Développeur, Rédacteur, Utilisateur :



Documents pareils
Notes de lecture : Dan SPERBER & Deirdre WILSON, La pertinence

AGASC / BUREAU INFORMATION JEUNESSE Saint Laurent du Var Tel : bij@agasc.fr Word: Les tableaux.

TRANSFERER UNE PHOTO SUR CLE USB

MEDIAplus elearning. version 6.6

Pluridisciplinarité. Classe de BTS DATR

Médiation instrumentale et activité collaborative de conception

Interface Homme-Machine 1

Morphosyntaxe de l'interrogation en conversation spontanée : modélisation et évaluations

PARAMETRER LA MESSAGERIE SOUS THUNDERBIRD

Etude de cas : PGE JEE V2

Importation des données dans Open Office Base

3-La théorie de Vygotsky Lev S. VYGOTSKY ( )

Le disque dur. Le disque dur est l'organe servant à conserver les données sous forme de dossiers de manière permanente.

Piratrax 2012 Danger - Effacer vos traces

Nouveautés Version Guide PME

La série L est revalorisée

Guide pour la réalisation d'un document avec Open Office Writer 2.2

Navigation dans Windows

Intervenir sur les interactions parents-enfants dans un contexte muséal scientifique

Bien travailler sur plusieurs écrans

Fiche de synthèse sur la PNL (Programmation Neurolinguistique)

ACTIVITÉS DE COMMUNICATION LANGAGIÈRE ET STRATÉGIES

ANNEXE 1. Si vous souhaitez ajouter un descriptif plus détaillé de l offre à votre annonce, merci de le joindre accompagné de ce formulaire.

Tous les autres noms de produits ou appellations sont des marques déposées ou des noms commerciaux appartenant à leurs propriétaires respectifs.

NORME INTERNATIONALE D AUDIT 260 COMMUNICATION DES QUESTIONS SOULEVÉES À L OCCASION DE L AUDIT AUX PERSONNES CONSTITUANT LE GOUVERNEMENT D'ENTREPRISE

DESCRIPTEURS NIVEAU A2 du Cadre européen commun de référence pour les langues

Publipostage avec Open Office Writer et Open Office Calc

BABEL LEXIS : UN SYSTÈME ÉVOLUTIF PERMETTANT LA CRÉATION, LE STOCKAGE ET LA CONSULTATION D OBJETS HYPERMÉDIAS

Climat Scolaire - Manuel utilisateur - Chapitre 2 : «Créer, Editer et suivi d un texte»

I Pourquoi une messagerie?

Les calques supplémentaires. avec Magix Designer 10 et autres versions

Tutoriel Inscription et utilisation basique d'un blog hébergé chez Blogger.com

Comment choisir ou modifier les options de facturation sans papier

Créer un sondage en ligne

TBI-DIRECT. Bridgit. Pour le partage de votre bureau. Écrit par : TBI Direct.

La gestion des boîtes aux lettres partagées

Déclaration d'accidents online Manuel d utilisation

NOS FORMATIONS EN BUREAUTIQUE

1. Cliquez sur dans le coin supérieur gauche de l'écran 2. Sélectionnez la Langue de l'interface désirée 3. Cliquez sur

Analyse tarifaire en ligne (TAO) de l'omc

Uniformiser la mise en forme du document. Accélère les mises à jour. Permets de générer des tables de matières automatiquement.

SOMMAIRE. Travailler avec les requêtes... 3

TUTORIEL IMPRESS. Ouvrir Impress cocher «présentation vierge», «suivant» cocher «écran», «suivant» cocher «standard», «créer»

Mise à jour Stable Gestion des talents juin 2014 Mise à jour de la version stable St. Gallen

Manuel de l'utilisateur d'intego VirusBarrier Express et VirusBarrier Plus

Téléphoner depuis le PC Vue d'ensemble

Qlik Sense Cloud. Qlik Sense Copyright QlikTech International AB. Tous droits réservés.

