Décision du Défenseur des droits MLD-2015-257. Vu la loi organique n 2011-333 du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits ;



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Édition du 4 mars 2011 Annule et remplace l édition précédente

Transcription:

Paris, le 22 octobre 2015 Décision du Défenseur des droits MLD-2015-257 Le Défenseur des droits, Vu l article 71-1 de la Constitution du 4 octobre 1958 ; Vu la loi organique n 2011-333 du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits ; Vu le décret n 2011-904 du 29 juillet 2011 relatif à la procédure applicable devant le Défenseur des droits ; Vu le code du travail ; Saisi d une réclamation de Madame X relative à la rupture de son contrat de travail notifiée au cours de la période d essai qu elle estime discriminatoire en raison de sa grossesse et/ou de son état de santé ; Recommande à la société mise en cause de se rapprocher de Madame X afin de procéder à une juste réparation de son préjudice et de rendre compte des suites données à cette recommandation dans un délai de 3 mois à compter de la notification de la présente ; A défaut d accord dans le cadre de cette recommandation, décide de présenter ses observations devant la juridiction compétente. Jacques TOUBON

Recommandation dans le cadre de l article 25 de la loi n 2011-333 du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits 1. Le 11 mars 2014, Madame X a saisi le Défenseur des droits d une réclamation relative à la rupture de son contrat de travail au cours de la période d essai qu elle estime discriminatoire car en lien avec son état de grossesse et/ou son état de santé. I. RAPPEL DES FAITS : 2. À compter du 13 janvier 2014, Madame X est recrutée par la SAS Y située à Z et spécialisée dans le traitement et l hébergement de données, en qualité de gestionnaire paie et ressources humaines, dans le cadre d un CDI. Son contrat est assorti d une période d essai de deux mois, renouvelable une fois. La convention collective nationale des services de l automobile lui est applicable. 3. Au moment de son embauche, Madame X est enceinte et choisit de ne pas l annoncer à son employeur, conformément à l article L.1225-2 du code du travail. 4. Du 27 février au 3 mars 2014, elle est placée en arrêt maladie suite à des complications liées à sa grossesse. 5. Elle décide de se rendre sur son lieu de travail, le 3 mars 2014, afin de remettre en mains propres un certificat médical attestant sa grossesse. 6. Le 4 mars 2014, un courrier de convocation à entretien préalable lui est adressé. L entretien, initialement fixé au 13 mars 2014, est reporté au 18 mars 2014 afin de respecter les heures de sorties autorisées dans son arrêt de travail qui est prolongé jusqu au 22 mars 2014. 7. Le 14 mars 2014, Madame X adresse un courrier à son employeur afin de dénoncer cette convocation qu elle estime en lien avec l annonce de sa grossesse et les problèmes liés à celle-ci. 8. Le 22 mars 2014, son arrêt maladie est une nouvelle fois prolongé jusqu au 19 avril 2014. 9. Elle indique avoir été contactée, le 24 mars 2014, par l agence d intérim W, pour un poste d assistant(e) paie ressources humaines en CDI situé à Z semblant correspondre au poste qu elle occupait. 10. Par courrier du 25 mars 2014, la fin de sa période d essai lui est notifiée. Il lui est reproché un certain nombre d erreurs dans la gestion de ses dossiers. 11. Madame X estime que cette décision est en lien avec l annonce de sa grossesse et/ou son placement en arrêt maladie. 12. Au vu des éléments communiqués par la réclamante, le Défenseur des droits a, en vertu des articles 18 et 20 de la loi organique n 2011-333 du 29 mars 2011 le régissant, sollicité, par courriers des 16 juin 2014, les sociétés Y et W afin de recueillir leurs explications sur les faits de discrimination allégués et solliciter la communication d un certain nombre de pièces. 13. Les sociétés y ont respectivement répondu par courriers des 11 et 17 juillet 2014. La société W a confirmé que l annonceur de l offre d emploi produite par Madame X était bien la société Y.

