La liberté d expression en temps de crise



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Transcription:

H/Inf (2008) 7 La liberté d expression en temps de crise Lignes directrices du Comité des Ministres du Conseil de l Europe Direction générale des droits de l Homme et des affaires juridiques Conseil de l Europe

Direction générale des droits de l Homme et des affaires juridiques Conseil de l Europe F-67075 Strasbourg France http://www.coe.int/justice/ Conseil de l Europe, 2008 Photo de la couverture : wojt Fotolia.com 1 re édition, juillet 2008 Imprimé au Conseil de l Europe

Table des matières Préface.................................................... 5 Lignes directrices du Comité des Ministres du Conseil de l Europe sur la protection de la liberté d expression et d information en temps de crise. 7 Préambule................................................ 7 Définitions............................................... 8 Conditions de travail des professionnels des médias dans les situations de crise.................................................. 9 Protection des sources d information des journalistes et des informations journalistiques.............................. 10 Garanties contre l utilisation abusive des lois sur la diffamation...... 11 Garanties contre la restriction abusive de la liberté d expression et d information et contre la manipulation de l opinion publique....... 11 Responsabilités des professionnels des médias................... 12 Dialogue et coopération.................................... 12 Protection de la liberté d expression et d information en temps de crise : document de réflexion....................................... 15 Article 10 principes généraux.............................. 15 Autres principes pertinents de la Convention.................... 25 Lignes directrices......................................... 27 3

Préface Du Rt Hon Terry Davis Secrétaire Général du Conseil de l Europe Sans liberté de s exprimer, il n est point de démocratie. La liberté d expression et d information est l un des droits de l homme, mais elle est plus que cela, car toute atteinte à ce droit fondamental est un moyen d occulter les violations de tous les autres droits. «La vérité est la première victime de la guerre», disait déjà Eschyle, le grand dramaturge de la Grèce antique. Manipuler l information à des fins douteuses, notamment en temps de crise, n est pas une invention nouvelle, mais aujourd hui que les mots, les sons et les images peuvent se répandre instantanément aux quatre coins du monde, la tentation de restreindre la liberté d expression et d information est sans doute plus grande que jamais. En même temps, les attentats terroristes de ces dernières années ont, plus que jamais, conduit les populations à se préoccuper de leur sécurité, les préparant ainsi à accepter plus volontiers des limitations à la liberté d expression. Cependant, toute restriction disproportionnée en ce domaine risque de nous entraîner dans un cercle vicieux, car si le droit de recevoir et de communiquer des informations est fondamental dans une société démocratique, il l est d autant plus en période de crise, qu il s agisse de guerre, d attentats terroristes ou de catastrophes naturelles. L article 10 de la Convention européenne des droits de l homme et la jurisprudence de la Cour demeurent les normes de base qui régissent la liberté d expression et d information en toute situation, y compris en temps de crise. Rien n oblige donc à modifier ces normes ou à en élaborer de nouvelles ; il importe seulement de réfléchir aux problèmes concrets que peut poser leur appli- 5

Protection de la liberté d expression et d information en temps de crise cation. Il revient à chaque Etat d intégrer ces normes fondamentales dans son dispositif législatif et, surtout, de veiller à ce qu elles soient rigoureusement appliquées. Cette brochure présente les lignes directrices élaborées en ce sens par le Comité des Ministres du Conseil de l Europe. Par les indications précises qu elle donne, elle devrait servir de référence pour les professionnels des médias, la société civile et, plus généralement, pour quiconque a à cœur de sauvegarder la liberté d expression. 6

