LE SERMENT DE BADINTER : UN SOCLE POUR NOTRE DÉVÉLOPPEMENT ÉCONOMIQUE 1



Documents pareils
Commentaire. Décision n /178 QPC du 29 septembre 2011 M. Michael C. et autre

BULLETIN OFFICIEL DU MINISTÈRE DE LA JUSTICE

Titre I Des fautes de Gestion

L ORDONNANCE DU 2 FEVRIER Exposé des motifs

Commentaire. Décision n QPC du 29 janvier Association pour la recherche sur le diabète

France: L éthique et la déontologie de l avocat réglées ensemble

Loi n du 30 juin 2006 relative aux archives et aux documents administratifs 1 EXPOSE DES MOTIFS

ASSEMBLÉE NATIONALE 8 janvier 2015 AMENDEMENT

SÉNAT PROPOSITION DE LOI

Loi N 1/018 du 19 décembre 2002 portant ORGANISATION ET FONCTIONNEMENT DE LA COUR CONSTITUTIONNELLE AINSI QUE LA PROCEDURE APPLICABLE DEVANT ELLE

LA DEONTOLOGIE FRANCAISE DU CONFLIT D INTERET

Les Cahiers du Conseil constitutionnel Cahier n 24

N 2345 ASSEMBLÉE NATIONALE PROPOSITION DE LOI

CONSIDÉRATIONS SUR LA MISE EN ŒUVRE DES DÉCISIONS DE LA COUR CONSTITUTIONNELLE

BULLETIN OFFICIEL DU MINISTÈRE DE LA JUSTICE n 102 (1 er avril au 30 juin 2006)

La fraude fiscale : Une procédure pénale dérogatoire au droit commun. Par Roman Pinösch Avocat au barreau de Paris

CONSEIL NATIONAL DES BARREAUX 22 rue de Londres PARIS. Société JURISYSTEM SAS 51 rue de Seine PARIS

AZ A^kgZi Yj 8^idnZc

LES SOURCES DU DROIT

LOI ORGANIQUE N DU 10 JUILLET 1998 PORTANT ORGANISATION ET FONCTIONNEMENT DE LA COUR DES COMPTES.

Commission Statut et Juridique AH-HP. COMMENTAIRES et OBSERVATIONS sur le PROJET du CODE de DEONTOLOGIE du CONSEIL NATIONAL de l ORDRE des INFIRMIERS

Décrets, arrêtés, circulaires

LOI N DU 7 MARS 1961 déterminant la nationalité sénégalaise, modifiée

Circulaire de la DACG n CRIM 08-01/G1 du 3 janvier 2008 relative au secret de la défense nationale NOR : JUSD C

Introduction au droit La responsabilité professionnelle

Présenté par l Organisme d autoréglementation du courtage immobilier du Québec (OACIQ)

Convention sur la réduction des cas d apatridie

Commentaire. Décision n QPC du 6 juin Société Orange SA

La responsabilité juridique des soignants

LA VIOLATION DU SECRET : LE RÔLE DU BÂTONNIER

PROTOCOLE. Entre le Barreau de Paris, le Tribunal de Commerce et le Greffe. Le Barreau de Paris, représenté par son Bâtonnier en exercice,

COUR PENALE INTERNATIONALE

LOI N DU 20 NOVEMBRE 1963 SUR LA FILIATION, L ADOPTION, LE REJET ET LA TUTELLE. (J.O. n 324 du , p.2479)

Introduction. Avec une contribution de Jean Castelain, bâtonnier de Paris

CONSEIL D'ETAT statuant au contentieux N RÉPUBLIQUE FRANÇAISE. UNION NATIONALE DES ASSOCIATIONS DE SANTÉ A DOMICILE et autre

