Montréal, le 17 décembre 2007 Madame Julie Boulet Ministre des Transports Gouvernement du Québec 700 boul René-Lévesque Est, 29 ième étage Québec, QC G1R 5H1 Objet : Projet de loi 42 "Loi modifiant le Code de la sécurité routière et le Règlement sur les points d'inaptitude" Dossier : 6003-0223 et 6003-0224 Madame la Ministre, Le Barreau du Québec désire vous faire part de certains commentaires qu'a suscités l'examen des projets de lois 42 et 55 mentionnés en rubrique Vous nous permettrez d'abord de déplorer le court délai accordé pour commenter ces importants projets de lois et l'absence de réponses à notre demande d'obtenir un délai raisonnable vous ayant été adressée le 27 novembre 2007 Le délai accordé ne nous ayant pas permis de procéder à une étude exhaustive des projets de lois, il nous fera plaisir de compléter nos recommandations si l'opportunité nous en est donnée Projet de loi 42 "Loi modifiant le Code de la sécurité routière et le Règlement sur les points d'inaptitudes Notre analyse porte sur deux sujets abordés par ce projet de loi, soit l'installation et l'utilisation de cinémomètre photographique et l'alcool au volant Sans reprendre l'ensemble des commentaires que nous avons déjà formulés sur la question du cinémomètre photographique en 2000 et 2001 1 et que nous croyons toujours pertinents, nous réitérons les interrogations du Barreau quant à l'imputabilité du propriétaire du véhicule et les moyens de défense qui lui sont offerts 1 Mémoire du Barreau du Québec, Livre vert- La sécurité routière au Québec: un défit collectif, 2000, wwwbarreauqcca et mémoire du Barreau du Québec, Projet de loi 17 cinémomètre photographique, juin 2001, wwwbarreauqcca
À notre avis, le propriétaire innocent ne devrait pas être pénalisé lorsque l'infraction a été commise par un tiers conducteur hors sa connaissance La responsabilité absolue du propriétaire innocent nous semble inacceptable Le Barreau du Québec estime qu'un moyen de défense de diligence raisonnable doit être prévu pour permettre au propriétaire innocent d'échapper à la responsabilité résultant du fait d'un tiers Le propriétaire devrait pouvoir être exonéré sans être obligé de démontrer que son véhicule a été utilisé sans sa permission et sans devoir dénoncer l'utilisateur du véhicule dont il connaît l'identité Le propriétaire du véhicule ne doit pas avoir à satisfaire une obligation de délation pour pouvoir se défendre De plus, le nouvel alinéa 3 de 5921 prévoit que même dans les cas où le propriétaire conviendrait de dénoncer le conducteur, le poursuivant aurait discrétion pour émettre un constat L'on peut imaginer qu'il y ait un risque que cette discrétion s'exercerait plus fréquemment en faveur de l'abstention de la part du poursuivant qui préférerait agir contre le propriétaire seulement puisque le poursuivant jouirait alors de la quasi-certitude d'obtenir une condamnation étant donné les présomptions applicables et l'étroitesse du moyen de défense accordé au propriétaire Nous vous soumettons que le libellé de la modification apportée à l'article 5921 du Code de la sécurité routière par l'article 61 du projet de loi exige que le propriétaire du véhicule établisse qu'il a été victime de vol ou, du moins, d'une prise sans permission de son véhicule En effet, l'article utilise l'expression "sans son consentement" Nous considérons qu'une telle obligation imposée au propriétaire est trop onéreuse Le libellé du nouvel article 5922 soulève un problème distinct puisqu'il prévoit que le propriétaire du véhicule ne peut être déclaré coupable si le conducteur a été trouvé coupable de la même infraction ou d'une infraction incluse Il paraît ici logique que deux individus ne soient pas punis pour le délit commis par l'un d'eux Cependant, tel que rédigé, l'article 5921 n'exclut pas la condamnation du propriétaire advenant le cas où le conducteur, auteur présumé du délit, aurait été acquitté Ceci conduit évidemment à une absurdité puisque le propriétaire pourrait alors être condamné en l'absence de toute faute de sa part ou de la part du conducteur Il nous semble qu'il y aurait lieu d'empêcher la condamnation du propriétaire lorsque le conducteur aurait été acquitté de l'infraction Si l'objectif visé par le gouvernement est de dissuader les contrevenants d'enfreindre les limites de vitesse, nous estimons que le fait de punir celui qui n'a commis aucune faute ne contribue aucunement à atteindre l'objectif visé et ne peut que contribuer au cynisme et à la déconsidération de l'administration de la justice Quant aux dispositions concernant l'usage d'alcool au volant, le Barreau reconnaît l'utilité des modifications apportées à l'article 64 du Code de la sécurité routière permettant à une personne de demander un permis restreint l'autorisant à conduire des véhicules routiers munis d'un antidémarreur éthylomètre agréé par la Société de l'assurance automobile du Québec 2
