Les livres électroniques dans les bibliothèques publiques : situation actuelle et future Marie-Claude Gagnon Abstract : The purpose of this paper is to explore the current position of e-books in Canadian public libraries. It will review the terms of access and cost, currently available models, the new challenges that e-books create and the role of information professionals in this new environment. Résumé : Cet article explore la situation actuelle des livres électroniques dans les bibliothèques publiques canadiennes. Nous examinons les termes d accès et de coûts, les modèles actuellement disponibles, les nouveaux défis que les livres électroniques apportent et le rôle des professionnels de l information dans ce nouvel environnement. Keywords : public libraries, ebooks, Canada, challenges Mots-clés : bibliothèques publiques, livres électroniques, Canada, défis Chaises confortables, divan douillet, ambiance calme et silencieuse, la bibliothèque publique semble offrir l endroit idéal pour se plonger dans le dernier roman policier ou s intéresser à la bibliographie du dernier président des États-Unis d Amérique. Qu est-ce qui manque à ce portrait? Une prise électrique. Eh oui, l intérêt grandissant des livres électroniques demande un support adéquat : téléphone intelligent, tablettes, etc. Cela présente un défi important pour les bibliothèques, qui se doivent alors de nettement améliorer leurs offres numériques au risque de perdre de la clientèle. Accès, coûts, éducations, sensibilisation, ce domaine émergent ajoute encore sur les épaules des bibliothèques. Au cours des dernières années, presque aucune industrie n a résisté aux changements apportés par Internet. Les bibliothèques, qu elle soit académique, publique, scolaire ou spécialisée, ont toutes été bouleversées. Ce papier se concentrera sur le domaine de la bibliothèque publique au Canada, mais de nombreux faits touchent facilement l ensemble des bibliothèques. La firme de consultation PricewaterhouseCoopers prévoit qu en 2018 les ventes de livres électroniques battront celle des livres imprimés et audio. Cette estimation est faite pour le marché américain, mais permet tout de même un bon aperçu de ce qui nous attend. Concrètement, que se passe-t-il au Canada? En 2000, Stephen King publie un roman en format électronique uniquement. En 2007, Amazon lance le Kindle. En 2009, le Kindle était le produit le plus vendu d Amazon. En 2010, Amazon annonce qu ils ont vendu 140 livres électroniques pour chaque 100 livres papier au cours de leur deuxième quartier. La même année, juste avant
Noël, Amazon interrompt la vente de Kindle au Canada, incapable de répondre à la demande grandissante de la part du marché américain. En 2011, Amazon annonce que la vente de livres électroniques a battu celle des ventes papier. Selon une étude par le Conseil des Bibliothèques Urbaines du Canada, la popularité des livres électroniques dans les bibliothèques publiques est passée de 1 % en 2011 à 10 % en 2013. Il va sans dire que les chiffres ne mentent pas. De plus, certaines bibliothèques publiques canadiennes offrent des livres électroniques depuis plus de dix ans et le téléchargement de livres audio depuis cinq ans. L augmentation de la demande pour les livres électroniques est apparue vers le milieu des années 2010, après que les ipad et Kobo soient apparus sur le marché canadien (Conseil des Bibliothèques Urbaines du Canada, 2011). Le livre électronique est donc bel et bien arrivé au Canada et il est temps de lui faire sa place, notamment dans nos bibliothèques publiques. Toute nouveauté apporte ses défis. La plupart du temps, le coût est une partie importante de ceux-ci. Ce nouveau format de lecture n est pas différent en ce sens, ayant des coûts d accès importants pour les bibliothèques. Ces nouveaux achats, offerts selon différents modèles, demandent beaucoup de calculs et de réflexion. À des fins économiques, certaines bibliothèques font partie de consortium et partagent alors une collection de livres