Sujets 13 à 16. Mourir sur scène. Polynésie, septembre 2009 (Séries ES-S) Corpus LE TEXTE THÉÂTRAL ET SA REPRÉSENTATION



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Transcription:

Sujets 13 à 16 Mourir sur scène 4 heures Polynésie, septembre 2009 (Séries ES-S) Corpus 1. A. CAMUS, Caligula, acte IV, scène 14, 1944. 2. E. IONESCO, Le roi se meurt, 1962. 3. L. GAUDÉ, Le Tigre bleu de l Euphrate, 2002. Annexe : E. IONESCO, «Expérience du théâtre», Notes et Contre-Notes, 1966. Texte 1 Albert Camus, Caligula, acte IV, scène 14, 1944 5 10 Caligula, empereur romain dément et sanguinaire, est assassiné en 41 après Jésus Christ par une conjuration formée par les chefs de la noblesse et du sénat. Hélicon est son fidèle confident. Cet extrait est le dénouement. Il tourne sur lui-même, hagard, va vers le miroir. CALIGULA [ ] Des bruits d armes! C est l innocence qui prépare son triomphe. Que ne suis-je à leur place! J ai peur. Quel dégoût, après avoir méprisé les autres, de se sentir la même lâcheté dans l âme. Mais cela ne fait rien. La peur non plus ne dure pas. Je vais retrouver ce grand vide où le cœur s apaise. Il recule un peu, revient vers le miroir. Il semble plus calme. Il recommence à parler, mais d une voix plus basse et plus concentrée. Tout a l air si compliqué. Tout est si simple pourtant. Si j avais eu la lune, si l amour suffisait, tout serait changé. Mais où étancher cette soif? Quel cœur, quel dieu aurait pour moi la profondeur d un lac? (S agenouillant et pleurant.) Rien dans ce monde, ni dans l autre, qui soit à ma mesure. Je sais pourtant, et tu le sais aussi (il tend les mains vers le miroir en pleurant), qu il suffirait que l impossible soit. L impossible! Je l ai cherché aux limites du monde, aux confins de moi-même. J ai

Polynésie, septembre 2009 (Séries ES-S) Sujets 13 à 16 15 tendu mes mains, (criant :) je tends mes mains et c est toi que je rencontre, toujours toi en face de moi, et je suis pour toi plein de haine. Je n ai pas pris la voie qu il fallait, je n aboutis à rien. Ma liberté n est pas la bonne. Hélicon! Hélicon! Rien! Rien encore. Oh! Cette nuit est lourde! Hélicon ne viendra pas : nous serons coupables à jamais! Cette nuit est lourde comme la douleur humaine. Des bruits d armes et des chuchotements s entendent en coulisse. Garde-toi, Caiüs! 1 Garde-toi! HÉLICON (surgissant au fond). Une main invisible poignarde Hélicon. Caligula se relève, prend un siège bas dans la main et approche du miroir en soufflant. Il s observe, simule un bond en avant et, devant le mouvement symétrique de son double dans la glace, lance son siège à toute volée en hurlant : THÉÂTRE 20 CALIGULA À l histoire, Caligula, à l histoire. Le miroir se brise et, dans le même moment, par toutes les issues, entrent les conjurés en armes. Caligula leur fait face avec un rire fou. Le vieux patricien le frappe dans le dos, Chéréa en pleine figure. Le rire de Caligula se transforme en hoquets. Tous frappent. Dans un dernier hoquet, Caligula, riant et ratant, hurle : Je suis encore vivant! RIDEAU 1. Caïus : prénom romain, désignant en particulier Caligula. Éditions Gallimard Texte 2 Eugène Ionesco, Le roi se meurt, 1962 Le roi Bérenger I er vient d apprendre de sa première femme, Marguerite, et de son médecin, qu il va mourir, il n arrive pas à accepter cette idée. LE ROI Le peuple est-il au courant? L avez-vous averti? Je veux que tout le monde sache que le Roi va mourir. (Il se précipite vers la fenêtre, l ouvre dans un grand effort car il boite un peu plus.) Braves gens, je vais mourir. Écoutez-moi, votre Roi va mourir.

5 MARGUERITE, au Médecin. Il ne faut pas qu on entende. Empêchez-le de crier. LE ROI Ne touchez pas au Roi. Je veux que tout le monde sache que je vais mourir. C est un scandale. Peuple, je dois mourir. LE MÉDECIN LE ROI MARGUERITE Il crie. 10 Ce n est plus un roi, c est un porc qu on égorge. MARIE Ce n est qu un roi, ce n est qu un homme. LE MÉDECIN Majesté, songez à la mort de Louis XIV, à celle de Philippe II, à celle de Charles Quint qui a dormi vingt ans dans son cercueil 1. Le devoir de votre Majesté est de mourir dignement. LE ROI 15 Mourir dignement? (À fa fenêtre.) Au secours! Votre Roi va mourir. Pauvre Roi, mon pauvre Roi. MARIE JULIETTE Cela ne sert à rien de crier. On entend un faible écho dans le lointain : «Le Roi va mourir!» Vous entendez? Moi j entends, j entends. LE ROI MARIE

