Rapport national sectoriel Les successions internationales. Sami Bostanji Professeur à la Faculté de droit et des sciences politiques de Tunis



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Journées roumaines Les successions Rapport national sectoriel Les successions internationales Sami Bostanji Professeur à la Faculté de droit et des sciences politiques de Tunis Lotfi Chedly Professeur à la Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis En matière successorale, le droit international privé tunisien se caractérise par le caractère national de ses sources tant sur le plan des conflits de juridictions que sur le plan des conflits de lois. La question est régie pour l essentiel par le Code tunisien de droit international privé promulgué en vertu de la loi du 27 novembre 1998 et affinée, sous certains rapports, par la jurisprudence. La mise en jeu des règles du droit international privé tunisien sont subordonnées à la constatation préalable de l internationalité du rapport successoral. A cet égard la jurisprudence met en œuvre la directive consacrée au sein de l article 2 du Code tunisien de droit international privé qui énonce : «Est international, le rapport de droit rattaché au moins par l un de ses éléments déterminants, à un ou plusieurs ordres juridiques, autres que l ordre juridique national». Appliquée aux relations successorales, cette directive a amené les juges tunisiens à admettre le caractère international de la succession dès lors que le de cujus avait une nationalité étrangère ( Cass. civ. 09/03/2006 ). Dans une autre affaire en date du 07/12/2006, la Cour de cassation a admis le caractère international du rapport successoral en se basant sur la nationalité étrangère de certains héritiers et sur le fait que certains biens successoraux étaient localisés à l étranger. I- Les conflits de juridictions :

A- Compétence juridictionnelle : 1- Deux chefs de compétence sont adoptés en matière successorale par le Code de droit international privé. Le premier chef de compétence est l ouverture de la succession en Tunisie alors que le second a trait à la localisation des biens successoraux sur le territoire tunisien. Les contours de ces deux critères ont été précisés par la jurisprudence subséquente au Code. Concernant le premier critère, les juges de la Cour de cassation ont censuré un arrêt de la Cour d appel de Tunis en date du 26/04/2005 qui a admis que le lieu d ouverture de la succession était le lieu du décès du de cujus. Au regard de la Cour régulatrice, le lieu d ouverture de la succession est nécessairement le lieu du dernier domicile du de cujus car on présume dans ce cas que les biens de l auteur de la succession se trouvent au lieu de son dernier domicile ; de même que l on présume que c est en ce lieu que se trouvent centralisés les intérêts de ses créanciers ; de même encore, ajoute-t-elle, cette localisation présume la volonté du de cujus de soumettre ses biens au système judiciaire du lieu de son dernier domicile car il y va de l intérêt de ses successibles. Concernant le second critère, la question révélée par la pratique était celle préciser la portée du critère de localisation des biens successoraux. Autrement dit, il était question de déterminer si la localisation d une partie des biens successoraux sur le territoire tunisien suffisait à étendre la compétence internationale des juridictions tunisiennes à l égard de l ensemble des biens successoraux localisés sur un /ou des territoire(s) étranger(s) ou bien si une telle localisation ne justifiait la compétence des juridictions nationales qu à l égard des biens de la succession situés sur le territoire tunisien. Après une valse-hésitation entre ces deux approches, la Cour de cassation a opté dans un récent arrêt en date du 19/10/2009 pour une conception large de la compétence, laquelle approche étend la compétence des juridictions tunisiennes en matière successorale à l égard des biens situés à l étranger. 2- Ni le Code tunisien de droit international privé, ni la jurisprudence n ont adopté des chefs de compétence exorbitants.

