Qui se cache derrière les préjugés et la discrimination : les yeux ou les oreilles?



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Transcription:

Qui se cache derrière les préjugés et la discrimination : les yeux ou les oreilles? Aurélie BILLA, Yannick BONJEAN, Amandine BRAS & Maria-Despina POPA RESUME Dans cette étude, nous avons comparé les préjugés et la discrimination basée sur des critères visuels (couleur de peau) et ceux basés sur des critères auditifs (accent étranger). Notre hypothèse de départ a été qu une personne noire sans accent sera plus discriminée qu une personne blanche avec accent étranger, qui à son tour sera plus discriminée qu une personne blanche sans accent. Pour vérifier cette hypothèse, nous avons effectué une expérience sur des enfants français d école primaire. Ceux-ci écoutaient une histoire qui était lue (avec ou sans accent) par une personne présentée sur une photo (blanche ou noire, selon la condition) et répondaient après à un questionnaire qui permettait de mesurer les préjugés et les comportements discriminatoires. Les résultats sont surprenants : ils montrent surtout une différence significative entre le groupe expérimental où la personne présentée était blanche mais avec accent étranger et le groupe contrôle. La discrimination serait-elle en train de changer de cible? D autres résultats intéressants sont exploités dans ce rapport, afin d ouvrir de nouvelles voies aux futures recherches. INTRODUCTION Nous sommes dans une période où les stratégies politiques et économiques reposent sur les échanges interculturelles : l Union Européenne s élargit, il y a de nouvelles alliances militaires qui se créent Par rapport au passé, on remarque que le multiculturalisme est encouragé. Ce qui nous a conduit à analyser les phénomènes paraissant lors d un «choc» de 2 cultures différentes, lors des rencontres des gens de cultures différentes, de pays différents. Malheureusement, on est loin de percevoir juste des phénomènes positifs... Parmi les phénomènes indésirables, il y a la discrimination interculturelle, phénomène auquel nous nous sommes intéressés de près. 32

On comprend par discrimination la composante comportementale du préjugé ; il s agit d une action orientée vers une personne ou un groupe, action qui reflète une attitude défavorable et qui est uniquement basée sur l appartenance à une classe ou catégorie d individus. De nombreuses expériences en psychologie sociale, sur tous les groupes d âge, mettent en évidence la discrimination sur la couleur de peau. En général, quand on pense à la discrimination entre deux cultures on entend par là la discrimination portant sur des critères visuels (couleur de peau) et non sur des critères auditifs (accent étranger). Clark et Clark en 1947 et Asher et Allen en 1969 (cités par Dambrun, 2004) ont comparé le comportement des enfants face à une poupée blanche et une poupée noire et les résultats ont montré que la poupée blanche était préférée par tous les enfants. Williams et Moreland en 1990 (cités par Guimond, 2006) ont présenté deux lapins de couleurs différentes (noir/blanc) à des enfants, Les résultats ont montré que le lapin blanc était considéré comme «le bon lapin» N oublions pas la fameuse expérience de Boon et Davies en 1988 (citée par Redersdorff, 2005), où l arme de l agression «change de main» : après l agression d une personne noire par une personne blanche, les témoins tendent à attribuer l arme à la personne noire et à présenter un récit où la personne noire attaque la blanche!! A ce jour, il n existe pas autant d expériences portant sur la discrimination selon l accent (critère auditif) que sur la discrimination portant sur la couleur de peau. Toutefois, quelques résultats des expériences méritent une attention particulière. En 1967, Mehrabian et Ferris (cités par Young, 2003) concluent que seulement 7% des jugements qu une personne formule sur une autre au cours d une interaction sont basés sur le contenu effectif du message, les autres étant basés sur les signaux émis par la personne quant à sa personnalité, son statut social et son appartenance ethnique et culturelle (dont l accent est un témoin important). Selon une étude de Rosenthal datant