Polynésie, septembre 2009 (Séries ES-S) Sujets 13 à 16 LE ROI 20 On me répond, on va peut-être me sauver. JULIETTE Il n y a personne. On entend l écho : «Au secours!» LE MÉDECIN Ce n est rien d autre que l écho qui répond avec retardement. MARGUERITE 25 Le retardement habituel dans ce royaume où tout fonctionne si mal. LE ROI, quittant la fenêtre. Ce n est pas possible. (Revenant à la fenêtre.) J ai peur. Ce n est pas possible. THÉÂTRE MARGUERITE Il s imagine qu il est le premier à mourir. MARIE Tout le monde est le premier à mourir. Éditions Gallimard 1. «Chartes Quint qui a dormi vingt ans dans son cercueil» : fait historique avéré. Charles Quint dormait en effet dans son cercueil pour se préparer à fa mort Texte 3 Laurent Gaudé, Le Tigre bleu de l Euphrate, 2002 5 Roi de Macédoine et conquérant d un vaste empire qui s étendait jusqu à l Asie, Alexandre le Grand (356-323 av. J.-C.) va mourir. Terrassé par la fièvre, il s adresse à la Mort au cours d un long monologue. Il est temps de mourir, Je le sens. Je ne reculerai pas. Je veux être nu, Sans tunique, ni diadème, Avec juste entre mes dents de mort, la pièce rouillée qui suffit 2 [à payer mon passage.

10 15 20 25 30 35 40 Tu sais qui je suis, Tu me reconnaîtras dans ma nudité. Prends pitié de moi, Je vais mourir maintenant, Et tu pourras à ta guise me serrer dans ta main de juge infaillible. Je vais mourir seul Dans ce feu qui me ronge, Sans épée, ni cheval, Sans ami, ni bataille, Et je te demande d avoir pitié de moi, Car je suis celui qui n a jamais pu se rassasier, Je suis l homme qui ne possède rien Qu un souvenir de conquête. Je suis l homme qui a arpenté la terre entière Sans jamais parvenir à s arrêter. Je suis celui qui n a pas osé suivre jusqu au bout le Tigre bleu de l Euphrate. J ai failli. Je l ai laissé disparaître au loin Et depuis je n ai fait qu agoniser. À l instant de mourir, Je pleure sur toutes ces terres que je n ai pas eu le temps de voir. Je pleure sur le Gange lointain de mon désir. Il ne reste plus rien. Malgré les trésors de Babylone, Malgré toutes ces victoires, Je me présente à toi, nu comme au sortir de ma mère. Pleure sur moi, sur l homme assoiffé. Je ne vais plus courir, Je ne vais plus combattre, Je serai bientôt l une de ces millions d ombres qui se mêlent et s entrecroisent [dans tes souterrains sans lumière. Mais mon âme, longtemps encore, sera secouée du souffle du cheval. Pleure sur moi, Je suis l homme qui meurt Et disparaît avec sa soif. Actes Sud, 2002 1. Euphrate : fleuve d Asie. 2. La pièce rouillée : allusion au rite antique marquant le passage de la vie à la mort.

Polynésie, septembre 2009 (Séries ES-S) Sujets 13 à 16 Annexe Eugène Ionesco, «Expérience du théâtre», Notes et Contre-Notes, 1966 5 10 Lorsque Richard II 1 meurt, c est bien à la mort de ce que j ai de plus cher que j assiste ; c est moi-même qui meurs avec Richard II. Richard II me fait prendre une conscience aiguë de la vérité éternelle que nous oublions à travers les histoires, cette vérité à laquelle nous ne pensons pas et qui est simple et infiniment banale : je meurs, tu meurs, il meurt. Ainsi, ce n est pas de l histoire, en fin de compte, que fait Shakespeare, bien qu il se serve de l histoire ; ce n est pas de l histoire, mais il me présente mon histoire, notre histoire, ma vérité au-delà des temps, à travers un temps allant au-delà du temps, rejoignant une vérité universelle, impitoyable. En fait, le chef-d œuvre théâtral a un caractère supérieurement exemplaire : il me renvoie mon image, il est miroir. Éditions Gallimard THÉÂTRE 1. Richard II : roi d Angleterre du XIV e siècle. A inspiré le drame historique de Shakespeare. Vous répondrez d abord à la question suivante 1 h 20 4 pts Sujet 13 Question Comment les trois extraits de pièces mettent-ils en scène le désespoir de l homme confronté à sa propre mort? Vous justifierez votre réponse en vous appuyant sur des éléments précis tirés des trois extraits. Vous traiterez ensuite, au choix, l un des sujets suivants 2 h 40 16 pts Sujet 14 Commentaire Vous ferez le commentaire du texte d Albert Camus extrait de Caligula (texte 1). Sujet 15 Dissertation Dans quelle mesure peut-on affirmer comme Eugène Ionesco que le théâtre, «rejoignant une vérité universelle», «me renvoie mon image» et qu il est «miroir»? Vous répondrez à cette question en vous appuyant sur le corpus (textes et annexe) et sur votre culture personnelle en tentant compte de la dimension proprement théâtrale des œuvres. Sujet 16 Écrit d invention Un metteur en scène donne à son comédien des indications pour jouer le monologue d Alexandre dans la pièce de Laurent Gaudé. L acteur réagit à ces propositions de mise en scène et avance ses propres idées. Vous écrirez leur dialogue dans une langue soignée en veillant à ce que l un et l autre s appuient sur le texte.