3- On pourrait toutefois admettre trois chefs de compétence complémentaires. -Le premier serait fondé sur le critère de connexité prévu par l article 7 du CDIP suivant lequel «Les tribunaux tunisiens sont compétents pour connaître des actions connexes à des affaires pendantes devant les tribunaux tunisiens». -Le deuxième chef de compétence complémentaire possible serait fondé sur le critère de l urgence qui est praticable notamment sur le terrain des mesures provisoires et conservatoires. Cette dernière compétence reste subordonnée à la réalisation de deux conditions : l existence d un péril imminent en l espèce et l exigence que la décision de référé rendue n affecte pas le fond -Le troisième chef de compétence complémentaire serait basé sur le risque de déni de justice. En dépit de l absence d une disposition législative explicite en ce sens, la jurisprudence n a pas hésité à accueillir ce chef de compétence à plusieurs reprises sur le terrain du divorce. La mise en jeu de ce chef de compétence est tantôt subordonnée à une impossibilité de fait pour le demandeur de plaider sa cause à l étranger ( Tribunal de première instance de Manouba, 13 janvier 2004 ), tantôt appuyée sur l idée de risque d ineffectivité de la décision rendue à l étranger ( Cour de cassation, 21 mai 2009). La transposition de ces solutions en matière successorale semble parfaitement plausible 4- La question de l admission du renvoi de compétence, en matière successorale, a reçu une réponse mitigée en jurisprudence. Dans un premier temps, ce type renvoi a été admis par un arrêt de la Cour de cassation en date du 7/12/2006 qui appelle les parties à se pouvoir devant les tribunaux étrangers du lieu de situation des immeubles successoraux. Le fondement de cette position était articulé autour de l idée de respect de la souveraineté étrangère sur le territoire de laquelle se trouvent les biens immeubles. Toutefois, cette solution a été remise en cause dans la même affaire dans un arrêt de la Cour régulatrice en date du 19/10/2009 qui rejette expressément une telle position au nom de l unité de la masse successorale, unité qui, au regard des juges statuant sur cette affaire, ne supporte pas une fragmentation de la compétence judiciaire internationale en la matière.

5-Dans sa décision en date du 7/12/2006, la Cour de cassation a affirmé que l action successorale comprend les questions de partage, d administration et de liquidation de la succession. Il s ensuit que les tribunaux tunisiens sont compétents pour connaître de l administration d une succession dès lors que la succession est ouverte en Tunisie ou encore si les biens successoraux sont situés sur le territoire tunisien. 6-Le système tunisien n établit pas, sur le plan des textes, un lien de subordination entre la compétence juridictionnelle et la compétence législative. Il n en reste pas moins que, sur le plan pratique, il y a souvent coïncidence entre le forum et le jus dès lors que les tribunaux tunisiens sont saisis d une action successorale. Profitant du large éventail de lois potentiellement applicables dans le cadre de l article 54 du CDIP et jouant sur l imprécision de ce même texte qui reste fort ambigüe quant aux modalités de sélection de la loi applicable à la succession, les juges tunisiens finissent presque toujours de facto par retenir la loi tunisienne comme étant applicable à la succession. Cette démarche véhicule, de manière latente mais certaine, une concordance entre la compétence juridictionnelle et la compétence législative en matière successorale. B- Reconnaissance et exécution des jugements et des actes étrangers 1- Les obstacles à la reconnaissance des jugements étrangers en matière successorale sont gouvernés par un texte d ordre général (il n y a point de spécificité sous ce rapport en matière successorale). Il s agit du texte de l article 11 du CDIP. Ces obstacles sont pour l essentiel d ordre processuel. Dans cette catégorie, on retrouve un premier obstacle lié à la compétence indirecte du juge d origine. Ainsi, une décision statuant sur une question qui relève de la compétence exclusive des juridictions tunisiennes ne, peut en aucun cas, être accueillie dans l ordre juridique tunisien. Par ailleurs, la décision étrangère ne sera pas reconnue si les tribunaux tunisiens ont déjà rendu une décision non susceptible de recours par les voies ordinaires sur le même objet, entre les mêmes parties et pour la même cause. De même, la décision étrangère sera contrôlée sous l angle de son respect de l ordre public procédural et ne pourra bénéficier de l exequatur si elle ne présente pas un caractère exécutoire dans son ordre juridique d appartenance.

