CRI (2000) 27 INSTRUMENTS JURIDIQUES POUR LUTTER CONTRE LE RACISME SUR INTERNET. Rapport préparé par l Institut suisse de droit comparé (Lausanne)



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Transcription:

CRI (2000) 27 INSTRUMENTS JURIDIQUES POUR LUTTER CONTRE LE RACISME SUR INTERNET Rapport préparé par l Institut suisse de droit comparé (Lausanne) Strasbourg, Août 2000

Secrétariat de l'ecri Direction Générale des Droits de l'homme DG II Conseil de l'europe F - 67075 STRASBOURG Cedex Tel.: +33 (0) 3 88 41 29 64 Fax: +33 (0) 3 88 41 39 87 E-mail: combat.racism@coe.int Visitez notre site web : www.ecri.coe.int

INSTRUMENTS JURIDIQUES POUR LUTTER CONTRE LE RACISME SUR INTERNET

PROBLÈME DE LA DIFFUSION DE MESSAGES RACISTES PAR INTERNET : CONCLUSIONS GÉNÉRALES DE L ECRI Les conclusions générales suivantes, qui sont basées sur le rapport sur les mesures juridiques destinées à combattre le racisme sur Internet préparé pour la Commission européenne contre le racisme et l intolérance (ECRI) par l Institut suisse de droit comparé, ont été adoptées par l ECRI lors de sa 22ème réunion plénière (13-16 juin 2000) et sont transmises par celle-ci à la Conférence européenne contre le racisme (Strasbourg, 11-13 octobre 2000) : 1. L Internet est un puissant moyen de lutte contre le racisme et l intolérance à l échelle mondiale. Il offre des moyens sans précédent permettant la communication par-delà les frontières d informations sur les questions de protection des droits de l homme liées à la lutte contre la discrimination. Son utilisation pour établir des réseaux en matière d éducation et de sensibilisation à la lutte contre le racisme et l intolérance est une bonne pratique à soutenir et développer. 2. Mais, à côté de ces aspects positifs, l Internet constitue également un motif d inquiétude, de par le fait qu il est utilisé pour la diffusion de messages racistes, par des groupes et individus poursuivant des buts d incitation à l intolérance ou à la haine raciale ou ethnique. 3. L ECRI a commandité à l Institut suisse de droit comparé (Lausanne) une recherche sur les mesures juridiques destinées à combattre le racisme sur Internet. Cette recherche a démontré que l Internet, qui est un moyen de communication comme un autre, n échappe pas au droit. Ce n est pas tant l absence de normes matérielles adéquates qui est à mettre en cause, mais les obstacles à leur application dûs aux caractéristiques propres d Internet, notamment sa structure polycentrique, son ubiquité et le couvert de l anonymat. 4. Ayant étudié les résultats de la recherche susmentionnée, l ECRI souligne la nécessité de distinguer la fonction du fournisseur d accès de celle du fournisseur d hébergement et d établir clairement la 5

responsabilité de chacun d eux. Le fournisseur d accès devrait être tenu pour responsable des contenus illicites dont il aura eu connaissance mais dont il n aura pas bloqué l accès, et le fournisseur d hébergement devrait faire preuve d une vigilance étendue notamment à l égard des sites qu il héberge anonymement et gratuitement. 5. L ECRI souligne, pour sa part, l importance qui s attache à intégrer la problématique de la lutte contre le racisme, la xénophobie, l antisémitisme et l intolérance dans tous travaux en cours ou futurs sur le plan international tendant à réprimer les contenus illicites sur le réseau Internet. L ECRI rappelle que le principe fondamental du respect de la dignité humaine appelle à lutter contre la diffusion d idées fondées sur la haine raciale ainsi qu à lutter contre l incitation à la haine raciale. 6. L ECRI est consciente que le respect de l équilibre entre la liberté d expression et le droit à la protection contre la discrimination raciale montre de grandes disparités entre les différents Etats. Elle sait aussi que de nombreux sites racistes trouvent refuge aux Etats-Unis d Amérique. L ECRI est d avis qu il conviendrait de dialoguer avec tous les fournisseurs de services, en particulier les fournisseurs américains, en vue de la prise de mesures pour lutter contre les sites racistes. De telles mesures, pouvant être prises sur une base volontaire par les fournisseurs, peuvent comprendre, entre autres, le blocage de sites, le filtrage, ou le refus de l anonymat des auteurs de site. 7. L ECRI est également convaincue que la régulation des acteurs présents sur Internet, notamment les fournisseurs d accès et d hébergement, devrait reposer en grande partie sur l autodiscipline. A cet égard, l ECRI encourage le développement de normes déontologiques auxquelles devraient se soumettre l ensemble des intermédiaires techniques. 8. L ECRI pense que la formation des autorités de poursuite judiciaire par rapport au problème de la diffusion de messages racistes sur Internet est insuffisante dans la plupart des Etats européens et que des efforts soutenus devraient être entrepris en la matière. Un autre problème est celui du manque d efficacité de l entraide judiciaire internationale sur cette question. Il conviendrait de développer la coopération internationale entre les services répressifs et d assurer la fourniture de l entraide judiciaire la plus large possible. 6

9. A cet égard, l ECRI est d avis que la création d un organisme de concertation, qui fonctionnerait comme observatoire permanent, servirait d instance de médiation, et participerait à l élaboration de codes de conduite, serait une avancée positive. 10. L ECRI souligne la nécessité d un effort accru de sensibilisation du grand public au problème de la diffusion de messages racistes par Internet. Un accent particulier devrait être mis sur l éducation du jeune public de la communauté des internautes notamment les enfants pour les rendre conscients qu ils peuvent être confrontés à des sites racistes et aux dangers potentiels qui y sont liés. 11. L ECRI soutient pleinement les initiatives anti-racistes existant sur le réseau Internet et encourage vivement la coopération entre les sites web anti-racistes existant ainsi que le développement à travers tout le réseau de nouveaux sites consacrés à la lutte contre le racisme et l intolérance. 12. L ECRI pense qu une coopération accrue entre les Etats membres du Conseil de l Europe sur la question de la diffusion de messages racistes par Internet et le rapprochement de leurs pratiques nationales en la matière bénéficieraient à l ensemble des efforts entrepris en général pour lutter contre le racisme, la xénophobie, l antisémitisme et l intolérance. Les Etats membres pourraient, à cet égard, donner un message très clair lors de la Conférence européenne contre le racisme d octobre 2000, dans le contexte des préparatifs européens à la Conférence mondiale qui aura lieu en 2001 : le message que la région Europe est déterminée à agir efficacement pour empêcher l utilisation d Internet à des fins racistes et pour développer les formidables potentialités du réseau Internet sur le plan de la communication interculturelle, de la compréhension entre les peuples du monde et de la diffusion d une culture de droits de l homme à l échelle mondiale. 7