Transférer et enregistrer les photos sur l'ordinateur

L'EPS à l'école primaire aucune modification des programmes

LES MOTEURS DE RECHERCHE SUR INTERNET

Document d accompagnement pour l utilisation du Cartable en ligne Lycée des Métiers Fernand LÉGER 2013/2014

Thunderbird et messagerie sur clé USB

La P N L appliquée à la vente

Canopée Assistance interactive personnalisée pour l interprétation

Logiciels concernés. Situation. Ciel et le pont comptable. Note conçue et rédigée par Jalons sprl tous droits réservés - 27/06/2007.

1 - Se connecter au Cartable en ligne

Création d un petit livre Avec le logiciel «Didapages 1.1»

Manuel d utilisation

Enregistrer 27. ENREGISTREMENT ouvre une boîte de dialogue similaire à celle qui est décrite ici. «Enregistrement» sous l'écran vidéo

Comment insérer une image de fond?

Le référentiel professionnel du Diplôme d Etat d Aide Médico-Psychologique

LES INTERFACES HOMME-MACHINE

LES CARTES À POINTS : POUR UNE MEILLEURE PERCEPTION

Gérer ses impressions en ligne

(Fig. 1 :assistant connexion Internet)

Chapitre 1 : Introduction aux bases de données

Récupération de fichiers effacés avec Recuva 1/ 5

LibreOffice Calc : introduction aux tableaux croisés dynamiques

Les Enseignants de l Ere Technologique - Tunisie. Niveau 1

Menu Traitement. Menu Traitement

Dans la série LES TUTORIELS LIBRES présentés par le site FRAMASOFT. Compression - Décompression avec 7-Zip. Georges Silva

Publication Assistée par Ordinateur

GUIDE MEMBRE ESPACE COLLABORATIF. Février 2012

A la découverte du Traitement. des signaux audio METISS. Inria Rennes - Bretagne Atlantique

Excel 2007 Niveau 3 Page 1

Date de diffusion : Rédigé par : Version : Mars 2008 APEM 1.4. Sig-Artisanat : Guide de l'utilisateur 2 / 24

FORMATION RESPONSABLE COMMERCIAL EN AGROBUSINESS TITRE DE NIVEAU II contenu des modules de formation

UTILISATION DE L'APPLICATION «PARTAGE DE FICHIERS EN LIGNE»

Formation > Développement > Internet > Réseaux > Matériel > Maintenance

MODE OPÉRATOIRE : CIEL COMPTA

Les dossiers compressés (ou zippés)

Guide d'utilisation. OpenOffice Calc. AUTEUR INITIAL : VINCENT MEUNIER Publié sous licence Creative Commons

MANUEL. de l application «CdC Online» pour Windows. Table des matières

Valeur cible et solveur. Les calculs effectués habituellement avec Excel utilisent des valeurs numériques qui constituent les données d'un problème.

Asset Management Software Client Module. Manuel d utilisation

La gestion opérationnelle de l information commerciale

EQUISIS E-BANKING A. "E-BANKING" VIREMENTS NATIONAUX PARAMETRAGE. Comptes centralisateurs financiers

TABLEAU CROISE DYNAMIQUE

SIG ET ANALYSE EXPLORATOIRE

S. GOMES J.C. SAGOT V. GOUIN

Répondre à un courrier - Transférer un courrier 20

CRÉER UNE BASE DE DONNÉES AVEC OPEN OFFICE BASE

Master Etudes françaises et francophones

Pierre Couprie. «Analyser la musique électroacoustique avec le logiciel ianalyse» EMS08

TRUCS & ASTUCES SYSTEME. 1-Raccourcis Programme sur le Bureau (7)

Guide utilisateur de l application PASS

L3 Psychologie «Ergonomie : travail, innovations et formation» Les enjeux et éléments historiques. Principaux concepts et théories sous-jacentes

LA SURVEILLANCE ET LE SUIVI DE L'ENVIRONNEMENT. Pierre Guimont Conseiller en environnement Unité Environnement Division Équipement, Hydro-Québec

TABLE DES MATIERES...