REGLEMENT INTERIEUR TITRE I : DISPOSITIONS GENERALES

L appréhension pénale du terrorisme Plan détaillé de la dissertation ENM 2014

DECISION DCC DU 26 MAI 2015

PROTOCOLE DE LA COUR DE JUSTICE DE L UNION AFRICAINE

Version consolidée AUTORITÉ DE CONTRÔLE PRUDENTIEL Règlement intérieur du Collège. Chapitre 1 er Composition des formations

REGLES PROFESSIONNELLES PREVUES PAR L ARTICLE 54-1 (II) DU DECRET DU 27 DECEMBRE 1985 MODIFIE

Le cadre général de la loi du 21 Germinal An XI

CHARTE DU CORRESPONDANT MODELE TYPE

CONSEIL DES MINISTRES

Loi n du 7 juillet 1993 relative à la participation des organismes financiers à la lutte contre le blanchiment de capitaux

CONVENTIONS D HONORAIRES EN MATIERE DE DIVORCE MODÈLES

Algérie. Loi relative aux associations

La Carpa, outil d auto-régulation de la profession d avocat et de lutte contre le blanchiment d argent

UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE

REPUBLIQUE FRANCAISE. Contentieux n A et A

Vers une Cour suprême? Par Hubert Haenel Membre du Conseil constitutionnel. (Université de Nancy 21 octobre 2010)

L appelant a été poursuivi devant la Chambre exécutive pour les griefs suivants :

Politique de gestion contractuelle de la SHDM

La Constitution européenne

DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE Division générale Assurance-emploi

Cour de cassation de Belgique

R E P U B L I Q U E F R A N C A I S E

BULLETIN OFFICIEL DU MINISTÈRE DE LA JUSTICE

Sicard et Attias pour un barreau pénal digne

TRAITÉ SUR L'UNION EUROPÉENNE (VERSION CONSOLIDÉE)

30 AVRIL Loi relative à l'occupation des travailleurs étrangers (M.B. 21 mai 1999) - coordination officieuse au 1 er juillet 2011

Numéro du rôle : Arrêt n 36/2006 du 1er mars 2006 A R R E T

Décrets, arrêtés, circulaires

Siréas asbl Service International de Recherche, d Education et d Action Sociale

Le stationnement irrégulier de véhicules appartenant à la communauté des gens du voyage.

ARRANGEMENT EN VUE DE LA RECONNAISSANCE MUTUELLE DES QUALIFICATIONS PROFESSIONNELLES ENTRE LE BARREAU DU QUÉBEC LE CONSEIL NATIONAL DES BARREAUX

FORMATION INITIALE - STAGE AVOCAT -

RAPPORT DE STAGE ET RÉSUMÉ

REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Conférence des Cours constitutionnelles européennes XIIème Congrès

Rôle n A - Exercices d imposition 2001 et Intérêts sur un compte courant créditeur et requalification en dividendes

LOI N 04/002 DU 15 MARS 2004 PORTANT ORGANISATION ET FONCTIONNEMENT DES PARTIS POLITIQUES

ELEMENTS POUR UNE HISTOIRE DES TEXTES CONCERNANT LE PLACEMENT ET L EMBAUCHE DES TRAVAILLEURS.

Président : M. Blin, conseiller le plus ancien faisant fonction., président REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

FICHE N 8 - LES ACTIONS EN RECOUVREMENT DES CHARGES DE COPROPRIETE

Loi institutant un Médiateur de la République du Sénégal

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE CAEN F D

LOI du 21 novembre sur la Cour des comptes LE GRAND CONSEIL DU CANTON DE VAUD

Décision du Défenseur des droits MDE-MSP

R. L. R. Rapport général sur la déontologie des avocats et des magistrats en France

Loi organique relative à la Haute Cour

CC, Décision n QPC du 23 novembre 2012

Leçon n 3 : La justice garante du respect du droit

Procédure pénale. Thèmes abordés : Procédure par contumace/ Nouvelle procédure par défaut

Décrets, arrêtés, circulaires

L huissier de justice

SCP Célice, Blancpain et Soltner, SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat(s) REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