Sujets 13 à 16 Corrigés Sujet 13 Question Les clés pour réussir Comprendre le corpus Le corpus est composé de trois textes de théâtre du XX e ou du XXI e siècle et d une annexe. Problématique : comment mettre en scène la mort d un homme de pouvoir, le protagoniste? voir fiche 5 Bien lire la question «désespoir de l homme confronté à sa propre mort» : la question met en évidence le point commun entre les trois textes. «justifierez» et «éléments précis» : attention à la paraphrase. Appuyez-vous sur des outils d analyse littéraire tels que les registres, les images, les champs lexicaux Construire la réponse Plan : deux plans sont possibles. Vous pouvez adopter un plan analytique en considérant les différents textes les uns après les autres, en prenant garde à la paraphrase d une part, la longueur d autre part. Vous pouvez également choisir un plan synthétique en repérant les points communs entre les attitudes des trois protagonistes face à la mort. Au brouillon : demandez-vous qui se trouve confronté à la mort? dans quelles circonstances? quelles émotions éprouve-t-il? Étudiez : les champs lexicaux des sentiments au moment où les personnages comprennent l imminence de leur mort, mais aussi les temps verbaux qui leur permettent de faire un bilan du passé ou même de considérer leur mort.

Polynésie, septembre 2009 (Séries ES-S) Corrigés 13 à 16 Corrigé rédigé Dans ces trois textes, respectivement extraits de Caligula de Camus (texte 1), du Roi se meurt de Ionesco (texte 2) et du Tigre bleu de l Euphrate de Laurent Gaudé (texte 3), trois hommes de pouvoir réalisent l imminence de leur mort. Dans les textes 1 et 3, ce sont des personnages historiques qui sont mis en scène, respectivement Caligula, empereur romain sanguinaire, et Alexandre le Grand, roi de Macédoine et conquérant ambitieux. Caligula sait qu il va être assassiné ; quant au roi (texte 2) et à Alexandre, ils se savent malades. Face à la mort, ils expriment leurs émotions. Caligula et le roi ont peur de la mort (texte 1 : «J ai peur», «la même lâcheté» ; texte 2 : «Au secours!», «J ai peur»). Mais Caligula se ressaisit et meurt en défiant ses assassins («Je suis encore vivant!») tandis que le roi ne parvient pas à se départir de son angoisse, ce qui lui vaut les moqueries méprisantes de Marguerite («Ce n est plus un roi, c est un porc qu on égorge», «Il s imagine qu il est le premier à mourir»). Alexandre n a pas peur de mourir («Il est temps de mourir, [ ] Je ne reculerai pas») mais il éprouve de la tristesse (anaphore de «Je pleure», puis de l impératif «Pleure» ; récurrence des modalités négatives : «Je ne vais plus courir, / Je ne vais plus combattre»). Toutefois le face-à-face avec la mort n est pas seulement le temps de l émotion, c est aussi celui de la réflexion et du bilan. En effet, Caligula et Alexandre, grâce à l emploi du passé composé, font le bilan de leur existence qui s achève (texte 1 : «Je l ai cherché», «J ai tendu mes mains» ; texte 3 : «l homme qui a arpenté la terre entière»). Tous deux jettent un regard sans complaisance sur leur vie passée, reconnaissant leurs erreurs (texte 1 : «Ma liberté n est pas la bonne» ; texte 3 : «J ai failli»). Cette introspection est mise en scène dans le texte 1 par la posture de Caligula qui s observe dans un miroir. Enfin, les trois hommes se dépouillent des insignes de leur grandeur. Caligula «s agenouill[e]», et prend donc une posture d humilité. Le roi refuse de mourir «dignement» et rejette les modèles qui lui sont proposés, ceux de Louis XIV, Philippe II ou Charles Quint. Alexandre renonce à sa «tunique» et à son «diadème» pour se présenter «nu comme au sortir de [s]a mère». Ainsi, bien que Caligula, le roi et Alexandre soient des hommes de pouvoir, ils perdent leur supériorité lorsqu ils sont confrontés à l annonce de leur propre mort. THÉÂTRE

Sujet 14 Commentaire Les clés pour réussir Situer l extrait dans son contexte Contexte historique et littéraire : Camus entreprend d écrire Caligula en 1938. Mais la pièce n est publiée pour la première fois qu en 1944. Cette pièce s inscrit dans le «Cycle de l absurde» à côté d un roman, L Étranger (1942), et d un essai, Le Mythe de Sisyphe (1942). Dans ces trois œuvres, l auteur tente de montrer la solitude de l homme dans un monde privé de repères et de valeurs. Situation du passage : la scène 14 de l acte IV est le dénouement de la pièce. Trouver les axes de lecture Étudiez : les procédés d écriture caractéristiques du genre théâtral. Relevez les didascalies. Demandez-vous si la scène remplit les caractéristiques traditionnelles du dénouement : est-elle rapide, complète (règle-t-elle le sort des personnages principaux?), vraisemblable (les personnages ont-ils l air surpris de ce qui leur arrive?)? Interrogez-vous surtout sur l effet produit par ce dénouement sur le public. les procédés d écriture spécifiques : analysez le registre employé (relevez la ponctuation expressive, les champs lexicaux les plus remarquables ). Organisez vos idées : il s agit du dénouement de la pièce : il faut donc analyser les caractéristiques de ce dénouement mais aussi la longue tirade du personnage éponyme. Partie I : un dénouement spectaculaire. Partie II : le portrait de Caligula. Plan détaillé! Attention Nous vous proposons un corrigé sous forme de plan détaillé. Le jour de l examen, vous devrez rédiger votre copie et les titres des parties ne devront pas apparaître.

