2 - LES APPLICATIONS :



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Transcription:

- 17 - Version pré-print : pour citer cet article : «La notion de personne en droit : à quel moment commence et termine la personne»? in La personne dans les sociétés techniciennes,dir. R. Mache, l Harmattan, 2007, p. 59 2 - LES APPLICATIONS : A QUEL MOMENT C OMMENCE ET FINIT LA PERSONNE? La notion de personne en droit, si elle peut faire l objet d une définition théorique, est nécessairement confrontée, en pratique, à ses limites. Au-delà des rapprochements que l on peut mettre en évidence entre la personne et d autres entités (les animaux, la nature), il faut s interroger avant tout sur le commencement et la fin de la personne. Si l on part d un présupposé théorique, selon lequel la personne juridique est celle qui bénéficie de droits, 1 on peut tenter de déterminer le début et la fin d une personne avec l émergence et la disparition des droits dont cette personne peut se prévaloir. Cette méthode peut être appliquée à la période qui précède la naissance de la personne humaine c est la question du statut juridique de l embryon et du fœtus (I) mais on peut encore l utiliser en ce qui concerne le statut juridique du défunt (II). Une hypothèse peut alors être soumise à vérification : l embryon ou le défunt ne peuvent être considérés comme des personnes juridiques que s ils bénéficient de droits. Une telle problématique n appelle pas de réponse tranchée. 1 Et parallèlement, sur qui repose des obligations ; mais cet aspect de la question n est pas nécessaire à la démonstration.

- 18 - I)DÉ F I N I T I O N D E L A P E R S O N N E E T S T A T U T D E L E N F A N T C O N Ç U La question du statut de l embryon (ou du fœtus) s est présentée au juriste avec une particulière acuité depuis la dépénalisation de l avortement en 1975. Depuis, elle fait l objet d un débat récurrent en matière de droit de la bioéthique. Sans trancher ce débat, on peut mettre en évidence un certain nombre d éléments qui tendent à distinguer l embryon de la personne humaine (A) alors que d autres éléments contribuent, au contraire, à rapprocher l embryon de la personne (B). A) LE STATUT JURIDIQUE DE L ENFANT CONÇU LE DISTINGUE DE LA PERSONNE HUMAINE L embryon ou le fœtus possède un statut juridique particulier qui lui empêche de bénéficier les droits les plus fondamentaux (1) et qui ne le protège pas contre un risque de destruction (2). 1) L enfant conçu ne possède pas de droits fondamentaux Il faut citer en premier lieu l article 16 du Code civil selon lequel «La loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l'être humain dès le commencement de sa vie». Ce texte peut être interprété comme établissant une distinction entre la personne humaine et l être humain. L être humain existe dès le commencement de sa vie, c'est-à-dire dès sa conception et il doit être respecté ; mais, dans l article 16 il se distingue de la personne humaine, laquelle bénéficie de la primauté 2. Ce texte, 2 Ce terme étant lui-même particulièrement ambigu.

- 19 - qui émane de la loi de 1975 sur l IVG 3 reprend, en réalité, une distinction qui transparaissait déjà dans la Déclaration des droits de l homme et du citoyen de 1789. Dans son article 1 er, ce texte dispose que «les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit» 4. Il sous-entend de façon assez explicite que l égalité juridique des hommes débute à leur naissance. Avant cette date, il n y a point d égalité et l embryon ne peut être traité comme un homme juridique, c'est-à-dire comme une personne. L embryon ne bénéficie pas d une égalité de traitement juridique, c'est-à-dire qu il ne peut se prévaloir de droits fondamentaux, tel que le droit à la vie. On trouve une illustration de ce statut juridique précaire dans le droit de la procréation médicalement assistée. Selon le Code de la santé publique, cette technique de procréation est admise pour répondre à la demande parentale d un couple. L assistance à la procréation ne peut donc être envisagée que dans le cadre d un projet parental. Le problème se pose néanmoins, une fois l embryon conçu in vitro, de savoir si cet embryon peut se prévaloir d un droit à vivre, c'est-à-dire, en premier lieu, à naître. La question a été soulevée d abord en jurisprudence à propos du transfert in utero de l embryon post mortem, c'est-àdire postérieurement au décès du père. La jurisprudence, puis la loi, ont interdit ce transfert 5 soulignant ainsi l absence d un droit à l existence de l embryon indépendamment du projet parental. Si l embryon ne possède pas un droit autonome à naître, il est aussi mal protégé contre le risque d atteinte portée à son existence in vitro ou in utero. 3 Loi nº 75-596 du 9 juillet 1975 art. 6 Journal Officiel du 10 juillet 1975 ; inséré dans le Code civil par la Loi nº 94-653 du 29 juillet 1994 art. 1 I, II, art. 2 Journal Officiel du 30 juillet 1994. 4 Cité par P. Sargos, dans son rapport sous cass. ass. plén., 29 juin 2001. La décision est disponible ainsi que le rapport et les conclusions de l avocat général sur le site de la Cour de cassation : http://www.courdecassation.fr/ (rubrique «grands arrêts»). Pour un commentaire doctrinal : cf. not. Sur cette décision, Y. Mayaud, D. 2001, juris., p. 2917. 5 Article L2141-2 C.sant.pub., loi nº 2004-800 du 6 août 2004 art. 24 I Journal Officiel du 7 août 2004 : «L'homme et la femme formant le couple doivent être vivants». cf. aussi, L. Brunet, de la distinction entre «personne» ou «chose» en droit civil : a propos du transfert post mortem d embryon, in la recherche sur l embryon, qualifications et enjeux, RGDM, 2000, n spécial., p. 57.