SOMMAIRE INTRODUCTION......... 11 Mandat... 11 Champ d'étude... 11 Démarche... 12 Avertissement... 13 I. INTERNET: L'ENVIRONNEMENT TECHNIQUE ET JURIDIQUE... 15 1.1. Les caractéristiques du réseau des réseaux: polycentrisme,ubiquité, clandestinité, fugacité... 15 1.2. Les services offerts... 17 1.3. Les acteurs... 18 1.3.1. Les fournisseurs de contenants... 18 1.3.2. Les fournisseurs de contenus... 19 1.3.3. Les relayeurs d'information... 19 II. QUESTIONS JURIDIQUES SOULEVÉES PAR L'ACTIVITÉ DES ORGANES DE RÉPRESSION ET D'INSTRUCTION... 21 2.1. Compétence : le vaste ressort territorial... 21 2.1.1. Compétence pénale... 21 2.1.2. Compétence civile... 23 2.2. L'existence de Safe Data Harbours (zones-refuges) et, en particulier, la liberté d'expression aux États-Unis... 24 2.2.1. Législation fédérale... 25 2.2.2. Législation des États... 26 2.3. Les fondements juridiques des enquêtes et des saisies... 27 2.4. Obstacles relevant du droit des médias empêchant de tenir quelqu'un pour responsable d'un contenu raciste... 31 2.5. Obstacles liés à la législation relative à la protection des données... 33 2.6. Problèmes liés à la coopération des autorités de police des différents pays... 35 III. LA RESPONSABILITÉ DES DIVERS INTERVENANTS SUR INTERNET... 37 Introduction: La position du problème... 37 3.1. La responsabilité de l auteur... 37 3.1.1. Les limites de la responsabilité pénale: difficultés d identification de l auteur... 37 3.1.2. Responsabilité civile de "l auteur"... 40 3.2. A intervenants différents, responsabilités différenciées... 41 9

3.2.1. La responsabilité des relais... 41 3.2.2. La responsabilité du Fournisseur d hébergement (ci-après FH)... 46 3.2.3. La responsabilité du fournisseur d accès (ci-après FA)... 52 3.3. Les solutions législatives et travaux en cours... 56 3.3.1. La législation... 56 3.3.2. Les travaux en cours... 58 3.3.3. Le cas particulier de l Union européenne et des Etats-Unis... 60 3.4. Les lois sur la presse/responsabilité pénale... 61 IV. LA SITUATION AU REGARD DU DROIT INTERNATIONAL PUBLIC... 67 4.1. Textes énonçant des obligations juridiques... 67 4.2. Pratique des États en ce qui concerne l'article 4 de la CIEDR... 69 4.3. Avis des organes et juristes spécialisés... 70 4.4. Conclusion... 72 V. SOFT LAW............73 5.1. Instruments de soft law... 73 5.1.1. Nétiquette... 73 5.1.2. Codes de conduite - Mécanisme d'autoréglementation... 74 5.1.3. Conditions générales des fournisseurs... 75 5.1.4. Comités d'enregistrement et lignes d'assistance téléphonique gouvernementaux... 76 5.1.5. Instruments de dépistage de contenus illicites : filtrage, classement, labélisation... 76 5.2. Approche européenne... 78 5.2.1. Plan d'action sur l'utilisation plus sûre de l'internet... 78 5.2.2. EuroISPA... 80 5.3. Application des instruments de soft law par les fournisseurs Internet et les ONG... 81 5.3.1. Autriche... 81 5.3.2. Pays-Bas... 81 5.3.3. Allemagne... 82 5.3.4. France... 83 5.3.5. Belgique... 86 5.3.6. Royaume-Uni... 87 5.3.7. Italie... 88 5.4. Application des instruments de soft law par les organes de l'état... 89 5.4.1. Suisse... 89 5.4.2. Suède... 90 VI. CONCLUSION...... 91 10

INTRODUCTION Mandat Le 19 août 1999, le Conseil de l'europe a formellement confié à l'institut suisse de droit comparé, à Lausanne, le mandat de rédiger un rapport sur les mesures juridiques, en particulier de nature pénale, destinées à combattre le racisme sur Internet. Cette étude doit se fonder sur la situation dans une dizaine de pays membres du Conseil de l'europe, à savoir l'allemagne, l'autriche, la Belgique, l'estonie, la France, l'italie, la Norvège, la Pologne, la République Tchèque, la Russie, la Suède et la Suisse. Les termes du mandat ont été définis lors d'une rencontre entre le directeur adjoint de l'institut et la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance (ECRI), le 15 juin 1999, à Strasbourg. La participation d'une représentante de l'institut à une réunion de la sous-commission Internet de l'ecri, le 5 novembre, à Paris, a permis de faire le point sur l'avancement des travaux et d'affiner l'objet des recherches. Le 31 mars 2000, soit dans le délai convenu, l'institut a remis le présent rapport à l'ecri en version bilingue, pour partie en français, pour partie en anglais. Champ d'étude Notre première remarque à cet égard concerne la limitation du mandat au droit pénal; elle se justifie par le fait que cette branche du droit est l'instrument privilégié de la lutte contre le discours haineux. Cela dit, nous avons jugé utile de faire, ici ou là, un détour par le droit civil ou encore le droit administratif, dans la mesure où ils offrent quelquefois des moyens efficaces, sous l'angle de la rapidité notamment, pour obtenir que l'accès à des sites racistes soit bloqué, voire même que ces sites soient purement et simplement supprimés. On notera ensuite que la présente étude se concentre sur les mesures juridiques destinées à combattre le racisme sur Internet. Le terme juridique doit toutefois être entendu dans un sens large, ne se limitant pas au seul droit positif constitué par les normes légales et la jurisprudence. Dans un domaine aussi mouvant et instable que le droit de l'internet (cf. notre avertissement ci-dessous), la plupart des pays couverts par notre étude ont combiné l'approche normative classique et les mesures ressortissant à la soft law. Bien que cela ne soit pas expressément prévu par le mandat, l'institut a estimé qu'il ne pouvait ignorer ces instruments plus souples que sont les codes de conduite, les prescriptions déontologiques, les recommandations ou encore les hotlines; et ce, en raison, si ce n'est de leur efficacité, du moins de leur importance stratégique. S'agissant de l'approche classique, nous soulignerons d'emblée que les normes visant spécifiquement le racisme sur Internet - ou même plus généralement les abus de la liberté d'expression sur le réseau des réseaux - font quasiment défaut. Certes, les propositions de solutions ne manquent pas, qu'elles émanent de la doctrine ou des autorités; pour éviter la dispersion et la confusion - tant ces propositions sont souvent 11