Polynésie, septembre 2009 (Séries ES-S) Corrigés 13 à 16 Introduction Caligula, pièce de théâtre publiée pour la première fois en 1944, s inscrit dans le «cycle de l absurde» composé par Albert Camus durant la Seconde Guerre mondiale. Elle met en scène Caligula, empereur romain dément et sanguinaire qui, à la mort de sa sœur et maîtresse Drusilla, se lance dans la quête de «l impossible». La scène 14 de l acte IV constitue le dénouement de la pièce : il s agit du meurtre de Caligula par une conjuration formée des chefs de la noblesse et du sénat. Nous analyserons dans un premier temps la dimension spectaculaire de ce dénouement. Puis, nous nous pencherons sur le personnage de Caligula, à la fois exceptionnel et humain. I. Un dénouement spectaculaire A. L effet de clôture 1. Rapide. Le dénouement est centré sur le meurtre, présenté d emblée comme imminent («Des bruit d armes!»). L entrée d Hélicon suit de très près l appel de Caligula («Hélicon! Hélicon!»). Le meurtre de Caligula intervient tout de suite après la mise en garde de son fidèle compagnon («Garde-toi!»). 2. Complet. En l espace de quelques lignes, le sort des deux principaux personnages est réglé (Hélicon et Caligula meurent). Quant à la victoire des patriciens, elle est clairement annoncée («C est l innocence qui prépare son triomphe»). Gagnez des points! 3. Préparé à l avance. Le dénouement n a Quand vous commentez rien de surprenant. Il a été préparé et est un dénouement, demandezvous toujours s il obéit aux attendu par Caligula lui-même qui n a aucun doute quand il doit interpréter les «bruits règles de théâtre classique : d armes» qui se font entendre. est-il rapide, complet? B. La violence 1. Violence physique. La violence envahit la scène : gestes bestiaux de Caligula qui attend la mort comme un fauve («Caligula [ ] approche du miroir en soufflant. Il observe, simule un bond en avant et [ ] lance son siège à toute volée en hurlant») ; mise en scène du double meurtre d Hélicon («Une main invisible poignarde Hélicon») et Caligula («Le vieux patricien le frappe dans le dos, Chéréa en pleine figure»). Noter la gradation. 2. Violence verbale. Violence verbale dans la tirade de Caligula : ton de la voix (hurlements), insultes à son égard («lâcheté», «haine»). THÉÂTRE II. Caligula A. Un personnage d exception 1. Le bilan. Symbolique du miroir. Fait un bilan de sa vie (emploi du passé composé, références à des épisodes passés : mort de Drusilla, décision de se mettre en quête d absolu ). Constat d échec (registre polémique employé contre lui-même). Rappelle au spectateur que c est un personnage exceptionnel qui va mourir.

2. Le paroxysme des émotions. Succession d émotions exacerbées : peur, colère, douleur, défi (champs lexicaux, ponctuation expressive, hyperboles, gestuelle). B. L humanité 1. Le lyrisme. Emploi du registre lyrique (première personne, champ lexical des sentiments, interjections déploratives ) : manière de faire partager ses émotions au spectateur. 2. L universalité. Le lyrisme, la discrétion des références historiques : audelà du personnage historique, c est l homme confronté à sa propre mort qui apparaît. Malgré la cruauté du personnage, le spectateur compatit. Conclusion Camus met en scène un tyran dément et sanguinaire qui ne cesse de pervertir les valeurs de la société. Pourtant, ce personnage antipathique, au cours d un dénouement spectaculaire, offre le visage d une humanité privée de repères dans lequel le spectateur peut se reconnaître. Sujet 15 Dissertation Les clés pour réussir Bien comprendre le sujet «le théâtre» : pensez aux pièces que vous avez pu voir pour nourrir votre réflexion. «rejoignant une vérité universelle» : pour bien comprendre cette idée, il faut relire le texte annexe. Une vérité universelle concerne tout le monde. Ionesco prend l exemple de la mort. «me renvoie mon image», «miroir» : le spectateur peut se reconnaître dans le spectacle auquel il assiste : les émotions des personnages, leurs réflexions pourraient être les siennes. Type de sujet : la question dissimule une affirmation. voir Infos-bac Problématique : Le spectacle théâtral renvoie-t-il le spectateur à sa propre image ou est-il un miroir déformant dans lequel il ne peut se reconnaître? Exploiter les documents du corpus Texte 1 : Caligula exprime des sentiments universels : la peur, la déception Il ne s agit pas d un texte historique. Au contraire, Camus semble avoir gommé tout ce qui pouvait situer le personnage dans le contexte historique.

