TVA SUR LES MANDATS D ADMINISTRATEUR EXERCES EN SOCIETE : ENFIN DES PRECISIONS! 1.- Nous avons déjà évoqué plusieurs fois la problématique des mandats d administrateur ou de gérant de société exercés par l intermédiaire d une autre société. En effet, fin 2014, l administration de la TVA annonçait, avec effet au 1 er janvier 2015, la fin de la tolérance administrative permettant de ne pas soumettre à la TVA les rémunérations perçues par une société pour l exercice d un mandat d administrateur ou gérant dans une autre société. Face à la stupeur des professionnels et à l impossibilité matérielle manifeste d absorber administrativement l afflux de nouveaux assujettis dans un délai aussi bref, l entrée en vigueur du régime a été repoussée une première fois, au 1 er janvier 2016. Puis, faute de décision administrative prête à temps, le nouveau régime a été reporté à nouveau, au 1 er avril 2016, puis enfin au 1 er juin 2016 (et non au 1 er juillet, qui aurait eu le mérite de coïncider avec le début d un trimestre). Le 30 mars 2016, l administration a finalisé sa décision ET 127.850, qui décrit les grandes lignes du nouveau régime. Cette décision a été publiée le 1 er avril 2016. 2.- A partir du 1 er juin 2016, sont soumis à la TVA les émoluments perçus par les sociétés qui exercent un mandat d administrateur ou gérant dans une autre société. Même si l on avait espéré voir apparaître un régime distinct pour les tantièmes, l administration précise que toutes les rémunérations fixes ou variables, qu elles soient liées à des prestations effectives ou à l obtention d un résultat financier, sont soumises à la TVA et ce, quel que soit le mode de calcul desdites rémunérations. L administration précise, certes, que les dividendes échappent à la TVA, mais cette précision va de soi, en ce que les dividendes ne constituent pas la contrepartie d une activité, mais bien le rendement «passif» d un actif financier. En raison de l assujettissement à la TVA des prestations d administrateur, les sociétés exerçant de tels mandats et qui n ont pas d autre activité doivent, avant le 1 er juin prochain, s assujettir à la TVA (via le formulaire 604A). Celles qui exerçent d autres activités soumises à la TVA doivent déclarer un changement d activité auprès de l administration de la TVA (formulaire 604B). 1
3.- Le fait générateur permet de déterminer le moment où la TVA est due. En principe, tel est le cas lorsque la prestation est terminée, mais c est aussi le cas lorsqu une facture est établie, même si la prestation n est pas encore exécutée ou terminée (du moins si la prestation est localisée en Belgique). Autrement dit, pour les prestations périodiques ou continues, la date pivot sera le 31 mai 2016 : les prestations accomplies avant cette date resteront exemptées de TVA, peu importe la date à laquelle elles seront payées, pour autant toutefois que l éventuelle facture y afférente soit également établie avant cette échéance. L obligation d établir une facture ne pesant que sur les assujettis, il n est actuellement pas obligatoire, pour une société administrateur, d émettre une facture pour obtenir paiement des émoluments dus, mais si la facture est établie à partir du 1 er juin 2016 (en vertu de l obligation pour tout assujetti de délivrer une facture), la TVA sera due! Exemple : la SPRL A est administrateur de la SA B et perçoit, à ce titre, des émoluments fixés à 10.000 par mois, qui sont versés périodiquement. Actuellement, A a choisi de ne pas s assujettir à la TVA et n est donc pas tenue d émettre une facture. B paye, chaque 10 du mois, les émoluments dus à A pour le mois précédent. A partir du 1 er juin 2016, A devra émettre une facture (au plus tard le 15 e jour du mois suivant les prestations) et charger 21% de TVA sur les émoluments dus. Il est donc opportun, lorsque le destinataire des prestations n est pas lui-même un assujetti à la TVA avec droit à déduction, d opérer une césure au 31 mai 2016, en facturant et/ou en payant avant cette date, les rémunérations dues jusqu à ce moment, pour éviter toute future discussion avec l administration fiscale. En ce qui concerne les tantièmes et autres bonus liés aux résultats, le fait générateur consiste en la décision de l assemblée générale de les attribuer. Par conséquent, si une assemblée générale décide, en juin 2016, d accorder à une société administrateur ou gérant, un tantième ou un bonus lié aux résultats de l année 2015, il sera soumis à la TVA, même s il dépend, en réalité, de l activité menée par la société administrateur ou gérant en 2015, soit avant l entrée en vigueur du nouveau régime. 2