Transcription:

Développeur, Rédacteur, Utilisateur : Quelle référence commune? P. Beust* L. Delépine* D. Jacquet** * GREYC-CNRS UPRESA 6072 et Pôle Modélisation en sciences cognitives, Maison de la Recherche en Sciences Humaines, Université de Caen, F-14032 Caen Cedex, France e-mail : {beust, delepine}@info.unicaen.fr ** LPCP EA 1774 et Pôle Modélisation en sciences cognitives, Maison de la Recherche en Sciences Humaines, Université de Caen, F-14032 Caen Cedex, France e-mail : jacquet@mrsh.unicaen.fr Résumé : Cet article traite de la mise en place de la co-référence dans une situation de conception distribuée. Il s'agit de considérer la co-référence comme un processus cognitif central dans la construction de l'interaction. Dans la situation étudiée, la construction d'une co-référence implique l'analyse de la fonction de monstration des productions langagières qui ne peut se limiter à une analyse linguistique. De plus, le logiciel qui sert de base à l'interaction matérialise un terrain commun où les choses que les participants évoquent sont le plus souvent présentes et partagées. La prise en compte du contexte dans sa globalité (un lieu, un temps, les personnes présentes, le statut de ces personnes,...) est donc indispensable à la compréhension des procédures d'établissement d'un terrain commun par les interactants.

Mots clés : Interaction, co-référence, monstration, déixis, conception distribuée. 1. Introduction De nombreuses études, notamment en psychologie et dans le domaine de la conception, ont montré le statut fondamental de l'interaction dans les échanges langagiers, ce qui amène à considérer de façon particulière les notions de référence et de sens. Dans le cadre d'une recherche pluridisciplinaire, cet article traite de la mise en place de la co-référence dans une situation réelle de conception distribuée. Dans ce contexte, la co-référence n'est pas un accord immédiat mais plutôt un processus cognitif complexe qui initie l'interaction. Dans une première partie nous présenterons notre situation d'observation. Dans une seconde partie, nous décrirons le processus de mise en place d'une co-référence et ceci nous amènera à rappeler la fonction de monstration des productions langagières. Dans une troisième partie, nous montrerons les limites d'une analyse linguistique pour l'étude de la co-référence, notamment lorsque l'interaction étudiée relève du paradigme de la cognition située. Nous conclurons sur l'importance de la prise en compte du contexte dans sa globalité (un lieu, un temps, les personnes présentes, le statut de ces personnes,...) pour une étude de la référence. 2. Situation d'observation Les exemples présentés dans cet article sont issus d'une situation de conception distribuée mise en place dans le cadre du projet PIC 1. - Sujets : Les trois partenaires mis en présence sont un des trois concepteurs du logiciel, un utilisateur potentiel (une secrétaire de l'iut de Caen) et un rédacteur technique de la société Métaphora. 1 (Processus d'interaction en Conception). C'est un projet interdisciplinaire (soutenu par le GIS sciences de la cognition) commun aux laboratoires GREYC UPRESA CNRS 6072 (Groupe de Recherches en Informatique, Image, Instrumentation de l'université de Caen), Groupe de Recherche "Modèlisation du fonctionnement cognitif langagier" du LPCP EA 1774 (Laboratoire de Psychologie Cognitive et Pathologique - Université de Caen), GRC (Groupe de Recherches sur les Communications - Université de Nancy), SUDLA URA CNRS 1164 (Sociolinguistique, Usage et Devenir de la LAngue - Université de Rouen) et à l'entreprise METAPHORA (Rédaction technique - Caen). 2