RECUEIL DE LEGISLATION. A N août S o m m a i r e MISE SUR LE MARCHÉ DES DÉTERGENTS

Résumé des débats Adoption du Procès Verbal de l Assemblée Générale du 17 novembre 2009 le Procès Verbal est adopté à l unanimité

Numéro du rôle : Arrêt n 136/2008 du 21 octobre 2008 A R R E T

Table des matières. La responsabilité du prêteur et de l intermédiaire de crédit dans la phase pré-contractuelle... 5

DESCRIPTION DU POUVOIR JUDICIAIRE

Le Parlement Wallon a adopté et Nous, Gouvernement, sanctionnons ce qui suit :

CHAPITRE 1 : LA PROFESSION COMPTABLE

Avant-projet de loi. Loi modifiant le Code civil et d autres dispositions législatives en matière d adoption et d autorité parentale

Premier arrêt de la Cour de Cassation sur la preuve électronique Cour de Cassation, Civ. 2, 4 décembre 2008 (pourvoi n )

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS N , , , , M. Olivier Yeznikian Rapporteur

Commande publique. 1. Une question délicate : la détermination du champ d application de l article 2.I. de la loi «MURCEF»

Commentaire. Décision n QPC du 20 juin Commune de Salbris

Transcription:

LE SERMENT DE BADINTER : UN SOCLE POUR NOTRE DÉVÉLOPPEMENT ÉCONOMIQUE 1 Je jure, comme avocat, d exercer mes fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité Nous, avocats, connaissons tous cette formule, sésame pour tout homme ou femme qui aspire à devenir avocat, mais également synthèse en cinq mots, qui sont autant de qualités, de l essence même de notre déontologie professionnelle et de nos «fonctions dans la Cité.» Et pourtant un grand nombre d avocats n a pas prêté ce serment, pour la simple raison que les termes précités n ont d existence légale depuis la loi du 31 décembre 1990, article 2. Depuis son apparition au Moyen Age, le serment de l avocat a subi bien des modifications, qui reflètent la complexité des relations que le barreau entretient avec le pouvoir politique. NOTRE PREMIER SERMENT 1 : UNE SOUMISSION RELIGIEUSE Le principe d un serment professionnel prêté par l avocat remonte au droit romain : le Code de Justinien précise notamment (Livre III, titre I) que l avocat doit jurer sur les Evangiles de ne rien négliger pour la défense de son client et de ne point se charger d une cause reconnue comme mauvaise. Ces principes se retrouvent dans l ordonnance de Philippe III Le Hardi, du 23 octobre 1274, qui constitue l une des premières dispositions réglementaires relatives au Barreau français. «Les avocats, tant du parlement que des bailliages et autres justices royales jureront, en latin ; sur les Saints évangiles qu ils ne se chargeront que des causes justes, et qu ils les défendront diligemment et fidèlement ; et qu ils les abandonneront dès qu ils connaîtront qu elles ne sont point justes. Et les avocats qui ne voudront point faire ce serment seront interdits jusque à ce qu ils l ayant fait. Les salaires seront proportionnés au procès et au mérite de l avocat, sans pouvoir néanmoins excéder la somme de trente livres. Les avocats jureront encore qu au-delà de cette somme ils ne prendront rien directement ou indirectement. Ceux qui auront violé ce serment seront notés de parjure d infamie, et exclus de plein droit de la fonction d avocats, sauf aux juges à les punir suivant la qualité du méfait. 1 1 Cette étude n a pu être réalisée que grâce à la formidable assistance de Mr OZANAM, archiviste du Barreau de Paris, les conclusions politiques n engageant que l auteur 1