Lignes directrices du Comité des Ministres du Conseil de l Europe sur la protection de la liberté d expression et d information en temps de crise (adoptées par le Comité des Ministres le 26 septembre 2007, lors de la 1005 e réunion des Délégués des Ministres) Préambule Le Comité des Ministres, 1. Soulignant que la liberté d expression et d information et la liberté des médias sont essentielles au fonctionnement d une société véritablement démocratique ; 2. Réaffirmant que l article 10 de la Convention européenne des Droits de l Homme (STE n 5) et la jurisprudence pertinente de la Cour européenne des Droits de l Homme demeurent la norme fondamentale en ce qui concerne l exercice du droit à la liberté d expression et d information ; 3. Profondément préoccupé par le fait que les situations de crise telles que les guerres et les attentats terroristes sont encore largement répandues et menacent gravement la vie et la liberté des personnes, et par le fait que les gouvernements, soucieux de la survie de la société, puissent être tentés d imposer des restrictions excessives à l exercice de ce droit ; 4. Condamnant les assassinats de professionnels des médias et toute autre forme d agression à leur encontre, et rappelant sa Recommandation n R (96) 4 sur la protection des journalistes en situation de conflit et de tension ; 5. Rappelant la Résolution n 1 sur la liberté d expression et d information en temps de crise adoptée par les ministres des Etats participant à la 7 e Conférence 7

Protection de la liberté d expression et d information en temps de crise ministérielle européenne sur la politique des communications de masse (Kiev, 10-11 mars 2005) ; 6. Ayant pris note de la Résolution 1535 (2007) et de la Recommandation 1783 (2007) de l Assemblée parlementaire du Conseil de l Europe sur les menaces contre la vie et la liberté d expression des journalistes ; 7. Se félicitant de la Résolution 1738 (2006) du Conseil de sécurité des Nations Unies condamnant les attaques perpétrées contre les professionnels des médias en période de conflit armé et devant l urgence et l ardente nécessité de prendre des mesures pour assurer leur protection ; 8. Soulignant que le dialogue et la coopération entre les gouvernements, les professionnels des médias et la société civile peuvent contribuer à garantir la liberté d expression et d information en temps de crise ; 9. Convaincu non seulement que les médias peuvent jouer un rôle déterminant en temps de crise en communiquant au public des données d actualité précises et complètes, mais également que les professionnels des médias peuvent contribuer activement à la prévention ou à la résolution de certaines crises par l adhésion aux normes professionnelles les plus élevées et la promotion d une culture de tolérance et de compréhension entre les divers groupes de la société, 10. Adopte, dans le prolongement des «Lignes directrices sur les droits de l homme et la lutte contre le terrorisme» adoptées le 11 juillet 2002, et pour les compléter, les lignes directrices ci-après et invite les Etats membres à veiller à ce qu elles soient largement diffusées et observées par toutes les autorités concernées. I. Définitions 1. Dans les présentes lignes directrices, par «crise» on entend une situation dans laquelle la liberté d expression et d information est menacée (par exemple, lorsqu elle est restreinte pour des raisons de sécurité). Les situations de crise comprennent, entre autres, les guerres, les attentats terroristes et les catastrophes naturelles et d origine humaine ; par «professionnels des médias» on entend tous ceux qui participent au recueil, au traitement et à la diffusion des informations destinées aux médias, y compris les opérateurs de prises de vues, les photographes et le personnel de soutien, comme les chauffeurs et les interprètes. 8

