Les Meubles Daran : de l artisanal à la compétition internationale



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Transcription:

Les Meubles Daran : de l artisanal à la compétition internationale Cas rédigé par Jocelyn Raymond, Université du Québec à Trois-Rivières La vue des grands espaces nous aide souvent à remettre nos problèmes en perspective. Rien de mieux que de rouler en automobile pour réfléchir sur les écueils qui nous préoccupent l esprit. Depuis longtemps, René Girard, co-fondateur et directeur général des Meubles Daran, profite de ces moments de solitude sur les routes de la Mauricie et du Centre-du-Québec pour tenter de résoudre les problèmes qui se présentent à lui. Aujourd hui, la route risque d être longue. L entreprise subit une perte de vitesse. Avec une ouverture toujours plus importante des marchés internationaux, le marché du meuble se métamorphose à vue d œil, ce qui peut rendre l avenir de cette organisation incertain. Il faut donc réagir et adapter notre façon de faire à cette nouvelle réalité. C est pourquoi M. Girard revoit mentalement le passé de l entreprise afin de déceler des éléments de réponse potentiels qui le guideront pour prendre la décision la plus appropriée. Retour en arrière René Girard a toujours aimé créer de ses mains. Pour lui, la chance ultime dans la vie était de pouvoir manipuler les matières afin d en faire ressortir les formes cachées en elles. Peu importe le matériau utilisé, Girard voulait laisser place à sa créativité. Dès son jeune âge, grâce aux nombreuses visites chez ses grands-parents et à son implication dans le mouvement scout, il avait eu l opportunité de travailler le bois, de manipuler ce matériau afin de le transformer à sa guise. Il était logique pour lui de poursuivre dans cette veine et de cultiver son plaisir pour le travail du bois. La nouvelle école qui venait d ouvrir ses portes à Victoriaville l attira grandement. En 1968, il s inscrivit donc à l École du meuble et du bois ouvré. Située dans une usine-école d une superficie de 10 000 pieds carrés, les étudiants bénéficiaient pour faire leur apprentissage d un équipement moderne qui faisait souvent l envie de plusieurs industriels.

C est au cours de ces années de formation que René Girard fit la connaissance d un grand ami et de son futur partenaire, Normand Jacques. Fils et petit-fils d hommes d affaires influents de la région, il était souvent guidé par une vision plus pragmatique des choses, du futur. Celle-ci surpassait de beaucoup l approche artistique qui nourrit le travail de plusieurs ébénistes. Prenant en considération les forces de chacun et leur passion commune pour le travail du bois, Girard et Jacques s associent donc pour mettre en marche une petite entreprise; à leurs yeux, cette association ne pouvait que provoquer de bons résultats et se transformer en dividendes (monétaires et autres). Compte tenu de sa connaissance du milieu des affaires acquise à travers son histoire familiale, les aptitudes de Normand Jacques complémentaient parfaitement le tempérament artistique de son associé. En 1971, les Meubles Daran commencent leurs activités. Participant d une certaine façon au désir de l époque de retourner à la terre et à la vie rurale, de retrouver l essence de la vie en communion avec la nature, Normand Jacques et René Girard décident d implanter leur entreprise sur le Boulevard des Acadiens, à l entrée de Saint-Grégoire. Située sur la rive sud, à quelques kilomètres seulement de Trois-Rivières, cette petite municipalité offrait quand même des avantages autant stratégiques que monétaires aux nouveaux artisans-entrepreneurs. Aux coûts moindres d exploitation de l entreprise s ajoutaient des considérations qui relevaient plus de la conduite logistique des opérations : le caractère central de l emplacement géographique; la présence du nouveau pont Laviolette qui facilite les échanges avec Trois- Rivières et toutes les municipalités de la Mauricie et des autres régions de la rive nord du fleuve Saint-Laurent; le développement récent des infrastructures routières et, particulièrement, l apport de l autoroute Transcanadienne; la proximité de facilités portuaires et ferroviaires; etc. 2