de 1974 (citée par Young, 2003), ces jugements se mettent en place dès l âge de 5 ans et persistent après. La technique la plus utilisée dans les expériences portant sur le jugement des personnes ayant un accent étranger est celle du «matched guise» introduite en 1960 à Montréal par Lambert et al. (cités par Young, 2003) afin d étudier de près les attitudes des canadiens francophones envers les personnes dont l accent témoignait d une langue d origine différente du français. Cette technique consistait à faire écouter aux participants des enregistrements faits par une personne parfaitement bilingue qui lisait un texte neutre en français (langue d origine des participants à l expérience) et en anglais. Après, les participants devaient évaluer la personne selon une échelle bipolaire. Selon Lambert et ses collègues, cette technique révèle des jugements plus personnels que ne le font les questionnaires directes. Elle a été employée avec succès dans des études menées dans des régions biculturelles (comme le Québec), ainsi que dans des sociétés multiethniques et dans des études interculturelles. Son efficacité a été prouvée aussi quant à la discrimination sur le territoire d un même pays où la même langue est parlée, mais avec des accents différents ; par exemple, une expérience de Giles, Baker et Fielding en 1989 (cités par Pétard, 1999), sur les accents indésirables au Royaume Uni (l accent de Birmingham à l époque), met en évidence que les étudiants écrivent des textes plus courts si ceux-ci sont demandés par une personne ayant un accent indésirable que par une personne sans accent. Nous allons expliquer dans la partie «méthode» de notre rapport comment nous avons adapté et enrichi cette technique afin de l adapter au but de notre recherche. Le domaine que nous avons souhaité approfondir est l intensité de la discrimination selon le sens concerné : visuel ou auditif. Nous nous sommes donc intéressés à une comparaison entre les différents types de discrimination. Concrètement, on s est demandé si, dans une population 33

occidentale majoritairement blanche, une personne noire est plus discriminée qu une personne blanche ayant un accent étranger (témoignant ainsi de l appartenance à une culture différente). Une seule étude, menée par deux chercheurs canadiens (Moise et Bourhis en 1991) a été faite, sur des adultes, afin de comparer la discrimination sur des critères visuels et celle sur des critères auditifs. Ils se sont intéressés à l interaction des cultures francophone et anglophone au Canada. L expérience étant complexe, nous ne mentionnons ici que les résultats en relation directe avec notre étude : l expérience a mis en évidence que sur une population d étudiants, la dimension la plus saillante est celle visuelle (personne noire versus personne blanche), alors que sur une population plus âgée c est la dimension auditive qui a un rôle plus important dans l interaction et donc dans la discrimination ( personne francophone versus personne anglophone). Aucune expérience semblable n a été faite sur des enfants à ce jour. C est pour cela que nous avons choisi cette population expérimentale dans notre étude. Notre hypothèse de départ était qu une personne noire sans accent qui raconte une histoire sera plus dépréciée par les enfants qu une personne blanche ayant un accent étranger leur racontant la même histoire, qui à son tour sera plus discriminée qu une personne blanche sans accent leur racontant l histoire. Note : Pour simplifier la lecture, nous avons décidé d utiliser les termes de «discrimination visuelle» et «discrimination auditive» pour dénommer la discrimination faite sur des critères visuels et respectivement auditifs. METHODE Participants L expérience s est déroulée dans une classe de CE1 de Clermont-Ferrand. Les participants étaient âgés en moyenne de 7 ans 6 mois et participaient tous avec l accord parental et celui de la direction de l établissement. Il y avait au total 20 participants dont 8 garçons et 12 filles nés en France. Matériel Nous avons utilisé : 3 magnétophones ; 3 cassettes comportant la même histoire, dont 2 où la narratrice avait un accent étranger (d origine roumaine) et 1 autre casette où la narratrice n avait