- 20-2) L enfant conçu n est pas protégé contre une atteinte à sa vie Cette absence de protection est particulièrement évidente à propos de l interruption volontaire de grossesse. Qu elle soit justifiée par une nécessité médicale, par la détresse de la mère ou par la liberté de choix de celle-ci, l IVG n en reste pas moins, au regard de l embryon et d un point de vue juridique, un acte de destruction et d atteinte à la vie 6. En dehors de tout débat d ordre éthique, cette atteinte à la vie ne peut faire l objet que de deux interprétations. Soit l IVG est considérée comme une atteinte à la vie réprimée par les dispositions du Code pénal sur l homicide volontaire, mais qui fait l objet d une autorisation légale 7, soit l IVG n est pas considérée comme un homicide et l embryon doit être exclu de la catégorie des personnes au sens juridique du terme. C est la seconde interprétation qui a été préférée par la jurisprudence à propos de la destruction involontaire d embryons et de fœtus. On peut citer à ce titre la décision rendue le 9 mars 2004 par le Tribunal administratif d Amiens 8, lequel a été saisi d une action en responsabilité dirigée contre un centre hospitalier en raison de la destruction d embryons surnuméraires. Dans cette espèce, un récipient contenant des embryons congelés destinés à une PMA s était fissuré, puis réchauffé. Les parents avaient demandé à l hôpital des dommages-intérêts pour perte d être cher. Cette demande fut rejetée par le tribunal qui affirma clairement que les embryons surnuméraires «ne sont pas des personnes» et que les parents 6 Atteinte qui est limitée dans le temps pour l IVG décidée par la mère, mais qui peut avoir lieu jusqu à la naissance en ce qui concerne l IVG thérapeutique. Article L2213-1 du code de la santé publique : «L'interruption volontaire d'une grossesse peut, à toute époque, être pratiquée si deux médecins membres d'une équipe pluridisciplinaire attestent, après que cette équipe a rendu son avis consultatif, soit que la poursuite de la grossesse met en péril grave la santé de la femme, soit qu'il existe une forte probabilité que l'enfant à naître soit atteint d'une affection d'une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic». 7 L autorisation de la loi est alors conçue comme un fait justificatif qui fait échapper son auteur à toute poursuite pénale. 8 TA Amiens, 9 mars 2004, JCP 2005, II, 10003, note I. Corpart.

- 21 - «ne sont pas fondés à se prévaloir de l existence d un préjudice moral résultant, selon eux, de la perte d un être cher» 9. Cette jurisprudence est conforme à la politique du législateur sur ce point. Lorsque le couple qui a eu recours à une PMA a abandonné son projet parental, les embryons surnuméraires peuvent être confiés à un autre couple, destinés à la recherche, ou tout simplement détruit à l issue d un délai de cinq ans 10. L absence d utilité de l embryon surnuméraire ouvre la voie à sa destruction, soulignant un peu plus l absence d un droit de l embryon à une existence autonome. Ce statut précaire est encore appliqué à l embryon ou au fœtus qui se développe in utero. La question s est posée à de multiples reprises à propos du décès prématuré d embryons ou de fœtus à l occasion d un accident de la circulation. Dans de telles circonstances, la question se pose de savoir si l auteur de l accident peut être condamné sur le fondement du délit d homicide involontaire 11. La réponse à cette question a fait l objet d un important débat avec, en filigrane, l enjeu qui consiste à déterminer la date à partir de laquelle l être humain peut se prévaloir d un droit à vivre. Le débat s est alors porté sur la date à partir de laquelle le fœtus est considéré comme viable. La viabilité du fœtus peut être définie comme l aptitude à vivre de façon autonome une fois séparée de la mère. Ce stade du développement est essentiel, car il permet de séparer physiquement l enfant de sa mère. Le critère pourrait aussi permettre de distinguer juridiquement ces deux personnes ; mais le problème réside dans le fait que la viabilité est très difficile à dater 12. L académie de médecine, interrogée par la Cour de 9 On peut souligner à cet égard que le décès d un animal peut provoquer, selon la Cour de cassation, la perte d un être cher. Cass. civ 1 ère, 16 fév. 1962, D. 1962, juris., p. 199. 10 Art 2141-4 C. sant.pub. issu de la loi 2004-800 du 6 août 2004. 11 Atteinte involontaire à la vie, C.pén., art 221-6 et suiv. 12 Cf. par exemple J. Saint-Rose, conclusions sous cass. ass. plén., 29 juin 2001. «On estime généralement en France, dans les services de réanimation néonatale qu'à partir de 32 semaines de grossesse une viabilité sans aide médicale est acquise. A partir de 24 semaines la réanimation est en général justifiée ; entre 22 et 24 semaines de grossesse elle se discute davantage en raison d'une mortalité plus élevée et des risques de séquelles graves ; enfin, en

