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Transcription:

«La plus belle chose qui m est arrivée, c est d être née francophone dans un milieu minoritaire.» À tort ou à raison, on associe souvent l exogamie à l assimilation qui, elle, contribue à l érosion de la francophonie en milieu minoritaire. Or, l assimilation n est pas un phénomène récent : on n a qu à penser aux familles de racines françaises qui ont perdu toute trace de leur identité francophone ou acadienne dans l espace de quelques générations. Pourtant, les enfants de ceux qui ont su nourrir leur langue et leur culture en tirent pleinement profit. Pouvons-nous, familles francophones et exogames d aujourd hui, apprendre de leur histoire? par Glen Taylor Denise Lavallée est née à Edmonton en 1969 et appartient à la troisième génération des Lavallée en Alberta. Il y a d ailleurs une école francophone à Edmonton qui porte le nom de son grandpère. Denise a fréquenté des écoles d immersion française les écoles francophones n existaient pas à ce moment-là avant de poursuivre ses études postsecondaires à l Université d Ottawa et à l Université du Québec à Trois-Rivières. De retour en Alberta, elle a travaillé pour Radio-Canada, ainsi que pour des journaux francophone et anglophone. Présentement, elle élève ses deux filles à Edmonton et s implique dans la francophonie au niveau de la petite enfance. ConnEXions a rencontré Denise pour discuter de son vécu en tant que francophone née en milieu minoritaire. ConnEXions : Vous venez d une famille francophone qui vit depuis longtemps en Alberta. Comment est-ce que cela a façonné votre identité? Denise : En tant qu Albertaine de naissance et ayant maintenant 34 ans, je peux dire que la plus belle chose qui m est arrivée, c est d être née francophone dans un milieu minoritaire. Ça me donne non seulement un sens de qui je suis, mais cela m a mise dans une situation qui m a forcée à avoir le courage d être vraiment moi-même c est-àdire différente dans une province qui est majoritairement Denise Lavallée et sa fille, Zoé Lavoie anglophone. Ça me permet aussi d être plus ouverte à tous ceux qui sont différents culturellement. Grandir comme minoritaire comporte des défis et de grandes récompenses. Quand on grandit en Alberta et qu on parle seulement français 43

My Child Goes to French School: What Role Should I Play? 44 en famille, comme je l ai fait, on se rend compte qu on est différent des autres et que nos parents font des choses que les autres ne font pas. Bien entendu, être minoritaire peut exercer une pression sur la famille si je regarde autour de moi, la plupart de ma parenté est complètement assimilée. ConnEXions :Avant que les écoles francophones ne voient le jour, les francophones qu ils soient en couple homogène ou exogame n avaient que deux choix par rapport à l éducation de leurs enfants : l école anglophone ou les programmes d immersion. Beaucoup d entre eux, dont vos parents, ont choisi ce dernier. Quelles ont été vos expériences en immersion? Denise : En tant que francophone, on se sent différent dès le premier jour et on veut aussi tôt que possible prouver à tout le monde qu on est capable de parler anglais, de faire partie de la gang. Mais j ai payé un prix pour ça, parce que mon niveau de français et ma fierté de le parler diminuaient avec le temps. J apprenais le français comme langue seconde, avec les anglophones. Or, les anglophones arrivaient à l école avec une identité très forte ils ne la mettaient jamais en question, ni leur place dans la société albertaine. Ils étaient déjà compétents en anglais et tout le français qu ils apprenaient devenait un plus. Un anglophone ne sentira jamais que sa langue ni sa culture sont menacées. Mais ce n était pas du tout la même chose pour nous les francophones. Mon niveau de français a baissé parce que j entendais les erreurs que faisaient les autres élèves et je les répétais. Finalement, j ai parlé surtout anglais à l école parce que les autres élèves étaient beaucoup plus à l aise en anglais. À la fin de la 12 e année, les anglophones sortaient souvent bilingues et très bien