- Tâches : L'utilisateur et le concepteur sont invités à rencontrer un rédacteur technique pour lui transmettre toutes les informations dont celui-ci peut avoir besoin pour rédiger une documentation qui réponde à leurs besoins respectifs : une description correcte du fonctionnement du logiciel pour le concepteur et une aide adéquate à son métier pour l'utilisateur. Le rédacteur technique est chargé dans le cadre de son activité professionnelle de rédiger la documentation du logiciel. Il est informé qu'il rencontrera simultanément le concepteur et l'utilisateur du logiciel. - Situation d'interaction : Les trois partenaires sont invités à se rencontrer pour une séance de travail de deux heures pendant laquelle un ordinateur sur lequel est implanté le logiciel est à leur disposition. - Recueil des données : La rencontre est enregistrée en audio et vidéo permettant ainsi une retranscription des corpus. Les notes du rédacteur sont recueillies. Les extraits de corpus donnés en exemple sont présentés à la façon d'une partition de musique où les trois lignes D, U et R représentent respectivement les dires du développeur, de l'utilisateur et du rédacteur (le chevauchement vertical des lignes signifie que les acteurs parlent en même temps). 3. La référence comme résultat d'un processus monstratif. Le rapport que crée un interlocuteur entre les choses et les signes constitue la référence au sens utilisé dans le courant pragmatique et interactionniste. Ainsi, la référence est la relation qui unit une expression de la langue (dite en général expression référentielle) en emploi dans un énoncé et l'objet, l'événement ou le processus que cette expression évoque. Elle est ce grâce à quoi la langue permet de dire et d'entendre des choses sur le monde dans toutes ses dimensions: réel, imaginaire et symbolique, et c'est donc une relation très générale qui dans l'effectivité du langage se réalise sous plusieurs aspects. Cette référence n'est pas donnée d'emblée mais c'est l'auditeur qui la construit dans l'interprétation. Lors d'une interaction langagière, des tentatives de référence sont construites par celui qui écoute et interprète mais aussi par le locuteur lorsqu'il entend ses propres paroles. La référence est alors le fruit d'une collaboration entre les différents interlocuteurs. C'est en construisant ensemble la référence dans la suite de l'interaction qu'ils vont se mettre d'accord sur la nature ou la 3

désignation des "objets" 2 du monde qu'ils évoquent. Les cas de malentendus sur une référence supposée commune de la part de chacun ne sont en aucun cas des marques d'échec de ce processus de coréférenciation. Ils montrent simplement que le consensus n'est pas encore atteint et lorsque qu'un hiatus dû à ce malentendu se produit explicitement, c'est signe d'une communication réussie ([Vivier 88, 92], [Vivier & al. 94], [Brassac & al. 96]). Ce consensus au centre de la référenciation est rendu possible par une fonction essentielle du langage : la monstration. D'un point de vue développemental, en analysant des interactions entre jeunes enfants et adultes, Bruner ([Bruner 83, 84]) souligne le rapport de dépendance du processus de dénomination à l'égard de celui de désignation dans et par les interactions non verbales puis verbales. Pour notre part, nous nous limiterons à une définition qui fait de la monstration un aspect spécifique des énoncés langagiers, qui permet de rendre présents des objets, des situations, des procès. Du point de vue de la sémantique temporelle, [Gosselin 97] met en évidence que cette monstration marque la frontière entre le nécessaire et le possible car le propre de la représentation langagière est de conférer à un moment quelconque, pris comme moment de référence (objet de la monstration) la propriété modale essentielle du présent, à savoir constituer la séparation entre le passé (nécessaire car irréversible) et le futur (possible). Pour la sémantique nominale, la monstration marque aussi un moment séparateur au sein de l'interaction. Lors de la mise en place d'une co-référence, il est possible de dégager deux processus, l'un préalable à la monstration, l'autre lui faisant suite. Le premier décrit une négociation sur la nature de l'objet c'est à dire ce qui permet de l'appréhender comme l'élément d'une catégorie et c'est donc principalement une négociation sur son identité sortale [Beust & al. 97]. Le second processus constitue aussi une négociation mais le but est cette fois de se mettre d'accord sur une dénomination de l'objet qui vient d'être montré. C'est à l'issue de ce processus qu'est réellement mise en place une co-référence. La monstration est donc bien distincte de la référence, elle la précède dans certains cas, coïncide avec elle dans d'autres cas comme les énoncés déictiques et les rappels au terrain commun de l'interaction. L'exemple 1 décrit un cas de négociation pré-monstrative. Les acteurs pour y mettre en place une co-référence sur la notion de centre négocient les critères qui permettront une monstration partagée. Cette négociation 2 "objets" est ici utilisé dans un sens constructiviste comme dans [Mugur- Schächter 89] et désigne le résultat d'une opération de découpage et de catégorisation. 4

