1 L expertise des lésions du rachis cervical conformément à la nouvelle jurisprudence Thomas Germann, licencié en droit Allianz Suisse Introduction L expertise médicale des lésions du rachis cervical («coup du lapin») et de blessures similaires (y compris traumatisme cranio-cérébral sans traumatisme crânien structurel) constitue depuis toujours un défi pour les experts. Cela s explique par le fait que la discussion sur les suites de telles blessures a donné matière à controverse jusqu à aujourd hui. En outre, les tableaux cliniques qui apparaissent lors de tels mécanismes de lésions sont souvent très difficiles à comprendre et influencés plus ou moins fortement par des facteurs psychiques, juridiques et liés aux assurances. Voici maintenant près d une vingtaine d années que le Tribunal fédéral des assurances (TFA) a décidé qu en cas de diagnostic de traumatisme du rachis cervical du type «coup du lapin» et de présence d un tableau clinique typique selon le TFA pour ce genre de lésion (fréquence accrue de troubles tels que céphalées diffuses, vertiges, troubles de la concentration et de la mémoire, nausées, fatigue excessive, troubles visuels, irritabilité, troubles de l affect, dépressions, changement de la personnalité, etc.), on doit d une manière générale supposer un lien de causalité naturel entre l accident et l incapacité de travail ou de gain survenant ultérieurement. En vue de l examen juridique des prétentions découlant de la loi fédérale sur l assurance-accidents (LAA), le TFA a conçu, conformément à la pratique d évaluation des suites psychiques de l accident, un examen séparé d adéquation corrélé à la gravité de l accident. Il convient de préciser à cet égard que le lien de causalité adéquate devait en principe être rejeté lors d accidents légers, approuvé en revanche en cas d accidents graves. Pour l examen d adéquation dans le domaine de loin le plus fréquent des accidents de gravité moyenne, sept critères supplémentaires (événements associés particulièrement dramatiques ou accident particulièrement impressionnant; gravité ou particularité des blessures subies; durée inhabituellement longue du traitement médical; douleurs constantes; mauvais traitement médical qui aggrave fortement les suites de l accident; processus de guérison difficile et complications sévères; degré et durée de l incapacité de travail) devaient être
2 pris en compte. Selon le degré de gravité de l événement à l intérieur du domaine de gravité moyenne de l accident, un nombre plus grand ou plus petit de ces critères devait cependant être rempli comme condition d admission d un lien de causalité adéquate et, partant, d approbation quant à l obligation d allouer des prestations. Actuellement, le Tribunal fédéral compétent annonce de nouveau son retour en participant à la discussion sur les séquelles des lésions du rachis cervical dans le cadre de l ATF 134 V 109 du 19 février 2008. A cette occasion, les juges suprêmes ont pris position sur diverses questions, notamment sur les exigences en matière de force probante des expertises pluridisciplinaires également traitées dans le présent article, lesquelles doivent être régulièrement mises en œuvre pour la clarification des droits en suspens à une prestation d assurance. ATF 134 V 109 un aperçu: ce qui a (n a pas) changé d un point de vue médical/en termes d expertise: Le premier médecin traitant devra davantage s engager à procéder à une «consultation médicale scrupuleuse» de la personne assurée dès lors qu un interrogatoire approfondi accompagné d analyses cliniques et, le cas échéant, radiologiques doit être mené. Le questionnement sur l état (psychique) antérieur doit notamment aussi avoir lieu (illustration au moyen d une fiche documentaire pour première consultation après un traumatisme d accélération cranio-cervical; voir à cet effet: David Weiss, Gerichtliche Vorgaben für die ärztliche Erstabklärung, dans: BMS 2008, p. 2031 ss.). Dans le cas d une (menace de) chronicisation des douleurs, une expertise pluridisciplinaire a lieu en règle générale environ six mois après l accident. L orthopédie, la neurologie et la psychiatrie sont à cet égard les principales disciplines. Le cas échéant, un examen neuropsychologique ainsi que des examens avec le concours d autres spécialités doivent aussi être effectués. Sous l angle de la nosologie, le Tribunal fédéral s en tient au tableau clinique typique hétéroclite selon lequel
3 Lien de causalité naturelle et adéquate dans le champ d application de l ATF 134 V 109 Egalement au sens de l ATF 134 V 109, il reste établi que le lien de causalité naturelle est donné dans la mesure où il ne peut pas être fait abstraction de l accident sans que l atteinte à la santé ne soit elle aussi abolie (conditio sine qua non). Ainsi, une causalité partielle de l acdes lésions consécutives à des traumatismes du rachis cervical peuvent se traduire par des douleurs de nature psychique et physique qui ne peuvent guère être différenciées; ce tableau clinique ne peut pas être expliqué ou du moins pas de manière exhaustive d un point de vue organique. Aussi n existe-t-il de nos jours pas de méthodes scientifiquement reconnues qui puissent étayer une éventuelle organicité des troubles. Il convient de préciser à ce sujet que, dans le cadre du programme national de la recherche PNR 53, aucun diagnostic spécifique d une lésion du rachis cervical n a pu être établi au moyen d une imagerie par résonance magnétique (cf. aussi: Forum Médical Suisse 2009; 9 (48), p. 879). d un point de vue juridique: Le concept de l assurance-accidents de l examen séparé du lien de causalité adéquate est maintenu sur le plan juridique (voir l introduction à ce sujet), mais les critères d adéquation temporels sont modifiés. Les critères imprimés en italique dans l introduction sont désormais formulés comme suit: l administration prolongée d un traitement médical spécifique et pénible; l intensité des douleurs; l importance de l incapacité de travail en dépit des efforts reconnaissables de l assuré. La date à laquelle l assureur accidents peut conclure le cas sous réserve de suspension des prestations temporaires et d examen simultané du droit aux prestations de longue durée (rente, indemnité pour atteinte à l intégrité) est précisée: celle-ci est donnée si aucune amélioration notable de l état de santé ne peut plus être attendue d autres traitements médicaux. Ceci est en principe le cas si une nouvelle amélioration de la capacité de travail n est plus très probable.