14. Au regard des éléments d informations transmis, le 10 avril 2015, le Défenseur des droits a adressé à la société Y une note récapitulant les éléments de droit et de fait pour lesquels il pourrait retenir l existence d une discrimination à l encontre de Madame X, à laquelle la société mise en cause a répondu par courrier en date du 13 mai 2015. 15. Par courrier électronique du 25 août 2015, la société W a adressé au Défenseur des droits des éléments complémentaires. II. CADRE ET ANALYSE JURIDIQUES : 16. Selon les dispositions de l article L.1221-20 du code du travail, «La période d essai permet à l employeur d évaluer les compétences du salarié dans son travail, notamment au regard de son expérience, et au salarié d apprécier si les fonctions occupées lui conviennent». 17. La Cour de cassation a déjà eu l occasion de juger que la période d essai, qui précède l engagement définitif du salarié, a notamment pour objet de permettre à l employeur d apprécier au mieux la qualification et l aptitude professionnelle du salarié à occuper l emploi auquel il est affecté (Cass. soc., 26 octobre 1999, n 97-43266). 18. Le principe est celui de la liberté de la rupture du contrat de travail au cours de la période d essai par l une des deux parties. 19. Toutefois, ce pouvoir discrétionnaire de mettre fin aux relations contractuelles avant la fin de l essai ne doit pas dégénérer en abus de la part de l employeur (Cass. soc., 20 janvier 2010, n 08-44465). 20. La rupture peut ainsi être considérée abusive pour un motif sans rapport avec l appréciation des compétences professionnelles du salarié (Cass. soc., 10 décembre 2008, n 07-42445). 21. De même, l employeur ne peut pas prendre en compte un critère discriminatoire, et notamment l état de grossesse et/ou l état de santé d une salariée pour décider de mettre fin à sa période d essai. 22. En, effet, les dispositions de l article L.1225-1 du code du travail relatif à la rupture de la période d essai d une femme enceinte prévoient que : «L employeur ne doit pas prendre en considération l'état de grossesse d'une femme pour refuser de l'embaucher, pour rompre son contrat de travail au cours d'une période d'essai ( )». 23. Dans le même sens, les dispositions de l article L.1132-1 du code du travail précisent qu «Aucune personne ne peut être écartée d une procédure de recrutement ( ), aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l objet d une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l article 1 er de la loi n 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses mesures d adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations ( ) en raison de ( ) son sexe ( ), de sa situation de famille ou de sa grossesse ( ) ou en raison de son état de santé ( )». 24. En ce sens, la Chambre sociale de la Cour de cassation a affirmé que la rupture de la période d essai doit reposer sur des motifs étrangers à toute discrimination, les dispositions des articles L.1132-1 et L.1132-4 du code du travail étant applicables à la période d essai (Cass. soc., 16 février 2005, n 02-43402).