divergentes et contradictoires -, nous n'avons, par principe, porté notre attention que sur les projets qui sont en voie de consécration; autrement dit ceux qui sont en discussion devant le Parlement. On relèvera en outre que la jurisprudence topique est elle aussi encore rare; qui plus est, sa précarité est grande, car à ce jour on ne dispose, à quelques exceptions près, que d'arrêts d'instances inférieures. Pour remédier à ce manque, notre étude prend en compte la jurisprudence concernant d'autres cas d'expressions illicites sur Internet, pornographie et atteintes au droit d'auteur notamment. La grande similarité de la problématique, à commencer par la délicate question de la responsabilité "subsidiaire" des opérateurs techniques (fournisseurs d'accès et fournisseurs d'hébergement), autorise, voire même impose, pareille extension du champ d'investigation. Cette extension du champ matériel de notre étude compense-t-elle un rétrécissement de son champ géographique? Le lecteur constatera que le présent rapport ne s'attarde guère sur la situation dans les quatre pays de l'europe centrale et orientale envisagés par notre mandat (Estonie, Pologne, République Tchèque et Russie). Ce relatif silence n'est la conséquence ni d'un oubli de notre part ni de l'absence de messages racistes sur les réseaux de ces pays. De fait, nous avons multiplié les contacts avec les milieux concernés par le racisme sur Internet dans ces pays (autorités de poursuite, fournisseurs d'accès et organisations de défense des droits de l'homme). En vain. Aucune prescription spécifique en la matière n'a été rapportée, qu'elle soit de nature normative classique ou de soft law 1 ; quant à la jurisprudence topique, elle serait inexistante. A cela une explication: un développement encore très embryonnaire du réseau des réseaux; dans ces pays Internet est encore l'apanage d'une élite académique. Enfin, notre étude abordera également la situation au niveau de l'union européenne. Non que cette organisation supranationale soit en train d'attaquer de front la problématique du racisme sur Internet; loin de là. Reste que la directive sur le commerce électronique, qui est en passe d'être adoptée, posera certains standards en matière de responsabilité des intermédiaires techniques, standards qui s'imposeront aux pays membres et qui ne seront pas sans effet sur la lutte contre la circulation des contenus illicites, notamment racistes. Démarche Nous avons pris le parti de ne pas présenter une compilation de rapports par pays, compilation qui aurait finalement égaré le lecteur dans la jungle des spécificités nationales, avant tout institutionnelles et procédurales. Aussi avons-nous opté pour une démarche horizontale, mieux à même de mettre en regard problèmes et tentatives de solutions. C'est ainsi que nous commençons par exposer les différentes difficultés, techniques et juridiques, liées à la recherche des auteurs de délits d'expression raciste. Nous passons ensuite à l'examen des possibilités de responsabiliser d'autres acteurs que les 1 Il est vrai que les principaux fournisseurs d'accès, qui sont des filiales d'entreprises étrangères comme IBM, AT&T en Croatie ou FREEnet en Russie, se réfèrent aux codes de conduites des maisons mères, le plus souvent américaines. 12

auteurs, par des mesures juridiques classiques d'abord, par des mesures de soft law ensuite. Après un bref détour par les instruments de droit international éventuellement pertinents, notre étude se termine par une synthèse de la problématique et surtout par un bref catalogue des instruments que nous jugeons opportuns ou au contraire inopportuns. A chaque fois, nos considérations d'ordre général sont précisées par des fenêtres présentant des développements significatifs dans l'un ou l'autre des pays étudiés. Avant d'entrer dans le vif du sujet, quelques données d'ordre technique sont cependant nécessaires; en particulier, il importe de préciser le rôle joué par les différents acteurs qui interviennent dans le processus de diffusion des communications sur Internet; de même, il n'est pas inutile de rappeler les différents services offerts par Internet. Ces différences entraînent en effet des nuances et des distinctions dans le régime juridique applicable. Enfin, nous nous devons de signaler que la présente étude ne passe pas en revue les diverses normes pénales des pays concernés, destinées à combattre le racisme en général. Ces informations sont en effet disponibles dans un précédent rapport de l'institut, également commandité par le Conseil de l'europe. Intitulé Mesures juridiques existantes dans les Etats membres du Conseil de l'europe en vue de combattre le racisme et l'intolérance, ce rapport a été publiée en 1998 par l'ecri et est également disponible sur Internet 2. Avertissement Il nous importe de balayer d'entrée de cause le mythe d'un Internet sans foi ni loi; ce mythe du vide juridique, entretenu par certains politiciens alarmistes, amplifié par la presse et exacerbé par quelques déclarations d'indépendance inconsidérées d'internautes avides de liberté absolue, ne résiste pas à l'examen. Moyen de communication comme un autre, Internet n'échappe pas au droit. En règle générale, les normes régissant le droit de la communication sont libellées de façon techniquement neutre, prenant en compte toute diffusion quel que soit le support; conséquence, elles sont pleinement applicables aux messages diffusés sur Internet. La problématique relève donc moins d'une absence de normes matérielles adéquates que, comme nous le verrons, d'obstacles érigés à leur application par ces caractéristiques propres au réseau des réseaux que sont notamment sa structure polycentrique, son ubiquité et le couvert de l'anonymat. Ceci est d'autant plus vrai que, pour en revenir à l'expression raciste, notre précédent rapport a montré que tous les pays européens se sont dotés d'un arsenal législatif, plus ou moins efficace, réprimant le discours haineux. Ce standard minimum est d'ailleurs imposé par la convention des Nations Unies pour l'élimination de toutes formes de discrimination raciale dont l'article 4 exige l'adoption, entre autres, d'une norme sanctionnant la propagation, au-delà d'un cercle strictement privé, de la haine raciale. Rédigées en termes généraux, ces normes pénales sont sans autres applicables au discours haineux diffusé par le biais d'internet. 2 http://www.ecri.coe.int/fr/03/03/f03030001.htm 13