Polynésie, septembre 2009 (Séries ES-S) Corrigés 13 à 16 Texte 2 : il donne à voir un roi qui s apprête à mourir, mais il se dépouille de ses attributs royaux pour se laisser aller à la peur et redevient un «homme». Son angoisse peut donc être partagée par les spectateurs. Texte 3 : Alexandre prétend se présenter devant la mort «nu comme au sortir de [s]a mère», donc sans aucun des attributs qui font sa grandeur et sa puissance. Lui aussi affirme son humanité au moment de mourir. Texte annexe : il est important puisque les citations du sujet en sont extraites. Ionesco y précise ce qu il entend par «vérité universelle» : selon lui, le spectacle théâtral permet d aller au-delà des contingences de l intrigue et d accéder à des généralités. Il s agit donc pour le spectateur de prendre conscience de sa propre mort. Mobiliser vos connaissances D autres pièces : les pièces qui reposent sur un procédé de théâtre dans le théâtre : L Illusion comique de Corneille, les Acteurs de bonne foi de Marivaux ; les pièces qui mettent en scène des sentiments universels, tels que l amour : Roméo et Juliette de Shakespeare continue à être jouée à travers le monde. Souvent adaptée au cinéma, elle parle à tous. THÉÂTRE Élaborer le plan La problématique étant une alternative interrogative, le plan est analytique. Partie I : certes, le spectacle théâtral renvoie aux spectateurs leur propre image. Partie II : mais il s agit d un miroir déformant. Partie III : le processus d identification est complexe. Corrigé rédigé! Attention Le plan est rappelé pour vous aider, mais il ne doit en aucun cas figurer sur votre copie. À vous de guider le correcteur par l annonce du plan dans l introduction, les phrases d attaque des paragraphes et des transitions. Introduction On joue encore aujourd hui des pièces antiques et certains théâtres n hési tent pas à programmer des pièces aussi éloignées les unes des autres que l Agamemnon d Eschyle et L Acte inconnu de Valère Novarina. Seraitce à dire que le théâtre ne connaît nulle frontière spatiale ou temporelle, qu il interpelle tous les spectateurs? Dans quelle mesure peut-on affirmer comme Eugène Ionesco que le théâtre, «rejoignant une vérité uni verselle», «me renvoie mon image» et qu il est «miroir»? Le spectacle théâtral

renvoie-t-il le spectateur à sa propre image ou est-il un miroir déformant dans lequel il ne peut se reconnaître? Nous verrons dans un premier temps que le théâtre peut bien être un miroir dans lequel le spectateur, quels que soient l époque à laquelle il vit, le pays dans lequel il vit, ses préoccupations, peut se reconnaître. Puis, nous montrerons dans un deuxième temps qu il s agit toutefois d un miroir déformant. Enfin, nous analyserons le processus complexe de l identification au théâtre. I. Certes, le spectacle théâtral renvoie aux spectateurs leur propre image Il n y a de théâtre qu avec un public. Pour attirer les spectateurs, pour les fasciner, les auteurs, mais aussi les metteurs en scène, conçoivent des spectacles dans lesquels on peut se reconnaître. A. Une «vérité universelle» Le théâtre montre des préoccupations qui inquiètent et occupent tout homme. Il peint des sentiments que chaque être peut éprouver dans sa vie quotidienne, des sentiments dès lors banals. Ainsi, nombreuses sont les pièces qui parlent d amour. Dans Roméo et Juliette de William Shakespeare, le jeune Montaigu déclare sa flamme à Juliette et use du lyrisme pour chanter son amour. Juliette est son «soleil», son «amour», ses yeux sont les «deux plus belles étoiles dans tout le ciel». Nul renouvellement thématique dans Cyrano de Bergerac : c est de nouveau une histoire d amour contrarié qui est au cœur de la pièce. Dans la scène 7 de l acte III, Roxane reçoit, à son balcon, l hommage amoureux de Christian-Cyrano. Les mots sont les mêmes : l «amour» et le «doute» hantent le «cœur» des protagonistes. Pourquoi parler d amour? Parce que le spectateur a sans doute expérimenté ce sentiment et qu il peut donc sympathiser avec le personnage théâtral. De même, nombreuses sont les pièces, de Richard II de Shakespeare au Tigre bleu de l Euphrate de Laurent Gaudé, qui nous font prendre «une conscience aiguë de la vérité éternelle [ ] qui est simple et infiniment banale : je meurs, tu meurs, il meurt» (Ionesco). Le théâtre renvoie donc au spectateur son image en ce qu il met en scène des sentiments humains, universels et intemporels. B. Une langue qui s efface De plus, le théâtre use d un langage de plus en plus naturel. Il s agit de faire oublier au spectateur la théâtralité du spectacle. Il se reconnaît d autant plus facilement dans les personnages qui peuplent la scène, dans les situations qui se jouent devant lui, qu il peut identifier une langue qu il est lui-même susceptible d employer. Ainsi, la prose prend le plus souvent le pas sur les vers. Le roi Bérenger I er mis en scène dans Le roi se meurt de Ionesco parle en prose, il emploie des phrase courtes («Ce n est pas possible. [ ] J ai peur. Ce n est pas possible»), parfois nominales («Au secours!»), qui ne distinguent pas son discours d une conversation courante. Certains auteurs recourent même à un vocabulaire familier. Fabrice Melquiot, dans