Nous souhaitons également vous rappeler notre recommandation de 2001 portant sur le renforcement du contrôle policier qui serait, selon nous, le moyen le plus efficace d'atteindre les objectifs désirés moyen qui devrait à notre avis être exploité avant d'imposer un nouveau système de contrôle qui comporte des atteintes potentielles aux droits des individus Le régime de sanctions proposé par les articles 7614 et suivants nous semble peu souhaitable Dans un premier temps, la norme fixées à 160 mg/100 ml nous semble arbitraire Il est difficile de justifier que l individu qui conduit avec un taux de 160 soit soumis à une suspension d un an alors que celui qui conduit avec un taux de 161 doive subir une suspension de trois ans Les comportements de ces deux délinquants sont identiques Il nous semble que le juge qui prononce la peine en vertu du Code criminel est mieux en mesure de la moduler en fonction des circonstances de chaque cas, ce qui nous semble préférable à des sanctions administratives arbitraires qui ne contribuent aucunement au contrôle de la sécurité routière Deuxièmement, nous sommes d avis que ce régime poserait des difficultés considérables d application Le nouvel article 587 du Code (article 59 du projet de loi), obligerait le greffier du tribunal à aviser la Société de toute ordonnance d'interdiction de conduire et lorsque la décision en fait état, de la concentration d'alcool dans le sang si celle-ci est supérieure à 160 mg d'alcool par 100 ml de sang Dans l'état actuel du droit, le taux d'alcoolémie est rarement mentionné à la décision et pour ainsi dire jamais, dans les procès-verbaux d'audience Ceci est particulièrement vrai dans les cas de plaidoyers de culpabilité qui représentent la majorité des cas Ceci résulte du fait que l infraction est commise du simple fait que le taux dépasse la limite des 80 mg et qu'il est indifférent pour les fins de la détermination de la culpabilité de savoir où se situe le taux par rapport à la norme arbitraire proposée des 160 mg Il nous semble par ailleurs raisonnable de soutenir que le législateur provincial ne peut pas dicter au juge qui siège en matière criminelle le contenu de ses jugements, ni sur la culpabilité ni lors du prononcé de la peine Il s ensuit que si le juge n est pas obligé de mentionner le taux d alcoolémie dans son jugement, il ne le fera pas nécessairement et il sera difficile d appliquer ces nouvelles mesures avec uniformité Ceci fera en sorte que, selon la juridiction où il sera déclaré coupable et selon les pratiques en vigueur en matière de rédaction des procès verbaux, le contrevenant pourra échapper aux sanctions À notre avis, ce régime pose des difficultés d application trop considérables en comparaison des bénéfices qui en résulteraient L'article 7616 prévoit qu'en cas de récidive dans les 10 années précédant la révocation ou la suspension pour conduite avec un taux d'alcoolémie supérieure à 160 mg d'alcool par 100 ml, la condition d'un anti-démarreur éthylométrique sera exigée durant toute la vie du contrevenant Nous sommes d avis que cette sanction à perpétuité sans même une possibilité de révision après un certain nombre d années ne se justifie pas Le caractère radical de la sanction risque de faire en sorte que les contrevenants y désobéiront plutôt que de chercher à s y conformer 3