Exemple : Réunis en assemblée générale ordinaire le 14 juin 2016, les actionnaires de la SA B décident d accorder à la SPRL A, qui est l administrateur délégué de B, un tantième de 50.000 pour l année 2015. Ce tantième doit être majoré de 21 % de TVA! C est, du reste, sans aucun doute ce qui a poussé l administration à prévoir l entrée en vigueur du nouveau régime le 1 er juin 2016 (le mois de juin étant traditionnellement celui des assemblées générales), plutôt qu au 1 er juillet 2016, qui coïncide avec le début d un nouveau trimestre, ce qui aurait grandement facilité la tâche des professionnels du chiffre! 4.- Une solution pour amortir le coût de l assujettissement à la TVA, lorsque la société qui bénéficie des prestations de la société administrateur ou gérant n est pas assujettie à la TVA avec droit à déduction, consiste à créer une unité TVA entre les deux sociétés. Il s agit d une fiction juridique qui consiste à considérer, pour l application de la TVA, les assujettis qui y participent comme un seul assujetti, avec un seul numéro de TVA. L unité TVA peut être constituée par deux ou plusieurs assujettis, pour autant qu il existe entre eux des liens financiers, économiques et organisationnels. Cela suppose que les activités de ces assujettis soient similaires ou complémentaires, voire exercées par l un au profit de l autre, ce qui sera nécessairement le cas si l une des sociétés exerce un mandat d administrateur ou gérant de l autre. Cela suppose également que les assujettis concernés aient une direction commune ou agissent de concert, cette condition étant a priori remplie dans le cas qui nous occupe. L exigence d un lien financier entre les assujettis peut s avérer plus délicate à remplir. En effet, s il n y a guère de difficulté lorsque l un des assujettis contrôle l autre (c est-à-dire qu il possède la majorité des actions ou parts de celui-ci ou qu il peut influencer durablement la gestion de ce dernier), la solution est moins évidente lorsque plusieurs sociétés exercent un mandat de gestion dans une même société opérationnelle et possèdent, en outre, une participation dans celle-ci. Exemple : la SPRL A et la SPRL B possèdent, chacune, 50 % des actions de la SA C, dont elles sont toutes deux administrateur. Les liens organisationnels et économiques sont donc bien présents. 3
Cependant, sur le plan financier, ni A, ni B ne contrôlent C : aucune des deux n est actionnaire majoritaire ou ne peut, sans l accord de l autre, exercer une influence notable sur la gestion de C. Pour régler cette difficulté, le Ministre des Finances a accordé une sorte de tolérance, en vertu de laquelle le lien financier est réputé établi lorsque les sociétés administrateurs détiennent ensemble au moins 50 % des droits de vote dans la société opérationnelle et qu elles concluent entre elles une convention par laquelle elles consentent à ce que les décisions relatives à la gestion de la société opérationnelle soient prises de leur commun accord. En-dehors du cas de figure précité, une participation, directe ou indirecte, au capital de 10 % peut suffire pour que deux assujettis puissent constituer une unité TVA entre eux. Exemples : 1. la SPRL A détient 15 % de la SA B (les autres actionnaires de B sont des personnes physiques). A et B peuvent constituer ensemble une unité TVA. 2. Monsieur A détient 30 % de la SPRL B et 20 % de la SA C. B et C peuvent constituer ensemble une unité TVA. 6.- Une autre solution pour éviter les affres d un assujettissement à la TVA consiste à réclamer l application du régime de la franchise TVA qui, en substance, aboutit à considérer l assujetti comme un non-assujetti (il ne subsiste que certaines obligations résiduaires, moins lourdes), de sorte qu il ne doit pas facturer de TVA et ne peut en déduire aucune. Une condition essentielle est que le chiffre d affaires HTVA soit inférieur à 25.000 par an. Si cette condition peut être remplie, l assujetti a le droit d opter pour le régime de la franchise et doit alors en informer l administration. 7.- Qui dit assujettissement à la TVA, dit en principe droit à déduction de la TVA payée en amont, puisque la TVA est une taxe sur la valeur ajoutée. En l occurrence, le droit à déduction de la TVA ne naîtra, pour les nouveaux assujettis à la TVA que sont les sociétés administrateur ou gérant, qu à partir du 1 er juin 2016 et pour les seuls biens d investissement acquis à partir de cette date. 4
Les biens acquis préalablement ne pourront donner lieu à une révision, même partielle, de la TVA payée au moment de leur acquisition et ce, même si ces biens sont utilisés pour exercer, après le 1 er juin 2016, l activité nouvellement assujettie. 8.- La décision administrative contient encore certaines précisions sur la localisation des prestations en cas de relation intracommunautaire, sur lesquelles nous ne nous étendrons pas dans le cadre de la présente contribution. 9.- Cette décision administrative a le mérite de lever un certain nombre de doutes survenus lors de l annonce du changement de régime, notamment quant à l assujettissement des tantièmes à la TVA ou à l éventuelle révision pouvant survenir en raison de l assujettissement à la TVA des sociétés exerçant des mandats d administrateur ou de gérant. Olivier ROBIJNS Avocat au Barreau de Liège 5