Phonétique et élocution québécoises : Pistes pour l apprentissage de la prononciation en public



Documents pareils
UE11 Phonétique appliquée

Tableau des contenus

1. Productions orales en continu après travail individuel

RVACHEW, S., BROSSEAU LAPRÉ, F. & PAUL, M. (2012) (TITRE ET AUTEURES PROVISOIRES)

N SIMON Anne-Catherine

Ariane Moffatt : Je veux tout

N Y OU OÙ 1 Homophones grammaticaux de catégories différentes. ni n y ou où

Activité pour développer le concept de phrase et de mot

Les jours de la semaine

Nom :.. Prénom : Ecole :... Langage oral Lecture. Ecriture. Cahier de l élève. Evaluation fin CP

MON LIVRET DE COMPETENCES EN LANGUE (Socle commun) Niveau A1/A2 / B1

Compréhension de lecture

Phonologie, Master LFA Professeur : André THIBAULT

La Conscience phonologique

Et avant, c était comment?

1. Qu est-ce que la conscience phonologique?

Unité 6. Qu est ce que tu prends au petit au petit déjeuner?

AMELIORER SES COMPETENCES LINGUISTIQUES les prépositions de lieu

C est dur d être un vampire

quelque quelque(s) quel(s) que/quelle(s) que quel(s) / quelle(s) qu elle(s)

majuscu lettres accent voyelles paragraphe L orthographe verbe >>>, mémoire préfixe et son enseignement singulier usage écrire temps copier mot

GRAMMATICAUX DE CATÉGORIES DIFFÉRENTES QUANT QUAND 1 Homophones grammaticaux de catégories différentes

mes m est mets/met mais mets

ÉCOLE SECONDAIRE PÈRE-RENÉ-DE-GALINÉE

guide pédagogique Fabienne Gallon

ENTRE LES MURS : L entrée en classe

La syllabe (1/5) Unité intuitive (différent du phonème) Constituant essentiel pour la phonologie au même titre que phonème et trait

AGNÈS BIHL, Elle et lui (2 14)

Prévention, observation et repérage des difficultés en lecture

Les 15 mots de Rey Évaluation de la capacité d apprentissage à court terme.

Rentrée 2014 Francine Eichenberger Diététicienne

Prénom : J explore l orientation et l organisation spatiale. Date de retour :

Alain Souchon: Parachute doré

Le modèle standard, SPE (1/8)

Tableau mettant en relation les niveaux du CECRL et les programmes IFALPES par compétences.

Français langue étrangère Savoir-faire - Actes de paroles - Supports d apprentissage -Tâches

La banque de commentaires

Parce que, dans sa construction, le sujet est directement rattaché au verbe sans recours à un auxiliaire quelconque.

Les enfants malentendants ont besoin d aide très tôt

PAR VOTRE MEDECIN! «FUN», LES CIGARETTES RECOMMANDÉES NOUVELLE PERCÉE MÉDICALE!

Pourquoi utiliser des visuels et des logiciels de présentation?

Activités autour du roman

Voici Léa : elle est blonde et elle a les yeux bleus. Elle a douze ans. Elle porte un t-shirt blanc. a. b. c.

Homophones grammaticaux de catégories différentes. s y si ci

Préface de Germain Duclos

La diablesse et son enfant (Étude réalisée par C. Blanchard, CPC Contres)

Guide de démarrage rapide. (pour la version 5.0.)