Les avocats feront ce serment tous les ans. Et cette ordonnance sera lue tous les ans aux assises.» En 1344, le Parlement de Paris énumère en détail les obligations que l avocat doit jurer de respecter. Indépendamment des principes généraux déjà évoqués, il doit s engager à ne pas faire usage de moyens dilatoires ni d affirmations inexactes ou étrangères à la cause. Le maximum de trente livres de rémunération est rappelé, mais l avocat doit également promettre de toucher des sommes bien inférieures pour des affaires de peu d importance. A la fin de l Ancien Régime, ces textes du Moyen Age sont toujours connus et cités. Mais le serment que prête le nouvel arrivant au barreau tient en quelques mots : il doit simplement promettre et jurer devant les magistrats du Parlement d observer les ordonnances, arrêts et règlements de la Cour. Le renouvellement annuel du serment paraît avoir été pour sa part plus un rituel qu une véritable obligation. Il n est pas effectué par tous les avocats. Au XVIIIème siècle, le Bâtonnier et les Anciens qui assistent avec lui à la rentrée des juridictions (au mois de novembre) renouvellent leur serment en jurant sur l Evangile que leur présente le Premier Président du Parlement. Cette cérémonie résume bien la double dimension, professionnelle et religieuse, qui caractérise le serment de l avocat jusqu à la Révolution, à l exclusion de toute allégeance au pouvoir politique. Si les avocats ont pu jurer d être fidèles au roi pendant la guerre de Cent ans ou les guerres de religion, ces serments qu ils prêtaient avec d autres sujets de la royauté n étaient motivés que par un contexte politique troublé, et s ajoutaient au serment professionnel sans se confondre avec lui. II de la Révolution jusqu à 1982 NOTRE SERMENT ETAIT DEVENU UNE ALLÉGEANCE POLITIQUE En 1790, le barreau est supprimé et le défenseur officieux se substitue au ci-devant avocat». Le serment professionnel ne réapparaît qu avec la renaissance d une profession réglementée, en 1804. Mais la formule alors retenue porte la marque des temps nouveaux : les futurs avocats doivent jurer de ne rien dire ou publier, comme défenseurs ou conseils, de contraire aux lois, aux règlements, aux bonnes mœurs, à la sûreté de l Etat et à la paix publique, et de ne jamais s écarter du respect dû aux tribunaux et aux autorités publiques (loi du 13 mars 1804, art. 31). Le serment avait perdu sa dimension religieuse (il n est plus prêté sur les Evangiles), mais il revêt désormais un caractère politique qui, durant près de deux siècles, sera lié à l exercice de la profession. Le poids du pouvoir se fait encore plus lourd lorsque Napoléon consent, sans enthousiasme, à rétablir les ordres d avocats. Je rappelle que le premier bâtonnier de l époque, notre confrère DELAMALLE avait été nommé par le duc de MASSA, garde des SCEAUX. L Empereur décida alors de compléter le texte du Premier Consul : indépendamment des engagements déjà formulés en 1804, le candidat au Barreau doit jurer obéissance aux constitutions de 2

