LES LIENS ENTRE RECHERCHE SUR LES TMS ET ACCOMPAGNEMENT DES ENTREPRISES AU REGARD DE L ACTIVITE DE DEUX INSTITUTIONS ATAIN-KOUADIO J-J. Chef du projet TMS INRS, département Homme au travail, Laboratoire de biomécanique et d'ergonomie Avenue de Bourgogne BP27, 54501 Vandoeuvre cedex, France ESCRIVA E., Pilote du projet TMS ANACT, Département Santé et Travail, 4 Quai des Etroits, 69321 Lyon Cedex 05, France En fonction de leur positionnement dans le paysage institutionnel, deux organismes, l un de recherche pour la prévention, l autre d amélioration des conditions de travail, présentent leur continuité d approche et leur contribution dans le développement de travaux de recherche sur les TMS. Cet exercice donne à voir comment peuvent s articuler recherche et pratiques des acteurs chargés de la prévention. Les questions de l efficacité des actions de prévention et celles des recommandations, produits et outils à leur disposition continuent à se poser. Ces préoccupations chemin faisant se confrontent à l évolution de nos organisations, modalités et objets de recherche et de diffusion, en réponse à la demande sociale. L INRS au sein de l'institution prévention L'Institut National de Recherche et de Sécurité (INRS) pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles exerce ses activités au profit des salariés et des entreprises du régime général de la Sécurité sociale. Il contribue activement aux activités de recherche scientifique sur les risques professionnels qui font partie intégrante de ses missions, avec un rayonnement national et international. Il dispose de compétences très variées issues de champs multidisciplinaires : chargés d'études (ingénieurs, médecins, ergonomes, psychologues du travail, sociologues, ), techniciens, formateurs et spécialistes de l'information. C'est un maillon essentiel du système français de prévention des risques professionnels qui s'appuie sur les Caisses Régionales d'assurance Maladie (CRAM) et les Caisses Générales de Sécurité Sociale (CGSS) pour diffuser des connaissances, un savoir-faire et des moyens d'action destinés aux acteurs de prévention. Contribution de l INRS aux recherches sur les TMS L INRS est impliqué dans la recherche sur la prévention des TMS depuis le milieu des années 80. Les travaux initiés sur cette thématique ont d'abord eu pour vocation de répondre à des demandes émergentes d'entreprises, relayées par une CRAM. Les premières assistances réalisées en entreprises
reposaient massivement sur l'évaluation des facteurs de risque biomécaniques et étaient centrées sur des postes de travail. Mais des 1990, la nécessité d'élargir l'approche scientifique à la situation globale de travail, incluant le collectif de travail, les facteurs organisationnels, les facteurs psychosociaux est apparue comme une démarche incontournable pour répondre à la complexité de la problématique des TMS et aider les praticiens des conditions de travail dans la mise en œuvre d'actions de prévention efficaces. Cette prise de conscience a conduit à la réalisation de travaux de recherche prenant en compte cette dimension plus globale [1]. Elle a aussi donné lieu à la rédaction de deux ouvrages en collaboration avec l'anact en 1996 [2, 3]. Tout en continuant à développer la recherche sur les facteurs biomécaniques et l'analyse du mouvement (ex : travaux sur la conception des outils à main), l'inrs a travaillé, dans un esprit d'ouverture, au développement de méthodes et d'outils au service d'une démarche de prévention des TMS faisant consensus. Ainsi, le séminaire organisé en 1999 par l'inrs, sous l'égide de la CNAMTS, intitulé "prévenir les TMS du membre supérieur, de la réflexion à l'action" [4], a constitué une étape déterminante, en apportant aux préventeurs des points de repère scientifiques et stratégiques sur les modalités de mise en œuvre de la prévention des TMS. Les témoignages d'entreprises et de praticiens des conditions de travail ont montré que la prévention des TMS était possible. La présentation d'une démarche de prévention structurée et consensuelle a alors posé les jalons d'une pratique novatrice de la prévention des TMS, en particulier pour les CRAM et les CGSS. En parallèle, la