Polynésie, septembre 2009 (Séries ES-S) Corrigés 13 à 16 Kids, met en scène des adolescents et les fait parler comme tels : ils veulent «rigole[r]» ou «clope[r]», se traitent de «petit connard» ou de «fils de pute» La prose théâtrale n est donc pas ici stylisée ; elle ne vise qu un effet : l effet de réel et de naturel, destiné à favoriser l identification du spectateur aux personnages. C. Une mise en scène qui cherche le naturel Enfin, afin que le spectateur voie dans le spectacle «[s]on histoire», la mise en scène cherche le naturel. Afin d éviter que ne se creuse une trop grande distance entre le spectacle et le spectateur, les metteurs en scène multiplient les procédés qui tendent à faire tomber le «quatrième mur». Ils s installent dans des lieux qui ne sont pas toujours des théâtres, enva hissent des jardins ou des usines désaffectées Ils placent des acteurs dans le public, rayant ainsi d un trait la frontière entre comédiens et spectateurs et jetant le doute sur le rôle dévolu à chacun : si certains spectateurs sont en fait des personnages, ne suis-je pas moi aussi un personnage de l histoire qui se joue sur scène? Cette histoire n est-elle pas aussi «mon histoire»? THÉÂTRE Conclusion partielle et transition : Ainsi, par l universalité des sentiments mis en scène, par une langue dont la théâtralité se fait discrète, par une scénographie qui brise les frontières, le théâtre se présente comme un «miroir» au spectateur. Pourtant, il s agit d un miroir déformant. II. Mais il s agit d un miroir déformant En effet, le théâtre ne met pas en scène les histoires particulières de chacun des spectateurs. Si le spectateur se reconnaît dans le spectacle qui se joue devant lui, c est par un effet de transposition. A. Un effet de condensation Tout d abord, une pièce de théâtre transforme la vie car elle doit condenser le temps et resserrer l espace. En effet, la durée d une représentation ne peut guère excéder quatre heures. Le dramaturge est donc obligé de ne représenter que les moments forts, intenses d une histoire. Dans la vie, les temps morts existent ; au théâtre, il faut que chaque moment se charge d intensité dramatique afin d intéresser, de captiver le spectateur. Ainsi, les dramaturges recourent à l ellipse temporelle entre les actes ou les scènes pour dramatiser l action. Dans Caligula d Albert Camus, le dramaturge ne retrace pas toute la vie de son protagoniste, il s arrête sur les épisodes les plus significatifs de son histoire, comme la mort de sa sœur et maîtresse Drusilla qui le pousse à se lancer dans la quête de l absolu, ou encore son assassinat au moment où il comprend la vanité de cette quête. De même, pour des raisons esthétiques ou techniques, les décors ne peuvent être multipliés. L espace au théâtre est donc moins réaliste que signifiant. Ainsi, la plupart des tragédies classiques se déroulent en un seul lieu : l antichambre d un palais. Nulle vraisemblance dans cette situation : les personnages théâtraux se croisent dans un seul et même endroit. Cependant, ce

resserrement spatial dit l enfermement des personnages et matérialise le piège qui se referme sur eux. Dans Bérénice, l antichambre où se déroule la pièce est, au-delà de l unité de lieu, hautement symbolique. Elle se caractérise d emblée par sa «pompe», ce qui la place sous le signe du pouvoir et annonce déjà l enjeu essentiel de la tragédie : Titus choisira-t-il Bérénice ou le pouvoir? Il s agit de la pièce qui sépare l appartement de l empereur de celui de la reine. C est donc un lieu de rencontre, mais c est aussi un espace de séparation. L univers de l empereur et celui de la reine ne se confondent pas, ils sont disjoints. Il faut ensuite choisir entre les deux appartements ou prendre la fuite, ce que feront finalement Antiochus et Bérénice. Si le théâtre met en scène «mon histoire», c est donc à travers un prisme déformant qui la condense afin de lui donner sens. B. Une langue trop travaillée pour être celle du spectateur De même, la langue théâtrale n est pas une copie exacte du langage courant. Elle est toujours esthétisée, travaillée, afin que la pièce accède au statut d œuvre d art. Ainsi, le monologue d Alexandre le Grand dans Le Tigre bleu de l Euphrate de Laurent Gaudé est écrit en vers libres, très rythmés. Le rythme des vers souligne l anaphore du verbe «pleurer» («Je pleure sur toutes ses terres [ ] / Je pleure sur le Gange [ ] / Pleure sur moi, sur l homme assoiffé / [ ] Pleure sur moi») et donne une dimension poé tique à la tristesse du personnage. Diderot aimait à stigmatiser avec mépris ce langage, «langage pompeux [qui] ne peut être employé que par des êtres inconnus, et parlé par ces bouches poétiques avec un ton poétique». La langue théâtrale paraît donc plus en quête d esthétisme que de réalisme. Si le personnage vit «mon histoire», il ne parle pas ma langue. C. Une histoire de théâtre plus que mon histoire Les auteurs de théâtre cherchent parfois moins à raconter «notre histoire» qu à s inscrire dans l histoire du théâtre. En effet, ils puisent dans des pièces antérieures pour imaginer leur intrigue et écrire leur pièce. Prenons Le roi se meurt de Ionesco. Le personnage du roi, qui traite avec désinvolture la ruine qui menace son royaume et place ses préoccupations personnelles avant son devoir de souverain («Mourir dignement? (À la fenêtre.) Au secours! Votre roi va mourir.») est d autant plus choquant, qu il s inscrit dans une longue histoire théâtrale. La force du personnage créé par Ionesco tient à la dégradation d un modèle antérieur. Il n a ni la dignité, ni le panache d un Macbeth qui dans la tragédie de Shakespeare défie la mort et son assaillant. Ainsi, plus qu une copie de la vie, le théâtre serait alors une réécriture permanente de textes littéraires antérieurs. Conclusion partielle et transition : Le théâtre ne peut donc pas être considéré comme une copie fidèle et exacte de la vie. Il la transforme ou s en éloigne pour créer une œuvre d art plus belle et plus signifiante que la réalité elle-même. Cet écart n empêche pourtant pas Ionesco de considérer que le théâtre lui «renvoie [s]on image», qu il est «miroir».