électroniques. En conséquence, les titres sont sélectionnés et ajoutés à la collection par d autres bibliothèques membres du consortium. Bien que cela leur permette d économiser monétairement, ils économisent également sur leur popularité Des études (Slater 2009 & Buczynski 2010) démontrent que des collections de livres électroniques choisis par la bibliothèque même sont plus populaires que les collections développées à travers un consortium. Toutefois, avant de payer pour un livre il faut y avoir accès. Depuis 2011, les bibliothèques publiques canadiennes rencontrent plusieurs difficultés quant à l accès au contenu et aux termes de licences avec des éditeurs multinationaux. Un comité de force opérationnelle du Conseil des Bibliothèques Urbaines du Canada travaille activement à augmenter la disponibilité de contenu canadien. L American Library Association (ALA) rencontre également de nombreuses maisons d édition aux États-Unis, afin de travailler à faciliter l accès aux bibliothèques canadiennes. À partir de 2014, les six plus grosses maisons d édition vendaient désormais les livres électroniques aux bibliothèques publiques. Cette partie étant sur la bonne voie, il ne reste qu à attendre pour voir si la compétition permettra des économies financières aux bibliothèques. Aujourd hui, c est les termes des licences et les coûts qui sont un casse-tête pour les bibliothèques. Les responsables des acquisitions font face à de nombreux nouveaux modèles. Nombre illimité d utilisateurs simultanés :
o Les coûts sont calculés selon le nombre potentiel d utilisateurs (taille de la population servie par la bibliothèque, nombres de cartes de membres distribués). Utilisateur unique, accès perpétuel : o C est le modèle le plus utilisé par les maisons d édition. Cette licence unique permet à une personne d accéder au contenu en tout temps. Si une personne a loué le livre électronique, les autres clients ne peuvent y accéder avant que la période de prêt expire. Il n y a pas de limite au nombre de prêt. Les prix dépendent de la popularité du livre. Ce modèle est très semblable au système classique de prêt en bibliothèque. Utilisateur unique, circulation limitée : o Ce modèle, notamment utilisé par les maisons d édition au Québec, fonctionne ainsi : les livres électroniques sont vendus avec une licence pour un utilisateur unique et un nombre maximum de prêts permis. Après un nombre déterminé de prêts, la bibliothèque doit racheter une licence pour avoir accès aux livres électroniques. Les maisons d édition ont implémenté cette limite basée sur le fait qu un livre papier s use éventuellement et nécessite l achat d un nouvel exemplaire. Utilisateur unique, temps limité : o Les livres électroniques vendus avec cette licence permettent à une personne à la fois d accéder au contenu. L accès aux membres est permis pour un nombre limite de temps. Par exemple, une licence d accès à un livre peut être vendue pour 1 an. Après cette période, la bibliothèque doit acheter un nouvel accès. Côté financier, voilà comment se comparent les quatre modèles présentés. MODÈLE Coûts NOMBRE ILLIMITÉ D UTILISATEURS SIMULTANNÉS $$$$ UTILISATEUR UNIQUE, ACCÈS PERPÉTUEL $$$ UTILISATEUR UNIQUE, CIRCULATION LIMITÉE $ UTILISATEUR UNIQUE, TEMPS LIMITÉ $$ (Conseil des bibliothèques urbaines du Canada, 2014) Il ne faut pas oublier que la bibliothèque n est pas seulement un endroit pour emprunter des livres, mais aussi pour flâner et lire. Plusieurs préoccupations autres que les coûts et les modèles d accès commencent à occuper l esprit des bibliothécaires. Comment rendre les collections électroniques visibles? Quelques bibliothèques, dont notamment celle de la ville de Sacramento, ne voulant pénaliser leur clientèle habituer à flâner dans les rangés à la recherche d un coup de cœur, ont eu l idée originale d ajouter à leurs tablettes pleines de livres des signets affichant une notice bibliographique et l image de la couverture papier avec une mention disponible numériquement (Sockel, 2013).