4 cident suffit pour l approbation du lien de causalité naturelle. Cette condition s applique autant au droit des assurances sociales qu au droit de responsabilité civile. Dans le premier comme dans le second cas, le fait à prouver doit lui aussi continuer à être prouvé avec un degré de vraisemblance prépondérante. Enfin, une preuve aux termes de la jurisprudence du Tribunal fédéral est réputée être fournie lorsque des causes majeures parlent suffisamment en faveur de l exactitude de l assertion des faits selon des critères objectifs que d autres possibilités imaginables ne puissent pas raisonnablement être prises en considération de manière déterminante. La vraisemblance prépondérante n exclut cependant pas la possibilité qu il pourrait aussi en être autrement, mais, pour le fait à prouver, elle ne doit jouer ni un rôle déterminant ni être raisonnablement prise en considération. Il incombe aux experts de se prononcer sur la question de la causalité naturelle. Toutefois, l autorité qui applique la loi examine si les fondements établis par les experts répondent aux exigences des juges suprêmes en matière de force probante des expertises et, partant, permettent un jugement du lien de causalité naturelle conforme à la loi. Exécution de l expertise pluridisciplinaire et rédaction de l expertise Les explications ci-après s appliquent autant au droit social des assurancesaccidents qu aux litiges de droit civil (notamment en droit de responsabilité civile). La jurisprudence du Tribunal fédéral en constitue le principe directeur. 1. Exigences en matière d expertises probantes généralités L expertise doit être complète, logique et concluante. Il s ensuit: l expertise doit reposer sur des documents médicaux antérieurs complets et sans lacunes; une appréciation autonome est attendue des experts, étant toutefois précisé qu ils doivent le cas échéant émettre un jugement quant à des points de vue divergents ressortant des documents; une importance particulière dans le cadre de l expertise est conférée à l «évaluation» décrite en tant que telle au moyen de laquelle les experts tirent leurs conclusions en s appuyant sur les résultats obtenus et les documents antérieurs.