Lignes directrices du Comité des Ministres du Conseil de l Europe II. Conditions de travail des professionnels des médias dans les situations de crise Sécurité des personnes 2. Les Etats membres devraient s employer à assurer autant que faire se peut la sécurité des professionnels des médias, tant nationaux qu étrangers. La nécessité de garantir la sécurité ne saurait toutefois servir de prétexte aux Etats membres pour restreindre inutilement les droits de ces professionnels, comme leur liberté de circulation et leur accès à l information. 3. Les autorités compétentes devraient mener sans attendre des enquêtes approfondies sur les meurtres et autres agressions de professionnels des médias. Le cas échéant, les auteurs des actes devraient être traduits en justice suivant une procédure transparente et rapide. 4. Les Etats membres devraient demander aux instances militaires et civiles chargées de gérer les crises de prendre des mesures concrètes pour promouvoir la compréhension et la communication avec les professionnels des médias qui couvrent ces situations. 5. Les écoles de journalisme, les associations professionnelles et les médias sont encouragés à dispenser aux professionnels des médias la formation générale et spécialisée qu exige leur sécurité. 6. Les employeurs devraient s efforcer de protéger au mieux les professionnels des médias effectuant des missions dangereuses en leur proposant des formations et des conseils pratiques, et en leur fournissant du matériel de sécurité. Ils devraient aussi leur proposer des modalités d assurance appropriées en ce qui concerne les risques d atteinte à l intégrité physique. Les organisations internationales de journalistes pourraient envisager de faciliter la mise en place d un régime d assurance pour les professionnels indépendants qui couvrent des situations de crise. 7. Les professionnels des médias expulsés de zones d accès restreint pour non-respect de la législation nationale et internationale, incitation à la violence ou à la haine, ou diffusion de propagande des parties belligérantes devraient être accompagnés par les forces militaires, dans une région, un pays ou une ambassade neutre où ils soient en sécurité. Liberté de circulation et d accès à l information 8. Les Etats membres devraient garantir aux professionnels des médias la liberté de circulation et l accès à l information en temps de crise. Dans cette optique, les autorités chargées de gérer des situations de crise devraient faciliter 9

Protection de la liberté d expression et d information en temps de crise l accès aux zones concernées aux professionnels des médias accrédités par leur rédaction. 9. Le cas échéant, les systèmes d accréditation des professionnels couvrant les situations de crise devraient respecter le Principe 11 énoncé dans l annexe à la Recommandation n R (96) 4 du Comité des Ministres aux Etats membres sur la protection des journalistes en situation de conflit et de tension. 10. Si la réglementation nationale l exige, l accréditation devrait être donnée à tous les professionnels des médias sans discrimination, selon une procédure transparente et rapide non entravée par des obstacles bureaucratiques. 11. Les instances militaires et civiles chargées de gérer les situations de crise devraient informer régulièrement tous les professionnels des médias qui couvrent les événements par des briefings, des conférences de presse, des voyages de presse ou d autres moyens appropriés. Elles devraient, dans la mesure du possible, installer à leur intention un centre d information qui soit sans risque et doté des équipements dont ils ont besoin. 12. Les autorités compétentes des Etats membres devraient fournir des informations à tous les professionnels des médias, équitablement et sans discrimination. Les journalistes «incorporés» ne devraient pas bénéficier d un accès privilégié à l information, en dehors de l avantage inhérent à leur rattachement à des unités militaires. III. Protection des sources d information des journalistes et des informations journalistiques 13. Les Etats membres devraient protéger le droit des journalistes de ne pas révéler leurs sources d information conformément à la Recommandation n o R (2000) 7 du Comité des Ministres sur le même sujet ; dans leurs droit et pratique internes, ils devraient donner effet, au minimum, aux principes énoncés dans l annexe à cette recommandation. 14. Les représentants de la loi ne devraient pas demander aux professionnels des médias de leur transmettre les informations ou remettre les documents (notes, photographies, enregistrements audio et vidéo, par exemple) qu ils ont rassemblés dans le cadre de la couverture de situations de crise, ce notamment pour assurer leur sécurité ; dans le même ordre d idées, ce matériel ne devrait pas pouvoir être saisi pour servir lors de procédures judiciaires. Toute dérogation à ce principe devrait être strictement conforme à l article 10 de la Convention européenne des Droits de l Homme et à la jurisprudence pertinente de la Cour européenne des Droits de l Homme. 10