A ces obstacles d ordre processuel, s ajoute un obstacle d ordre substantiel. La décision étrangère ne sera pas accueillie dans l ordre juridique tunisien si elle est contraire à l ordre public tunisien au sens du droit international privé, c est à dire lorsqu elle véhicule une solution qui heurte les choix fondamentaux du système juridique tunisien. Enfin, à l ensemble de ces obstacles il faut ajouter celui relatif au nécessaire respect de la condition de réciprocité puisqu au regard de l article 11 in fine du CDIP, il est clairement affirmé que : «L exequatur n est pas accordée aux décisions judiciaires étrangères si : L Etat où le jugement ou la décision a été rendue n a pas respecté la règle de la réciprocité». 2- Il n y a point de textes spécifiques sur cette question. La pratique n a pas encore révélé les solutions à adopter à propos de ces questions. II- Conflits de lois Il convient au préalable de remarquer que les solutions en matière de conflits de lois dans le Code de droit international privé et en particulier l article 54 du Code, siège de la matière sont particulièrement ambigües, de sorte que certains les ont considérées comme «mystérieuses» 1. Cela aboutit actuellement à des divergences d interprétations doctrinales et jurisprudentielles (même au niveau de la Cour de cassation). De même, des lacunes importantes existent. Ambiguïtés et lacunes qui appellent à une intervention législative afin de compléter ce qui manque et de clarifier le reste. Ces considérations préalables à la réponse expliquent qu il n existe pas une réponse claire du droit positif tunisien à nombre des questions posées. Les réponses sont essentiellement l expression d une opinion qui n est pas nécessairement la seule possible en l état actuel du droit tunisien. 1. Détermination de la loi applicable à la succession a) 1 Cf. A. Khammasi, «The myterious article 54», Yearbook of private international law, vol VIII, 2006, p. 421.

En principe, c est le système de l unité de la loi applicable à la succession qui est consacré. En effet, l article 54 du Code DIP dispose que la succession est soumise «à la loi interne de l Etat dont le decujus a la nationalité au moment du décès ou à la loi de l Etat de son dernier domicile ou à la loi de l Etat dans lequel il a laissé des biens» En dépit des difficultés de mise en œuvre des rattachements retenus 2, il est clair des deux premiers rattachements retenus que toute la succession est soumise à une même loi 3, ce qui est une consécration du principe de l unité. Pour le troisième critère, on peut hésiter lorsque les biens du decujus sont situés dans plusieurs pays. Néanmoins, on penche là aussi pour le régime de l unité pour deux raisons : D abord, l article se réfère «à la loi de l Etat dans lequel il a laissé des biens». Ce qui suppose que ce critère est mis en œuvre lorsque les biens sont situés dans un même Etat. Ensuite, dans un arrêt n 47138 du 29 mai 2007 la Cour d appel de Tunis 4 a considéré que le fait que le decujus ait laissé des biens situés dans plusieurs pays est de nature à rendre le critère non opérationnel, ce qui l a mené à appliquer la loi de l Etat de son dernier domicile, et à soumettre la succession internationale dans sa totalité à une même loi. - On peut estimer qu il existe un lien entre le droit interne et la règle consacrée par le droit international privé. En effet, en matière interne les successions relèvent clairement du statut personnel. En droit international, avec le Code de droit international privé, l appartenance à la catégorie du statut personnel n est plus aussi évidente, du fait de l éclatement de la catégorie du statut personnel de sorte qu on a désormais des catégories analytiques, parmi lesquelles on trouve la catégorie successions. Ceci n empêche qu une partie de la doctrine continue à étudier la question dans le cadre de la catégorie statut personnel. Cela se renforce si on estime que 2 Cf. infra 3 Pour la nationalité, au cas où elle est multiple, l application de la solution classique de la loi la plus effective (consacrée dans l article 39 en matière de statut personnel) permet de consacrer le principe de l unité de la succession. consacrée dans l article 39 en matière de statut personnel 4 Non publié, attendu essentiel cité in Code de Droit international privé annté par L. Chedly et M. Ghazouani, CEJJ 2008, p. 662 et s.)