Festival de littérature genèse 2007/2008 Fiche d aide à l usage des enseignants

************************************************************************ Français

Application en classe de la progression des apprentissages en musique 1 er cycle du secondaire

TECHNIQUES D ÉDUCATION À L ENFANCE

Une proposition de séquence relative à l étude des sons /an/, /on/ et de leurs graphies. Cadre général

ACTIVITÉS DE COMMUNICATION LANGAGIÈRE ET STRATÉGIES

NORMES DE PRÉSENTATION DES MANUSCRITS

lecture : LE SON [an]

ces ses c est s est sais / sait

Pour tout renseignement complémentaire : contact@ifadem.org

PLAN D ÉTUDES. école fondamentale

Les «devoirs à la maison», une question au cœur des pratiques pédagogiques

SOMMAIRE. I - Définition de l activité «Jeux de Lutte» Page 2. II - Composantes de l activité Page 3

DESCRIPTEURS NIVEAU A2 du Cadre européen commun de référence pour les langues

Conseil général du Lot. Le Conseil général, plus proche de vous, plus solidaire.

STAGE CONDUITE ACCOMPAGNEE FORMATION CONDUITE ACCOMPAGNEE

RÉSUMÉ DU PLAN STRATÉGIQUE DE RECHERCHE ( ) Une culture de l excellence en recherche et en développement

Déterminants possessifs

Haute Ecole Robert Schuman Département Pédagogique Section Instituteur Primaire

Le plus grand dictionnaire actuel!

9.1- Sur les réseaux sociaux, j ai toujours le choix!

Compréhension de l oral

CE QUE PARCE QUE 1 Homophones grammaticaux de catégories différentes

Ressources pour l'école maternelle. Vocabulaire Grande section. Thème : le corps humain. Ressources pédagogiques. février 2014

Dis-moi ce que tu as fait, je te dirai qui tu es 1

Demande d admission au Centre pédagogique Lucien-Guilbault Secteur primaire

RAPPORT D'ENQUÊTE D'ACCIDENT DIRECTION RÉGIONALE DE L'ÎLE DE MONTRÉAL-5

Le lancement d un satellite

LES DOCUMENTS DE TRAVAIL DU SÉNAT

Pour le plaisir des petits et des grands!

Les petits pas. Pour favoriser mon écoute. Où le placer dans la classe? Procédurier. Adapter les directives. Référentiel Présentation des travaux

Formation Pédagogique 3h

Le présent, le passé, mon histoire

Qu est-ce que le relevé de compte?

Employer des phrases avec subordonnées relatives et marqueurs emphatiques (c est qui, c est que)

OLIVER L ENFANT QUI ENTENDAIT MAL

Mika : Elle me dit. Paroles et musique : Mika/Doriand Universal Music France. Thèmes. Objectifs. Vocabulaire. Note. Liste des activités

Le carnaval des oiseaux

PRÉPARATION AU TEST! CULTURE INTERNATIONAL CLUB

Les actions. Exercices et jeux: de «arroser» à «monter» Exercices et jeux: de «éclairer» à «porter» Exercices et jeux: de «pousser» à «tirer» Bilans

RAPPORT D ACTIVITE AIDEA Sommaire

Direct and Indirect Object Pronouns

Là où vont nos pères1

Communication parlée L2F01 TD 7 Phonétique acoustique (1) Jiayin GAO <jiayin.gao@univ-paris3.fr> 20 mars 2014

1. La famille d accueil de Nadja est composée de combien de personnes? 2. Un membre de la famille de Mme Millet n est pas Français. Qui est-ce?

DÉVELOPPEMENT D ACTIVITÉ Insertion sociale et professionnelle

Formation Août 2013 Michèle Garello, IEN économie gestion Caroline Natta, professeur

QUELQUES MOTS SUR L AUTEURE DANIELLE MALENFANT

COMPETENCE DE NIVEAU N1

À propos d exercice. fiche pédagogique 1/5. Le français dans le monde n 395. FDLM N 395 Fiche d autoformation FdlM

1 Autres signes orthographiques. Trait d union. On met le trait d union entre le pronom personnel et le mot même :

I. Le déterminant Il détermine le nom. Le déterminant indique le genre, le

Transcription:

Phonétique et élocution québécoises : Pistes pour l apprentissage de la prononciation en public Conférence, MELS, février 2011 par Claude Poirier, directeur Trésor de la langue française au Québec, Université Laval 1. La variation linguistique Toute langue connaît des variations plus ou moins importantes qu on peut regrouper sous quatre paramètres principaux : le temps (variation chronologique), le lieu (variation géographique), le milieu (variation sociale) et la situation (variation situationnelle ou stylistique). Variation chronologique. Prononciation du mot mariage : /dja/ ~ /ja/. Crémone ~ foulard. Variation géographique. Prononciation du mot baleine : (/è/ de Québec ~ /è:/ de Montréal). Bombe ~ canard. Variation sociale. Toi prononcé habituellement (/twé/ ~ /twa/). Différences de générations : mets-en, fais là!, c est l enfer. Variation situationnelle ou stylistique. Parler à la maison et parler au bureau. Mots familiers et mots neutres: placoter ~ bavarder; bibite ~ insecte; gosses ~ testicules. Québécismes familiers dans les éditoriaux (tergiverser ~ bretter). Parmi les éléments de variation, ceux qui tiennent à la localisation du territoire (variation géographique) ont été traditionnellement jugés de façon beaucoup plus sévère que les autres (source de moqueries). L argot et les expressions grossières, qui relèvent de la variation sociale, ont, par exemple, été beaucoup mieux représentés dans les dictionnaires que les variantes régionales. Avoir un accent régional a été considéré comme un handicap dans le monde français. Cette attitude contraste étrangement avec celle que l on observe dans d autres pays, par exemple en Allemagne. 2. La notion de «répertoire linguistique» Le répertoire linguistique, c est l ensemble des acquis d une personne, des ressources de la langue qu elle maîtrise. Plus le répertoire linguistique d une personne est riche, plus elle devient apte à s adapter à des situations variées. Entrent dans le répertoire linguistique l ensemble des variétés d une même langue que l on sait manier et les habiletés que l on a acquises dans d autres langues. Posséder un large répertoire linguistique est un atout important en société.

3. Caractéristiques phonétiques du français québécois On ne présentera ici qu une partie des traits phonétiques qui caractérisent le français québécois. Le but poursuivi n est pas de donner un relevé exhaustif, mais plutôt de proposer une typologie qui permette de fonder une approche pédagogique en vue de l apprentissage d une prononciation correcte en public. a. Oppositions phonologiques Certaines oppositions phonologiques qui sont en voie de disparition en France se conservent fermement en français québécois. / è / ~ / è: / = comme dans faites ~ fête, mettre ~ maître / a / ~ / α / = comme dans patte ~ pâte tache ~ tâche / é / ~ / è / en finale de mot, comme dans ferai ~ ferais / in / ~ / un / = comme dans brin ~ brun ** Évaluation : Ces traits aujourd hui caractéristiques du FQ sont conformes à la norme française et on peut évidemment les conserver. b. Réalisations phonétiques Timbre ouvert des voyelles / i /, / y / et / u / en position fermée par des consonnes abrégeantes, comme dans -- difficile, vite, pipe, etc. qui sont prononcés avec un / I / ouvert plutôt qu un / i / fermé; -- jupe, nuque, juste, etc., qui sont prononcés avec un / Y / ouvert plutôt qu un / y / fermé; -- coupe, goutte, bouche, etc. qui sont prononcés avec un / U / ouvert plutôt qu un / u / fermé. Timbre du / α / postérieur = veux pas, etc. qui devient / Â / comme dans frimas, avocat, j en Timbre fermé et articulation partiellement nasalisée des voyelles nasales, comme dans maman, quatre-vingt, tombe, brun Diphtongaison des voyelles, surtout le / è: / long et le / α / postérieur, comme dans frère [fra i R] ], pâte [pα u t]. Assibilation de / t / et / d / devant les voyelles / i /, / y / et les semi-consonnes correspondantes, comme dans t s iens, out s il, d z ur, ét s ui 2