Lignes directrices du Comité des Ministres du Conseil de l Europe IV. Garanties contre l utilisation abusive des lois sur la diffamation 15. En temps de crise, les Etats membres devraient se garder d utiliser de façon inappropriée la législation sur la diffamation, et de restreindre ainsi la liberté d expression. Ils devraient notamment s abstenir de toute tentative d intimidation de professionnels des médias à travers des poursuites légales ou des sanctions disproportionnées dans le cadre de procédures en diffamation. 16. Les autorités concernées ne devraient pas prendre pour prétexte des buts par ailleurs légitimes pour engager des poursuites en diffamation contre des professionnels des médias, et porter ainsi atteinte à leur liberté d expression. V. Garanties contre la restriction abusive de la liberté d expression et d information et contre la manipulation de l opinion publique 17. En temps de crise, les Etats membres ne devraient pas restreindre l accès du public à l information au-delà des limites autorisées par l article 10 de la Convention européenne des Droits de l Homme et la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l Homme. 18. Les Etats membres ne devraient jamais oublier que le libre accès à l information peut contribuer à résoudre efficacement la crise et à dénoncer d éventuels abus. En réponse au besoin légitime d information dans des situations préoccupant fortement le public, les autorités devraient garantir à ce dernier un accès libre à l information, y compris par l intermédiaire des médias. 19. Les Etats membres ne devraient pas employer des termes vagues lorsqu ils imposent des restrictions à la liberté d expression et d information en temps de crise. L incitation à la violence ou à troubler l ordre public devrait être définie de façon claire et précise. 20. Les juridictions nationales et internationales devraient toujours mettre en balance le besoin légitime du public d être informé et la nécessité de protéger l intégrité des procédures judiciaires. 21. Les Etats membres devraient s employer sans relâche à préserver un environnement favorable au fonctionnement des médias indépendants et professionnels, conforme aux normes du Conseil de l Europe, notamment en temps de crise. A cet égard, ils devraient s employer tout particulièrement à soutenir les médias du service public en tant que source fiable d information et facteur d intégration sociale et de compréhension entre les différents groupes de la société. 22. Les Etats membres devraient envisager d instituer la responsabilité pénale ou administrative des fonctionnaires qui tentent de manipuler, notamment par les médias, l opinion publique et d exploiter sa vulnérabilité en temps de crise. 11

Protection de la liberté d expression et d information en temps de crise VI. Responsabilités des professionnels des médias 23. Les professionnels des médias devraient adhérer, en particulier en temps de crise, à des normes professionnelles et déontologiques très rigoureuses, ce qui découle de la responsabilité spéciale qui leur incombe, dans les situations de crise, de communiquer au public des données d actualité factuelles, précises et complètes, tout en se montrant attentifs aux droits d autres personnes, à leur sensibilité particulière et à leur éventuel sentiment d incertitude et de peur. 24. S il y a lieu de maintenir un système de journalistes incorporés et que les professionnels choisissent de l utiliser, il leur est conseillé d en faire clairement état dans leurs reportages et d indiquer leurs sources d information. 25. L autorégulation, en tant que mécanisme le mieux à même de garantir un comportement responsable et professionnel des journalistes dans l exercice de leur fonction, doit être plus efficace en temps de crise. A cette fin, il convient d encourager la coopération entre les organes d autorégulation aux niveaux régional et européen. Les Etats membres, les organisations professionnelles de journalistes, les autres ONG concernées et les médias sont invités à faciliter cette coopération et à offrir, le cas échéant, une assistance supplémentaire. 26. Les professionnels des médias sont invités à tenir compte dans leurs travaux de la Recommandation n R (97) 21 du Comité des Ministres aux Etats membres sur les médias et la promotion d une culture de tolérance, et à appliquer à tout le moins les pratiques professionnelles exposées dans l annexe à la recommandation. VII. Dialogue et coopération 27. Les gouvernements, les organisations de médias, les organisations nationales ou internationales gouvernementales et non gouvernementales devraient s employer à protéger la liberté d expression et d information en temps de crise par le dialogue et la coopération. 28. Au niveau national, les parties intéressées, comme les organes publics, les instances de régulation, les organisations non gouvernementales et les médias, notamment les propriétaires de médias, les éditeurs et les rédacteurs, pourraient envisager de créer des lieux d échange ouverts aux volontaires afin de faciliter, par le dialogue, l exercice du droit à la liberté d expression et d information en temps de crise. 29. Les professionnels des médias sont encouragés, directement ou par l intermédiaire des organisations qui les représentent, à engager un dialogue constructif avec les autorités chargées de gérer les situations de crise. 12