capitalisation des retours d'expériences de terrain s'est poursuive et les connaissances ont continué à progresser. Des éléments de plausibilité biologique sont notamment venus conforter les hypothèses relatives aux relations entre TMS, stress et facteurs psychosociaux. Leur présentation par l'inrs à l'occasion d'un colloque national co-organisé en 2001 par le Ministère du travail et les principales institutions (ANACT, CCMSA, CNAMTS, INRS) a marqué une nouvelle étape dans la compréhension de la problématique des TMS [5]. En 2004, la question de la fluctuation des TMS au cours du temps a interpellé les préventeurs lors du séminaire ANACT portant sur la prévention durable [6]. Recherches en cours sur les TMS à l'inrs L'INRS poursuit ses actions de recherche et de développement selon plusieurs axes. En matière de développement d'outils, la collaboration avec le NIWL (Suède) a conduit à l'adaptation d'un outil-méthode, VIDAR, d'aide à la prévention des TMS dans les TPE, sur le point d'être diffusé [7]. L'adaptation en Français de l'outil SALTSA de dépistage clinique des TMS a fait l'objet d'une collaboration avec l'institut de Veille Sanitaire (InVS), avec l'autorisation du Coronel Institute d'amsterdam [8]. En matière de recherches, la question
des TMS est prise en compte dans des études menées dans des champs disciplinaires variés. Des travaux en cours visent à évaluer en quoi les facteurs de risque influencent l'évolution clinique des TMS. D'autres sont consacrés à l'association de l'auto-confrontation et de la métrologie biomécanique pour approfondir les connaissances sur la chaîne des déterminants à l'origine des TMS. Les enjeux de la prévention dès la conception constituent aussi un objet de recherche à travers plusieurs études. La dynamique interdisciplinaire interne à l'inrs ouvre des perspectives d'innovations pour des problématiques complexes comme les TMS, qu'elle partage aussi avec des partenaires externes. Par exemple, les zones de recouvrement entre TMS et stress (facteurs de risque, déterminants, démarche de prévention, suivi d'indicateurs, ) favorisent le développement des échanges avec d'autres chercheurs. La poursuite des recherches sur les TMS est une nécessité pour approfondir et consolider les connaissances, faire émerger de nouveaux éléments à transférer au service de la prévention. Les pistes de recherche sont potentiellement nombreuses. Elles concernent à la fois des questions de recherche plus fondamentale (compréhension du geste, analyse du mouvement, effets des multiexpositions) et des questions relatives à la pratique (mise à plat des processus d'apprentissage, évaluation des démarches, maintien dans l'emploi, rôle des organisations dans la survenue des TMS, gestion des âges, ). La prise en compte des TMS en tant qu'objet principal ou associé de recherche nourrit la réflexion du projet transversal institutionnel sur les TMS, dont une des missions principales est de faciliter le transfert des connaissances et productions de la recherche au service la prévention. LE RESEAU ANACT-ARACT Ce réseau est constitué de l Agence Nationale pour l'amélioration des Conditions de Travail (ANACT) et de 25 associations régionales (ARACT), soit environ 300 personnes (la moitié sont chargés de mission, intervenants de profil disciplinaire varié). L ANACT est un établissement sous tutelle du Ministère en charge du travail dont le programme d activité est défini dans un Contrat de Progrès signé avec l Etat. Les ARACT, de droit privé, sont administrées de façon paritaire et plus particulièrement chargées d aider les petites et moyennes entreprises de leur territoire. Le réseau,organisé autour de 4 axes (Travail et Santé, Compétences, Changements technologiques et organisationnels et Gestion des Ages en transversal), cherche à améliorer à la fois la situation des salariés et l'efficacité des entreprises dans le développement de projets touchant au travail. Ses démarches sont alimentées par une compréhension du déroulement du travail et l identification de déterminants au niveau du fonctionnement des entreprises, privilégient la participation de tous leurs acteurs de l entreprise et l appropriation de méthodes par ces derniers.