Il y a toutefois une exception au standard commun; elle concerne la négationnisme, par quoi il faut entendre la remise en cause de l'existence d'un génocide. Outre la France qui incrimine la "contestation de crimes contre l'humanité" 3, seules la Suisse, l'allemagne, la Belgique et l'autriche répriment ce délit; et encore, dans ces trois derniers pays, l'incrimination est limitée à la négation des génocides commis par les nazis. Cette différence d'approche mérite d'être relevée, car les sites révisionnistes fleurissent sur Internet. Reste enfin à attirer l'attention du lecteur sur un dernier point d'importance: le caractère fluctuant ou plutôt éphémère de la présente étude. La technologie évolue à grande vitesse - qui, au début des années nonante, aurait pu prédire le développement fulgurant d'internet? -, et le droit de la communication, même s'il peine à suivre le rythme, évolue lui aussi très rapidement. Les problèmes dont nous faisons état ne le seront peut-être plus dans quelques années, voire dans quelques mois; tout aussi volatiles sont d'ailleurs les solutions préconisées. Dans cette perspective, il importe enfin de relever que les liens que nous faisons vers divers sites www indiqués en note de bas de page sont à jour au 20 mars 2000. 3 Art. 24 bis de la loi du 29 juillet 1881, modifiée par la loi du 13 juillet 1990. 14

I. INTERNET: L'ENVIRONNEMENT TECHNIQUE ETJURIDIQUE Il convient de rappeler quelques données d'ordre factuel, notamment technique, sans quoi il n'est pas aisé de comprendre pourquoi la lutte contre les contenus illicites, et plus particulièrement racistes, sur Internet, pose aux juristes des difficultés nouvelles. Des difficultés qui n'ont pas toujours été maîtrisées par le législateur et surtout la jurisprudence, souvent peu à même de distinguer exactement les diverses facettes de la communication sur Internet et leurs implications. Ici on a parlé d'internet comme d'un logiciel, là on a confondu fournisseurs d'accès et fournisseurs d'hébergement, ailleurs des juges ont renoncé à se prononcer. Pareilles hésitations ou erreurs d'appréciation sont aujourd'hui en voie de disparition, grâce surtout à une meilleure formation des autorités compétentes. Il n'en reste pas moins que la terminologie n'est pas encore uniforme et que le risque de confusion, notamment d'une langue à l'autre, subsiste. 1.1. Les caractéristiques du réseau des réseaux: polycentrisme, ubiquité, clandestinité, fugacité. Polycentrisme: On relèvera tout d'abord qu'internet n'est pas un réseau centralisé, mais un réseau distribué, c'est-à-dire une collection de réseaux divers et variés (académiques, commerciaux, régionaux, etc.) reliés entre eux par des passerelles; les appareils connectés à l'un ou l'autre de ces multiples réseaux peuvent communiquer entre eux grâce à l'utilisation de langages techniques communs (protocoles). Cette absence de centralisation a une conséquence importante: il est impossible d'intervenir en agissant simplement sur une quelconque tête du réseau, laquelle répercuterait les injonctions à des entités hiérarchiquement subordonnées et ainsi de suite jusqu'au dernier niveau. Concrètement parlant, une injonction adressée à un fournisseur d'accès déterminé de couper l'accès à un site raciste n'empêchera l'accès au dit site qu'aux seuls internautes reliés à Internet par le biais du fournisseur d'accès mis en demeure. Si l'on veut viser l'ensemble du réseau des réseaux, il faut s'en prendre directement à l'entreprise dont le serveur héberge les propos litigieux (il peut y en avoir plusieurs en cas de sites miroirs, par quoi il faut entendre des sites hébergés ailleurs qui répliquent le contenu du site originel) 4. Ubiquité: réseau des réseaux, Internet a une dimension globale. Les communications qu'il véhicule sont en principe accessibles depuis n'importe quel point de la planète connecté au réseau des réseaux. En pratique, un message raciste diffusé sur Internet est donc potentiellement visible de partout, peu importe la localisation du serveur qui l'héberge et le diffuse. Reste que certains services sont réservés à des personnes légitimées (mot de passe) ou accessibles uniquement contre péage. De même, certains réseaux 4 Remarque: contrairement à ce que le grand public croit volontiers, l'internet Society (http://www.isoc.org/isoc/)est nullement un organe dirigeant du réseau des réseaux (on ne le répétera jamais assez, il n'y en pas), mais un groupement international d'internautes tendant à promouvoir le développement d'internet dans le sens du partage du savoir et de la libre communication à l'échelon planétaire. 15