l Empire et fidélité à l Empereur et encore de ne conseiller ou défendre aucune cause que je ne croirai pas juste en mon âme et conscience (décret du 14 décembre 1810, art. 14). Cette dernière disposition, héritière du droit romain, n est pas retenue par les Bourbons, qui conservent en revanche les termes de 1804 et corrigent le mode d expression d allégeance au pouvoir l avocat jure désormais d être fidèle au Roi et d obéir à la charte constitutionnelle (ordonnance du 20 novembre 1822, art. 38). La même ordonnance (art.39) faisait interdiction à un avocat de plaider en dehors de son ressort sans l autorisation préalable de son bâtonnier, du premier président de la Cour et du garde des Sceaux. Notre confrère DRAULT, du Barreau de Poitiers, avocat d office pour défendre le général BERTHON, a été alors radié par la Cour pour avoir soutenu que ce texte constituait une violation du droit fondamental du libre choix de la défense. Louis-Philippe se contente d une pure modification de forme (décision du 22 octobre 1830) la formule de 1804 demeure en vigueur et l avocat promet en outre fidélité au Roi des Français, obéissance à la charte constitutionnelle et aux lois du royaume. La deuxième République a la sagesse de renoncer au serment de fidélité exigé par les régimes précédents, mais n en maintient pas moins les termes de 1804 (décision du 13 septembre 1848). Elle est imitée en cela par le Second Empire (décision du 30 avril 1852) et la troisième République (décret du 20 juin 1920, art. 23). Le gouvernement de Vichy, à défaut d imposer un serment de fidélité et d obéissance au régime (projet que le Conseil de l Ordre avait pris soin de rejeter dès le 21 février 1941) modifie la formule de 1804 la sûreté de I Etat devient la sûreté extérieure, tandis que le respect dû aux tribunaux et aux autorités publiques devient le respect dû à la justice et aux autorités de l Etat français. L avocat doit en outre ne rien dire ou publier de contraire aux règles de l honneur professionnel et de la confraternité (acte dit loi du 26 juin 1941, art. 23). Ce nouveau serment ne connaît qu une existence éphémère. Il est abrogé dès le 3 septembre 1943 par un décret du Comité français de libération nationale, qui rétablit le serment en vigueur sous la troisième République, fidèle au texte de 1804. Celui-ci est de nouveau retenu lors de la nouvelle réglementation de la profession en 1954 (décret du 10 avril, art. 23). Désormais vieille d un siècle et demi, la formule élaborée sous le Consulat paraissait immuable. C est sans compter sur la série de mutations que vont connaître le barreau et les professions voisines. Lors de la réforme de 1971, le texte de 1804, bien que maintenu, doit désormais cohabiter avec des exigences inconnues jusque-là : il est demandé à l avocat de respecter, outre les tribunaux et les autorités publiques, les règles de <son> ordre, et surtout d exercer sa profession avec dignité, conscience, indépendance et humanité (décret du 9 juin 1972, art. 23). Pour la première fois, le texte du serment ne se contente pas d exiger de l avocat le respect des lois, des bonnes mœurs et des pouvoirs établis y compris «les règles de son ordre» ; il fait aussi mention 3

de qualités humaines et professionnelles. «Je jure, comme avocat, d exercer la défense et le conseil avec dignité, conscience, indépendance et humanité, dans le respect des Tribunaux, des autorités publiques et des règles de mon Ordre, ainsi que de ne rien dire ni publier qui soit contraire aux lois, aux règlements, aux bonnes mœurs, à la surêté de l État et à la paix publique». Quelques années plus tard, un décret (en date du 9 novembre 1979) abroge une mesure prise sous Napoléon (art. 35 du décret du 6 juillet 1810) en vertu de laquelle le serment des avocats était renouvelé traditionnellement chaque année lors de la rentrée judiciaire (usage dont s acquittaient en principe le Bâtonnier et le Conseil de l Ordre, mais qui n avait plus cours à Paris). Il est ainsi mis fin à une tradition vieille de plus de sept cents ans. III - LE SERMENT DE BADINTER : UN SERMENT D AVOCAT LIBRE ET RESPONSABLE Un pas gigantesque : la mutation de 1982 et ses suites En 1982, le législateur rompt totalement avec la tradition consulaire, à la faveur d une discussion parlementaire tendant à réviser la législation relative à la répression des fautes commises à l audience par un avocat. A la suite de plusieurs événements qui défraient alors la chronique, certains parlementaires dénoncent le fait que l avocat prétendu fautif peut être sanctionné immédiatement par la juridiction saisie de l affaire. Plusieurs propositions de lois sont déposées en vue d une réforme, à l Assemblée nationale comme au Sénat. Ce dernier, à l issue d une discussion de propositions déposées par deux avocats sénateurs (MM. Henri Caillavet et Charles Lederman), adopte le 12 juin 1980 un texte tendant à renvoyer l avocat susceptible d avoir commis une faute devant le Conseil de l Ordre. Deux ans après, le texte adopté par le Sénat est discuté et modifié par l Assemblée nationale. La commission des lois, (dont le rapporteur est Madame Gisèle Halimi), observe que la loi à réformer prévoit de sanctionner l avocat pour tout manquement aux obligations que lui impose son serment, commis à l audience. Elle suggère en conséquence une nouvelle formulation du serment, afin de garantir au mieux la liberté de défense. Le texte proposé par la commission des lois (et approuvé par le gouvernement) rejette l héritage napoléonien et retient seulement les quatre vertus introduites en 1972. L avocat jure simplement d exercer la défense et le conseil avec dignité, conscience, indépendance et humanité. L Assemblée nationale (22 avril 1982) puis le Sénat (3 juin 1982) adoptent ce texte sans difficulté. Un amendement, tendant à ajouter dans le respect des lois, est présenté à l Assemblée, mais retiré lors de la discussion Aucun orateur ne se fait le défenseur de l antique formule de 1804, définitivement abrogée par la loi du 15 juin 1982. Les déontologues du barreau soulignent la double innovation que constitue la formulation adoptée en 1982 : le serment est désormais dépourvu de tout caractère politique et ne comporte plus d interdictions ; il exige seulement de l avocat quatre qualités, présentées par le ministre de la justice, Robert Badinter, comme les quatre vertus cardinales de l avocat. 4