- 22 - cassation, a noté que la notion de viabilité «est étroitement liée aux possibilités de prise en charge médicale» 13. En d autres termes, la viabilité de l enfant dépend avant tout des progrès de la médecine dans l assistance aux enfants prématurés. Ce critère, par son imprécision, est difficile à transposer dans le domaine juridique et le problème demeure entier. En l absence d une distinction suffisamment nette de la viabilité du fœtus, la Cour de cassation s est contentée d appliquer les principes généraux du droit pénal à l homicide sur le fœtus. Dans un arrêt d assemblée plénière, la Cour a alors affirmé que le principe de l interprétation stricte de la loi pénale «s oppose à ce que l incrimination prévue par l article 221-6 du Code pénal réprimant l homicide involontaire d autrui, soit étendue au cas de l enfant à naître, dont le régime juridique relève de textes particuliers sur l embryon ou le fœtus» 14. En d autres termes, l enfant à naître est placé sous un régime particulier qui le distingue de la personne. La destruction de l embryon ou du fœtus ne peut être qualifiée d homicide. Le débat a été alors porté devant la Cour européenne des droits de l homme pour savoir si l embryon pouvait être protégé par l article 2 de la Convention européenne des droits de l homme garantissant le droit à la vie 15. La Cour européenne, dans un arrêt du 8 juillet 2004 16, a d abord souligné l absence de consensus européen sur la nature et le statut de l embryon et du fœtus. Elle a ensuite affirmé qu il n était ni souhaitable, ni possible de répondre à la question de savoir si l enfant à naître était une «personne» au sens de la Convention. En conséquence, elle a pu déclarer que le droit français n était pas en contradiction avec le texte européen. La question de l homicide involontaire sur le fœtus semble confirmer l hypothèse selon laquelle les droits de la dessous de 22 semaines de grossesse la réanimation fœtale n'est entreprise qu'exceptionnellement. Le seuil de 22 semaines de grossesse paraît difficilement franchissable car avant cette date l'air ne passe pas dans les poumons». 13 Cité par P. Sargos, dans son rapport sous ass. plén., 29 juin 2001. 14 Cass. ass. plén., 29 juin 2001 précit, n 99-85.973. 15 Conv.EDH art 2 : «Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi». 16 CEDH, 8 juillet 2004, Vo c/ France, D. 2004, chr., p. 2801, E. Serverin ; et juris., p. 2456, note J. Pradel.

- 23 - personnalité ne sont acquis qu à partir de la naissance de l enfant. Avant la naissance, l enfant conçu ne peut revendiquer aucun des droits les plus fondamentaux de la personne. Cela ne signifie pas, pour autant, que la période anténatale soit une zone de non-droit. Bien au contraire, l enfant conçu est l objet de nombreux textes qui en définissent le statut juridique. Un statut qui rapproche cet être humain de la notion de personne juridique. B) LE STATUT JURIDIQUE DE L ENFANT CONÇU LE RAPPROCHE DE LA PERSONNE HUMAINE Pour définir le statut de l enfant conçu, les juristes ont l habitude de citer une maxime latine encore appliquée aujourd hui en droit des successions. Selon cette maxime, l'enfant conçu est considéré comme né chaque fois qu'il s'agit de ses intérêts 17. Par exemple, il a été jugé qu'un enfant conçu au moment de l'accident mortel de travail survenu à son père, pouvait prétendre à l octroi d une rente indemnitaire 18. Pour autant, la règle de l assimilation de l enfant conçu à l enfant né est imparfaite. En effet, les droits de l enfant conçus ne seront mis en œuvre qu après la naissance. Si l enfant décède avant sa naissance, ou s il naît non-viable, la règle doit être écartée 19. Dès lors, c est bien la naissance qui constitue la condition nécessaire à l acquisition d un droit patrimonial. Mais la formule de la maxime suggère l ambiguïté du statut de l enfant à naître 20. Cette ambiguïté a été appuyée par le premier avis rendu par le Comité consultatif national d éthique le 22 mai 1984. La haute instance a ainsi affirmé que «l'embryon ou le fœtus doit être reconnu comme une personne humaine 17 infans conceptus pro nato habetur quoties de commodis ejus agitur. Pour une application, cf. par exemple Cass. civ. 1ère, 10 déc. 1985, bull, n 339, D. 1987, p. 449, defrenois 1986, p. 668. 18 Cass. ch. réun., 8 mars 1939, Bull. civ., n 70. 19 Cf. sur ce point supra, in 1) Approche théorique. 20 Ambiguïté reprise par certains textes internationaux. Par exemple, la Convention internationale relative aux Droits de l'enfant du 20 novembre 1989 stipule que «L'enfant a besoin d'une protection spéciale notamment d une protection juridique appropriée avant comme après sa naissance».