Polynésie, septembre 2009 (Séries ES-S) Corrigés 13 à 16 III. Un processus d identification complexe A. Un spectacle vivant En effet, si le spectateur a le sentiment que c est lui-même qui «meur[t] avec Richard II», c est avant tout parce que le théâtre est un spectacle vivant. Les acteurs sont des êtres de chair et de sang, comme les spectateurs. De plus, les salles de théâtre sont loin d être aussi obscures que les salles de cinéma et l on ne perd jamais tout à fait de vue les autres spectateurs, phénomène parfois renforcé par un dispositif scénique qui place les acteurs entre deux rangées de spectateurs assis face à face. Antonin Artaud insiste sur cette continuité : «Entre la vie et le théâtre, on ne trouvera plus de coupure nette, plus de solution de continuité.» Même si les acteurs ont répété, ont travaillé leur texte et leur gestuelle, leur humanité transparaît toujours : une transpiration, une rougeur, un lapsus, un fou rire réprimé. Le public se reconnaît alors en eux et parfois même un dialogue tacite s échange. B. Prendre conscience du miroir Cette continuité de la salle à la scène ne contredit pas l artifice théâtral, elle le complète. Parce que les spectateurs voient devant eux des hommes, ils peuvent plus facilement s identifier aux personnages, au-delà de leurs oripeaux, se reconnaître en eux, partager leurs émotions. Chaque spectateur compatit avec la peur de Caligula qui sait qu il doit mourir dans la solitude et la conscience de l échec, il compatit d autant plus qu il perçoit la fatigue du comédien qui occupe depuis plus d une heure une position centrale sur le plateau, l attention et l émotion de ses voisins. Mais s il peut se laisser aller à cette émotion, c est précisément parce qu il est toujours conscient que tout n est qu illusion, artifice. Il n est pas en train de mourir, il ne va pas être assassiné d une minute à l autre, il regarde le spectacle. Cette distance est tout aussi fondamentale que la communion. Sans continuité, pas d émotion : le spectateur ne comprend pas ce que le théâtre cherche à exprimer. Sans distance, pas d émotion : le spectateur a peur de vivre une situation qui peut le mettre en danger. Conclusion partielle : Pour que le théâtre soit un miroir tendu au spectateur, il doit rester vivant et le spectateur doit avoir conscience de se mirer dans un miroir, il doit mesurer la distance entre lui et son reflet. THÉÂTRE Conclusion Si le théâtre peut, «rejoignant une vérité universelle», «me renvoy[er] mon image», être «miroir», c est à travers une métamorphose du réel, qui perd en banalité pour acquérir plus de force et de profondeur. C est alors que l alchimie s opère, dans le cadre éphémère d un spectacle vivant, et que l on peut dépasser le contingent pour atteindre l universel.

Sujet 16 Écrit d invention Les clés pour réussir Bien comprendre le sujet Forme : votre écrit doit être un dialogue, plutôt un dialogue théâtral (nom du personnage qui s exprime en majuscules, paroles rapportées directement sans verbe de parole ni guillemets ). Situation d énonciation : Qui parle? À qui? ce sont un metteur en scène et un comédien qui échangent leurs points de vue sur le monologue d Alexandre dans Le Tigre bleu de l Euphrate (texte 3). Le metteur en scène dirige le comédien de manière à ce que son jeu soit cohérent avec les autres éléments qui constituent le spectacle. L acteur «réagit» et «avance ses propres idées». Il ne s agit pourtant pas d un affrontement ou d une dispute. Les deux personnages peuvent se tutoyer ou se vouvoyer, mais dans tous les cas ils emploient une «langue soignée». De quoi? de la manière de jouer le monologue d Alexandre (il faut donc s appuyer précisément sur le texte). Quand? aujourd hui. Registres à employer : Il peut varier au fil de la conversation. Tantôt le metteur en scène peut être didactique pour bien se faire comprendre, tantôt il peut être lyrique pour défendre avec enthousiasme son point de vue. Le comédien peut avoir parfois recourt au registre polémique s il n est pas d accord avec ce qu on lui propose. Trouver des idées Pensez à varier les points de vue : le metteur en scène peut donner des indications sur la gestuelle, le ton de la voix, le caractère du personnage Débat sur le personnage : doit-on le jouer comme un héros ou comme un être humain? Remarques sur la voix : doit-elle être adressée à la mort, à un public ou être plus intérieure? Remarques sur le corps : quelle gestuelle adopter?