Maintien du / r / antérieur roulé dans une bonne partie (ouest) du Québec ** Évaluation : Ces traits sont acceptables quand ils ne sont pas trop marqués, la tolérance étant moins grande pour la diphtongaison. Dans le cas du / r /, évidemment, il s agit d une prononciation tout à fait différente du / R /, qu il n y a pas lieu de corriger. c. Prononciations traditionnelles Il s agit de cas où le mot se prononce avec un autre son (voyelle ou consonne) que celui qui est attendu d après la norme d aujourd hui, ou avec un son qui est ajouté à la fin d un mot. Certaines de ces prononciations étaient normales en français autrefois, d autres représentent des habitudes phonétiques héritées des premiers colons. / a / à la place de / è / devant / R / suivi d une consonne : pardre, ciarge / é / à la place de / è / dans les mots père, mère, frère, collège, etc. oi prononcé / wé / ou / wè /, comme dans toé, moé, tirouèr, armoère, etc. Prononciation du / t / final dans des mots comme bout, fait, lit, etc ** Évaluation : Ces traits phonétiques se retrouvent le plus souvent dans la langue populaire et familière, où ils ont une valeur expressive. Ils ne conviennent plus de nos jours dans les discours publics. d. Sons assourdis ou écrasés dans la chaîne parlée Assourdissement : député, c tait, ch t après Chute de consonnes, surtout dans les articles et les pronoms : su(r) (l)a tab(le), mais aussi dans : par (e)xem(ple) ** Évaluation : Phénomènes qui nuisent à la compréhension et qui doivent évidemment être évités dans la langue publique. Conditionnent la prosodie, le rythme de la phrase. Bibliographie Marshall, Alain, «Éléments de phonétique québécoise», texte reproduit dans Langue et identité. Le français et les francophones d Amérique du Nord, textes et points de vue présentés par Noël Corbett, Québec, Les Presses de l Université Laval, 1990, p. 251-262. Ostiguy, Luc, et Claude Tousignant, Le français québécois. Normes et usages, Montréal, Guérin, 1993. 3

PHONOLOGIE ET PHONÉTIQUE DU FRANÇAIS Trapèze vocalique du français incluant les variantes québécoises 4

5

6

7

ALPHABET PHONÉTIQUE N.B. Le grisé sert à identifier les variantes québécoises VOYELLES [i] (fermé) mari, ivre [I] (ouvert) vite, bille [é] clé, jaser [E] mettre, billet [3] (ouvert et long) maître, frère [a] claque, patte [A] pâte, barre [1] (variante vélaire de [A]) [O] gomme, porte [o] mot, chaud [u] (fermé) cou, détour [U] (ouvert) toute, poule [y] (fermé) rue, uni [Y] (ouvert) butte, pulpe [0] neveu, deux [4] beurre, seul [e] le, relier [*] malin, brin (France, Acadie) [8] malin, brin [9] blanc, enfant (France, Acadie) [2] blanc, enfant [7] bon, sombre [6] brun, emprunt SEMI-CONSONNES [j] [H] [w] fille, rien lui, suivre oui, jouer CONSONNES [p] pomme, jupe [t] table, route [ s ] tire, tiens, tu, tuyau [k] cave, barque [c] (variante palatale de [t] et [k]) [b] bol, tabac [d] donner, idée [ z ] dire, diable, du, conduire [g] gallon, langue [J] (variante palatale de [d] et [g]) [f] fève, photo [s] sec, tasse, celle [S] chat, lâche [v] vif, cuve [z] zéro, raison [G] jardin, âge [l] lire, aller [ ] roche, fer [+] (variante antérieure de / /) [m] ma, lime [n] neuf, reine [N] agneau, gagner Sons qui n ont pas valeur de phonèmes [M] camping (dans des emprunts) [h] hop [ ] indique une absence de liaison [:] indique un allongement vocalique 8