Aujourd hui, l activité du réseau repose sur un triptyque «intervention, capitalisation, transfert». Si la définition de nos missions par Décret portait initialement sur la diffusion à destination des entreprises, le volet intervention s est développé depuis les années 80 face à l augmentation des demandes. Les modes d action (initialisation de projet concerté, accompagnement long, action collective territoriale, de branches ou interprofessionnelle, production éditoriale et plus modestement, offre de formation ) ainsi que les partenariats institutionnels, avec les chercheurs et consultants, se sont diversifiés progressivement (9). Le volet études de l ANACT, De la consultation à la co-recherche Le réseau est placé en position d interface par la définition de ses missions premières: rassembler et diffuser l information utile, organiser des échanges et rencontres, coordonner et susciter des recherches Sensible à la demande sociale par sa proximité du terrain et des partenaires sociaux, l ANACT a régulièrement collaboré avec des chercheurs universitaires et institutionnels afin de faire le point et d évaluer l'état des connaissances sur les pratiques de prévention en entreprise (les siennes, celles des partenaires). L entreprise est un objet direct d investissement, source de recherches appliquées et de réflexion sur les pratiques. La question des TMS, devenue aujourd hui un projet spécifique avec des contributeurs d ARACT, se distingue au sein du réseau par une forte continuité d'investigations en lien avec les chercheurs. Cette dynamique se construit par confirmation, approfondissement, enrichissement de connaissances empiriques issues de l intervention et développement des modèles. Si des questions sont renvoyées aux chercheurs par le biais d appel d offres, le montage original de la dernière recherche citée cidessous, a permis une implication plus directe des chargés de missions de certaines régions dans sa réalisation, maillant des compétences professionnelles complémentaires de chercheurs et d intervenants. Ainsi, l ANACT répondait aux demandes du terrain sur les TMS et travaillait en collaboration d un groupe de travail pluridisciplinaire dans les années 90. La nécessité d une enquête épidémiologique était notamment motivée par la confirmation de déterminants identifiés de façon empirique, qui structurent les situations et conditions de travail (contraintes extérieures, juste à temps et flux tendu). L enquête est confiée à l INSERM (Institut national de la santé et de la recherche médicale) avec le concours de l INRS et du Ministère du travail et avec la participation de la Mutualité Sociale Agricole, afin d étudier les liens entre l organisation du travail et les affections péri articulaires et d identifier des caractéristiques des situations de travail [10]. Le séminaire "TMS et évolution des conditions de travail" organisé en 1998 mobilisait 19 intervenants, spécialistes et consultants issus de différentes
disciplines des sciences humaines. Ils ont apporté leur contribution et débattu autour de cinq thèmes : TMS et restructurations productives, organisation dans l'entreprise, facteurs "psychosociaux", processus de précarisation, démarche d'évaluation [11].La réflexion portant sur l'adéquation des modèles d'interprétation du phénomène TMS aux situations d'entreprise, a donné lieu au renouvellement de publications qui réaffirment l attachement à favoriser l engagement des entreprises dans la prévention par une approche de l'organisation et la nature du travail dans l'entreprise [12]. La poursuite de la réflexion collective a conduit à dégager en France un quasi-consensus sur les formes d intervention les plus favorables à la prévention des TMS. Pour autant, dans la plupart des cas, les effets positifs obtenus dans les entreprises (diminution des plaintes, efficience de l entreprise) se sont révélés relativement passagers avec une dégradation survenant au bout d une période de l ordre de 18 mois à 2 ans. À partir de 2000, plusieurs ARACT, témoin d histoires similaires, ont cherché à accompagner autrement et dans la durée les entreprises. Elles ont été à l initiative d une offre d animation à portée plus collective avec les clubs d entreprises [13]. En 2004, à la suite d un séminaire organisé par l ANACT sur les conditions d une prévention durable [14], la Direction Générale du Travail a décidé de soutenir un projet de recherche-action sur ce thème, présenté conjointement par trois laboratoires de recherche et le réseau ANACT-ARACT [15]. L évaluation des actions de prévention et leur suivi constituent les principaux points de la démarche déployée sur 3 ans. Plusieurs modalités ont été mises en œuvre en fonction des entreprises (analyses rétrospectives d actions de prévention, analyses rétrospectives et suivi des actions en cours, accompagnements de projets de prévention spécifiques à l entreprise). Cette production a permis de conforter certaines pratiques d investigation des intervenants, d identifier des leviers pour les entreprises et donne matière à