les critères énumérés par l art. 54 sont des critères hiérarchiques, et le principe deviendra alors la soumission de la succession à la loi nationale 5. b) Les rattachements utilisés sont de trois ordres : - Nationalité : en cas de double nationalité la solution prévue par l article 39 du Code de Droit international privé (consacré au statut personnel) consiste dans l application de la loi la plus effective. Cette solution nous semble transposable. Quant à l apatridie, classiquement on recourt dans ce cas à l application de la loi du domicile. Ici, le fait que le domicile soit aussi le deuxième critère prévu par l article 54 est de nature à nous diriger vers une telle solution en considérant que le critère désigné par le premier élément de rattachement n est pas opérationnel. - La loi du dernier domicile : la notion de domicile exige d après la jurisprudence deux éléments : l élément matériel, qui consiste dans la résidence habituelle du decujus et un élément intentionnel qui consiste dans l intention de s établir dans un pays ( v. en ce sens en matière de successions : l arrêt n 47138 du 29 mai 2007 de la Cour d appel de Tunis, précité). - La loi dans laquelle le decujus a laissé des biens ( V. des développements sur ce critère supra.) c) Mise en œuvre du critère de rattachement : Dans l hypothèse où la règle de conflit en matière successorale désigne un système juridique plurilégislatif, tel qu un Etat fédéral, il ne nous semble pas qu il y ait une spécificité en matière successorale : la règle de conflit a vocation à désigner le système étranger dans sa globalité, et c est une règle de répartition à l intérieur de la loi désignée qui fixera les règles applicables du système étranger. Là aussi, il ne nous semble pas qu il y ait de problème. Et même si dans le Code de Droit international privé de 1998, on trouve une catégorie successions, ce qui fait qu on n a pas besoin de rattacher les successions à une catégorie plus large, la catégorie de statut personnel, il nous semble 5 Cf. A Mezghani, Commentaires du Code de droit international privé, CPU 1999, p. 101 et s, étudie les sucesssions dans le cadre d un 3 ème d une section intitulée statut personnel et le justifie par le fait que «les successions qui font partie, en droit interne, du statut personnel sont soumises par le nouveau Code à la loi nationale.»

qu il n y ait pas de conflits de qualifications avec le droit tunisien dans ce cas 6. Et de ce fait la loi désignée a vocation à être appliquée. 2- Correctifs pouvant être apportés au rattachement retenu a) Le renvoi n est pas admis en droit tunisien. En effet, l article 35 du Code de droit international privé dispose : «Sauf dispositions contraires de la loi, le renvoi n est pas admis, qu il aboutisse à l application de la loi tunisienne ou à celle d un autre Etat.» Ce rejet se confirme en matière de successions, du fait que l article 54 se réfère à «la loi interne de l Etat» b) La volonté du decujus ne peut influer sur les rattachements retenus. Ces rattachements dans les successions ab intestat ne dépendent pas de la volonté du decujus : nationalité, dernier domicile, pays où le decujus a laissé des biens. De même en matière de testaments, il découle de l article 55 CDIP que le legs est soumis quant au fond à la loi nationale du testateur au moment de son décès. La forme du testament quant à elle est soumise à la loi nationale du testateur ou à celle du lieu où il est établi. De même, la donation est régie quant au fond à la loi nationale du donateur au moment où elle est consentie. La forme de la donation quant à elle est soumise à la loi nationale du donateur ou à elle du lieu où l acte a été établi 7. * Les critères de rattachement choisis en matière de successions révèlent que le decujus ne peut choisir la loi applicable ( pas de professio juris) c) Il n existe pas d influence sur le droit applicable dans le Code de DIP de la nationalité et du domicile des héritiers. d) Le droit tunisien admet dans l article 28-2 l accord procédural. Mais uniquement dans les règles de conflit ayant pour objet une catégorie de droits dont les parties ont la libre disposition de leurs droits. Le 6 V. supra, on a cité une doctrine selon laquelle les successions en droit tunisien relèvent de la catégorie statut personnel. 7 Nous évoquons en plus des successions ab intestat les testaments et les donations, car en droit tunisien la catégorie successions est très large et intègre ces instiitutions (V. Chap. IV du CODE intitulé les successions qui contient les articles 54à 56