pas d accent ; 3 photos dont deux de la même femme blanche et 1 d une femme noire; 20 questionnaires comportant chacun 10 questions, plus 3 questionnaires pour les chercheurs qui lisaient les questions avec les trois groupes d enfants pour s assurer qu elles soient comprises (voir procédure) ; 3 salles à disposition. Procédure Nous avons réparti aléatoirement les 20 participants dans 3 groupes (deux de 7 et un de 6) en prenant tout de même soin à équilibrer le nombre de garçons et de filles dans chaque groupe. Les 3 groupes nécessaires étaient : un groupe contrôle (photo de la femme blanche, enregistrement sans accent étranger), un groupe destiné à mesurer la discrimination auditive (photo de la même femme blanche, enregistrement AVEC accent étranger), et un troisième 34

groupe destiné à mesurer la discrimination visuelle (photo de la femme NOIRE, enregistrement SANS accent, c'est-à-dire le même enregistrement que pour le groupe contrôle). L expérience a été passée dans 3 salles différentes, en même temps, et a duré 10 minutes. La consigne suivante était donnée aux participants : «vous allez écouter une histoire racontée par cette personne dont vous voyez la photo. Observez bien la personne et écoutez attentivement l histoire». Une fois l histoire entendue, l expérimentateur annonçait la distribution des questionnaires. Ensemble, chercheur et participants lisaient les questions et le chercheur s assurait que les enfants avaient bien compris les questions. Le chercheur précisait aussi qu il n y avait pas de réponse correcte ou erronée et que les enfants devaient répondre selon ce qu ils pensaient, sans en discuter avec les autres. Les réponses possibles pour chaque question étaient «oui» et «non». Pour transformer ces réponses en mesures de la discrimination, on a attribué à la réponse discriminante 1 point et à la réponse non-discriminante 0 points (le score n a pas été communiqué aux enfants pour qu il n y ait pas la confusion entre score élevé de discrimination et note, récompense!!). Par exemple pour la question : «trouves-tu cette personne gentille?» la réponse discriminante était NON, donc on attribuait 1 point pour la réponse non et 0 pour la réponse oui. Les scores s inversaient lors des questions comme «Trouves-tu cette personne méchante»? où la réponse discriminante est, de toute évidence, OUI. Nous avons inclus ce genre de question pour contrôler la concentration des enfants, pour vérifier qu ils ne répondaient pas «oui» (ou «non») quelle que soit la question. Pour consulter l histoire enregistrée sur la cassette, veuillez vous rapporter à l annexe 1, pour les photos aux annexes 2 et 3 et pour le questionnaire à l annexe 4. RESULTATS Les résultats correspondant à l hypothèse de départ sont présentés dans la figure 1. On remarque une différence importante entre le score moyen de discrimination du groupe où l enregistrement était celui avec accent étranger et le score moyen du groupe contrôle ( des analyses de variance uni factorielles prouvent que cette différence est significative au seuil p=0.04, F=5.31). Une différence (pourtant importante au niveau des moyennes) entre le groupe où la photo présentée était celle de la femme noire et le groupe contrôle n est pas confirmée par les analyses statistiques (p=0.2, F=1.76). Entre les deux groupes expérimentaux (groupe 1 : photo de la femme noire, groupe 2 : enregistrement avec accent) la différence n est pas significative ni au niveau des scores moyens (une différence de -0.24), ni au niveau de la variance (p=0.81, F=0.05). On observe donc une différence significative entre la discrimination d une personne blanche ayant un accent étranger et la discrimination d une personne blanche sans accent, par des enfants d origine française. Par contre nous ne pouvons conclure sans risque de nous tromper qu une personne noire sera plus discriminée qu une personne blanche sans accent. Les résultats n indiquent non plus qu une personne noire sera plus discriminée qu une personne blanche avec accent étranger la différence entre les deux groupes expérimentaux est trop petite et, même petite, ne va pas dans le sens de cette hypothèse, mais dans le sens inverse. 35