fermés, désignés sous le nom d'intranet, ont un caractère strictement local; utilisant les techniques qui ont fait le succès d'internet (notamment les hyperliens), ils ne desservent que les destinataires déterminés d'une entité précise (entreprise, université p. ex.); le grand public des internautes ne peut y accéder, faute d'interconnexion; cela dit, qu'il soit diffusé sur Internet ou sur Intranet, un message raciste demeure répréhensible, car diffusé hors d'un cercle strictement privé (sauf le cas plutôt théorique d'un Intranet limité au cercle restreint de proches). Clandestinité: pour différentes raisons la surveillance du réseau des réseaux s'avère très difficile. D'abord, il est possible de communiquer anonymement sur Internet: de nombreux sites offrent la possibilité aux internautes de se procurer des logiciels permettant d'expédier des messages ou d'en consulter en toute confidentialité; soit ils éliminent toute trace des connexions, soit ils dissimulent l'identité de l'ordinateur utilisé 5. En effet, il convient de noter que toutes les machines reliées au réseau sont identifiables, la connexion présupposant l'attribution à la machine concernée d'une adresse Internet individuelle (appelée adresse IP et constituée d'une série de chiffres). La situation est donc semblable à celle que l'on connaît en matière de circulation routière: chaque véhicule est muni d'une plaque minéralogique individuelle, son conducteur en revanche n'est pas en soi identifiable. Le caractère clandestin d'internet est renforcé par le fait que certains contenus illicites sont diffusés sous forme cryptée. Autrement dit, le contenu d'un message n'est compréhensible que pour ceux qui détiennent la clef de déchiffrement (cette dernière n'est pas toujours identique à la clef de chiffrement). Cela dit, les restrictions au droit de chiffrer que connaissent quelques rares pays (France notamment), de même que les restrictions, plus répandues celles-là, à l'exportation des logiciels de cryptage (Etats-Unis notamment), sont des entraves certaines à la possibilités de faire circuler des messages à contenus illicites. Enfin, on observera que la surveillance des communications est aussi rendue plus difficile par le fait que, ainsi le veut la technique de diffusion, les données qui composent un seul et même message, ne circulent pas nécessairement ensemble; les informations sont divisées en plusieurs paquets, lesquels empruntent souvent des itinéraires différents. En conséquence, l'interception, notamment judiciaire, des communications illicites est rendue plus difficile. Fugacité: les données - que ce soit un bref message ou de volumineux fichiers - circulent très vite sur Internet. En quelques secondes, des messages racistes contraints de disparaître d'un serveur donné peuvent réapparaître sur un autre serveur, situé de l'autre côté de la planète. Pareille délocalisation ne change pratiquement rien pour l'internaute: vu l'ubiquité d'internet, il y accède comme auparavant, sitôt la nouvelle adresse d'accès connue. 5 Voir par exemple http://www.anonymizer.com/3.0/index.shtml. Ces sites n'ont pas en soi pour but de promouvoir la criminalité sur Internet, mais d'empêcher la collection d'informations personnelles, et la constitution de profils de la personnalité sur les internautes, à des fins notamment commerciales. 16

1.2. Les services offerts Il est important d'avoir à l'esprit qu'internet n'est rien d'autre qu'une technique qui permet l'interopérabilité de réseaux distincts. Sur ces réseaux circulent différentes formes de services qui peuvent relever du régime juridique de la communication individuelle à celui de la presse ou encore à celui de la radiodiffusion. Les services suivants sont cependant les plus courants et les plus spécifiques: Messagerie électronique: plus connus sous le nom anglais de e-mail, ce service est comparable au courrier postal classique. Réservé à la communication point à point, soit d'un expéditeur déterminé à un (quelque fois plusieurs) destinataire déterminé, il est soumis au secret des télécommunications. Son caractère privé a pour conséquence que les messages racistes qu'il pourrait véhiculer sont en principe licite, l'incrimination de la propagande raciale ou du discours haineux étant, dans les pays étudiés, conditionnée à une diffusion publique; le courrier électronique peut toutefois véhiculer des lettres circulaires à un grand nombre de destinataires, lettres qui n'ont dès lors plus le caractère de communication privée exemptée de poursuites judiciaires. Kiosques électroniques: ces services permettent d'échanger toutes sortes de contributions (remarques ponctuelles, articles, images, etc.) sur un thème donné. Ces services de "multilogue", désignés par les termes de news, de mailboxes, de forums de discussions ou encore de listes de discussion, peuvent être dirigés (en anglais moderated) par un "responsable" ou libre, ouvert aux seuls participants agréés ou tout public. En principe, les contributions sont éliminées passé un certain délai (calculé en jours, semaines ou mois, c'est selon); certains services offrent des archives qui permettent de consulter les contributions périmées. Les "chats" sont semblables aux forums de discussions, à cela près que la conversation se déroule en direct, sur inscription et par le biais de surnoms servant d'identifiant. Sites www: ces sites sont des réservoirs d'informations allant de quelques paragraphes à des dizaines de pages contenant du texte, des graphiques, des images ou encore du son. Reliés entre eux par des liens hypertextes qui permettent de basculer automatiquement d'un site à l'autre, ils sont les constituants premiers de la grande toile qu'est Internet. Il importe ainsi de relever que, s'agissant des sites racistes, ceux disposent tous de catalogues de liens vers des sites du même acabit, catalogues qui permettent de naviguer aisément dans l'univers de l'expression haineuse. Il importe de souligner que: ces services sont de plus en plus combinés. Un site www peut offrir un forum de discussion qui permet de prolonger la discussion des thèmes abordés par le site et un service de messagerie qui offre la possibilité de contacter directement les responsables du contenu site 6. Cette convergence est 6 Voir par exemple le célèbre site raciste www.stormfront.org qui offre toute sorte de textes racistes, des forums de discussions modérés et non modérés, un service de chats, la possibilité d'entrer en contact avec les éditeurs (comments@stormfront.org) et enfin des liens hypertextes vers une foule de sites www du même acabit. 17

accentuée par le fait que certains sites offrent en outre des produits dont le caractère multi-médiatique les rend très proches d'un service de radiodiffusion classique. juridiquement parlant, la création d'un site www, d'un forum de discussion, d'une liste de discussion ou encore d'un chat, de même que la participation à ces divers services ne sont soumis à aucune formalité, ni contrôle particuliers; de telles mesures administratives seraient d'ailleurs guère compatibles avec la liberté d'expression. On notera que cependant que le droit français soumet la création d'un site www à une obligation de déclaration (déclaration de service audio-visuel). 1.3. Les acteurs Il y a d'abord lieu de distinguer entre les fournisseurs de contenants et les fournisseurs de contenus. Les premiers mettent à disposition l'infrastructure qui permet de communiquer sur le réseau des réseaux; ils n'ont aucune emprise sur le contenu des divers messages qu'ils véhiculent. Les seconds ont une influence directe sur le contenu des messages, soit qu'ils en sont l'auteur ou l'éditeur, soit qu'ils ont participé à leur conception formelle. Entre ces deux pôles, il y a encore une troisième catégorie, dont les contours sont plus flous, qui regroupe des acteurs qui, à des titres divers, fonctionnent comme relais de contenus. Quoi qu'il en soit, il importe de souligner que cette typologie a un caractère schématique. D'abord, elle n'est pas uniformément acceptée; dans certains pays, les acteurs sont désignés de manière différente, avec des risques de confusion terminologique à la clef. Ensuite, et surtout, toujours plus nombreux sont les opérateurs qui cumulent les rôles, fournissant à la fois les infrastructures, l'accès, l'hébergement et des services d'informations. 1.3.1. Les fournisseurs de contenants L opérateur de télécommunications: son rôle se borne à mettre en place le réseau de télécommunications terrestre ou hertzien nécessaire, et à assurer le transport des données sur ce réseau, lequel peut être un réseau téléphonique classique, un réseau intégré à large bande ou encore un réseau de distribution de programmes de radiodiffusion par câble. Cette activité économique est soumise dans les pays étudiés à autorisation administrative pour des raisons qui tiennent à la fois à la rareté des canaux de diffusion et au caractère plus ou marqué de service public des prestations fournies. Simple convoyeur de millions de messages par jour, l'opérateur de télécommunications n'assume en principe aucune responsabilisé en cas de diffusion illicite. De ce fait, il n'en sera plus question. Le fournisseur d accès (access provider): c'est un personnage clef de la communication sur Internet. Il assure en effet l'indispensable connexion des internautes au réseau des réseaux; et ce sur la base d'un contrat, lequel est le plus souvent doublé de conditions générales. Cette activité économique n'est pas soumise à autorisation administrative; il s'en suit qu'il n'est pas possible d'exercer une surveillance de principe sur la manière dont le fournisseur 18