25. S agissant plus particulièrement de l absence pour maladie du salarié, la Cour de cassation est venue préciser que l employeur ne peut pas mettre fin à la période d essai en raison de la maladie du salarié, même si cette absence perturbe le fonctionnement de l'entreprise. La rupture de l'essai ne doit être motivée que par les qualités professionnelles du salarié. À défaut, il s'agit d'une discrimination fondée sur l'état de santé du salarié entrant dans le champ de l'article L.1132-1 du code du travail (Cass. soc., 10 avril 2013, n 11-24794). 26. Il appartient alors à l employeur de démontrer que l insuffisance professionnelle du salarié qui lui est reprochée a été constatée antérieurement à son absence pour maladie. Tel est le cas lorsque l employeur a informé le salarié de son intention de ne pas poursuivre le contrat de travail au-delà de la période d essai, avant son arrêt de travail (Cass. soc., 4 avril 2012, n 10-23876). 27. En revanche, tel n est pas le cas lorsque l employeur ne manifeste aucune intention de mettre fin à la période d'essai du salarié avant son absence et lui reproche, à son retour, une insuffisance professionnelle en mettant fin peu de temps après à sa période d essai (Cass. soc., 16 février 2005, n 02-43402). 28. Tout acte ou mesure pris à l encontre d un salarié en méconnaissance du principe de nondiscrimination est nul, conformément à l article L.1132-4 du code du travail. 29. L article L.1134-1 dudit code définit, quant à lui, le principe de l aménagement de la charge de la preuve en vertu duquel «le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l existence d une discrimination directe ou indirecte ( ). Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination». 30. Les dispositions de l article L.1225-3 du code du travail précisent également que «Lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L.1225-1 et L.1225-2, l'employeur communique au juge tous les éléments de nature à justifier sa décision. Lorsqu'un doute subsiste, il profite à la salariée enceinte». Sur les éléments de fait laissant supposer l existence d une discrimination présentés par Madame X : 31. En l espèce, le 4 mars 2014, soit le lendemain de l annonce de sa grossesse et de la prolongation de son arrêt de travail pour maladie, un courrier de convocation à entretien préalable est adressé à Madame X. 32. Cet entretien se déroule durant son absence pour maladie, le 18 mars 2014, son arrêt de travail ayant été prolongé. 33. La rupture de son contrat de travail lui est finalement notifiée, par lettre recommandée du 25 mars 2014, alors qu elle est toujours absente pour maladie. 34. Dans un arrêt du 14 juin 2007, la Chambre sociale de la Cour de cassation a estimé que la concomitance entre l'annonce de la grossesse et la rupture de la période d essai laisse planer un doute sur les motifs de la rupture (Cass, soc., 14 juin 2007, n 05-45219). 35. Une telle concomitance laisse supposer l existence d une discrimination fondée sur l état de grossesse de la salariée (CPH SAINT-DIÉ-DES-VOSGES, 21 octobre 2013 et CA NANCY, 5 décembre 2014, n 14/02727, après Décisions n MLD-2012-137 et n MLD- 2014-03 du Défenseur des droits).

36. De la même manière, la concomitance entre une période d arrêt de travail pour maladie et la décision de l employeur de mettre fin à la période d essai du salarié laisse supposer qu il a été victime d une discrimination à raison de son état de santé (CA ROUEN, 7 juin 2011, n 10-05555 et 24 juin 2008, n 08-00136). 37. Dans la lettre de rupture du contrat de travail de Madame X, l employeur admet avoir eu connaissance de sa grossesse avant de mettre fin à son contrat et indique avoir également constaté qu elle avait des ennuis de santé : «Aux vues de vos absences et de vos agissements, nous n avions pu que constater vos ennuis de santé ( )». 38. En outre, les éléments communiqués par Madame X laissent présumer que la société Y a souhaité précipitamment mettre fin à son contrat de travail, sans prendre en compte ses absences pour maladie du 12 mars au 19 avril 2014 1, qui avait pourtant pour effet de prolonger sa période d essai jusqu au mois de mai 2014. 39. En effet, dans la lettre de rupture du 25 mars 2014, la société Y lui indique que son contrat prendra fin quatre jours après, le 29 mars 2014 - prenant ainsi uniquement en compte ses absences jusqu au 12 mars 2014 - peu important en outre qu une telle notification ne respecte pas le délai de prévenance légal de l article L.1221-25 du code du travail : «La date de première présentation de ce courrier fixe le point de départ d un délai de prévenance de deux semaines conformément à l article L.1221-25 du code du travail ( ) La partie du délai de prévenance qui n aura pu être effectuée ouvrira droit à indemnisation». 40. Ce faisant, la société semble avoir également méconnu les dispositions dudit article puisque la prise en compte de l ensemble des absences pour maladie de la réclamante aurait eu pour effet de rallonger le délai de prévenance à un mois (article L.1221-25 4 ) 2. 41. Dès lors, il semble que la société Y a souhaité précipitamment mettre fin au contrat de travail de Madame X. 42. De même, la publication d une offre d emploi la veille de la notification de la rupture de son contrat de travail, pour un poste correspondant à ses fonctions les postes d assistant(e) paie et de gestionnaire de paie étant synonymes semble confirmer cette volonté de l employeur et confère à la rupture un caractère vexatoire, la réclamante ayant eu connaissance de l offre alors qu elle faisait encore partie des effectifs de l entreprise. 43. Ces éléments, pris dans leur ensemble au sens de la jurisprudence 3, laissent présumer que la société Y a fait un usage abusif de son droit discrétionnaire de mettre fin aux relations contractuelles avant la fin de l essai de Madame X et que l état de grossesse et/ou l état de santé de cette dernière ont été pris en compte par l employeur pour arrêter sa décision. 44. En conséquence et conformément aux dispositions de l article L.1134-1 du code du travail, il appartient à la société Y de justifier que sa décision de rompre le contrat de 1 Cf. courriers de convocation à entretien préalable des 4 et 7 mars 2014 mentionnant une date d absence pour maladie jusqu au 12 mars 2014 alors que son arrêt de travail court jusqu au 22 mars 2014 et que ce dernier avait été prolongé du 23 mars au 19 avril 2014 2 La durée du délai de prévenance doit être calculée sur la base de la durée de présence dans l'entreprise et non pas en fonction du travail effectif déjà réellement accompli au cours de celle-ci. En cas de suspension du contrat de travail pendant l'essai, notamment en cas d absence pour maladie, le temps de la suspension doit ainsi être compris dans le délai de prévenance 3 La Chambre sociale de la Cour de cassation est venue préciser que les éléments de fait présentés par le salarié doivent être appréciés de manière globale (Cass. soc., 29 juin 2011, n 10-14067)