Lignes directrices du Comité des Ministres du Conseil de l Europe 30. Les organisations non gouvernementales et en particulier les organismes de surveillance spécialisés sont invités à apporter leur concours à la sauvegarde de la liberté d expression et du droit à l information en temps de crise. Elles pourraient par exemple : mettre en place des lignes d urgence téléphonique pour consultation et signalement de cas de harcèlement de journalistes et autres violations présumées du droit à la liberté d expression et d information ; offrir un soutien, y compris, le cas échéant, une assistance juridique gratuite, aux professionnels des médias qui, du fait de leurs activités professionnelles, sont poursuivis en justice ou se heurtent aux pouvoirs publics ; coopérer avec le Conseil de l Europe et d autres organisations compétentes pour faciliter l échange d informations et assurer une surveillance effective d éventuelles violations. 31. Les donateurs institutionnels gouvernementaux et non gouvernementaux sont vivement encouragés à inclure le développement et l aide aux médias dans leurs stratégies de prévention et de règlement des conflits et de reconstruction post-conflit. 13

Protection de la liberté d expression et d information en temps de crise : document de réflexion Le présent document, rédigé par M. Gavin Millar, doit être lu parallèlement aux Lignes directrices du Comité des Ministres du Conseil de l Europe sur la protection de la liberté d expression et d information en temps de crise. Il s attache d abord à expliquer les principes énoncés par la Cour européenne des droits de l homme («la Cour») relativement à l article 10 de la Convention européenne des droits de l homme («la Convention»). Dans un second temps, les Lignes directrices sont examinées au regard de ces principes primordiaux et d autres dispositions pertinentes de la Convention. Comme le souligne le paragraphe 2 du préambule des Lignes directrices, les normes fondamentales régissant l exercice du droit à la liberté d expression et d information en temps de crise émanent des principes de l article 10. Ce texte n est ni un rapport explicatif, ni un exposé des motifs des Lignes directrices. Article 10 principes généraux Article 10 L article 10 de la Convention européenne des droits de l homme prévoit ce qui suit : 1) «Toute personne a droit à la liberté d expression. Ce droit comprend la liberté d opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu il puisse y avoir ingérence d autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d autorisations.» 15

Protection de la liberté d expression et d information en temps de crise 2) «L exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d autrui, pour empêcher la divulgation d informations confidentielles ou pour garantir l autorité et l impartialité du pouvoir judiciaire.» Le droit à la liberté d expression Le premier paragraphe de l article 10 donne une définition large du droit à la liberté d expression. La Cour européenne des droits de l homme de Strasbourg a insisté sur l importance, dans toute démocratie, de ce droit de large portée. Dans l un de ses premiers arrêts importants relatifs à l article 10, la Cour a indiqué ce qui suit : «La liberté d expression constitue l un des fondements essentiels de [la] société, l une des conditions primordiales de son progrès et de l épanouissement de chacun. Sous réserve du paragraphe 2 de l article 10 (art. 10-2), elle vaut non seulement pour les informations ou idées accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l Etat ou une fraction quelconque de la population. Ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l esprit d ouverture sans lesquels il n est pas de société démocratique» 1 De plus, dans son jugement sur une affaire concernant une violation de l article 10(1), la Cour estimé qu elle : «[ ] ne se trouve pas devant un choix entre deux principes antinomiques, mais devant un principe - la liberté d expression assorti d exceptions qui appellent une interprétation étroite [ ]. Il ne suffit pas que l ingérence dont il s agit se classe parmi celle des exceptions énumérées à l article 10 par. 2 (art. 10-2) que l on a invoquée; il ne suffit pas davantage qu elle ait été imposée parce que son objet se rangeait dans telle catégorie ou tombait sous le coup d une règle juridique formulée en termes généraux ou absolus : la Cour doit s assurer qu il était nécessaire d y recourir eu égard aux faits et circonstances de la cause précise pendante devant elle.» 2 Comme l indiquent clairement les premiers mots de l article 10, «toute personne» possède ce droit. Cela comprend les particuliers, notamment les journalistes, ainsi que les médias, à but lucratif ou non. Les formes d expression protégées sont diverses : elles comprennent naturellement les écrits et les paroles mais aussi toute image ou représentation. La partici- 1. Arrêt Handyside c. Royaume-Uni du 7 décembre 1976, série A n o 24, par. 49 2. Arrêt Sunday Times c. Royaume-Uni (n 1) du 26 avril 1979, série A n o 30, par. 65 16