d'accès accomplit ses tâches, notamment sur la nature des sites auquel il donne accès. Le fournisseur d hébergement (host): il met à la disposition d'un fournisseur de contenu un service de stockage et de gestion de données (espace de disque dur, capacité de traitement machine et de bande passante) permettant de rendre ces dernières accessibles, notamment par le biais d'un site www propre. Il peut également s'engager à fournir une assistance technique ou des informations sur le nombre de connexions ou de téléchargement. Les relations entre le fournisseur d'hébergement et l'abonné sont d'ordre contractuel; là aussi des conditions générales viennent en règle générale compléter les clauses contractuelles. Il arrive aussi que le fournisseur d'hébergement participe directement à la conception du site en assurant sa "mise en page" (conception graphique, création des frames, etc.). 1.3.2. Les fournisseurs de contenus Outre l'auteur des propos ou des images, qui demeure sans conteste l acteur principal cette catégorie réunit: Le fournisseur de valeur ajoutée: d'une manière générale, il offre des prestations ou des informations sur Internet (bases de données, jeux, bulletins de nouvelles, publicité, etc.) 7. L internaute: c'est la personne qui navigue; à première vue, il s'agit essentiellement d'un consommateur de contenus, mais, dans certains cas (forums de discussions notamment), elle fournit aussi des informations. 1.3.3. Les relayeurs d'information Cette catégorie regroupe divers acteurs qui sans être en emprise directe sur le contenu des messages n'en joue pas moins indirectement un rôle important dans le repérage de l'information, dans sa mise à jour et dans sa sélection, telles les personnes qui gèrent des archives online, qui "monitorent" des forums de discussions ou encore qui établissent des liens hypertextes vers d'autres sources d'informations. En principe, de par leur activité d'aiguillage, ces personnes sont au courant des informations qu'elles pointent. Toutefois, il peut arriver que l'information mise en évidence soit modifiée à leur insu (le lien hypertexte demeure, mais le contenu du site a changé). 7 La terminologie anglo-saxonne a tendance à regrouper le fournisseur d'hébergement et le fournisseur de valeur ajoutée sous l'appellation générique de service provider. 19

II. QUESTIONS JURIDIQUES SOULEVÉES LORS DES ENQUETES MENEES PAR LES ORGANES DE RÉPRESSION ET D'INSTRUCTION De par la fugacité et l'ubiquité de son contenu (voir première partie), l'internet pose des problèmes importants aux organes de répression. L'Internet n'est pas un vide juridique et les responsabilités des participants sont définies ou définissables (on se reportera à la partie III ci-après), mais les instruments classiques de l'action répressive servant à établir cette responsabilité, à savoir le repérage des participants et la production d'éléments prouvant une infraction pénale, ne sont pas nécessairement adaptés aux caractéristiques techniques spécifiques de l'internet. Nous nous proposons ici d'analyser l'étendue de la compétence des organes nationaux de répression, les procédures qu'ils doivent suivre en matière d'enquête et les limites qu'imposent à leur pouvoir d'enquête les droits fondamentaux de l'individu (protection des données) et d'autres garanties constitutionnelles. Les problèmes internes mis à part, l'absence de coopération internationale dans ce domaine et le fait que certains pays sont devenus des havres pour le discours haineux, en accordant une protection très étendue à la liberté d'expression, constituent de sérieux obstacles pour le travail des organes de répression. 2.1. Compétence : le vaste ressort territorial L'Internet représente un moyen de communication qui permet aux utilisateurs d'avoir accès à l'information venue de tous les coins du monde. La question se pose de savoir dans quelle mesure la compétence des autorités nationales d'un pays donné s'étend à un contenu dont la provenance est extérieure au territoire national. 2.1.1. Compétence pénale Au pénal, la plupart des pays appliquent le principe de la compétence territoriale, en vertu duquel la compétence des organes répressifs nationaux est limitée aux infractions commises sur le territoire national. Dans la plupart des pays, le lieu où une infraction pénale a été commise est défini de deux façons : il s'agit soit du lieu où l'acte illicite a été commis, soit du lieu où les effets de l'acte illicite se sont fait sentir. Vu la dernière partie de la définition, la plupart des pays ont théoriquement compétence pour tout contenu illicite circulant sur l'internet dès l'instant où ce contenu est accessible depuis leur territoire 8. Allemagne En vertu du 9 du Code pénal allemand (Strafgesetzbuch, ci-après désigné StGB), le lieu de commission de l infraction est défini soit comme le lieu où le malfaiteur a agi, soit comme le lieu où les conséquences de son acte se sont matérialisées ou étaient censées se matérialiser. 8 Voir aussi le Rapport du Conseil d Etat, Internet et les réseaux numériques, 1998, p. 167, http://www.internet.gouv.fr/francais/textesref/rapce98/accueil.htm. 21