5 Si des difficultés de compréhension linguistique se présentent entre l investigateur et les experts, il convient le cas échéant de recourir à un interprète. La personne assurée doit en faire la demande expresse auprès de l administration. Cela ne délie cependant pas les experts à la lumière d une exécution scrupuleuse du mandat du recours, de leur côté, à un interprète s il y a lieu, dès lors que la valeur de la preuve d une expertise sujette à des difficultés de compréhension s en trouve réduite le cas échéant. Néanmoins, l expert n est pas tenu d engager un interprète disposant de connaissances professionnelles ou médicales spécialisées. Le donneur d ordre assume les frais d interprète dans la mesure où son engagement s est révélé nécessaire pour une exécution soignée du mandat. 2. Exigences en matière d expertises pluridisciplinaires probantes à la lumière de l ATF 134 V 109 2.1 Généralités Les experts décident quels examens sont requis sur la base des questions concrètes. Vu que le Tribunal fédéral place les disciplines que sont l ortho- pédie, la neurologie et la psychiatrie au premier plan lors de l expertise des lésions du rachis cervical, il est toutefois judicieux d expliquer brièvement dans l expertise pourquoi il a été renoncé au recours à l une ou l autre discipline. Les experts devraient justifier d une expérience significative dans l évaluation des tableaux cliniques conformément à l ATF 134 V 109 de même que de connaissances en médecine d assurance. 2.2 Examens neurologique et orthopédique Les examens des disciplines somatiques doivent au préalable répondre à la question de savoir si et dans quelle mesure un substrat organique est responsable des troubles. Pour le reste, est applicable ce qui suit: il n existe aucune priorité pour l une ou l autre discipline (pas d obligation de leadership); aussi longtemps que des moyens techniques (appareils) sont utilisés, ceux-ci doivent être scientifiquement reconnus. Ne sont pas reconnus: PET, SPECT, fmri, Upright MRI et DTI;
6 il n existe de résultat organique au sens de la jurisprudence que s il est objectivable. Le résultat est susceptible d être objectivisé s il est appuyé (reproductible) par des méthodes de diagnostic médical reconnues sur le plan scientifique. Si les analyses ne montrent pas de corrélation organique des lésions présentées, celles-ci doivent être soumises à un examen de plausibilité, et il y a lieu d expliquer dans quelle mesure les données relatives aux douleurs sont corrélées aux résultats. L examen de plausibilité a pour objectif de déterminer si les différentes analyses fonctionnelles donnent ou non un résultat cohérent dans le cadre de l expertise: les analyses fonctionnelles sont effectuées à cet effet de manière directe et indirecte ainsi que de manière ouverte et cachée; il doit à chaque fois être examiné si les examens médicaux concordent avec les données de la personne assurée en ce qui concerne ses activités. Les divergences entre les résultats objectifs et les données de la personne assurée doivent être mentionnées dans l expertise; selon les données de la personne assurée concernant l administration de médicaments, le niveau de consommation des médicaments peut être indiqué; le cas échéant, une évaluation de la capacité fonctionnelle (ECF) peut également être intégrée dans l examen de plausibilité. Le diagnostic doit ensuite être établi dans le cadre de la classification CIM- 10 ou dans une autre classification courante dans la spécialité et scientifiquement reconnue. 2.3 L examen psychiatrique L examen psychiatrique a lieu après le recensement des signes somatiques. Il doit notamment informer si une problématique psychique existante doit être considérée comme élément du tableau clinique caractérisant une lésion du rachis cervical selon le Tribunal fédéral ou comme trouble de la santé secondaire, dissocié. L expertise psychiatrique devrait être effectuée par un spécialiste disposant d un diplôme spécialisé en psychiatrie et psychothérapie. Outre le recensement du statut cli-
7 nico-psychiatrique (les tests psychologiques doivent être effectués avec une certaine retenue), une investigation minutieuse de tout l environnement psychosocial (et socioculturel) s avère nécessaire. Si des conflits psychosociaux et/ou socioculturels sont manifestes, ils ne doivent pas seulement être mentionnés, mais il convient de montrer quels processus psychodynamiques en résultent. Les données de la personne assurée comme pour les disciplines somatiques doivent être soumises à un examen de plausibilité; les contradictions et divergences entre les données de la personne assurée et les conclusions de l examen psychique doivent être expliquées. Les résultats obtenus doivent être classés dans le cadre d un système de classification reconnu (CIM-10 ou DSM IV). 2.4 L examen neuropsychologique Un examen neuropsychologique n est pas obligatoire. N étant pas approprié comme discipline individuelle pour répondre de manière concluante à la question du lien de causalité naturelle, il peut être renoncé à un examen neuropsychologique si ce dernier, en rai- son des analyses précédentes dans les autres disciplines, doit de toute manière être rejeté. Si, après une blessure due à un accident, un test neuropsychologique est mené en vue de la quantification des capacités cognitives restantes, des tests de validation portant sur les lésions et les symptômes doivent être effectués dans le cadre d un contrôle de routine. Les tests devraient d une part être commentés et, d autre part, joints à l expertise sous la forme d une annexe. 2.5 Autres examens? Le Tribunal fédéral considère également comme indiquées les examens otoneurologiques et/ou ophtalmologiques lors de questions spécifiques et en vue d exclure tout diagnostic différentiel. Il y a lieu de recourir avec réserve à ces examens complémentaires sur avis de la Société allemande de neurologie qui déconseille de procéder à des examens otoneurologiques complémentaires du traumatisme d accélération cranio-cervical. On peut dire d une manière générale qu un examen complémentaire otoneurologique doit être pris en considération si l examen neurologique fournit des preuves d une
8 cause organique de vertiges. En cas de mention d images doubles, de déficits du champ de vision ou d autres troubles non spécifiques, un examen ophtalmo- logique peut alors être d une aide précieuse dans la mesure où les douleurs ne sont pas explicables d un point de vue neurologique. L opinion de l auteur reflète celle du service médical de l Association Suisse d Assurances (ASA). La version française est téléchargeable sous www.svv.ch médecine.