législateur suit en la matière une approche synthétique en raisonnant par catégorie et non par droits. Or, la règle de conflits en matière de successions est considérée comme une règle de conflit ayant pour objet une catégorie de droits dont les parties n ont pas la libre disposition. Il s agit en conséquence d une règle d ordre public et de ce fait l accord procédural n est pas valable. 3- Effectivité des rattachements retenus a) Dans ce cas, si notre règle de conflit a désigné une loi étrangère, c est cette loi qui s applique, sauf si la dévolution des biens en vertu du droit étranger est contraire à l ordre public au sens du droit international privé. * La question ne s est pas posée à notre connaissance devant la justice tunisienne et il n ya pas de réponse du Droit tunisien. Mais, à supposer qu un droit étranger accorde un droit de prélèvement sur des biens qui se situent en Tunisie, ce qui est assez surprenant, il nous semble que le droit tunisien en n interdisant pas de manière expresse un tel prélèvement, il le permet au cas où cela est prévu par la loi désignée ; sauf si le juge considère dans ce cas que le prélèvement sur des biens situés en Tunisie prévu par un droit étranger est contraire à l ordre public au sens du droit international privé tunisien. * Il n ya pas d aménagements apportés au principe de l unité. b) Le système en droit tunisien n est pas celui du morcellement de la succession. 4- Domaine de la loi applicable à la succession A notre avis, du fait du principe de la qualification lege fori, qui implique une transposition de la catégorie de droit interne ( avec une adaptation bien entendu au droit international privé- art. 27 du Code de DIP), la loi successorale englobe toutes les phases du règlement successoral : dévolution, transmission et gestion de l actif, administration de la succession et partage. A/ Dévolution

a) Même si les textes ne sont pas explicites et même s il n existe pas encore de jurisprudence en la matière, il nous parait logique que la loi successorale soit applicable à toutes les questions qui relèvent de la dévolution. b) - La vocation successorale du conjoint survivant n a pas fait l objet de dispositions spécifiques en droit international privé. - L articulation entre le régime matrimonial et la succession se fait logiquement par une priorité dans le temps dans la désignation de la loi applicable aux régimes matrimoniaux sur la base de l article 48 du Code de DIP. Une fois la part du conjoint survivant dans les régimes matrimoniaux déterminée, elle n entre pas dans la masse successorale ; le conjoint aura par la suite sa part successorale sur le patrimoine de son conjoint exclusivement. - Une adaptation n a pas été prévue par les textes lorsqu il s avère que l articulation de la loi applicable au régime matrimonial et celle applicable à la succession n accorde pas au conjoint ce que l une ou l autre des lois appliquées dans son intégralité, lui aurait accordé. La question ne s est pas encore posée en jurisprudence. Du fait du caractère d ordre public de ces règles de conflit, il nous semble qu il est logique de ne pas opérer une adaptation dans ce cas ; sauf si la combinaison de ces lois aboutit à une contrariété à l ordre public au sens du droit international privé, alors, il y aura une éviction de ou des lois désignées et une application de la lex fori pour sa vocation subsidiaire. c) La loi successorale régit la liberté testamentaire et la réserve héréditaire. La réponse à votre question relative aux conséquences sur une disposition à cause de mort, un pacte successoral ou une donation entre vifs dépassant la quotité disponible dépend de la loi désignée, non de la règle de conflit, qui est neutre par définition. d) L éventuelle renonciation anticipée à la réserve héréditaire relève à notre avis de la loi successorale. On peut admettre des limites prévues par une autre loi que la loi successorale si celle-ci est qualifiée comme une loi de police, avec la remarque que l article 38 du code de DIP permet l application des lois de police étrangères. e) La loi successorale concerne aussi bien l actif que le passif.