France Selon le Code pénal, la loi française est applicable aux infractions commises sur le territoire de la République. L infraction est réputée commise sur le territoire dès qu'au moins un de ses éléments constitutifs a lieu dans l espace maritime, terrestre ou aérien de la République Française (article 113-2). Italie L article 6 du code pénal énonce le principe de l application territoriale de la loi pénale: toute personne qui a commis un délit dans le territoire italien est punissable selon la loi italienne. L article 6 al. 2 précise qu une infraction doit être considérée commise en Italie lorsque l action ou l omission y a eu lieu, en tout ou en partie, ou lorsque l événement qui en est la conséquence s y est produit (ubiquité). Ces exemples montrent que les dispositions nationales applicables à la compétence territoriale confèrent aux États une compétence juridictionnelle très étendue. Le Conseil d Etat français a décrit la situation comme suit : "Il résulte de ces dispositions que la loi pénale française s appliquera clairement dans le cas d un message litigieux disponible sur le réseau Internet, quelle que soit sa source dans le monde... Un tel mécanisme aboutit en réalité à dissocier le lieu de la réalisation matérielle de l infraction de celui où elle produit ses effets, et donne au juge national une compétence très large." 9 Certains États considèrent que cette compétence très large pose des problèmes dans la mesure où elle oblige toute personne publiant des informations sur l'internet de se reporter à toutes les ordonnances de justices rendues dans le monde pour s'assurer que la publication en question ne constituerait pas une infraction pénale. Pour cette raison et étant donné que cette insécurité juridique pourrait créer des obstacles au développement économique dans le domaine des services Internet, on s'est employé, s'agissant de certains domaines, d'apporter des restrictions aux principes régissant la compétence pénale lorsque ces derniers sont appliqués à l'internet. Allemagne Les commentateurs juridiques proposent de limiter la compétence pénale au titre de l'internet aux actes au moyen desquels l'auteur entend atteindre un public allemand 10. Seuls les contenus adaptés à un public allemand devraient relever de la juridiction allemande. Union européenne Le projet de directive sur le commerce électronique 11 limite concrètement la juridiction au pays d'origine du fournisseur de services (article 3 de la Directive). Le fournisseur de services ne peut être tenu responsable qu'en vertu des dispositions juridiques en vigueur au lieu d'exercice de son activité 12. Cependant, à titre de dérogation, les États membres peuvent prendre des 9 Rapport du Conseil d Etat, supra n. 8, p. 167. 10 Voir Collardin, Straftaten im Internet, Computer und Recht 1995, p. 618 (621). 11 Consultable à l'adresse suivante: http://www.ispo.cec.be/ecommerce/legal/legal.html. 12 Des détails dans : Spindler, Multimedia und Recht 1999, 199, 206. 22

mesures en vue de combattre l'incitation à la haine fondée sur la race, le sexe, la religion ou la nationalité (Article 22, par. 2 de la Directive). 2.1.2. Compétence civile Sur Internet, en matière civile, la compétence est nettement moins explicite qu en matière pénale. Dans le cadre de la lutte contre le racisme sur l'internet, les règles de droit civil sont applicables lorsque l'auteur d'un contenu illicite peut être tenu responsable en vertu de la législation sur les délits civils : il est donc soit civilement responsable (tenu de verser des dommages-intérêts) (par exemple en Italie; se reporter à la Partie III), soit le destinataire d'une injonction de cesser et de s'abstenir. Lorsque le fournisseur d'accès ou d'hébergement ne peut être incriminé au pénal, une injonction de cesser et de s'abstenir de droit civil prise pour supprimer l'accès à un site Internet à contenu raciste peut être une autre solution efficace pour mettre fin à la distribution du contenu raciste en question. Comme dans les affaires pénales, on peut s'interroger sur l'étendue de la compétence des juridictions nationales lorsque l'auteur et/ou le fournisseur d'hébergement Internet du contenu raciste opèrent dans un pays étranger 13. Italie Dans la seule décision italienne 14 qui aborde la question de la compétence internationale d un tribunal italien pour un acte illicite commis sur Internet, le président du tribunal a admis la demande en cessation d atteinte concernant des information diffamatoires publiées sur un site Internet "ouvert" même si le serveur est situé aux Etats-Unis. L argument du défendeur selon lequel le tribunal italien n était pas compétent a été rejeté pour le motif que le tribunal est compétent pour juger une activité complexe de diffusion d informations portant atteinte à des tiers, car ces informations, en vertu de leur insertion sur le site web, sont immédiatement accessibles dans tous les pays reliés à Internet. Dès lors, le fait que le site web concerné ait été ouvert à l étranger et que les informations aient été chargées à l étranger ne permet pas d exclure la compétence des tribunaux italiens. Une fois que le tribunal compétent est saisi, une question plus complexe se pose, qui est celle de savoir quelle loi un juge doit appliquer pour se prononcer sur la licéité du contenu d'un serveur situé à l'étranger. La diversité des règles applicables en la matière engendre le risque qu'un jugement national ne soit pas nécessairement exécuté dans le pays étranger où se trouve le serveur stockant le contenu illicite. L'harmonisation des règles applicables atténuerait ce risque. 13 En vertu de la Convention de Bruxelles de 1968 et de la Convention de Lugano de 1988, auxquelles la plupart des États européens sont parties, la victime peut choisir un tribunal siégeant soit dans le pays où le défendeur à son domicile, soit dans le pays où le préjudice a été causé, soit encore dans le pays où le préjudice a eu lieu. Bien entendu, les conventions ne sont applicables que lorsque le défendeur a élu domicile dans l'un des États parties à celles-ci. 14 Ordonnance du Président du Tribunal de Teramo du 11 décembre 1997 (affaire civile, action en cessation d atteinte, cas de diffamation) in: Diritto dell informazione e dell informatica 1998, p. 370. 23