travail de Madame X au cours de la période d essai repose sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Sur les justifications apportées par la société Y : 45. Dans sa réponse du 11 juillet 2014, la société Y nie toute discrimination à l encontre de Madame X, expliquant que la rupture de son contrat de travail a été exclusivement fondée sur son insuffisance professionnelle dans la gestion de ses dossiers, que l employeur n a découvert que le 4 mars 2014, alors qu elle était en arrêt maladie. 46. Plusieurs griefs lui sont reprochés dans la gestion de deux dossiers : - Dossier «LSA» : absence de saisie des revalorisations de salaire de Messieurs A et B ; erreur de saisie de celle de M. C ; erreurs de saisie concernant les dates d ancienneté de M. D et F G ; non-traitement du dossier «IPSA» de Melle H ; - Dossiers «SODRA» : non-traitement des dossiers «IPSA» de M. J et K ; non-suivi de l absence pour maladie de M. K renouvelée le 24/02/2014. 47. L employeur ajoute que le chef de paie avait pourtant alerté Madame X, à plusieurs reprises, sur les points de vigilance à porter sur le traitement des paies. 48. Toutefois, les éléments communiqués par l employeur ne permettent pas de vérifier la réalité des manquements professionnels imputés à la réclamante. 49. Un seul courriel en date du 14 février 2014 concerne le dossier de M. F : «Ne pas reprendre sa date d ancienneté en préambule, elle commencera le 17/02/2014. Attention à la taille des polices, vous avez du arial 11 et 12, merci d harmoniser». Cet élément ne saurait suffire à démontrer l insuffisance professionnelle de la réclamante. 50. Aucun élément ne permet donc de constater que des reproches lui avaient été faits antérieurement à son absence pour maladie et à l annonce de sa grossesse. 51. Dans sa réponse du 13 mai 2015, la société Y précise que la rupture de la période d essai de Madame X repose sur un motif disciplinaire et non sur une insuffisance professionnelle. 52. Toutefois, il convient de souligner que, dans son courrier du 11 juillet 2014, la société invoquait elle-même l insuffisance professionnelle de la réclamante pour justifier la rupture de son contrat de travail. 53. En tout état de cause, l employeur ne fournit aucun élément supplémentaire permettant de constater la matérialité des erreurs invoquées. 54. Par ailleurs, la société Y conteste le fait que la publication de l offre d emploi la veille de la notification de rupture puisse constituer un «indice discriminatoire». 55. Elle considère que l offre d emploi publiée concernait un poste d «assistant paie RH», alors que Madame X occupait le poste de «gestionnaire paie et RH» et qu elle ne portait donc pas sur le même poste que celui de la réclamante. 56. Toutefois, l employeur n apporte aucun élément démontrant qu il s agissait de deux postes différents.