des orientations incitatives. La progression des recherches renouvelle constamment les points à approfondir et les liens à instruire. Certains s affirment, par la réalité des entreprises qui incite à mieux relier par exemple les actions de prévention primaire et tertiaire gérées de front par les entreprises. D autres méritent encore une traduction plus opérationnelle pour les acteurs de la prévention comme le modèle du geste. Dans le même temps, d anciens sujets comme celui de la conception dans l industrie et les services sont de nouveau d actualité, avec par exemple l enjeu de considérer le fonctionnement humain au travail dans des processus de conception accélérés. ELEMENTS DE DISCUSSION Tandis que l avancée et le cumul de connaissances se poursuivent, nous sommes chargés du transfert de ces productions notamment auprès
d entreprises découvrant le sujet. Nous devons, chacun selon nos moyens et contraintes propres, nous interroger régulièrement sur les modalités de ce transfert et réaliser de nombreux choix sans toujours maîtriser leur appropriation en entreprise : stratégie pédagogique, connaissances et messages clefs utiles à l action, niveau de vulgarisation d un sujet complexe sans renforcer des représentations erronées, identification de cibles et de besoins plus spécifiques, forme et modalités de diffusion, place donnée à l accompagnement pour permettre l appropriation et l évolution des approches... À ces éléments s ajoutent des difficultés de mise en œuvre - la tension entre la durée de nos processus de production, les moyens mobilisables et la demande d outils de plus en plus pressante, la multiplication de productions locales et spécifiques aux compromis tenus par les partenariats L enjeu d innovation de la co-production en général réclame certainement l identification des limites, l enrichissement des méthodes existantes plutôt que de céder à la tentation de leur compilation. Autant de questions qui devraient permettre de faire progresser la prévention des TMS. [1] Hatzfeld N., L émergence des troubles musculo-squelettiques (1982-1996), Histoire et mesure, XXI- N 1 Varia <http://histoiremesure.revues.org/document1538.html> [2] Cail F., Aptel M., Franchi P., Les troubles musculosquelettiques du membre supérieur, ED797, Ed INRS, 1996 [3] Sous la direction de Franchi P., Agir sur les maladies professionnelles, Ed Liaisons ANACT, 1996, 61p. [4] Prévenir les troubles musculosquelettiques du membre supérieur. De la réflexion à l'action. Des repères théoriques, des démarches, des outils et des hommes. Actes du colloque, Paris, 22/06/1999, ED 4056, Ed INRS, Paris, 2000, 87p [5] ANACT, INRS, Ministère du travail, DRP-CNAM-TS, CCMSA. Prévenir les troubles musculosquelettiques, mieux articuler santé et organisation du travail. Actes du colloque, Paris, 27-28/11/2001, ED 4092, Ed INRS, 2002, 95p [6] Aublet-Cuvelier A., Fluctuation du statut clinique d'opérateurs exposés à des facteurs de risque de TMS-MS dans une entreprise d'équipement électro-ménager. In Actes du séminaire ANACT : "les conditions d une prévention durable des TMS", Paris, 7-8/07/2004, Ed ANACT, 2005. [7] Aptel M., Morel O., Aublet-Cuvelier A., Guerrier A., Forsman M., Une méthodeoutil d aide à la prévention des TMS développée pour les petites entreprises : VIDAR. à paraître dans Documents pour le Médecin du Travail, juin 2008 [8] Aublet-Cuvelier A., Ha C.,Roquelaure Y.,Descatha A.,Meyer J.P., Protocole d'examen clinique pour le repérage des troubles musculosquelettiques du membre supérieur, adaptation française du consensus européen SALTSA. ED4254, Ed INRS, novembre 2007, 73p [9] Chilin R., Moutet A., Muller M. (1994), Histoire de l Anact, 20 ans pour l amélioration des conditions de travail, Ed. Syros, 356 pages [10] Documents pour le médecin du travail n 65, 1 er trimestre 1996, Affections
périarticulaires des membres supérieurs et organisation du travail, résultats de l enquête épidémiologique nationale, INRS [11] Bourgeois F. (coord.) (1998),TMS et évolution des conditions de travail. Les actes du Séminaire Paris, Ed. ANACT, 133 p. (Collection Etudes & Documents) [12] Bourgeois F. Lemarchand C., Hubault F. et al (2000, revue et augmentée en 2006) Troubles musculosquelettiques et travail : quand la santé interroge l'organisation, Ed ANACT, 308 pages [13] Arnaud F, Mary-Cheray I., Schweitzer J.-M.(2007), Les clubs d entreprises : un dispositif de prévention des TMS In Intervenir en entreprises : pratiques actuelles, sous la Direction de Pelletier J., pp. 143-156, Ed. ANACT [14] Douillet P., Schweitzer J.M. (2005), Les conditions d'une prévention durable des TMS : actes du séminaire des 7 et 8 juillet 2004 organisé par l'agence Nationale pour l'amélioration des Conditions de Travail et des Actions régionales', Ed ANACT, 123 pages (collection Etudes et documents) [15] Daniellou F. (coord.), Caroly S., Coutarel F., Escriva E., Roquelaure Y., Schweitzer J.-M.(2008), La prévention durable des TMS. Quels freins? Quels leviers d action? <http://www.anact.fr/portal/pls/portal/docs/1/484333.pdf>