L autre nouveauté de ce serment est de résulter d un débat parlementaire : Le serment de l avocat ne relève désormais plus du domaine réglementaire mais du domaine législatif. C est en conséquence une loi seule qui peut modifier les termes du serment. Mais bien plus importante devait être la modification survenue dix ans plus tard. Lors des débats parlementaires relatifs à la réforme de 1990-1991, la formule du serment a été profondément mais trop discrètement remaniée. L avocat jure, en effet, d exercer non plus la défense et le conseil, mais ses fonctions, terme plus général qui témoigne de la volonté du législateur d élargir le champ d activité des avocats. Il jure également d exercer avec probité, qualité qui vient s ajouter aux quatre vertus antérieurement retenues. Lors de la discussion du projet de loi au Sénat (8 novembre 1990), l adjonction du mot probité suscite un débat, la commission des lois jugeant cette addition superflue, propose d y renoncer. Mais plusieurs sénateurs (dont Me Charles Lederman) objectent que ce retrait pourrait laisser penser que la probité n est pas une qualité primordiale du Barreau. Ainsi défendue, la probité (considérée comme un devoir professionnel par la réglementation depuis Napoléon) rejoint la dignité, la conscience, l indépendance et l humanité parmi les termes du serment (loi du 31 décembre 1990, art. 2). Ces différentes qualités figurent au rang des principes essentiels de la profession, dont la méconnaissance constitue une faute professionnelle. C est dire que si la formulation actuelle du serment garantit la liberté de la défense, elle met également l accent sur les exigences de l éthique professionnelle. Les médecins avaient «le serment d Hippocrate», Les Avocats ont «le serment de Badinter» L analyse politique de ce serment nous libère de toutes servitudes religieuses, politiques, judiciaires et autres Par le serment de BADINTER, nous sommes redevenus les héritiers des Lumières c'est-à- dire des contestataires mais aussi des créateurs de droit. Notre serment n est plus le serment d un auxiliaire de justice mais celui d un Chevalier du Droit et de la Justice dont les «fonctions» sont d abord de défendre et de protéger l Homme dans tous les aspects de sa vie tant au niveau du conseil que du litige, de les conseiller, les représenter et les assister 5

notamment devant le juge mais aussi de participer à la création du DROIT en proposant notamment aux magistrats de créer de nouvelles règles de droit adaptées à chaque situation humaine de notre époque. Notre serment ne vise plus la défense et le conseil mais l ensemble des fonctions d un avocat. ETRE AVOCAT EST PLUS QU UN METIER ETRE AVOCAT EST AUSSI UNE FONCTION Notre serment, le serment de Badinter, nous permettra alors de reprendre notre place, toute notre place dans la Cité. 6