- 24 - potentielle». Elle en déduit certains principes tels que l interdiction de toute expérimentation in utero ou de toute utilisation commerciale ou industrielle de l embryon et du fœtus. Le Comité national d éthique a ainsi marqué une volonté de distinguer l enfant conçu d une simple chose pour le rapprocher d une personne sans pour autant procéder à une assimilation. En droit, ce statut intermédiaire se caractérise par une protection qui éloigne l enfant conçu de tout risque de réification (1), mais aussi, et c est plus surprenant, par certains mécanismes juridiques qui aménagent indirectement des droits à son profit (2). 1) Une protection juridique qui éloigne l enfant conçu du risque de réification Le statut juridique de l embryon résulte d un ensemble de textes qui posent un cadre strict pour chacune des atteintes à la vie ou à l intégrité de l enfant conçu. Ce dernier fait ainsi l objet d une protection pénale détaillée qui prohibe par exemple l interruption de grossesse sans le consentement de la mère 21 ou encore l interruption de grossesse d autrui exercée au-delà de l expiration du délai légal 22. Plus particulièrement, dans le Code pénal, figure une section dédiée à la protection de l embryon humain. Un ensemble d incriminations prohibent ainsi le commerce des embryons 23 ou leur fabrication par clonage dans un but thérapeutique ou scientifique 24. Plus précisément, certaines utilisations licites de l embryon font l objet d une réglementation qui tend à montrer que le statut de l embryon se rapproche de celui d un jeune enfant. Tel est le cas de la loi du 6 août 2004 qui a ouvert la possibilité de réaliser des recherches sur l embryon. Certains auteurs ont pu évoquer, à propos de cette loi, le spectre de la 21 C.pén. art 223-10. 22 C. sant.pub : art L. 2222-2. Il est à souligner que seul celui qui pratique l IVG illégale peut être poursuivi. La mère échappe, quant à elle, à l interdiction. 23 C.pén., art 511-15. 24 C.pén. art 511-18 et 511-18-1.

- 25 - réification 25. Bien au contraire, la protection juridique accordée à l embryon est proche de celle qui concerne l expérimentation humaine sur les enfants 26. Quelques comparaisons suffisent à s en convaincre. 1) La recherche sur l embryon est soumise à la double condition qu il n existe pas de méthode alternative d efficacité comparable et que cette recherche soit susceptible de permettre un progrès thérapeutique majeur 27. La recherche sur l enfant né est aussi soumise à la double condition que des recherches d'une efficacité comparable ne puissent être effectuées sur des personnes majeures et que l'importance du bénéfice escompté pour les mineurs soit de nature à justifier le risque prévisible encouru 28. 2) La recherche sur l embryon ne peut être réalisée qu avec le consentement écrit du couple qui l a conçu dès lors que le projet parental a été abandonné 29. La recherche biomédicale sur la personne d un mineur est elle aussi soumise à l exigence d un consentement écrit donné par les titulaires de l autorité parentale 30. 3) Le protocole de recherche sur l embryon doit faire l objet d une autorisation donnée par l agence de la biomédecine 31. Quant à la recherche sur le mineur, elle est soumise, comme toute recherche biomédicale, à l avis favorable du comité de protection des personnes 32. Ainsi, de nombreuses similitudes peuvent être établies en ce qui concerne le statut de l enfant conçu et celui de l enfant né au regard de l encadrement juridique auquel sont soumises les expérimentations. Des similitudes se retrouvent, dans un tout autre champ du droit, en ce qui concerne l état civil de l enfant conçu lorsque ce dernier vient à décéder avant sa naissance. 25 A. Dorsner-Dolivet, De l interdiction du clonage à la réification de l être humain, JCP 2004, I, 172 26 Résultant de la loi nº 2004-806 du 9 août 2004, Journal Officiel du 11 août 2004. 27 C. sant.pub. art L. 2151-5. 28 C. sant.pub. art L. 1121-7. 29 C. sant.pub. art L. 2151-5. 30 C. sant.pub. art 1122-2. 31 C. sant.pub. art. L. 2151-5. 32 C. sant.pub. art. 1121-4.