Enfin, concernant l effet de la variable sexe sur la discrimination, on observe qu il n y a pas de différence importante entre le score moyen de discrimination des filles (M = 3.08) et celui des garçons (M = 3.12). Figure 1. Score de discrimination selon la condition expérimentale DISCUSSION Le but de notre expérience était de comparer discrimination auditive et visuelle. Ainsi avonsnous au départ élaboré l hypothèse selon laquelle une personne noire sans accent étranger sera plus dépréciée qu une personne blanche ayant un accent étranger, qui à son tour sera plus dépréciée qu une personne blanche sans accent étranger (le groupe contrôle). Premier constat : nous avons observé qu il y a effectivement une différence entre les 2 groupes expérimentaux et le groupe contrôle (voir Figure 1), et les analyses statistiques indiquent que la différence entre le groupe «discrimination auditive» et le groupe contrôle n est pas due au hasard. Cette différence s explique par un phénomène de psychologie sociale bien connu, le biais intergroupe : en effet on évalue plus favorablement les membres de notre groupe que ceux de l exogroupe. Deuxième constat : la différence entre les groupes expérimentaux (discrimination auditive versus visuelle) n est pas significative. La petite différence qu il y a entre les deux groupes ne va pas dans le sens de notre hypothèse de départ les résultats montrent que la personne blanche ayant un accent étranger est légèrement plus discriminée que la personne noire sans accent. Etant donné que les tests statistiques prouvent que la différence n est pas significative, on ne peut pas savoir si elle est due au hasard ou si c est effectivement la discrimination auditive qui est plus importante que celle visuelle. Si les groupes avaient été d une taille plus importante, on aurait sans doute pu conclure à la significativité de cette différence. Afin de savoir si les résultats peuvent être généralisés à la population choisie (enfants de 7-8 ans), il serait conseillé d effectuer des expériences semblables à notre étude auprès d autres enfants du même age ; dans l attente d autres études qui confirmeront (ou pas) que la discrimination auditive est plus importante que celle visuelle, on peut avancer une explication cognitive : pour comprendre l histoire que raconte la personne ayant un accent, l enfant doit inférer à 36

partir d indices pour savoir ce qu il se passe. En effet, quand on entend un mot, on ne récupère pas tout de suite sa signification et il est parfois difficile d y avoir accès quand le mot est prononcé par une personne ayant un accent étranger. Etant au début de son apprentissage, l enfant doit faire plus d effort qu un adulte pour comprendre ce que la personne étrangère lui dit. Donc, les coûts de l interaction avec cette personne sont plus grands que les bénéfices, du moins dans le cas de notre étude. Ce serait intéressant de voir le comportement de l enfant face à une personne avec un accent étranger et de mesurer l intensité de la discrimination selon les bénéfices que lui apporte cette interaction réelle (n oublions pas que dans notre étude l enfant ne devait qu écouter une histoire). Nous considérons le petit nombre de participants comme la critique principale qui peut viser notre étude. La deuxième critique serait que nous n avons pas eu à disposition une personne parfaitement bilingue qui pouvait parler français avec accent ou parfaitement sans accent, donc nous nous sommes servis de deux voix différentes pour réaliser les enregistrements nécessaires à l expérience. Il se peut que la tonalité de la voix, le volume, les inflexions, etc. ont influé sur la perception de la personne par les enfants (voir expérience de Rosenthal 1974 citée dans l introduction). Si de futures expériences, effectuées sur un plus grand échantillon, confirmaient le sens de nos résultats, il serait pertinent de se poser la question suivante : la discrimination est-elle en train de changer de cible? Les accents étrangers exposent-ils une personne à plus de discrimination que la couleur de sa peau? A quoi doit-on ce phénomène? Est-il spécifique à le France, l Europe occidentale ou se produit-il dans la plupart des pays du monde? Peut-il être mis en relation directe