dans leur peau, alors que nous, les francophones, nous nous sentions un peu perdus parce que notre niveau de français avait diminué et nous n étions plus certains ce que c était, être francophone. À la fin de la 12 e année d immersion, les anglophones sortaient souvent bilingues et très bien dans leur peau, alors que nous, les francophones, nous nous sentions un peu perdus parce que notre niveau de français avait diminué et nous n étions plus certains ce que c était, être francophone. ConnEXions : Votre expérience aura des résonances auprès de beaucoup de francophones à travers le Canada, surtout ceux pour qui l école francophone n était pas une option. Encore aujourd hui, des parents francophones ou acadiens qui optent pour l immersion finissent par se rendre compte que leurs enfants perdent leur français, ainsi que leur identité francophone ou acadienne. Mais vous avez quand même réussi à garder un excellent français et une identité solide Denise : J ai eu le privilège d avoir des parents pour qui ce n était jamais un fardeau d être francophones. Quand mes parents s impliquaient, c était par amour pour la francophonie. Comme nous avons toujours fait beaucoup d activités amusantes en français, j associais la langue française à une foule de moments agréables. Ce n était pas seulement à la maison, mais ailleurs aussi. J allais à l église francophone, aux guides francophones, à des associations communautaires francophones. Ça faisait partie de mon vécu et de mon quotidien. Mon père a toujours dit : «On ne peut pas aimer ce qu on ne connaît pas». Quand je suis arrivée au secondaire, je me suis beaucoup impliquée à Francophonie jeunesse de l Alberta [FJA]. C était marquant pour moi parce que j ai pu rencontrer d autres jeunes francophones d ailleurs dans la province. FJA a élargi mon sens de communauté au-delà d Edmonton parce que j avais quelque chose en commun avec des gens de mon âge de partout en Alberta.

En même temps, comme tous les ados, il y avait une grande partie de moi qui voulait suivre le courant le plus populaire. En d autres mots, parler l anglais à mes amis, c était une habitude et je ne créais pas de vagues en faisant autrement. Chose certaine, je ne voulais pas jouer au «policier francophone» à l école! Tout ce temps-là, mes parents n ont jamais flanché sur l importance de parler français à la maison et de faire les activités en famille. Mais, maintenant que nous ne sommes plus à l école, je parle en français avec les amis d enfance que j ai gardés : on a changé notre habitude de toujours se parler en anglais. Par contre, j ai réussi à faire ceci surtout avec ceux qui parlaient français à la maison, et donc avaient vécu leurs relations familiales en français : le français, pour eux, ce n était pas juste une langue institutionnelle. Je ne fréquente plus certains de mes amis qui m étaient très chers, mais qui sont maintenant partiellement ou complètement assimilés, parce que nos chemins sont trop différents. Comme l a dit une de mes amies : «Just seeing you makes me feel guilty about my French». Maintenant, 20 ans plus tard, je sais que ce qui peut vraiment rassembler notre francophonie, c est la passion qu on ressent pour notre langue et notre culture, et de savoir qu elles sont fragiles et peuvent se perdre. Vous comprenez, j ai vu tellement de gens s assimiler devant mes yeux! ConnEXions : Donc, l éducation seule n est pas garante de réussite identitaire pour les enfants, qu ils vivent en foyer francophone ou exogame Denise : Qu un couple soit exogame ou francophone, je sais de mon expérience que l important, c est la quantité de français qu on parle à la maison et combien d expériences en français on vit en dehors de l école. Ce qui peut vraiment rassembler notre francophonie, c est la passion qu on ressent pour notre langue et notre culture, et de savoir qu elles sont fragiles et peuvent se perdre. J ai des amis des enfants de deux parents francophones qui ne sont plus assez à l aise pour parler français. Il y en a qui répondaient toujours en anglais à leurs parents, puis les parents ont fini par céder et parler anglais