Utilisez Word 6.0c (ou ultžrieur) pour afficher une image Macintosh. passe ici par une reformulation du concept visé, notamment on passe de centre à centre d'intérêt. C'est en précisant ensemble les propriétés de la catégorie de l'objet visé que les actants "isolent" l'objet et permettent ainsi la monstration. On assiste alors à une co-précision de l'identité sortale de l'objet. Utilisez Word 6.0c (ou ultžrieur) pour afficher une image Macintosh. Exemple 1 : négociation pré-monstrative L'exemple 2 constitue une négociation post-monstrative dont l'issue donne lieu à une co-référence. Ici les actants ont bien pris acte de l'objet visé par la monstration et ils n'ont chacun aucun doute sur le fait que ce qu'ils considèrent comme objet du processus co-référentiel est une même entité. Il ne s'agit plus ici de préciser des critères sortaux mais de trouver une dénomination commune de l'objet montré pour continuer l'interaction. Ce processus post-monstratif est plus simple et moins long que le processus pré-monstratif mais il nécessite au moins trois tours de paroles [Brassac & al. 96]. Au premier tour, l'un des actants propose une dénomination (en l'occurrence GAE). Au second tour un de ses partenaires valide cette dénomination ou en propose une autre (ici GEA). Dans le troisième tour, le premier sujet fait signe au second qu'il valide sa solution ce qui permet à tous de poursuivre l'interaction. Exemple 2 : négociation post-monstrative L'étude d'interactions langagières en situation réelle met particulièrement bien en évidence la mise en place de la co-référence 5

comme un processus collaboratif. La référence est co-construite dans l'intersubjectivité des participants et constitue un premier niveau nécessaire de l'interprétation. La co-référence issue d'une interaction langagière implique en premier lieu un point de vue partagé sur un objet ou un concept, puis en second lieu une façon de le nommer. Dans le contexte le point de vue produit par la monstration est une caractérisation partagée de l'identité sortale de l'objet visé. Ce faisant le processus co-référentiel permet d'appréhender cet objet comme un élément d'une catégorie co-construite ou co-désignée. 4. La co-référence dans une situation de cognition située. Comme nous l'avons expliqué dans la partie précédente, la mise en place d'une co-référence constitue un processus fondateur de l'interaction qui est centré sur la notion de monstration. De la difficulté qu'ont les interlocuteurs à réaliser la monstration dépend la difficulté à mettre en place une co-référence. Nous allons montrer dans cette partie, que la situation de cognition située aide les participants à réaliser la monstration. Dans notre situation de conception distribuée, la présence du logiciel est primordiale. Elle facilite la conception du Manuel de l'utilisateur car le rédacteur peut examiner directement les difficultés qu'éprouve l'utilisateur face au logiciel ou questionner immédiatement le concepteur sur tel ou tel élément de l'application. Le logiciel peut donc être ici considéré comme un terrain d'expérience pour les trois participants et c'est donc bien ici de cognition située qu'il s'agit. D'une certaine façon, le logiciel matérialise un terrain commun où les choses que les participants évoquent sont le plus souvent présentes et partagées. Cette matérialisation a pour conséquence de soulager les interlocuteurs d'un bon nombre d'échanges pré-monstratifs car les objets de référence sont déjà "physiquement" présents dans le contexte d'interaction. De plus, le fait de disposer d'un outil de pointage (le pointeur de la souris) implique que beaucoup de négociations verbales sur l'identité des objets ne sont plus nécessaires du fait d'une monstration déjà réalisée par l'intermédiaire du pointeur de la souris. La co-référence aux objets de l'écran s'effectue alors massivement de façon déictique. On ne retrouve pas cette utilisation importante de déictiques dans l'expérience de [Clark & al. 86], par exemple, car les sujets y sont contraints de verbaliser des catégories pour effectuer la monstration puisque le pointage gestuel est "neutralisé" par l'utilisation d'une situation de communication avec écran 6