- 26 - L enfant mort-né bénéficie alors d une procédure particulière d inscription à l état civil. Le rôle de l'état civil consiste à répertorier les naissances, les décès et les principaux événements de la vie des personnes 33. Pourtant, lorsque l enfant n est pas né viable, une procédure particulière est offerte aux parents afin d indiquer symboliquement, sur le registre d état civil, que l enfant a existé. C est l acte d enfant sans vie 34. L officier d état civil dresse cet acte en indiquant le jour, l heure et le lieu de l accouchement ainsi que l identité des parents. Cet acte ne préjuge pas de savoir si l enfant a vécu ou non. Ainsi, l enfant conçu qui n a jamais accédé à la vie après l accouchement reçoit aussi une reconnaissance juridique, sans pour autant que cette reconnaissance ne crée des droits à son profit. Ces droits existent pourtant avant la naissance dans certaines circonstances particulières. 2) Des mécanismes juridiques qui accordent des droits à l enfant conçu De façon très particulière, en droit international, il est possible d évoquer le cas peu fréquent, mais signifiant, de l exécution d une femme enceinte. Cette hypothèse est prévue dans le pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966. Cette convention internationale stipule, dans son article 6, que le droit à la vie est inhérent à la personne humaine et précise qu une sentence de mort ne peut être exécutée contre des femmes enceintes. Ainsi, de façon indirecte, le pacte établit une distinction entre la femme qui est condamnée à mort pour avoir commis un crime, et l enfant qui bénéficie du droit à vivre malgré la peine qui frappe sa mère. D un point de vue éthique, la solution paraît évidente, mais d un point de vue juridique, elle réintroduit l idée que l enfant à naître peut bénéficier des mêmes droits que les autres personnes humaines. De façon plus symptomatique en droit français, on peut déduire de certaines décisions que l enfant conçu est 33 Frédérique GRANET, Etat civil et décès périnatal dans les Etats de la CIEC, JCP 1999, I 124. 34 C.civ. art 79-1.

- 27 - protégé par le droit au respect de sa dignité. Le droit à la dignité est visé par l article 16 du Code civil et il est réservé, selon ce texte, à la personne humaine. Une interprétation stricte devrait conduire à exclure l enfant simplement conçu du champ d application du principe de dignité. Telle n est pas la solution retenue par le Conseil constitutionnel qui a eu à se prononcer sur cette question à propos de l examen de la loi prolongeant le délai de l interruption volontaire de grossesse de dix à douze semaines 35. Pour le Conseil 36, cette loi «n a pas rompu l équilibre ( ) entre, d une part la sauvegarde de dignité de la personne humaine contre toute forme de dégradation et, d autre part, la liberté de la femme qui découle de l article 2 de la Déclaration des droits de l homme et du citoyen». En plaçant face à face la liberté de la femme et le principe de dignité à propos de l IVG, le Conseil constitutionnel a reconnu implicitement que l embryon ou le fœtus était protégé par le droit à la dignité ; et que ce droit pouvait, dans une certaine mesure, être opposé à celui de la mère. Loin de la réification, cette décision marque au contraire un net rapprochement entre le statut de l enfant conçu et celui de la personne humaine. La difficile frontière qui existe entre le commencement de la vie et la naissance, se prolonge lorsque, à l issue de sa vie, l être humain passe de l état de personne à celui de défunt. II) D E F I N I T I O N D E L A P E R S O N N E E T S T A T U T D U D E F U N T La mort de la personne humaine est définie juridiquement par le Code de la santé publique. Elle consiste soit dans l arrêt cardiaque, soit dans l état de mort cérébrale qui désigne l arrêt irrémédiable de toutes les activités du cerveau 35 Loi n 2001-588 du 4 juillet 2001 art L. 2212-3 et suiv. C.sant.pub. 36 CC, 27 juin 2001, déc. N 2001-588, JCP 2001, II, 10635 ; D. 2001, juris., p. 2533.

- 28 - bien que la respiration et les battements du cœur puissent être maintenus artificiellement 37. Le statut juridique du défunt oscille entre celui de chose et celui de personne humaine. Le Code de la santé publique utilise l expression «personne décédée». Le Code pénal, quant à lui, parle d atteinte à «l intégrité du cadavre» mais vise aussi la «mémoire des morts». La personnalité de l individu décédé persiste ainsi, au moins de façon symbolique, à travers le vocabulaire employé. Ce qui distingue le défunt de l enfant conçu, réside notamment dans le fait que le premier a connu une existence en tant que personne humaine. À ce titre, il a pu exprimer une volonté qui constitue l un des critères de la personnalité. L appréhension du défunt par le droit doit ainsi tenir compte de cette volonté qui a été exprimée et produira des effets après le décès. Pour autant, peut-on encore parler de personne humaine à propos du défunt? Il faut revenir vers l hypothèse de départ, qui attribue la personnalité juridique à celui qui peut se prévaloir de droits. Ainsi, le défunt ne demeure une personne humaine que s il a pu conserver ses droits. On constatera ainsi que les droits du défunt ne disparaissent que partiellement (A) alors que sa volonté survit, dans une certaine mesure, à son décès (B). 37 Article R1232-1 C.sant.pub : «Si la personne présente un arrêt cardiaque et respiratoire persistant, le constat de la mort ne peut être établi que si les trois critères cliniques suivants sont simultanément présents : 1º Absence totale de conscience et d'activité motrice spontanée ; 2º Abolition de tous les réflexes du tronc cérébral ; 3º Absence totale de ventilation spontanée». Article R1232-2 C.sant.pub : «Si la personne, dont le décès est constaté cliniquement, est assistée par ventilation mécanique et conserve une fonction hémodynamique, l'absence de ventilation spontanée est vérifiée par une épreuve d'hypercapnie. De plus, en complément des trois critères cliniques mentionnés à l'article R. 1232-1, il est recouru pour attester du caractère irréversible de la destruction encéphalique : 1º Soit à deux électroencéphalogrammes nuls et aréactifs effectués à un intervalle minimal de quatre heures, réalisés avec amplification maximale sur une durée d'enregistrement de trente minutes et dont le résultat est immédiatement consigné par le médecin qui en fait l'interprétation ; 2º Soit à une angiographie objectivant l'arrêt de la circulation encéphalique et dont le résultat est immédiatement consigné par le radiologue qui en fait l'interprétation».