Document de réflexion sur les lignes directrices du Conseil de l Europe pation à une manifestation politique relève également du droit énoncé à l article 10. 3 Ce dernier protège la liberté d expression, qu il s agisse de faire connaître des opinions ou de transmettre des informations et des idées. La protection s applique indépendamment du moyen de communication utilisé, par exemple : en personne, par téléphone, au moyen de tracts, de banderoles ou d affiches, ou à destination d un public plus large par les journaux, la télévision, le cinéma, la radio ou Internet. L article 10 protège le droit de critiquer, d avancer des hypothèses et de faire des jugements de valeur, ainsi que les déclarations factuelles. 4 Au paragraphe 1 de l article 10, les mots «ce droit comprend la liberté d opinion et la liberté de recevoir» ont aussi leur importance. Lorsqu une personne est empêchée de communiquer, ses droits au titre de l article 10(1) sont lésés, 5 tout comme ceux de son public potentiel. Le droit de ce dernier à recevoir des informations sur des questions d intérêt général communiquées par des journalistes est le corollaire de la fonction propre aux médias de diffuser ces informations. La valeur hiérarchique des discours La Cour européenne des droits de l homme accorde plus de valeur à certaines formes d expression qu à d autres. De manière générale, le discours sur des thèmes politiques ou d intérêt public est le plus valorisé. Viennent ensuite l expression artistique, puis commerciale (la publicité, par exemple). Plus le discours se voit accorder de valeur, mieux il est protégé par l article 10. Le terme «politique» couvre beaucoup de choses, bien au-delà des processus politiques essentiels. Il s applique par exemple au discours sur la conduite des services de police et de sécurité, sur les tribunaux et sur les politiques de sécurité ou de santé publique. La Cour européenne des droits de l homme a précisé à maintes reprises qu en ce qui concerne l expression politique, les possibilités de la limiter légalement sont très faibles, 6 même si l Etat invoque la protection de la sécurité nationale ou de l intégrité territoriale et qu il met en évidence une «crise» (voir ci-après). 7 Le discours des hommes politiques et la place que lui accordent les médias sont considérés comme particulièrement importants. 8 3. Arrêt Steel et autres c. Royaume-Uni du 23 septembre 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-VII 4. Arrêt Lingens c. Autriche du 8 juillet 1986, série A n o 103 5. Voir par exemple l arrêt Autronic AG c. Suisse du 22 mai 1990, série A n o 178 6. Arrêt Dyuldin et Kislov c. Russie, requête n o 25968/02, du 31 juillet 2007 7. Arrêt Şener c. Turquie, requête n o 26680/95, du 18 juillet 2000 8. Arrêt Castells c. Espagne du 23 avril 1992, série A, n o 236, par. 42 17

