, le Comité de discipline a considéré la protection du public et le caractère d ordre public des règles environnementales qui ont été enfreintes. [13] Même si l intimé a permis ou toléré la réalisation de travaux en contravention avec certaines règles environnementales, il n était pas en situation d autorité. Il a aussi recommandé dans sa lettre du 20 novembre 2001 adressée au directeur du Service du génie de la ville de La Prairie (pièce S-43), de suspendre temporairement les travaux et de coordonner une rencontre d urgence avec le ministère afin de régler ce litige et de permettre la continuation des travaux. [14] Comme dans les affaires Lamarche et Houde, précitées, l intimé a lui aussi souligné les longs délais de traitements des demandes d autorisation au ministère de l Environnement. 2 Paragr. 15. Voir aussi : Deschènes c. Optométristes, 2003 Q.C.T.P. 97 (T.P.).
No : 22-03-0282 PAGE : 6 [15] La gravité des infractions commises et l exemplarité à l égard des autres membres de la profession sont également des facteurs à considérer. [16] Au niveau des facteurs subjectifs, le Comité de discipline souligne l absence d antécédent de l intimé et son jeune âge au moment des infractions. [17] Le Comité de discipline doit aussi considérer le fait que l intimé a reconnu ses fautes disciplinaires en plaidant coupable. [18] Le Comité réfère par ailleurs à l analyse des nombreuses décisions contenue aux pages 23 à 31 de la décision sur sanction dans l affaire Lamarche, précitée, concernant des infractions à l article 2.01 du Code de déontologie des ingénieurs. [19] Comme le procureur du syndic l a lui-même reconnu, une période de radiation temporaire comme celles imposées dans les dossiers Houde et Lamarche serait inappropriée vu les circonstances en l espèce. [20] De l avis du Comité de discipline, les représentations sur sanctions soumises de façon conjointe par les procureurs des parties doivent être suivies en l instance car elles ne sont pas déraisonnables, ne portent pas atteinte à l intérêt public ou ne jettent pas un discrédit sur l administration de la justice. Au contraire, les sanctions proposées apparaissent aux yeux du Comité de discipline suivant les circonstances et motifs énoncés dans la présente décision, justes et appropriées. [21] Vu l absence de preuve prépondérante soumise quant aux infractions prévues aux chefs nos 1 et 4, le Comité de discipline prend acte du retrait de ces chefs. [22] Enfin, par application des principes posés dans l arrêt Kienapple, précité, le Comité de discipline prononce l arrêt des procédures en ce qui concerne les infractions
No : 22-03-0282 PAGE : 7 à l article 59.2 du Code des professions contenues aux chefs nos 2, 3 et 5. L arrêt des procédures est également prononcé pour les mêmes motifs en ce qui concerne l infraction à l article 3.02.08 du Code de déontologie des ingénieurs contenue au chef no 2. POUR CES MOTIFS, LE COMITÉ DE DISCIPLINE, À L UNANIMITÉ : [23] DÉCLARE l intimé coupable à l égard de chacune des infractions à l article 2.01 du Code de déontologie des ingénieurs contenues aux chefs nos 2, 3 et 5 de la plainte du 3 septembre 2003; [24] CONDAMNE l intimé à une réprimande et à une amende de 3 000 $ pour chacune des infractions à l article 2.01 du Code de déontologie des ingénieurs contenues aux chefs nos 2, 3 et 5 de la plainte; [25] PREND ACTE du retrait des chefs nos 1 et 4 contenus à la plainte; [26] ORDONNE l arrêt des procédures à l égard de chacune des infractions à l article 59.2 du Code des professions contenues aux chefs nos 2, 3 et 5 de la plainte; [27] ORDONNE l arrêt des procédures à l égard de l infraction à l article 3.02.08 du Code de déontologie des ingénieurs contenue au chef no 2 de la plainte; [28] CONDAMNE l intimé au paiement des déboursés et ACCORDE à l intimé un délai de douze (12) mois à compter de la signification de la présente décision pour le
No : 22-03-0282 PAGE : 8 paiement des amendes et des déboursés conformément à l article 151 du Code des professions. Paule Gauthier, présidente Miville Gagnon, ingénieur, membre Me Simon Venne Procureur du plaignant Me Louis Belleau Procureur de l intimé Date d audience : 5 juillet 2006