(les interlocuteurs ne se voient pas). L'importance de marqueurs déictiques dans le corpus est effectivement indiscutable. En voici quelques exemples :... Je ne sais pas si y'en a une là...... donc là c'est SUGEA...... donc là on peut faire OK...... donc là tu vas sur le menu...... i'faut cocher cliquer là...... si on pouvait revenir sur c't écran là...... là ici on va sur recherche...... la p'tite flèche non là voilà...... c'est l'option là vas-y sélectionne voilà...... j'vais aller chercher la d'dans...... le p'tit truc ici...... clique sur celui là puisque c'est celui-là... Dans une telle situation on observe donc que la monstration est souvent immédiate car établie de façon déictique. Le processus de mise en place de co-référence échappe donc en grande partie à une étude linguistique car les catégories des objets ne sont plus verbalisées. L'analyse des interactions s'en trouve radicalement changée car la simple prise en compte des dires des participants ne suffit plus à rendre compte de l'effectivité de l'interaction. Notamment l'importance des déictiques dans le corpus rend la co-référenciation difficilement observable à partir d'une unique analyse linguistique. Il convient donc, pour analyser une situation de cognition située d'élargir la prise en compte du contexte. En effet toutes les composantes du contexte (le lieu, le temps, les personnes présentes, leur rôle dans l'interaction,...) constituent alors des indices tout aussi pertinents les uns que les autres et l'économie de l'un ou de l'autre devient préjudiciable à la qualité de l'analyse. 5. Conclusion Les situations de conception distribuée fournissent des corpus particulièrement riches pour étudier les interactions langagières. La tâche de conception d'un objet met en évidence l'importance de la mise en accord des interlocuteurs car l'objet n'est pas donné d'emblée mais est à concevoir. Les interlocuteurs ont alors, plus encore que dans d'autres situations, une nécessité d'accord pour mener la tâche à bien. La problématique de la référence est centrale dans l'étude de telles interactions, en particulier dans un cadre de cognition située dans lequel les procédures de mise en place d'un terrain commun ne peuvent être 7

mises à jour uniquement par une analyse linguistique de ces mêmes interactions. Références [Beust & al. 97] P. Beust, A. Nicolle (1997). L'identité dans un modèle de la dépendance nominale, Sixièmes Journées de Rochebrune "Invariance, Interaction, Référence : L'identité en question", 2-9 Février 1997. [Brassac & al. 96] C. Brassac, J. Stewart (1996). Le sens dans les processus interlocutoires, un observé ou un co-construit? Cinquièmes Journées de Rochebrune "Du collectif au social", 29 Janvier - 3 Février 1996. [Bruner 83] J.S. Bruner (1983). Le développement de l'enfant. Savoir faire, savoir dire. Paris: Presses Universitaires de France. [Bruner 83] J.S. Bruner (1984). Contextes et formats. In M. Deleau (Ed.), Langage et communication à l'âge pré-scolaire. Rennes: Presses Universitaires de Rennes 2. [Clark & al. 86] H. H. Clark, D. Wilkes-Gibbs (1986). Referring as a collaborative process, Cognition, 22, 1-39. [Gosselin 97] L. Gosselin (1997). Le "paradoxe imperfectif", ou la disjonction entre assertion et prédication, actes du colloque "Prédication, Assertion, Information", Juin 96, ed. M. Forsgren, K. Jonasson, H. Kronning, Acta Universitatis Uppsaliensis, Upsala, Sous Presses. [Mugur-Schächter 89] M. Mugur-Schächter (1989). Esquisse d'une méthode générale de conceptualisation relativisée, in "Arguments pour une méthode, autour de Edgar Morin", Editions du Seuil Paris. [Vivier 88] J. Vivier (1988). La tâche de l'élève et l'auto-contrôle. Revue Française de Pédagogie, 82, 61-65. [Vivier 92] J. Vivier (1992). Explanations strategies for a construction task among 8-year-old subjects. Cahiers de Psychologie Cognitive, 12, 4, 389-414. [Vivier & al. 94] J. Vivier, D. Jacquet (1994). Étude comparative des stratégies d'explication d'une tâche de construction chez des enfants en classe de perfectionnement et en cycle normal, in Deleau M. et Weil-Barais A. (Eds.) Le développement de l'enfant, approches comparatives, Paris : PUF, 165-174. 8