2.2. L'existence de Safe Data Harbours (zones-refuges) et, en particulier, la liberté d'expression aux États-Unis Si, en principe, les États sont compétents pour poursuivre des crimes en rapport avec l'internet commis où que ce soit dans le monde, ils ne parviendront pas à incriminer la personne ayant publié le contenu illicite si la publication en question a été postée sur le réseau dans un pays où un contenu de ce genre est protégé par la loi. S'agissant des contenus racistes, du fait de la conception très large de la liberté d'expression qui y a cours, les États-Unis d'amérique sont devenus un Safe Data Harbours (zones-refuges) où il est très difficile de poursuivre les auteurs de contenus racistes ou de faire exécuter une décision de justice rendue dans ce domaine par quelque juridiction étrangère que ce soit. Le fait que la majorité des sites racistes se trouvent aux États-Unis rend nécessaire d'expliquer en détail la notion de liberté d'expression aux États-Unis. Les États-Unis ont bien cherché à appliquer une politique de lutte contre les comportements motivés par la haine 15, mais le combat contre le discours haineux posté sur l'internet se heurte à certains obstacles spécifiques. Dans le système juridique américain, ces communications sont classées parmi les autres opinions exprimées; or, la protection spéciale que le Premier Amendement à la Constitution fédérale des États-Unis accorde à la liberté d'expression 16 rend très difficile de réglementer le contenu de ces communications. Il s'ensuit qu'en dépit de nombreuses tentatives faites dans ce sens, il n'existe actuellement aucune loi fédérale générale prohibant le racisme sur l'internet. L'importance accordée à la liberté d'expression plonge ses racines dans l'histoire. Les fondateurs des États-Unis sont venus en Amérique pour éviter la persécution que leur valaient - souvent de la part de leurs propres gouvernements - leurs idées politiques ou religieuses. En instituant un nouveau système de conduite des affaires publiques, ils entendaient garantir la liberté individuelle et mettre en place des moyens de contrôler strictement l'exercice de l'autorité. La censure en particulier des idées pouvant être impopulaires était totalement incompatible avec une démocratie véritable et devait donc être éliminée à n'importe quel prix. Encore aujourd'hui, la liberté d'expression est considérée aux États-Unis comme le plus fondamental des droits. À l'appui de cette conception, on cite le plus souvent le principe selon lequel seul le débat public permet à la vérité de se manifester. Or, pareil débat n'est possible que si toutes les idées, aussi hostiles soient-elles, peuvent être exprimées à l'abri de toute censure. Ce débat public - en particulier la possibilité d'être informé sur le gouvernement et les opinions exprimées par la majorité et de les critiquer - est un préalable indispensable à l'exercice de l'autonomie par tous les citoyens. Le spectre de sanctions juridiques imposées contre tel ou tel type d'opinion exprimée pourrait avoir un "effet paralysant" sur l'expression légitime : un individu pourrait renoncer à exprimer une opinion par crainte d'être sanctionné, privant ainsi le public de son point de vue. 15 Heather De Santis, Combatting Hate on the Internet: An International Comparative Review of Policy Approaches, Direction générale de la recherche et de l'analyse stratégiques SRA-350, Ministère du patrimoine canadien, 1998, p.31. 16 Le Congrès n'adoptera aucune loi concernant un établissement religieux, ou prohibant le libre exercice de la religion; ou limitant la liberté de parole, ou de la presse; ou le droit de réunion pacifique et celui de demander au gouvernement de redresser un grief." (c'est nous qui ajoutons les italiques). Premier Amendement à la Constitution des États-Unis. 24

Afin de protéger les droits de l'individu contre toute entrave gouvernementale, le système juridique américain fait obligation aux juges de vérifier la constitutionnalité de toute loi susceptible d'être invoquée pour poursuivre une personne accusée. Pour pouvoir réglementer un domaine quelconque, le gouvernement doit non seulement faire rédiger et appliquer les textes de loi pertinents, mais en faire contrôler la constitutionnalité avant qu'ils ne puissent être appliqués. En particulier, une loi introduisant une restriction quelconque à la liberté d'expression doit faire l'objet d'un examen judiciaire très rigoureux. La restriction doit être définie avec clarté, justifiée par un intérêt impérieux du gouvernement et limitée à ce qui est strictement nécessaire 17 pour atteindre l'objectif fixé. Les restrictions fondées sur le contenu ou l'objet de l'opinion exprimée pourraient permettre au gouvernement de s'opposer dans les faits à l'expression de certaines idées et, en tant que telles, sont entachées d'une présomption d'inconstitutionnalité. 2.2.1. Législation fédérale Ce n'est que dans le cas de contenus obscènes que les tribunaux ont généralement considéré que la réglementation par les pouvoirs publics primait sur la liberté d'expression 18. Cette position adoptée par les tribunaux et les fortes pressions politiques en faveur de la protection des enfants contre la pornographie en ligne peuvent expliquer pourquoi les seuls textes de loi s'efforçant de réglementer le contenu des communications Internet à avoir été adoptés à ce jour au niveau fédéral n'aient pas visé les communications racistes, mais les communications contraires aux bonnes mœurs. La première de ces tentatives a été le Communications Decency Act de 1996 19 (CDA), qui instituait des sanctions tant civiles que pénales dans le cas de l'utilisation d'un service informatique interactif pour transmettre, envoyer ou afficher en connaissance de cause certains contenus à caractère sexuel ou scatologique à l'intention de mineurs. La Cour suprême des États-Unis a jugé inconstitutionnelles des dispositions importantes du CDA 20 applicables à des contenus "contraires aux bonnes mœurs" ou "manifestement offensants" au motif qu'il ne s'agissait pas du moyen le plus restrictif d'atteindre les objectifs du gouvernement. D'autres dispositions, en particulier celles qui offrent aux fournisseurs de services certains moyens de défense pour éviter d'être déclarés juridiquement responsables et celles qui prohibent la communication de messages électroniques obscènes visant à harceler ou importuner le destinataire 21, restent en vigueur. 17 Les avis de la Cour suprême indiquent généralement que cet élément vise à ce que le texte de loi soit fortement individualisé" (et non à portée excessive") et qu'il représente le moyen le moins restrictif" d'atteindre l'objectif du gouvernement. 18 John F. McGuire, When Speech is Heard Around the World: Internet Content Regulation in the United States and Germany, 74 NYULR 750, 753 (1999). 19 Publ. L. N 104-104, 110 Stat 133 (codifié dans divers titres du 47 U.S.C. [Codification de la législation fédérale]) 20 Reno v. ACLU, 117 S. Ct. 2329 (1997) (invalidant certaines parties du Communications Decency Act de 1996 au motif qu'elles ne constituaient pas le moyen le plus restrictif d'atteindre les objectifs du gouvernement). 21 ApolloMedia Corp. v. Reno, 1998 WL 853216 (U.S. (Cal.) 1999) amended by 119 S. Ct. 1459 (US 1999) cité dans Andrews Computer & Online Industry Litigation Reporter High Court Upholds Law Banning harassing or annoying e-mail" 18 mai 1999. 25