Protection de la liberté d expression et d information en temps de crise L obligation négative qui pèse sur l Etat et ses représentants : la noningérence Le droit à la liberté d expression signifie qu il s exerce sans «ingérence d autorités publiques». La Cour européenne des droits de l homme considère comme ingérence tout acte empêchant une personne d exercer son droit à la liberté d expression ou limitant cet exercice. Empêcher un journaliste d assister à une réunion, de parler à un groupe politique particulier, de faire un reportage à partir d un lieu particulier ou d utiliser du matériel de communication par satellite constitue une entrave à l exercice de ce droit tout comme la censure de son article ou la fermeture du journal pour lequel il travaille. Obliger un journaliste à révéler l identité d une source confidentielle est aussi une ingérence grave portant atteinte aux droits du journaliste et de sa source énoncés à l article 10 (voir ci-après). L ingérence licite Le droit défini à l article 10 n est pas un droit absolu. Il est soumis à certaines conditions, ce qui signifie que dans des circonstances données, les pouvoirs publics peuvent l enfreindre sans sortir de la légalité. Ces circonstances sont précisées au paragraphe 2 de l article 10. L ingérence est licite par essence si : elle est prévue par la loi ; son but est légitime ; elle est nécessaire dans une société démocratique. Examinons ces conditions l une après l autre. «prévue par la loi» : cette condition est double : premièrement, l acte d ingérence doit avoir une base légale dans la législation du pays, qu il s agisse de lois ou de jurisprudences ; deuxièmement, la loi doit être accessible au public et assez précise pour que toute personne puisse régler sa conduite sur elle. «but légitime» : le paragraphe 2 de l article 10 indique les buts qui peuvent être invoqués pour justifier une ingérence dans la liberté d expression. Les plus susceptibles d être invoqués en temps de crise sont la sécurité nationale, l intégrité territoriale ou la sûreté publique, la défense de l ordre et la prévention du crime. «nécessaire dans une société démocratique» : pour que l ingérence dans la liberté d expression à des fins légitimes soit justifiée, elle doit être «nécessaire dans une société démocratique», ce qui ne signifie pas simplement «utile», «raisonnable» ou «opportun[e]». 9 Plus exactement, il faut que l Etat montre que l ingérence répond à un «besoin social impérieux» et qu elle est, en toutes 9. Arrêt Sunday Times c. Royaume-Uni (n o 1) du 26 avril 1979, série A n o 30, par. 65 18

Document de réflexion sur les lignes directrices du Conseil de l Europe circonstances, proportionnée au but légitime poursuivi. Il doit exister un rapport raisonnable de proportionnalité entre le moyen employé et le but visé. Autrement dit, les pouvoirs publics pourraient-ils atteindre le même but en utilisant une autre mesure, moins restrictive? Une mesure proportionnée n est pas arbitraire, inéquitable ou irrationnelle. Lorsque la Cour conclut à la violation de l article 10, sa décision résulte généralement de l incapacité de l Etat à établir le caractère proportionné de son ingérence. Toute personne s estimant victime d une ingérence illicite dans les droits que lui confère la Convention (ou «violation» de ces droits) peut déposer un recours auprès de la Cour européenne des droits de l homme. Si cette dernière constate l ingérence, l Etat partie concerné doit démontrer, en s appuyant sur des faits, que chacune des conditions ci-dessus justifiant une ingérence licite est remplie. Sinon, la Cour conclut à la violation. La Cour exerce un contrôle. Elle examine «si les motifs invoqués par l autorité nationale pour justifier [l ingérence] apparaissent pertinents et suffisants». 10 Elle doit se demander si, en s ingérant dans le droit à la liberté d expression, les autorités nationales ont appliqué des règles «conformes aux principes consacrés à l article 10 et ce, de surcroît, en se fondant sur une appréciation acceptable des faits pertinents». 11 Le niveau de justification exigé de l Etat varie. Cependant, dans toutes les affaires d ingérence dans la liberté d expression, la justification doit être «établie de manière convaincante». 12 Plus le discours se voit accorder de valeur, plus l examen est approfondi à Strasbourg. En outre, plus l ingérence est grave, plus elle exige de justifications. En cas de sanctions pénales prononcées contre un discours, il faut toujours fournir des justifications solides et spécifiques. Tel est également le cas pour les ordres de confiscation ou de divulgation de matériel journalistique. Si elle possède les caractéristiques suivantes, l ingérence risque d être considérée comme plus grave et plus difficile à justifier : elle prend la forme d une restriction de la liberté d expression opérée en amont. C est notamment le cas si les médias sont concernés, car le fait de retarder la diffusion d une information risque de réduire sa valeur et l intérêt qu elle peut avoir pour le public ; elle a un effet dissuasif sur la liberté d expression en général autrement dit, elle est susceptible de décourager d autres personnes de s exprimer dans 10. Arrêt Barthold c. Allemagne du 25 mars 1985, série A n o 90, par. 55 11. Arrêt Zana c. Turquie du 25 novembre 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-VII 12. Arrêt Barthold (ci-dessus), par. 58 19