Polynésie, septembre 2009 (Séries ES-S) Corrigés 13 à 16 Corrigé rédigé GABRIEL. Ce qui est important, dans ce monologue, c est de présenter Alexandre dans toute son humanité FÉLIX. C est Alexandre le Grand quand même C est difficile de l oublier quand il évoque ses «conquête[s]», ses «victoire[s]». Je n imagine pas que l on puisse jouer la mort d Alexandre comme celle de n importe qui GABRIEL. Mais si, justement! Ce qui est beau dans cette scène, c est qu il se dépouille de tous ses oripeaux. Il ne cesse de répéter qu il veut être face à la mort «nu comme au sortir de sa mère», «sans tunique, ni diadème». Audelà du personnage historique, Laurent Gaudé nous fait sentir l angoisse de tout homme face à une mort qu il sait imminente. C est cela qui va toucher le public. À cet instant, Alexandre le Conquérant s efface et c est l homme qui se tient debout sur la scène. Il s agit d un miroir tendu au spectateur C est pourquoi il va falloir adopter une certaine sobriété dans le jeu. FÉLIX. Je commence à voir ce que tu veux dire. Du coup, j imagine qu il faut une voix assez intérieure, pleine d humilité. GABRIEL. Tout à fait! Surtout au début. Ensuite Alexandre s adresse à la Mort : «Tu sais que je suis» Il s agit alors d un discours adressé, la voix se fait plus claire, porte davantage Tu veux essayer? Gagnez des points! Faites régulièrement référence au texte! FÉLIX, d une voix basse et concentrée. «Il est temps de mourir, / Je le sens» GABRIEL. Excuse-moi de t interrompre C est bien mais n oublie pas que tu ne joueras pas que pour moi! Il faut que l on t entende au-delà du premier rang! Garde la même concentration, la même solennité dans ta voix, mais essaie de rendre ton propos plus audible. FÉLIX. plus fort : «Il est temps de mourir, / Je le sens» GABRIEL. C est ça C est dans cette direction que je veux que tu ailles. On travaillera cela sur le plateau tout à l heure. Pour le moment, essayons d aller plus loin dans la lecture de ce monologue. Toujours pour ce qui est du travail de la voix, il y a un moment dans le monologue où l on entend l enthousiasme du conquérant FÉLIX. C est quand il évoque son passé : «Je suis l homme qui a arpenté la terre entière», etc. GABRIEL. Oui, c est à ce passage que je pensais Là, n hésite pas à donner de la force! Le monologue sera d autant plus émouvant que l on sentira l ambition déçue, les regrets de cet homme On doit mesurer tout ce qu il perd en mourant. FÉLIX. D accord Mais j imagine qu ensuite, sur la fin du monologue, il faut revenir à une voix sobre et contenue, comme au début? THÉÂTRE

GABRIEL. Bon, je vois que sur ces questions nous sommes d accord Pour ce qui est de la gestuelle maintenant, tu dois être attentif à une chose : quand tu es monté sur le plateau tout à l heure pour me présenter ce monologue pour la première fois, j ai trouvé que tes gestes soulignaient un peu trop le rythme du texte FÉLIX. Je ne comprends pas bien ce que tu veux dire. GABRIEL. Prenons un exemple précis : quand tu dis «Sans tunique, ni diadème», ou plus tard «Sans épée, ni cheval», tu jettes de part et d autre les éléments de ton costume, je trouve cela un peu lourd FÉLIX. Ah, mais je suis bien d accord! Je me sens très emprunté quand je fais cela. En plus, mon diadème fait beaucoup de bruit quand il tombe sur le sol Je me disais que pour donner toute sa place au texte, le mieux, ce serait que j arrive en tunique, déjà dépouillé des attributs de l empereur GABRIEL. Ma foi, ce n est pas une mauvaise idée. Ainsi, le texte aurait une dimension plus poétique et tu serais moins embarrassé. Eh bien, allons-y alors! Au travail! Autres sujets possibles Questions 1. Comparez les trois extraits. 2. Quel est le registre dominant dans les trois extraits? Commentaire Vous commenterez le texte 3. Dissertation 1. Le théâtre doit-il nécessairement être représenté? Vous répondrez à cette question dans un développement organisé qui s appuiera sur les textes du corpus et sur vos expériences de lecteur et de spectateur de théâtre. 2. Faut-il représenter la mort sur scène pour donner tout son sens à la cérémonie tragique ou la mort est-elle, comme l énonce Boileau «ce qu on ne doit point voir» dans un «art judicieux»? Vous répondrez à cette question dans un développement organisé qui s appuiera sur les textes du corpus et sur vos expériences de lecteur et de spectateur de théâtre. Écrit d invention Le théâtre classique se refusait à représenter la mort sur scène. Imaginez la préface d une pièce de théâtre rédigée par un auteur qui défend ce point de vue.