avec eux. Mais combien de ces amis me disent aujourd hui, «Denise, you re so lucky that your parents kept speaking to you in French!» Pour aider leurs enfants, les parents francophones, qu ils soient en couple francophone ou exogame, doivent avoir la force de leurs convictions ou plutôt de leur identité, surtout quand leurs enfants leur répondent en anglais. Enfin, je dirais aux parents d élèves au secondaire de ne pas trop paniquer. Beaucoup de jeunes se mettent à parler anglais pendant l adolescence, mais ça ne veut pas dire qu ils deviennent anglophones pour autant. Ce n est qu un passage dans la vie et ils reviendront à leurs racines canadiennesfrançaises s ils ont vécu suffisamment d expériences significatives en français. ConnEXions : Ce n est pas tout le monde qui est aussi convaincu que vous. Comment faites-vous pour partager ce que vous avez appris au fil des ans? Denise : Justement, comment transmettre ces messages aux parents sans les aliéner? S ils se sentent jugés, ils penseront peut-être qu ils ne sont pas bienvenus dans la communauté francophone. Mais ce n est pas le cas! C est juste que, j ai vu tellement de jeunes qui ont perdu non seulement la langue française, mais aussi leur identité francophone et ces mêmes personnes le regrettent énormément. Ce qui est triste dans tout ça, c est que leurs parents auraient pu éviter cette situation en demeurant solides dans leur création de milieu de vie francophone. En fin de compte, je ne fais pas beaucoup de distinction entre les couples exogames et les couples francophones. Ce qui compte, c est combien on vit en français en dehors de l école. 45

46 ConnEXions : Comment réagissez-vous quand vous voyez des enfants de parents ayants droit qui arrivent à l école française sans être capables de parler français? Denise : Ma première réaction, quand je vois arriver une famille qui ne vit aucunement en français à l extérieur de l école, ça m inquiète. Je sais qu il y a deux choses à faire. Il faut les sensibiliser, et une fois qu ils sont sensibilisés et qu ils comprennent que c est important, on a besoin de les voir passer à l action. En devenant adulte, nous avons tendance à reproduire ce que nous avons vécu à la maison. Si les enfants voient que leurs parents sont épanouis et heureux en vivant leur francophonie en Alberta même si seulement un des parents est francophone ils vont vouloir connaître ce bonheur-là. Les gens qui inscrivent leur enfant à l école francophone pensant que l enfant sortira avec une identité et une langue fortes et qu ils n ont pas besoin d encourager le français en dehors de l école se trompent. L enfant sortira peut-être bilingue, mais l école seule ne peut pas donner à l enfant une identité et un sens d appartenance à la communauté francophone. Ma deuxième réaction, c est que je m attends à ce que ma fille puisse étudier le français en tant que langue première. Quand elle commence la maternelle, je m attends à ce que l enseignante utilise le même niveau de langage qu au Québec. Mais je me demande comment un enseignant peut arriver à toujours enseigner le français en tant que langue première quand la moitié de la classe ne comprend pas un mot de français. Parce qu il y a des parents qui n ont rien fait pour préparer leurs enfants à l éducation française. Pour aider leurs enfants, les parents francophones qu ils soient en couple francophone ou exogame doivent avoir la force de leurs convictions, ou plutôt de leur identité, surtout quand leurs enfants leur répondent en anglais. Par contre, si un des parents a toujours parlé français à l enfant, je sais que cet enfant comprendra tout et qu il ou elle sera capable de communiquer en français assez vite. Cet enfant aura un sens d être francophone. Donc, ce n est pas une question que l enfant s exprime spontanément en français ou non, mais plutôt qu il ou elle ait été suffisamment exposé au français avant de commencer l école. ConnEXions : Il y a des parents francophones et acadiens, qu ils soient en relation francophone ou exogame, pour qui la vie comme minoritaire paraît si difficile qu ils laissent aller le