Que ce soit consciemment ou non, René Girard et Normand Jacques avaient choisi un emplacement géographique qui ne pouvait s avérer que stratégique au plan des affaires. Ce lieu répondait aussi à leurs convictions idéologiques profondes qui se retrouvent toutes dans ce que l on a appelé l «esprit du retour à la terre». D ailleurs, influencés par l esprit de coopération et d échange qui caractérisait souvent les élans de la jeunesse de l époque ainsi que par des valeurs communautaires, Girard et Jacques visaient à mettre en place ce que l on nomme aujourd hui une gestion participative. Même si la petitesse de l entreprise au début lui donnait plutôt l allure d une coopérative de créateurs spécialisés dans le domaine du bois ouvré, les «participants» partageaient avec les deux fondateurs une certaine perception de l entreprise avec sa mission, sa vision et ses valeurs. La mission : offrir et confectionner du meuble de qualité, personnalisé, répondant aux besoins spécifiques des clients. La vision : se situer et se maintenir en tête de file des concepteurs de meubles au Québec. Les valeurs de l entreprise : être proche des clients; se rendre disponible, être à l écoute de leurs besoins; favoriser la fierté et le sentiment d appartenance des employés («participants»); bien s implanter dans la municipalité. Historique de l entreprise Au tout début, donc, Meubles Daran était surtout reconnu pour son approche artisanale du milieu des affaires. Le fonctionnement de l entreprise se comparait à celui d une coopérative. Partageant les infrastructures nécessaires à leur travail (local, machines, outils, ), les co-fondateurs de Meubles Daran et les «participants» (employés) s attardaient en premier lieu à répondre ponctuellement aux besoins de leurs nouveaux clients. Au cœur de cette démarche, l entreprise a pu grandir grâce à l excellence et au professionnalisme de leurs réalisations. 3

Dans la seconde moitié des années 1970, la forte réputation acquise au fil du temps permit donc à l organisation de croître et de s implanter plus fortement en tant qu entreprise à part entière dans son milieu. Tout en conservant une façon de faire plus artisanale, une petite production sérielle de meubles de rangement fut mise en branle. Les bonnes relations entretenues depuis la fin de leurs études avec les dirigeants et les professeurs de l École du meuble et du bois ouvré facilitaient la réussite de leur plan d action. Par le biais des stages de travail des étudiants, les Meubles Daran augmentèrent leur effectif en ayant la chance d embaucher parmi les meilleurs finissants des cohortes de l école de Victoriaville. Le souffle nouveau véhiculé par l arrivée de ces jeunes ébénistes aida l entreprise à grandir et à s imposer de plus en plus dans les différents milieux du marché du meuble, et ce, autant au Québec que dans l Est du Canada et les différents états américains de la Nouvelle-Angleterre. Afin de s assurer que les nouveaux venus puissent s intégrer facilement à l entreprise et participer à la vie déjà existante de l organisation, MM. Girard et Jacques nommèrent une petite équipe responsable des diverses questions reliées aux ressources humaines. Vu la petite taille de l organisation, la gestion des ressources humaines se faisait à l époque de façon beaucoup plus informelle. Leurs activités consistaient principalement à la préparation de l embauche, à l intégration et à l évaluation des employés pour assurer une répartition des effectifs qui sera optimale quant au rendement des travailleurs et à leur satisfaction professionnelle et, enfin, de voir à une bonne circulation de l information au sein de l entreprise afin de nourrir chez chacun le sentiment d appartenance à un groupe très uni, à une famille. Malheureusement, au début de la décennie suivante, une récession importante survient. Afin de conserver un rendement similaire dans les chiffres de production de l entreprise, le pragmatisme de Normand Jacques l amena à formuler la proposition suivante à son partenaire. Compte tenu que les prochaines années s annoncent plus difficiles, plus périlleuses, il est peut-être à l avantage de Meubles Daran de diversifier son catalogue. Selon eux, les consommateurs ayant moins de latitudes auront plutôt tendance à n acheter 4