Protection de la liberté d expression et d information en temps de crise le futur. Là encore, la mesure d ingérence est d autant plus grave qu elle peut, dans l avenir, dissuader les médias de rendre compte de questions d intérêt public sans se censurer ; l information est déjà dans le domaine public. Il est souvent difficile de justifier les mesures prises contre les personnes qui reprennent une information. La Cour peut parfois admettre que les autorités du pays sont mieux placées pour évaluer quelles sont les mesures qui s imposent pour atteindre un but légitime particulier. La Cour peut alors revoir à la baisse ses exigences et donner aux autorités de l Etat une plus grande latitude ou «marge d appréciation». Voir, par exemple, l arrêt Leander c. Suède du 26 mars 1987, série A n o 116, par. 59, où sont invoquées des considérations de sécurité nationale. L exercice du droit à la liberté d expression comporte des devoirs et des responsabilités L article 10 indique que l exercice, par quiconque, du droit à la liberté d expression comporte «des devoirs et des responsabilités». Lorsque la Cour se prononce sur la justification d une violation, elle examine si le requérant a exercé son droit de manière responsable dans l affaire en question. 13 Plus la portée médiatique est importante, plus l exigence de responsabilité au regard du propos concerné est grande. Les médias audiovisuels en particulier doivent donc veiller à agir de manière responsable. 14 La garantie supplémentaire que l article 10 offre aux journalistes qui rendent compte de questions d intérêt général (voir ci-après) est «subordonnée à la condition que les intéressés agissent de bonne foi de manière à fournir des informations exactes et dignes de crédit dans le respect de la déontologie journalistique» (Bladet Tromsø et Stensaas c. Norvège [GC], n o 21980/93, CEDH 1999-III). La nécessité d exercer le droit à la liberté d expression de manière responsable est d autant plus importante en temps de crise. 15 Dans les situations de crise, les journalistes doivent être particulièrement attentifs à ne pas s exprimer d une manière susceptible d être interprétée comme une incitation à la violence, à la haine raciale ou religieuse, ou encore à troubler l ordre public (voir ci-après). Un Etat ne peut toutefois pas se servir d un ou de plusieurs exemples de propos «irresponsables» pour justifier une restriction généralisée du droit à la liberté d expression d un ensemble spécifique de personnes tel qu un groupe politique. De surcroît, l Etat doit montrer clairement, exemples à l appui, en quoi, dans 13. Arrêt Handyside (ci-dessus), par. 49 14. Arrêt Jersild c. Danemark du 23 septembre 1994, série A n o 298, par. 39 15. Arrêt Sürek c. Turquie (n o 1) [GC], requête n 26682/95, CEDH 1999-IV 20