- 29 - A) LA DISPARITION PARTIELLE DES DROITS DU DEFUNT De façon similaire à l enfant simplement conçu, le défunt perd la plupart de ses droits fondamentaux (1) 38 ; mais il bénéficie toujours d une protection juridique (2). 1) L extinction des droits de la personnalité Cette disparition semble logique dans la mesure où le défunt ne laisse derrière lui que son patrimoine alors même que les droits de la personnalité présentent un caractère extrapatrimonial. On peut citer, de façon topique, le droit au respect de la vie privée prévu à l article 9 du Code civil. «Le droit au respect de la vie privée n appartient qu aux vivants» affirmait clairement la Cour d appel de Paris dans un arrêt du 6 mai 1997 39. Cette solution a été confirmée par la Cour de cassation à propos de la publication d un ouvrage révélant la maladie d un président de la République après le décès de ce dernier. La Cour a pu affirmer que «le droit d'agir pour le respect de la vie privée s'éteint au décès de la personne concernée, seule titulaire de ce droit» 40. Une solution identique est reprise à l article 34 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse à propos de la diffamation. Cette infraction, qui constitue une atteinte à l honneur de la personne diffamée, connaît un champ d application réduit en ce qui concerne le défunt. La loi prévoit ainsi que la diffamation et l injure contre la mémoire des morts ne peuvent donner lieu à une action en justice que «dans le cas où l auteur de ces diffamations ou injures aurait eu l'intention de porter atteinte à l'honneur ou à la considération des héritiers, époux ou légataires universels vivants». Ainsi, les héritiers ne peuvent agir au nom du défunt pour sauvegarder son honneur. Le droit à l honneur s éteint avec le décès. En définitive, tout se passe comme si le défunt perdait son statut de personne pour ne devenir plus qu un corps. Ce sentiment est renforcé à la lecture de l article 16-2 du Code civil qui permet de faire cesser les atteintes au corps humain. Sur le 38 Ceux de la personnalité 39 CA Paris, 6 mai 1997, D. 1997, juris., p. 596, note B. Beignier. 40 Cass. civ. 1 ère, 14 déc. 1999, bull, n 345, D. 2000, juris., p. 372, note B. Beignier, JCP 2000, II, 10241, concl. Petit.

- 30 - fondement de cette disposition, les juges du fond ont pu affirmer que «la dépouille mortelle d un individu fait l objet d un droit de copropriété familial» 41, qui doit alors être considéré comme un simple objet. Mais cet objet bénéficie d une protection qui rapproche sa situation juridique de celle d une personne. 2) LA SURVIE D UNE PROTECTION JURIDIQUE DU DEFUNT Cette protection concerne d abord le corps du défunt. Ainsi, l article 16-2 du Code civil permet au juge de «prescrire toutes mesures propres à empêcher ou faire cesser une atteinte illicite au corps humain». Cette protection est assurée à la personne en vie, mais aussi au corps du défunt. Elle est renforcée par l article 225-17 du Code pénal qui réprime le délit d atteinte à l intégrité du cadavre 42. Symboliquement, ce délit est intégré dans la partie du Code pénal qui envisage les atteintes à la personne humaine, assimilant ainsi les morts à des personnes. Cette infraction est d ailleurs inspirée par l humanité qui demeure dans le corps du défunt. La Cour d appel de Nancy a pu affirmer à cet égard que «le but de l acte doit être un outrage envers le mort, un manquement dû au respect de sa personne» 43. Dans le même esprit, le droit assure encore la protection de la dignité du défunt. Cette solution a été affirmée à deux reprises à propos de la publication de photos de personnes récemment décédées. Dans une importante décision du 20 décembre 2000, la Cour de cassation a affirmé qu une Cour d appel, «ayant retenu que la photographie publiée représentait distinctement le corps et le visage du préfet assassiné, gisant sur la chaussée d'une rue, (elle) a pu juger, dès lors que cette image était attentatoire à la dignité de la 41 Notamment TGI Lille, ord. 5 déc. 1996, D. 1997, juris., p. 376, note Labbée. 42 De la même façon que la violation ou la profanation de sépulture ou de monuments édifiés à la mémoire des morts. 43 CA Nancy, 16 mars 1967, D. 1971, som. p. 212.