que des choses qui semblent essentielles à leurs yeux. Lors d une de leurs rencontres d information avec les employés, René Girard et Normand Jacques proposèrent, avec succès, de débuter la production de séries d ameublement pour la cuisine et la salle à manger : tables, chaises, buffets, etc. Pour compléter cette démarche, l entreprise offrit dans un même élan une nouvelle gamme d armoires de cuisine. Tous pensèrent que c était l alternative la plus sûre pour se prémunir contre la période tumultueuse entrevue par de nombreux experts. Mais cette réorganisation de l entreprise découlant de la diversification du catalogue entraîna certains ajustements de la part des responsables de la gestion des ressources humaines. Afin de mieux répondre aux aléas provoqués par ce changement majeur, une nouvelle organisation du travail s avéra nécessaire. Par exemple, la reformulation des tâches définissant la plupart des postes présents à l époque au sein de l entreprise amena l équipe de GRH à mettre sur pied les services de formation adéquats pouvant permettre aux quelques 80 employés d atteindre le plus haut niveau de qualité professionnelle. Une main-d œuvre bien formée ne peut être qu un gage d excellence. Ce fut une réussite. En diversifiant ses produits, Meubles Daran profita d une demande assez régulière pour leur gamme d ameublement de cuisine de très grande qualité. Avec un carnet de commande qui se renouvelait à un bon rythme, l entreprise traversa cette mauvaise période sans trop s affaiblir. Au contraire, la renommée de leurs produits fit en sorte que l organisation connut une progression constante; au début des années 2000, la main-d œuvre de Meubles Daran comptait près de 125 employés. Description du marché du meuble Au Québec, l une des préoccupations des gouvernements a toujours été la question du développement régional. Il est essentiel de permettre aux forces économiques de s épanouir dans toutes les régions du territoire afin de dynamiser les capacités d innovation des entreprises québécoises. Pour ce, en 2002, le Ministère du Développement économique, de l Innovation et de l Exportation (MDEIE) a lancé le projet ACCORD (Action concertée de coopération régionale de développement). Grâce à la participation conjointe de l État et de la Société générale de financement du Québec 5

(SGF), les régions pouvaient déterminer les pôles de compétitivité de leur territoire, les forces socioéconomiques. Celles-ci présentaient par la suite aux différentes instances un plan d action et un plan stratégique visant à les rendre aptes à répondre avec justesse aux nouvelles réalités correspondant à une plus grande ouverture des marchés, c est-à-dire à relever le défi de la mondialisation. Le projet ACCORD, c est donner aux régions l opportunité et les moyens de développer ce qu elles font ou ce qu elles sont capables de faire de mieux. Il permet de miser sur l excellence et de placer les économies régionales dans un contexte international en leur donnant les moyens de compétitionner avec les meilleurs. (Source : «Les créneaux d excellence des régions dans la compétition mondiale : le projet ACCORD», Ministère du Développement économique, de l Innovation et de l Exportation) Par exemple, avec l aide financière de la SGF, les comités régionaux peuvent développer et financer des projets industriels en relation avec les créneaux d excellence. Ceci aide l État à concevoir une action territorialisée centrée sur les particularités de chacune des régions. L aide du gouvernement du Québec consiste aussi en la mise sur pied de certains partenariats interrégionaux. De la sorte, on veut favoriser la mise en commun des forces et des atouts complémentaires. Suite à cette démarche à l intérieur du projet ACCORD, le Centre-du Québec a pu déterminer les forces caractéristiques de son territoire. Les créneaux d excellence de la région se rapportent, pour n en nommer que quelques-uns, aux domaines de la production fromagère, des technologies de récupération et de valorisation des matières résiduelles et du travail des textiles techniques. À ceci s ajoute la qualification d associé en ce qui a trait à l industrie du meuble et du bois ouvré; dans un partenariat interrégional avec les régions de Lanaudière, de la Mauricie et de Chaudière-Appalaches, le Centre-du-Québec développe les forces qui lui permettront d acquérir et de conserver une position de choix face à la compétition mondiale dans le marché du meuble. La présence de nombreuses entreprises «phares» ainsi que la proximité d un bassin industriel spécialisé dans ce domaine a favorisé la détermination de ce créneau d excellence pour le Centre-du- Québec. Le rayonnement de l École nationale du meuble et de l ébénisterie et de son 6

