U.F.R. DROIT UNIVERSITÉ PARIS 8 VINCENNES-SAINT-DENIS FICHE DE TRAVAUX DIRIGES N 6 D INTRODUCTION AU DROIT COURS ET T.D. assurés par M. Laingui (Maître de conférences) LICENCE DROIT 1 re année 2015-2016
LA LOI ET LE TRAITE (II) DISSERTATION : Il s agit d appliquer concrètement ce qui a été appris dans la Fiche précédente en rédigeant une dissertation dont on peut formuler le sujet de la manière suivante : Pourquoi le législateur français a t il été dans l obligation d abroger l article 760 du Code civil et de modifier les dispositions dans ce même Code relatives aux successions? Document n 1 : Article 760 du Code civil : Les enfants naturels dont le père ou la mère était, au temps de leur conception, engagé dans les liens d un mariage d où sont issus des enfants légitimes, sont appelés à la succession de leur auteur en concours avec ces enfants ; mais chacun d eux ne recevra que la moitié de la part à laquelle il aurait eu droit si tous les enfants du défunt, y compris lui-même, eussent été légitimes. «En pareil cas, ils ne recevront, quel que soit leur nombre, que la moitié de ce qui, en leur absence, aurait été dévolu au conjoint selon les articles précités, le calcul étant fait ligne par ligne». Document n 2 : Cour de cassation, 1 re Chambre civile, 25 juin 1996. Président : M. Lemontey., président, Rapporteur : M. Ancel., conseiller apporteur, Avocat général : M. Roehrich., avocat général, Avocats : la SCP Waquet, Farge et Hazan, M. Blanc., avocat(s). REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS Sur le premier moyen, pris en ses deux branches : (sans intérêt) ; Sur le deuxième moyen, pris en ses deux branches : Attendu que M. X... reproche à la cour d appel, qui a ordonné le partage de la succession de sa mère entre lui-même, enfant naturel conçu pendant le mariage, et un enfant légitime, M. Y..., d avoir fait application de l article 760 du Code civil, qui prévoit en pareil cas une réduction de la part successorale de l enfant naturel, en violation des articles 8 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l homme et des libertés fondamentales, et 2 de la convention de New York du 26 janvier 1990 sur les droits de l enfant, cette disposition du droit interne créant entre les enfants naturels et légitimes une discrimination injustifiée fondée sur la naissance ; Mais attendu que la vocation successorale est étrangère au respect de la vie privée et familiale dont le droit est reconnu par l article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l homme et des libertés fondamentales, et garanti sans distinction par l article 14 de cette Convention ; Et attendu que la convention de New York du 26 janvier 1990 concerne l enfant, défini comme l être humain n ayant pas atteint l âge de la majorité ; qu elle est donc sans pertinence en la cause ; Que l arrêt attaqué est, sur ces points, légalement justifié ;
Et sur le troisième moyen, pris en ses deux branches : (sans intérêt) ; PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi. Document n 3 : Communiqué du Greffier de la C.E.D.H. ARRÊT MAZUREK c/ FRANCE Par un arrêt communiqué par écrit le 1er février 2000 dans l affaire Mazurek c. France, la Cour européenne des Droits de l Homme dit, à l unanimité, qu il y a eu violation de l article 1er du Protocole N 1 (protection de la propriété) combiné avec l article 14 (interdiction de discrimination) de la Convention européenne des Droits de l Homme. La Cour dit, par cinq voix contre deux, qu il n est pas nécessaire d examiner le grief tiré des articles 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) et 14 combinés de la Convention. En application de l article 41 (satisfaction équitable) de la Convention, la Cour alloue au requérant 376 034, 61 Francs français pour dommage matériel et 20 000 Francs pour dommage moral, ainsi que 100 000 Francs pour frais et dépens. 1. Principaux faits Le requérant, Claude Mazurek, un ressortissant français, est né en 1942 et réside à la Grande- Motte. M. Mazurek, enfant adultérin, a été appelé à la succession de sa mère décédée en 1990, en concurrence avec un enfant légitimé. Sur demande de ce dernier, les juridictions civiles ont ordonné le partage de la succession et fixé la part revenant au requérant à un quart de la succession au lieu de la moitié à laquelle il aurait eu droit s il n avait pas été un enfant adultérin. En effet, en application de l'article 760 du Code civil français, un enfant adultérin appelé à la succession de son parent décédé, et qui se trouve en concours avec des enfants légitimes de ce parent, n'a droit qu'à la moitié de la part qui lui serait revenue s'il avait été lui-même un enfant légitime. 