français. Nous savons que les grands perdants de cette approche, ce sont leurs enfants. Comment motiver ces parents? Denise : Les francophones qui vivent en milieu minoritaire doivent ramer à contre-courant de la majorité et il ne faut pas se le cacher ça demande un effort de plus. Dans mon cas, j essaie constamment d améliorer mon français ; j ai même un dictionnaire sur ma table de chevet! La récompense, quand on rame à contre-courant, c est qu on développe nos muscles. On a donc plus de force pour relever d autres défis. Mon mari, qui vient du Québec, se compare à un arbre qui a grandi dans le milieu d une forêt. Il me compare à un arbre qui a grandi dans la plaine, pas entouré par d autres arbres. Donc, en tant que francophone minoritaire, il faut avoir des racines profondes pour ne pas se faire déraciner par le vent majoritaire. La mentalité minoritaire, si on ne nourrit pas la fierté de sa langue et de sa culture, peut s exprimer par un manque de confiance, par un sentiment qu on n est pas bon, par de l insécurité, par la peur de prendre des risques. Si, par contre, on est bien dans sa culture francophone et qu on

parle un bon français, ça devient une expérience incroyablement positive. C est ça que je vis! ConnEXions : Ne trouvez-vous pas que ces efforts constants vous épuisent? Denise : Ça ne m épuise pas de vivre différemment de la majorité des gens en Alberta parce que je reçois beaucoup plus que je donne. Quand on travaille pour le bien-être de sa communauté, on fait appel à ses talents, à ses forces et on donne sans espérer recevoir. C est dans ce temps-là qu on reçoit le plus. J aimerais dire à tous les parents de faire du bénévolat seulement quand ils en auront le goût, selon le temps et les talents qu ils ont. Le plus important, c est de participer aux activités francophones et voir autant de spectacles en français que possible. C est juste d avoir beaucoup de fun en français! C est l exemple que je veux donner à mes enfants : parce qu on connaît toute la beauté d être francophone, on sait que ça vaut la peine. De plus, un avantage d une petite communauté et de nos petites écoles, c est qu on se fait remarquer plus facilement pour nos forces et nos talents. Chacun et chacune peut contribuer selon ses capacités et on sent qu on fait une différence. On peut s épanouir plus facilement quand on se sent valorisé. ConnEXions : En somme, votre vécu vous a influencée de multiples façons. S il y avait un message clé qui en ressortait, qu est-ce que ce serait? Mon mari, qui vient du Québec, se compare à un arbre qui a grandi dans le milieu d une forêt. Il me compare à un arbre qui a grandi dans la plaine, pas entouré par d autres arbres. Donc, en tant que francophone minoritaire, il faut avoir des racines profondes pour ne pas se faire déraciner par le vent majoritaire. Denise : J encouragerais les gens qui arrivent d ailleurs de prendre le temps de vraiment connaître notre histoire, nos expériences de vie en milieu minoritaire afin de mieux comprendre qui nous sommes. Ensuite, nous qui sommes là depuis longtemps devons aussi prendre le temps de connaître les nouveaux venus. Nous pouvons tous apprendre les uns des autres! Les personnes qui ont lutté pour avoir l éducation française avaient du courage gros comme la planète. Ils ont dû se tenir debout malgré les gens y compris parfois leurs familles qui ne croyaient pas à l éducation francophone. C est pourquoi on doit toujours demeurer vigilant en ce qui concerne la mission première des écoles francophones. Un des grands défis actuels, c est de franciser ou au moins fortement conscientiser, tous les parents qui envoient leurs enfants aux écoles francophones. Ce qui m encourage énormément, c est de voir l évolution impressionnante de l éducation francophone en Alberta : mes grands-parents et parents ont reçu quelques minutes d instruction en français par jour ; moi, j ai appris le français en tant que langue seconde dans une école d immersion ; et maintenant, mes deux filles vont pouvoir faire toutes leurs études dans les écoles francophones! Et je sais qu on va continuer à évoluer. 47