Centre de transfert technologique a sûrement joué aussi lors de l octroi de ce titre d associé. Actualité de Meubles Daran Ces dernières années, plusieurs événements ont transformé le décor de Meubles Daran. Tout d abord, la mort prématurée de Normand Jacques en 2002 a fait de René Girard l unique directeur de l entreprise. Mais ce n est que pour un temps seulement. Le fils de son partenaire, Jean-Michel Jacques, se préparait déjà avant la mort de son père à venir s intégrer à l équipe de direction de l entreprise. M. Girard lui conserve sa place; il cherche même à lui donner la chance de participer aux différentes démarches en relation avec le projet ACCORD. Il se dit que si Jean-Michel n a que la moitié des aptitudes de son père pour les affaires, celui-ci apportera une contribution fort appréciable au déroulement des activités futures de l entreprise. Jean-Michel connaît d ailleurs les Meubles Daran depuis de nombreuses années. Jeune garçon, il venait rendre visite régulièrement à son père; il se familiarisait avec les gens qui oeuvraient en ces lieux. À 16 ans, juste avant d y obtenir un emploi d été, il pouvait vous entretenir sur les différents processus de production de l entreprise. C est à ce moment, vers 1996, que Jean-Michel décida de poursuivre dans les traces de son père en s inscrivant à l École québécoise du meuble et du bois ouvré (EQMBO). Pendant ces années d apprentissage, il prit entre autres choses connaissance des nouvelles méthodes de travail engendrées par l informatisation des processus : la fabrication assistée par ordinateur (FAO), le dessin assisté par ordinateur et la conception par ordinateur (DAO et le CAO). Mais son père souhaitait partager le travail avec son fils au sein de l équipe de direction de l entreprise. À la suggestion de celui-ci, Jean-Michel s inscrivit à l université en vue d obtenir un baccalauréat en administration. En 2004, il commença à travailler en collaboration avec M. Girard. Juste à temps pour faire face à l une des plus grandes menaces sur le marché du meuble. 7

Avec l ouverture mondiale du monde des affaires, l arrivée de la concurrence asiatique sur le marché du meuble, et plus particulièrement de la production chinoise, risque de provoquer une métamorphose majeure transformant plusieurs facettes de l industrie. En 2005 seulement, la Chine comptait plus de 3 millions de personnes oeuvrant dans plus de 50 000 entreprises du secteur du meuble. Cette force majeure du marché mondial du meuble a d ailleurs exporté dans les trois premiers trimestres de 2005 pour plus de 8,5 milliards de dollars américains (Source : «Le marché du meuble en Chine», Ambassade de France en Chine Mission économique). Pour réussir à se maintenir à flot, à contrer une perte de vitesse de Meubles Daran et à éventuellement prospérer, René Girard était persuadé qu il fallait dès maintenant repenser les activités de l entreprise. Vu que la petite municipalité du Centre-du-Québec les avait toujours bien appuyé depuis leurs débuts, René Girard se croyait redevable envers Saint-Grégoire. Il sentait le besoin de faire preuve de loyauté. La communauté comptait beaucoup sur les activités des Meubles Daran pour continuer d insuffler un dynamisme certain à la vie de Saint- Grégoire. Même si plusieurs employés de l entreprise proviennent des communautés environnantes, principalement de Trois-Rivières, les commerçants du village bénéficient quand même des nombreuses retombées dues à la circulation quotidienne de ceux-ci. C est pourquoi, percevant que son entreprise est bien implantée dans ce milieu depuis le début des années 1970, M. Girard veut faire tout ce qui est en son pouvoir pour bien répondre à cette nouvelle menace. Il s agit, à ses yeux, d un défi qui pourra influencer le sort de la communauté tout entière. Que faire? Suite à une rencontre informelle à ce sujet avec ses collaborateurs, René Girard prend la route en solitaire afin de mieux réfléchir à cette question. Depuis qu il appréhende cette nouvelle situation, il cherche la façon adéquate de préparer son entreprise à mieux répondre aux contrecoups découlant de ce bouleversement du marché du meuble. 8