2. Procédure et composition de la Cour ( ) 3. Résumé de l arrêt Griefs M. Mazurek se plaint d une atteinte portée à son droit au respect de la vie familiale au sens de l article 8 de la Convention européenne des Droits de l Homme et de la distinction faite, au sens de l article 14, en raison de sa naissance. Il dénonce également une atteinte au respect du droit de propriété au sens de l article 1er du Protocole N 1 à la Convention européenne des Droits de l Homme. Décision de la Cour Article 1 er du Protocole n 1 combiné avec l article 14 La Cour relève d emblée que le Gouvernement ne conteste pas le fait que, en application des articles pertinents du Code civil, les deux demi-frères ne se trouvaient pas dans la même situation vis à vis de la succession de leur mère. Elle constate que c est en raison de sa condition d enfant adultérin que le requérant a vu réduire de moitié, au profit de son demifrère, la part de la succession à laquelle il aurait eu droit s il avait été un enfant naturel ou légitime et que cette différence de traitement est expressément prévue par l article 760 du Code civil. La Cour rappelle, sur ce point, que dans la jouissance des droits et libertés reconnus par la Convention, l article 14 interdit de traiter de manière différente, sauf justification objective et raisonnable, des personnes placées dans des situations comparables. Il convient dès lors de déterminer si la différence de traitement alléguée était justifiée. La Cour estime qu il ne peut être exclu que le but invoqué par le Gouvernement, à savoir la protection de la famille traditionnelle, puisse être considéré comme légitime. Reste la question de savoir, pour ce qui est des moyens employés, si l instauration d une différence de traitement entre enfants adultérins et enfants légitimes ou naturels, quant à la succession de
leur auteur, apparaît proportionnée et adéquate par rapport au but poursuivi. La Cour note d emblée que l institution de la famille n est pas figée, que ce soit au plan historique, sociologique ou encore juridique. Pour ce qui est de la situation dans les autres Etats membres du Conseil de l'europe, la Cour note, contrairement aux affirmations du Gouvernement, une nette tendance à la disparition des discriminations à l égard des enfants adultérins. Elle ne saurait négliger une telle évolution dans son interprétation nécessairement dynamique des dispositions litigieuses de la Convention. Quant à l argument avancé par le Gouvernement et tiré de la dimension des intérêts moraux, la Cour ne peut que relever la teneur des données socio - démographiques à l époque des faits, de même que, notamment, un projet de loi tendant, en 1991, à supprimer toute discrimination. Le seul problème soumis à la Cour concerne la question de la succession d une mère par ses deux enfants, l un légitime, l autre adultérin. Or la Cour ne trouve, en l espèce, aucun motif de nature à justifier une discrimination fondée sur la naissance adultérine. En tout état de cause, l enfant adultérin ne saurait se voir reprocher des faits qui ne lui sont pas imputables : il faut cependant constater que le requérant, de par son statut d enfant adultérin, s est trouvé pénalisé dans le partage de la masse successorale. La Cour conclut qu il n y a pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. Partant, il y a eu violation de l article 1 er du Protocole n 1 combiné avec l article 14 de la Convention. Articles 8 et 14 combinés Eu égard à sa conclusion sur le premier grief, et compte tenu du fait que les arguments avancés par les parties sont les mêmes que ceux examinés dans le contexte de l article 1 er du Protocole n 1 combiné avec l article 14, la Cour n estime pas nécessaire d examiner ce grief. Article 41 de la Convention Le requérant demande au titre du préjudice matériel la différence entre la somme qui lui a été allouée et celle qui lui serait revenue si un partage par moitié avait été effectué. Le Gouvernement ne s y oppose pas. Dans ces conditions, la Cour dit qu il y a lieu d allouer au requérant la somme de 376 034,61 FRF au titre du préjudice matériel. Le requérant demande également une indemnisation de son préjudice moral qu il chiffre à 100 000 FRF. Le Gouvernement s oppose à cette demande. Statuant en équité, la Cour décide d allouer au requérant 20 000 FRF au titre du préjudice moral. La Cour est d avis que les frais engagés, tant devant les juridictions internes que devant les organes de la Convention, visaient à voir redresser la violation alléguée de la Convention. En équité, elle alloue la somme globale de 100 000 FRF à ce titre. Les juges Loucaides et Tulkens ont exprimé une opinion partiellement dissidente dont le texte se trouve joint à l arrêt. Document n 4 : Tribunal de grande instance de Montpellier, 2 mai 2000 LE TRIBUNAL : [...] - C «Sur la demande aux fins de sursis à statuer et celle tendant à écarter les dispositions des articles 760 et 908 du Code civil : - [...] Gwenola T... invoque l'incompatibilité de l'article 760 du Code civil lequel en limitant les droits successoraux de l'enfant adultérin induit une discrimination injustifiée entre les enfants naturels et légitimes fondée sur la naissance, avec les articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme et l'article 1 er du Protocole additionnel n 1 et l'article 2 de la Convention relative aux droits de l'enfant des Nations Unies. L'article 1 er du Protocole n 1 stipule : «Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international». L'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme prévoit : «La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la
couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou raciale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute, l appartenance à une minorité nationale ou toute autre situation». Quant à la Convention internationale des droits de l'enfant que Gwenola T... est fondée à invoquer, pour être mineure au moment de l'ouverture de la succession de son père, elle édicte en son article 2, alinéa 1, que «les Etats parties s'engagent à respecter les droits qui sont énoncés dans la présente convention et à les garantir à tout enfant relevant de leur juridiction sans distinction aucune, indépendamment de toute considération de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d'opinion politique ou autre de l'enfant ou de ses représentants légaux, de leur origine nationale ou éthique ou sociale, de leur situation de fortune, de leur incapacité, de leur naissance ou de toute autre situation». Enfin, la Charte sociale européenne révisée, encore en discussion, prévoirait l'égalité des droits successoraux entre les enfants légitimes et les enfants adultérins. Selon l'article 55 de la Constitution de la V e République, «les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie». Il en découle le principe général d'intégration des traités à l'ordre juridique interne et la règle d'application directe des dits traités. L'application de l'article 760 du Code civil, pour introduire une différence dans les droits successoraux entre les enfants en fonction de leur naissance, constitue une violation des dispositions de la Convention européenne, ainsi que vient de le dire la Cour européenne dans l'arrêt ci-dessus cité. Dans la jouissance des droits et libertés reconnus par la Convention, l'article 14 interdit de traiter de manière différente, sauf justification objective et raisonnable, des personnes placées dans des situations comparables et dans le cas soumis à son appréciation qui opposait deux enfants, l'un naturel et l'autre adultérin dans le cadre de la succession de leur mère, la Cour a déclaré qu'elle ne trouvait en l'espèce aucun motif de nature à justifier une discrimination fondée sur la naissance hors mariage. Ainsi, l'article 760 du Code civil doit être écarté pour contenir une discrimination infligée à l'enfant adultérin sans fondement sérieusement justifié et être en contradiction avec la Convention européenne des droits de l'homme que l'article 55 de la Constitution impose comme supérieure aux textes de droit interne et qui est directement applicable par les juridictions françaises selon une jurisprudence constante et pour représenter une infraction au principe de la non - discrimination qui figure à l'article 2, alinéa 1, de la Convention internationale sur les droits de l'enfant. En conséquence Sophie T... doit être déboutée de sa demande de réduction de la part successorale de Gwenola T... Il importe donc de renvoyer les parties devant le notaire liquidateur à charge pour ce dernier d'établir un état liquidatif du partage de la succession de Robert T..., dans lequel il ne sera plus fait référence qu'au testament de 1979 avantageant Gwenola T..., laquelle devra recevoir dans son intégralité la quotité disponible, selon la volonté du défunt [...]. Par ces motifs, le Tribunal, statuant publiquement par jugement réputé contradictoire et en premier ressort, déclare recevable l'action diligentée par Brigitte T..., Hélène T... épouse M... et Caroline T... épouse D... ; dit que le testament du 5 octobre 1965 a été révoqué par celui rédigé le 14 octobre 1979 portant legs à Gwenola T... de la quotité disponible ; déboute Sophie T... épouse N... de sa demande de réduction de part successorale de Gwenola T... ; ordonne l'ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage de la succession de Robert T... ; désigne pour y procéder M. le Président de la chambre des notaires avec faculté de substitution ; désigne M. Rousset- Favier, juge, en tant que juge-commissaire afin de faire rapport au Tribunal en cas de difficultés ; renvoie les parties devant le notaire liquidateur lequel devra tenir compte du seul testament en date du 14 octobre 1979, lequel devra trouver son plein et entier effet et devra réintégrer dans la masse à partager l'ensemble des biens
mobiliers de la succession, afin de les attribuer par lots à concurrence des droits respectifs de chaque héritier [...]. Documents n 5 : Article 733 du Code civil (modifié par Ordonnance n 2005-759 du 4 juillet 2005 - art. 17 JORF 6 juillet 2005 en vigueur le 1er juillet 2006) : La loi ne distingue pas selon les modes d'établissement de la filiation pour déterminer les parents appelés à succéder. Les droits résultant de la filiation adoptive sont réglés au titre de l'adoption. Article 734 du Code civil (modifié par Loi n 2001-1135 du 3 décembre 2001 - article 1 er J.O.R.F. 4 décembre 2001 en vigueur le 1 er juillet 2002) : En l'absence de conjoint successible, les parents sont appelés à succéder ainsi qu'il suit : 1 Les enfants et leurs descendants ; 2 Les père et mère ; les frères et soeurs et les descendants de ces derniers ; 3 Les ascendants autres que les père et mère ; 4 Les collatéraux autres que les frères et soeurs et les descendants de ces derniers. Chacune de ces quatre catégories constitue un ordre d'héritiers qui exclut les suivants.