- 31 - personne humaine» 44. Elle a précisé dans un arrêt du 20 février 2001, que l atteinte à la dignité d un défunt était caractérisée par une photo indécente recherchant le sensationnel 45. De façon plus étonnante, la Cour de cassation assure une protection pénale de la vie privée de la personne décédée alors même que cette protection n est pas accordée sur le fondement de l article 9 du Code civil. À propos de la publication d une photo de la dépouille mortelle d un président de la République, la chambre criminelle a pu affirmer que «la fixation de l image d une personne, vivante ou morte, sans autorisation préalable des personnes ayant pouvoir de l accorder, est prohibée et la diffusion ou la publication de ladite image sans autorisation entre nécessairement dans le champ d application des articles 226-1, 226-2 et 226-6 du Code pénal» 46, lesquels protègent la vie privée des personnes. Cette solution est surprenante, tant elle paraît contradictoire avec la position adoptée en matière civile. Pour autant, si elle accorde une protection particulière à la dépouille mortelle, la Cour de cassation n érige pas cette protection en véritable droit dont pourraient se prévaloir les héritiers par représentation 47. La persistance de la personnalité est plus visible lorsque le droit consacre la survie partielle de la volonté du défunt. B) LA SURVIE PARTIELLE DE LA VOLONTE DU DEFUNT Le corps d un défunt peut être l objet de nombreuses tensions dans la mesure où il représente, parfois, un intérêt non négligeable pour les vivants. Il peut servir à sauver des vies, par un prélèvement d organe, mais aussi à révéler des vérités, par une expertise génétique. Le corps du défunt peut donc connaître 44 «Qu'une telle publication était illicite, sa décision se trouvant ainsi légalement justifiée au regard des exigences tant de l'article 10 de la Convention européenne que de l'article 16 du Code civil». Cass. civ. 1 ère, 20 déc. 2000, D. 2001, p. 885, p. 872 ; JCP 2001, II, 10488. 45 Cass. civ. 1 ère 20 fév. 2001, n 98-23471 46 Cass. crim. 20 oct. 1998, D. 1999, juris., p. 107, note B. Beignier. 47 Cf. l analyse de B. Beignier, selon lequel «le mort perd toute individualité» ses héritiers étant propriétaires de son corps et agissant en leur nom propre.

- 32 - une nouvelle vie après la mort. Toutefois, la persistance de la volonté du défunt après son décès n est prise en compte par le droit que si cette volonté a pu être exprimée par le défunt de son vivant. L atteinte au cadavre est alors soumise au consentement de la personne avant son décès ; consentement qui peut être présumé (1) ou qui doit avoir été exprimé (2). 1) Le consentement présumé L atteinte au corps du défunt peut présenter l utilité incontestable, dans certaines circonstances, de sauver la vie ou d améliorer la santé d autrui par la technique du don d organe. Pour autant cette atteinte est soumise, selon l article 16-3 du Code civil, au consentement de la personne concernée. Dans cet esprit, lorsqu une personne se trouve en état de mort cérébrale, un prélèvement d organe ne peut être effectué que si l individu décédé a donné son consentement au prélèvement. Depuis une loi du 22 décembre 1976, pour favoriser le don d organe, ce consentement est présumé avoir été donné par la personne de son vivant 48. Par la suite, les premières lois bioéthiques de 1994 adoptèrent une distinction entre le prélèvement à finalité thérapeutique et ceux à finalité scientifique (pour lesquels le consentement devait être démontré) 49. Cette distinction a été abandonnée par la loi relative à la bioéthique du 6 août 2004 et le Code de la santé publique prévoit désormais que le prélèvement peut avoir lieu «lorsque la personne n'a pas fait connaître, de son vivant, son refus d'un tel prélèvement» 50. Le refus peut être exprimé du vivant de la personne dans un registre national automatisé. Néanmoins, dans la plupart des situations, le médecin se 48 Loi n 76-1181, JO 23 déc. 1976, p. 7365 49 Cf. sur ce point, J.R. Binet, Le nouveau droit de la bioéthique, Litec, Paris, 2005. 50 C. sant.pub. 1232-1 : «Le prélèvement d'organes sur une personne dont la mort a été dûment constatée ne peut être effectué qu'à des fins thérapeutiques ou scientifiques. Ce prélèvement peut être pratiqué dès lors que la personne n'a pas fait connaître, de son vivant, son refus d'un tel prélèvement. Ce refus peut être exprimé par tout moyen, notamment par l'inscription sur un registre national automatisé prévu à cet effet. Il est révocable à tout moment». Une limite au prélèvement scientifique est posée : C. sant.pub. 1232-3 : «Les prélèvements à des fins scientifiques ne peuvent être pratiqués que dans le cadre de protocoles transmis, préalablement à leur mise en œuvre, à l'agence de la biomédecine».