Attachant beaucoup d importance à ce prochain geste pour assurer l avenir de l entreprise, M. Girard a tendance à vouloir jouer une valeur sûre. Tout comme au début des années 1980, il pense que l ajout de certains produits à son catalogue peut avoir le même résultat et faire en sorte que l entreprise conserve sa position de choix sur le marché. Mais, compte tenu de la réalité du marché mondial du meuble en 2005, il est possible que cette décision entraîne une conclusion bien différente. Il hésite encore. Selon l affirmation de certains observateurs : Dans ce contexte, les entreprises les plus compétitives qui seront capables de mener à bien des stratégies innovatrices prenant en compte l emploi de nouveaux matériaux, l utilisation de designs forts, la compréhension des évolutions des comportements des consommateurs et celle des besoins de la distribution, pourraient parvenir à développer leur part de marché. (Source : «Le marché du meuble en France. Les fournisseurs dans le monde», IFA Industries françaises de l ameublement) En ce sens, Jean-Michel Jacques croit plutôt qu il serait avantageux de tendre vers une spécialisation de la production. Il proposa donc à M. Girard de choisir une seule gamme de produits et de mettre toutes les énergies de Meubles Daran pour se maintenir comme chef de file de ce créneau précis face à ses compétiteurs sur le marché québécois. Pour Jean-Michel Jacques, la confection d armoires de cuisine semble garantir un avenir meilleur. À ses yeux, le simple fait d offrir des armoires de cuisine haut de gamme à ses consommateurs permettra à l entreprise de se mettre à l abri des contrecoups provoqués par l arrivée en masse des produits asiatiques. Par contre, le choix de cette option entraînera sûrement des changements majeurs au sein de l entreprise et de sa culture organisationnelle. Après mûre réflexion, René Girard croit que l option proposée par Jean-Michel lui offre plus d assurance quant à l avenir de l entreprise. Il sait bien que de cette décision découleront de nombreux changements qui transformeront la conduite de Meubles Daran; mais, l argumentaire de Jean-Michel le conforte dans sa démarche. Avec l aide de ce dernier, il est confiant de mener à terme ce projet et de réussir à sauver l entreprise en lui permettant de conserver une position de choix face à la concurrence mondiale. 9

Par ses arguments, le jeune homme a aussi permis à M. Girard de prendre conscience des difficultés inhérentes à l implantation de tous ces changements. Retenons seulement, en guise d exemple, un problème majeur qui se présente aux dirigeants de Meubles Daran : il y a une polarisation de l âge de la main-d œuvre. Tandis qu une moitié des employés qui étaient déjà présents au début des activités de l entreprise ont maintenant plus de 50 ans, l autre moitié regroupe en majorité des jeunes qui commencent à faire leurs preuves. Comment faire alors pour bien intégrer les employés plus âgés au processus de changement et, ainsi, s assurer de conserver leur grande expertise? Que faire aussi pour favoriser l implication de la main-d œuvre plus jeune démontrant un dynamisme qui, souvent, peut s avérer bénéfique pour l organisation? Pour répondre à ce défi et à de nombreux autres se rattachant à la réorganisation de l entreprise, René Girard acquiesce aussi à la demande insistante de Jean-Michel et met sur pied un département dont la seule fonction véritable sera de gérer les ressources humaines. Ayant confiance aux aptitudes de gestion du jeune homme, il lui en confie la direction. Que suggérez-vous à Jean- Michel et à son équipe de faire pour accomplir avec succès la réorientation de Meubles Daran? D autres questions Quels sont les effets de ce choix sur la gestion des ressources humaines au sein de cette entreprise? Quels sont les gestes à poser qui permettront à l équipe de gestion des ressources humaines de mieux préparer la main-d œuvre à ce changement? Les difficultés que certaines régions dites éloignées rencontrent lorsqu il s agit d embaucher une main-d œuvre plus spécialisée peuvent-elles nuire au processus de spécialisation de Meubles Daran? 10