avec un événement historique, des changements politiques? Comme il s agit d un sujet peu traité auparavant, il y a peu de théories qui peuvent être avancées, et jusqu'à confirmation ou infirmation concluante de nos résultats nous allons exploiter d autres résultats de notre expérience, qui peuvent ouvrir d autres voies de recherche dans ce domaine de la discrimination. Troisième constat : Les résultats montrent qu il n y a pas de différence significative entre les filles et les garçons : même si la personne présentée sur la photo et la cassette était une femme dans les trois groupes, les garçons n ont pas été plus discriminants que les filles (3,125 contre 3,083, cf. Tableau 1). Quatrième constat : un résultat intéressant de notre étude apparaît lors de la discrimination selon la question. Ainsi, on remarque de grandes différences entre les scores selon la question (voir annexe 4 pour consulter les 10 questions posées aux enfants). La question ayant obtenu le plus grand score de discrimination est «aimerais-tu que cette personne soit ta nounou?», alors que la seule question qui a obtenu un score de 0 est «trouves-tu cette personne gentille»? L hypothèse que nous émettons est celle que la réponse est d autant plus discriminante qu elle implique un comportement, un engagement de la part de l enfant et une proximité avec la personne. Une réponse «oui, j aimerais qu elle soit ma nounou» ou «oui, je lui confierais un secret» implique plus l enfant que s il a à donner son avis sur la gentillesse de cette personne. On remarque donc que les questions visant des comportements (discrimination = comportement) obtiennent un plus grand score de rejet de la personne que les questions visant les attitudes (préjugés). Ces résultats viennent en complément de notre étude, et n ayant pas été le but initial de cette recherche nous n avons pas fait une recherche bibliographique exhaustive sur ce sujet, mais nous les exposons afin d ouvrir de nouvelles voies de recherche qui les rendront exploitables. 37

Quelles sont les solutions pour diminuer le nombre de comportements de discrimination, chez les enfants en particulier? Il y une expérience effectuée sur des étudiants en 1993 par Sorai (cité par Pétard 1999), qui démontre qu une catégorisation croisée affaiblit les effets d une catégorisation simple, c'est-à-dire que si l on catégorise des étudiants américains et français selon le sexe et pas selon le pays de provenance, la discrimination selon le pays de provenance n est plus observée, et ceci pour une raison assez simple du point de vue de la dynamique des groupes : il y a de nouveaux groupes qui se créent, et l endogroupe le plus saillant devient l appartenance sexuelle et non celle culturelle. Ainsi, femmes françaises et américaines vont se retrouver du «même coté» et le biais pro-endogroupe va se manifester par rapport au sexe et donc atténuer le biais pro-endogroupe lié à l appartenance culturelle. Ce serait intéressant de vérifier ces résultats auprès d enfants. Nous avons proposé plus haut une autre alternative, celle des coûts et des bénéfices liés à une interaction. Nous espérons que de futures recherches permettront de soumettre à vérification cette hypothèse aussi, car le plus important, après avoir identifié le phénomène négatif et les variables entrant en jeu, c est de proposer des solutions pour y apporter un remède. REFERRENCES Dambrun, M. (2004). Cours de psychologie sociale L1, thème : préjugés et discrimination. Université Blaise Pascal, Clermont-Ferrand. Guimond, S. (2006). Cours de psychologie interculturelle L2, thème : comportement social et catégorisation. Université Blaise Pascal, Clermont-Ferrand. Moise, L.C. & Bourhis, R. (1991). Communication interculturelle à Montréal : étude de terrain longitudinale 1977-1991. Pétard, J.-P. (1999). Psychologie sociale. Paris. Editions Bréal. Redersdorff, S. (2005). Cours de psychologie sociale L1, thème : psychologie sociale appliquée à la justice. Université Blaise Pascal, Clermont-Ferrand. Young, C. (2003). College Students Reactions to Accents of L2 Learners of Spanish and English, Selected Proceedings of the First Workshop on Spanish Sociolinguistics 107-111. Somerville. Ed. Lotfi Sayahi. 38