- 33 - retrouve face au silence du défunt. Il ne peut alors se contenter de ce silence, mais doit «s'efforcer de recueillir auprès des proches l'opposition au don d'organes éventuellement exprimée de son vivant par le défunt». En d autres termes, la volonté du défunt sera exprimée par ses proches 51. Parfois, le droit exige que cette volonté ait été exprimée clairement par la personne de son vivant. 2) Le consentement exprimé Le corps du défunt peut parfois receler des informations qui seront utiles à la découverte de la vérité. Tel est le cas dans un procès en recherche de paternité naturelle. La question se pose alors de savoir s il est possible d aller rechercher, sur le cadavre, des informations génétiques permettant de connaître l existence d un lien de filiation biologique ou encore d identifier une victime. En matière pénale, l expertise génétique sur un cadavre n est pas soumise à l expression antérieure de son consentement. Il s agit d une mesure d enquête ou d instruction et l empreinte génétique est conservée dans le fichier national automatisé 52. En revanche, en matière civile, l exigence du consentement est expressément posée par l article 16-11 du Code civil. Cette question a d abord fait l objet d un arrêt controversé rendu par la Cour d appel de Paris en 1997. La juridiction avait alors ordonné l exhumation du cadavre d un acteur célèbre pour déterminer sa filiation 53. La loi du 6 août 2004 relative à la bioéthique a remis en cause cette solution 54. L article 16-11 précise désormais que «sauf accord exprès de la personne manifesté de son vivant, aucune identification par empreintes génétiques ne peut être réalisée après sa mort». Le respect de la volonté de la personne vivante est ici mis en évidence, puisque le juge ne pourra se fonder, pour ordonner une expertise génétique post mortem, que sur un consentement exprimé clairement. 51 Bien que la rédaction du texte ait été modifiée. Le médecin ne doit plus rechercher la volonté, mais une éventuelle opposition. Dans la pratique, il est vraisemblable que cette rédaction ne change rien. 52 CPP art 706-54. 53 CA Paris, 6 nov. 1997, D. 1998, p. 122, RTD civ. 1998, p. 87. 54 Loi nº 2004-800 du 6 août 2004.

- 34 - Ce consentement exprimé avant la mort est encore sollicité en ce qui concerne la recherche biomédicale. L article L. 1121-14 du Code de la santé publique dispose ainsi qu «Aucune recherche biomédicale ne peut être effectuée sur une personne décédée, en état de mort cérébrale, sans son consentement exprimé de son vivant ou par le témoignage de sa famille». La loi prévoit une possibilité d expression du consentement post mortem par la voie de la famille, mais, contrairement au don d organe, le médecin doit rechercher l expression du consentement et non pas l absence d opposition. En définitive, la recherche de la volonté exprimée par le défunt de son vivant semble être un élément important qui établit une similitude entre le statut juridique avant et après la mort. Dans la plupart des situations, la famille ou les proches du défunt ont un rôle de représentants de cette volonté. Ils revendiquent, au nom du défunt, une protection que ce dernier aurait revendiquée de son vivant. La protection du corps du défunt ressemble alors, en de nombreux points, à celle dont bénéficie la personne humaine. Pour autant, si les effets de la volonté persistent après la mort, nombre de droits fondamentaux disparaissent et il est difficile de considérer le défunt comme une personne à part entière. Au regard des éléments qui viennent d être évoqués, et malgré l ambiguïté créée par la diversité des solutions, il est possible d affirmer que la personne humaine débute avec la naissance et s achève avec la mort. Pour autant, l enfant conçu et le défunt forment certainement les éléments d une catégorie juridique intermédiaire entre les personnes et les choses. Cette catégorie se caractérise par une protection juridique accordée à l enfant conçu et au défunt. Une protection qui ne leur confère pas de droits, mais impose simplement à autrui des obligations. À cette protection juridique, s ajoutent deux prérogatives qui rapprochent l enfant conçu et le défunt de la catégorie des personnes. La première réside dans le respect de la dignité, véritable droit dont on ignore encore les modalités de mise en œuvre. La seconde consiste dans le respect de la volonté lorsque celle-ci a pu être exprimée. En définitive, cette catégorie intermédiaire pourrait être intégrée dans celle, plus générale, d être humain, ou d espèce humaine dont le statut juridique reste à déterminer.

- 35 - Quelles que soient les évolutions futures du droit, la notion de personne humaine devrait, dans les années, décennies, ou siècles à venir, être confrontée à de nouvelles frontières inhérentes à la recherche scientifique. Ainsi, l avènement annoncé de l utérus artificiel pourrait conduire à remettre en cause le moment de la naissance comme l événement fondateur de la personnalité juridique. Dans un tout autre ordre d idée, la recherche sur les chimères homme-animal, que certains chercheurs se proposent de réaliser, va nécessairement placer le juriste devant les limites de sa définition de l homme. Le droit se trouve ainsi dans une position inconfortable, consistant à définir clairement des situations ambiguës qui résultent, la plupart du temps, de débats d ordre éthique et de positions de principe. Il n est pas certain que la fonction du droit soit de trancher ces débats. On tient peut-être ici l explication des nombreuses ambiguïtés qui viennent d être décrites. Etienne Vergès

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