f) C est la loi successorale qui nous semble applicable à l option successorale. g) Le fait que notre système n admet pas le morcellement de la succession et la conçoit comme une universalité est de nature à empêcher la possibilité d exercer l option masse par masse. B) Administration a) Compte tenu de la solidarité existante entre la phase de dévolution et la phase de l administration, ces deux phases sont appelés à être gouvernées par une même loi, en l occurrence la loi successorale ; d où la soumission de la question de l administration à la loi successorale. b) L administrateur étranger d une succession internationale peut en principe faire valoir ses pouvoirs sur le territoire tunisien. Lorsqu il est désigné en vertu d une décision de justice, le contenu de cette décision aura, sur le sol tunisien, une force probante devant les juridictions et les autorités administratives tunisiennes. C est précisément en ce sens que s articule l article 12 alinéa 2 du Code de droit international privé. Il n en reste pas moins que cette reconnaissance de plein droit des pouvoirs de l administrateur étranger ne joue que si deux conditions cumulatives se réalisent ( voir en ce sens l article 12 alinéa 2 du Code de droit international privé ) : 1- la décision de sa nomination n est contestée par aucune partie 2- cette décision doit remplir les conditions de régularité prévues par l article 11 du Code de droit international privé c) Il est difficile de répondre à cette question en l absence de précédents en la matière C) Partage a) En matière de partage, la compétence de principe doit être reconnue à la loi successorale. Le partage est trop lié à la conception même et à l organisation de la succession pour qu il en soit autrement. b) Il faut toutefois observer que l interférence de la lex rei sitae n est pas à exclure dans certains cas. Il en est ainsi notamment lorsque l Etat du lieu de situation des biens lutte contre la parcellarisation de certains biens. L exemple type qui pourrait être donné, dans ce contexte, est celui des attributions

préférentielles. A cet égard, il est à noter que le législateur tunisien a voulu que soit conservées dans leur totalité les exploitations agricoles et les entreprises commerciales, industrielles et artisanales. Pour ce faire, l article 141 du Code des droits réels a institué l attribution préférentielle en énonçant : «s il existe parmi les biens successoraux, une exploitation agricole, industrielle ou artisanale constituant une unité économique, elle peut être attribuée par préférence à l un des héritiers, compte tenu des intérêts et moyennant une soulte, s il échet». c) Il n y a pas d obstacles au sein du droit positif à la réalisation d un tel acte. III- Pour aller plus loin a) Les difficultés majeures consistent dans l ambiguïté des textes et les hésitations qui s en suivent en jurisprudence de sorte qu il règne en la matière un sentiment d insécurité juridique. Par exemple en matière de conflits de lois l article 54 utilise plusieurs critères de rattachement avec la conjonction «ou» sans donner un critère de choix au juge, de sorte qu on trouve en jurisprudence des solutions multiples et contradictoires : - Dans certaines décisions, le juge a estimé que les critères sont alternatifs et qu il relève de la discrétion du juge de déterminer la loi : solution non satisfaisante, car un choix du juge sans le limiter par des critères est de nature à conduire à l arbitraire. - Dans d autres, on a estimé que la règle est en cascade, on ne passe au second critère que si le premier n existe pas ou ne peut être mis en œuvre et ainsi de suite. Mais, cette solution n est pas satisfaisante non plus, car non conforme au texte qui ne peut en utilisant la conjonction «ou» vouloir dire autre chose qu une alternativité. - Dans d autres décisions on a appliqué l art. 54 comme s il était unilatéral et se limitait à délimiter le champ d application du droit tunisien. b) Il n existe pas en droit tunisien de telles solutions. c) Nous ne voyons pas des évolutions ou des solutions qui méritent d être portées à la connaissance du rapporteur. IV Projet de règlement communautaire On ne voit pas de conséquences que le projet de règlement communautaire pourrait avoir en droit tunisien.