57. En outre, alors que le contrat de travail de Madame X précise qu elle occupe le poste de «gestionnaire paie et RH», dans des courriers électroniques des 2 et 3 décembre 2013 précédant l embauche de Madame X, Mme M, responsable des ressources humaines au sein de la société Y, précise : «Je suis à la recherche d une assistante paie et ressources humaines ( ) Le poste est polyvalent Paie et Ressources Humaines mais j ai besoin d une personne avec de solides bases en paie (de l établissement des bulletins à l élaboration des charges sociales trimestrielles et annuelles) et une bonne connaissance d excel. Pour la partie RH, il s agit de l administration du personnel (de l embauche à la sortie), rédaction de sanctions, organisation des élections du personnel, suivi plan de formation, tableaux de bord et bilan social, etc.» 58. Au vu de ces éléments, il semble donc que l offre du 24 mars 2014 correspondait bien au poste de gestionnaire paie et RH occupé par Madame X. 59. La société Y fait également valoir que si cette offre a été publiée la veille de la notification de la rupture du contrat de la réclamante, elle a respecté le délai minimum légal de réflexion prévu en matière disciplinaire. 60. Toutefois, force est de constater que la publication d une telle offre présente un caractère vexatoire et que la société n a pas respecté le délai de prévenance qui lui incombait au titre de l article L. 1221-25 du Code du travail, qui avait été rallongé par l absence pour maladie de la réclamante. 61. Enfin, dans son courrier du 13 mai 2015, l employeur produit la liste de l ensemble des salariées ayant déclaré leur grossesse au sein de la société Y et des sociétés du groupe au cours des trois dernières années, en affirmant que cela n a «aucunement modifié» leurs relations de travail. Elle souligne que l une d entre elles, Mme P, était, comme la réclamante, en période d essai lorsqu elle a annoncé sa grossesse. 62. Toutefois, outre le fait que la société ne communique aucun élément matériellement vérifiable au soutien de ses déclarations, le fait que d autres salariées aient annoncé leur grossesse sans que cela ait un impact sur leurs relations de travail ne constitue pas un élément objectif permettant d établir que Madame X n a pas fait l objet d une discrimination, chaque litige étant individuel, conformément à ce qu a indiqué la Cour d appel de PARIS dans un arrêt du 7 février 2013 (CA PARIS, 7 février 2013, n 09/01893). 63. Dès lors, conformément aux dispositions des articles L.1134-1 et L.1225-3 du code du travail, le Défenseur des droits considère que l employeur ne justifie pas par des éléments objectifs sa décision de rompre le contrat de travail de Madame X au cours de sa période d essai. 64. En conséquence, le Défenseur des droits : - Constate que Madame X a fait l objet d une discrimination à raison de son état de grossesse et de son état de santé au sens des dispositions des articles L.1132-1 et suivants du code du travail ;

- Recommande à la société Y de se rapprocher de Madame X afin de procéder à une juste réparation de son préjudice, et de rendre compte des suites données à cette recommandation dans un délai de 3 mois à compter de la notification de la présente ; - A défaut d accord dans le cadre de cette recommandation, décide de présenter ses observations devant toute juridiction judiciaire compétente, sur le fondement de l article 33 de la loi n 2011-333 du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits. Jacques TOUBON