C est une chose de promouvoir les livres électroniques, s en est une autre de rendre ceuxci visuellement présents dans l environnement physique de la bibliothèque. Une fois la visibilité accrue, comment améliorer l accès? Tous n ont pas accès à des ordinateurs, tablettes, lecteurs de livres électroniques (aussi appelés liseuses) ou téléphones intelligents. Les bibliothèques doivent envisager de fournir l accès à ces dispositifs pour emprunt ou utilisation dans la bibliothèque si elles souhaitent fournir un accès égal au contenu à tous les clients. Le livre numérique apporte donc des coûts autres que ceux d accès. C est encore une fois aux bibliothèques d ajuster leur budget en conséquence. Quant aux choix de l appareil de lecture, de nombreux facteurs sont à considérer. Tout dépend de l utilisation faite, de l endroit où la lecture se fera, la durée de vie de la pile, la grandeur de l écran, etc. Pour les bibliothèques, le débat se passe généralement entre tablettes ou liseuse. La tablette électronique permet une plus grande variété d utilisation, alors que la liseuse, comme son nom l indique, ne permet généralement que la lecture. Tout dépend de l utilisation prévue pour la communauté servie par la bibliothèque (Bibliothèque publique du Nouveau-Brunswick, s.d.). Une bibliothèque publique est ancrée au cœur de sa communauté. Au Québec notamment, c est l institution la plus fortement déployée sur le territoire. Selon des statistiques de l Observatoire de la culture et des communications du Québec (2009), 97% du territoire québécois est desservi par une bibliothèque. C est plus que toute autre institution culturelle. Sous format papier, celles-ci peuvent supporter des auteurs locaux en achetant leur livre ou en acceptant un don. Dans l environnement numérique, ce processus est beaucoup plus complexe, dû à l exigence d avoir un distributeur qui fournit la technologie pour les prêts. C est une perte de support malheureuse. Nous ne pouvons passer outre la place des enfants dans les bibliothèques publiques, eux qui y ont souvent un endroit spécialement dédié. Accompagnés de leurs parents, ils s y rendent afin de choisir quels livres apporter à la maison. Il est raisonnable de déduire qu un parent qui possède une tablette aimerait avoir l option d un livre électronique pour son enfant. Dû aux restrictions concernant les accès aux appareils électroniques et au temps d écrans recommandés par plusieurs professionnels de la santé, le marché des livres électroniques pour enfant se développe très lentement. Cela étant dit, l American Academy of Pediatrics travaille présentement à une révision de ses recommandations. Selon Brown (2015), auteure principale de l article et présidente du comité de l AAP, la déclaration concernant les recommandations de temps d écran publié en 2011 est devenue obsolète très rapidement. Elle fut publiée presque au même moment de la sortie de la première génération d ipad, ce qui, toujours selon Brown, a rendu l article dépassé presque automatiquement. La technologie évoluant plus vite que la science peut l étudier, l AAP met les bouchés doubles pour être à jour dans leurs conseils
et recommandations. La prochaine publication portant sur l utilisation des médias par les enfants devrait être publiée à l automne 2016. Un autre facteur joue dans l offre des livres électroniques pour enfants, soit celui de l apprentissage. Une étude menée par le Centre Joan Ganz Cooney (2012) a déterminé que lorsqu il vient à la compréhension en lecture, les livres imprimés sont toujours un meilleur choix. L étude a révélé que le renforcement de la littératie chez les enfants est plus efficace avec un livre imprimé, en raison de la mise au point centralisé sur l histoire et les possibilités d interaction entre l enfant et le lecteur. C est à voir si les nouvelles recommandations pourront jouer un rôle dans l offre de livres électroniques pour le jeune public. Évidemment, c est l usager qui a le choix final quant à la popularité des livres numériques. Finalement, un service important offert par les bibliothèques est l opportunité d emprunter un livre venant de l extérieur. Les prêts entre bibliothèques (PEB) permettent aux usagers d obtenir un document que leurs bibliothèques ne possèdent pas, sans avoir à se déplacer. Pour l instant, les accords de licences existants pour les livres électroniques ne permettent pas ces prêts entre bibliothèques. Il sera nécessaire dans le futur de négocier des autorisations de PEB entre les bibliothèques publiques, de sorte que l accès aux œuvres avec une distribution limitée continue. Le rôle des bibliothécaires se joue non seulement dans le processus d acquisition, mais aussi dans celui d adoption. Comme mentionné plus tôt, les bibliothécaires devront notamment travailler à rendre ce nouveau format visible. Plus que cela, ils devront jouer un rôle de leader et d enseignant. Le côté promotionnel et éducationnel des livres électroniques ne semblait pas être touché par les publications de recherches en milieux ruraux. Pourtant, de nombreuses communautés canadiennes sont touchées par des problèmes de populations vieillissantes et de bas tôt d éducation. Ils devront accompagner leurs usagers vers de nouveau format de lecture. Que ce soit en offrant des formations de groupe ou individuelles, la mise en œuvre d événements promotionnels, la sensibilisation avec les jeunes, il est temps de mettre en place la promotion afin de pouvoir par la suite travailler à l amélioration du service établi. L arrivée des livres électroniques dans nos bibliothèques publiques est bel et bien passée. Aujourd hui, ils se posent comme tout autre format de livres. Nous allons bientôt passer des préoccupations d offrir l accès, aux préoccupations concernant les prêts entre bibliothèques et le contenu autoédité, notamment. Il n y a pas de vainqueur entre livre imprimé et livre électronique. Le vainqueur n est nul autre que l usager trouvant le plaisir de lire, peu importe la méthode choisie. Avec toutes les options disponibles sur le marché, concentrons-nous sur la lecture, peu importe son format.
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