La possibilité de soumettre périodiquement le contrevenant à des évaluations pour établir son rapport à l'alcool et aux drogues, milite en faveur d'une sanction moins sévère Le Barreau du Québec croit, que le fait d'établir à 10 ans l'obligation de conduire un véhicule automobile muni d'un anti-démarreur éthylométrique serait suffisant dans les circonstances La modification apportée à l'article 2024 du Code permet la suspension pour une période de 24 heures du permis de toute personne qui conduit un véhicule routier ou qui en a la garde ou le contrôle et dont l'alcoolémie se révèle égale ou supérieure à 50 mg d'alcool par 100 ml de sang Nous constatons que le Rapport de la Table québécoise de la sécurité routière ne recommandait pas une telle mesure, dont l'objectif nous paraît discutable S'il s'agit d'interdire la conduite avec un taux d'alcoolémie supérieur ou égal à 50 mg de manière indirecte, nous sommes d'avis que cette disposition pourrait soulever des difficultés d'ordre constitutionnel Par ailleurs, comme il ne s agit pas d'une nouvelle infraction, il n y aura ni accusation ni procès et la personne visée par la sanction ne disposera pas des mécanismes prévus aux lois québécoises et canadiennes pour contester le bien-fondé de la conclusion de l'agent de la paix Il n existe donc aucun mécanisme ordinaire de redressement pour le conducteur qui serait injustement assujetti à la sanction, bien qu une telle mesure soit susceptible d avoir des conséquences néfastes en termes d assurabilité, par exemple De plus, nous nous interrogeons sur la possibilité que soient consignées au Registre de la Société de l'assurance automobile du Québec des informations reliées à un taux d'alcoolémie égal à 50 mg d'alcool par 100 ml de sang Nous estimons qu il ne serait ni équitable ni opportun de faire apparaître à un dossier administratif une mention d un comportement qui ne constitue pas une infraction et dont le bien fondé ne peut être contesté que par des voies extraordinaires L'article 34 du projet de loi modifie l'article 20914 du Code en confiant à la Société d'assurance automobile du Québec, sous certaines conditions, le pouvoir de décider de la remise en possession par le propriétaire du véhicule saisi Ce pouvoir est actuellement dévolu à la Cour du Québec qui, après enquête, décide de l'issue de la demande Le Barreau du Québec est opposé au remplacement du processus judiciaire par une décision administrative En effet, le processus judiciaire offre des garanties procédurales qu'on ne retrouve pas en matière de décision administrative De plus, la Cour du Québec a développé une expertise en la matière et s est montrée capable de traiter les dossiers de cette nature dans des délais raisonnables Compte tenu des difficultés inhérentes au transfert de cette compétence à l administration publique, il pourra en découler des inconvénients majeurs pour les justiciables 4
dispositions législatives" Faute de temps, nos commentaires porteront exclusivement sur l'article 20 de ce projet de loi qui modifie l'article 20911 du Code, obligeant le propriétaire d'un véhicule qui avait confié celui-ci à un conducteur sous le coup d'une sanction, de démontrer qu'il ignorait ce fait et qu'il avait récemment reçu confirmation de la Société de l'assurance automobile du Québec que le permis du conducteur était valide Le Barreau du Québec croit que cette exigence est excessive et entraînera des difficultés d'application À notre avis, il n est pas raisonnable de s attendre à ce qu un propriétaire de véhicule exige de ses conjoints, enfants, amis etc le numéro de leur permis de conduire et qu il soit tenu d en vérifier périodiquement la validité L ignorance sincère du fait de la sanction justifie amplement la remise du véhicule à son propriétaire légitime dont la seule faute, rappelons-le, serait d avoir prêté son véhicule à quelqu un qui, hors sa connaissance, faisait l objet d une sanction Il est difficile de concevoir que le fait de priver le propriétaire de son véhicule puisse se justifier du simple fait qu il n a pas fait la vérification prévue à l article 6111 En terminant, nous ne pouvons que vous exprimer notre déception du peu de cas qui a été fait de la demande du Barreau d obtenir un délai raisonnable pour étudier ces deux projets de lois importants Le gouvernement du Québec a toujours considéré le Barreau du Québec comme un interlocuteur incontournable lorsqu il s est agi d adopter des modifications législatives importantes Les projets de lois 42 et 55 proposent des modifications législatives importantes dont l analyse plus exhaustive aurait exigé du temps et de la réflexion Il n y avait ici aucune urgence La précipitation qui nous a été imposée est regrettable et nous le déplorons vivement Souhaitant que ces commentaires seront utiles à l'examen de ces projets de lois, nous vous prions, Madame la Ministre, de recevoir nos respectueuses salutations Le Bâtonnier du Québec, J Michel Doyon, cr, Ph D Référence 0201 cc Commission du Transport et de l'environnement JMD/cb 5