RUPTURE CONVENTIONNELLE



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Transcription:

RUPTURE CONVENTIONNELLE La mise en place de la «rupture conventionnelle» est l une des principales mesures de la loi de modernisation du marché du travail du 25 juin 2008. En soi, ce mode de rupture n est pas nouveau, puisque la Cour de cassation avait déjà admis que «le contrat de travail peut prendre fin non seulement par un licenciement ou une démission, mais encore du commun accord des parties» (v. notamment, Cass. soc. 2 déc. 2003, n 01-46540). Les partenaires sociaux, soucieux de sécuriser la rupture intervenue d un commun accord des parties, ont toutefois élaboré dans l ANI du 11 janvier 2008 cette «rupture conventionnelle» et son régime, qui ont été consacrés pour l essentiel par la loi aux articles L. 1237-11 et s. CT. L'employeur et le salarié peuvent ainsi convenir en commun des conditions de la rupture du contrat de travail qui les lie par une rupture conventionnelle qui est, en vertu de l article L. 1237-11 CT, «exclusive du licenciement ou de la démission, ne peut être imposée par l'une ou l'autre des parties». Section 1 : Le champ d application du dispositif Avant de traiter deux questions spécifiques relatives à ce champ d application, il convient de souligner que les salariés protégés peuvent conclure une rupture conventionnelle, supposant toutefois, de façon dérogatoire, l'autorisation de l'inspecteur du travail (et non de la DIRECCTE, l inspecteur du travail procédant à un contrôle plus poussé, lié évidemment à l absence de discrimination). Il faut souligner que la rupture conventionnelle ne concerne, avec son régime particulier, que les CDI : la rupture d un commun accord d un CDD, admise par le code du travail (v. supra) n est pas soumise aux articles L. 1237-11 et suivants. 1 Rupture conventionnelle et motif économique L article L. 1237-16 CT définit explicitement deux limites au champ d application de la rupture conventionnelle, qui peuvent être liés au motif économique (en «amont», pour la GPEC ; en «aval», dans les PSE) : «La présente section n'est pas applicable aux ruptures de contrats de travail résultant : 1 Des accords collectifs de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences dans les conditions définies par l'article L. 2242-15 ; 2 Des plans de sauvegarde de l'emploi dans les conditions définies par l'article L. 1233-61.» Cette disposition renvoie indirectement à une question centrale, qui connaît des développements particuliers : peut-on recourir à la rupture conventionnelle dans un contexte économique? A ce propos, il faut observer que l article L. 1233-3, al. 2 CT prévoit que si les dispositions du chapitre au licenciement économique (procédure, priorité de réembauche, etc.) sont applicables à toute rupture du contrat de travail qui a un un motif économique, c est à l exclusion de la rupture conventionnelle. Le texte implique a priori que la rupture conventionnelle peut bien intervenir pour un motif économique (mais elle ne doit pas être utilisée seulement pour «contourner» le droit du licenciement économique, comme a pu l affirmer l Administration à plusieurs reprises), puisque le législateur se donne la peine de prévoir que même si elle a un motif économique, le droit du licenciement pour motif économique lui est inapplicable. L exclusion prévue par l article L. 1233-3 al. 2 empêche-t-elle la prise en compte des ruptures conventionnelles pour apprécier la procédure de licenciement à suivre et, notamment, savoir si un employeur a l'obligation d'élaborer un plan de sauvegarde de l'emploi lorsqu il rompt ainsi des contrats pour un motif économique? En s appuyant notamment sur les dispositions de l ANI de janvier 2008 qui a créé le dispositif, et sur la directive n 98/59/CE du 20 juillet 1998 concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives aux licenciements collectifs, la Cour de cassation a limité l exclusion posée à l article L. 1233-3 al. 2 CT en jugeant que «lorsqu'elles ont une cause économique et s'inscrivent dans un processus de réduction des effectifs dont elles constituent la ou l'une des modalités, les ruptures conventionnelles doivent être prises en compte pour déterminer la procédure d'information et de consultation des représentants du personnel applicable ainsi que les obligations de l'employeur en matière de plan de sauvegarde de l'emploi» (Cass. soc. 9 mars 2011 n 10-11.581).

Cette position a été récemment complétée par un arrêt du 29 octobre 2013 (n 12-15.382) : si les ruptures conventionnelles doivent être prises en compte pour l'application de l'article L. 1233-26 CT (l employeur procède, pendant trois mois consécutifs, à des licenciements économiques de plus de dix salariés au total, sans atteindre dix salariés dans une même période de trente jours : il s agit d un dispositif qui vise à éviter que les employeurs contournent ), lorsqu'elles constituent une modalité d'un processus de réduction des effectifs pour une cause économique, c'est à la condition que les contrats de travail sont effectivement rompus après l'homologation des conventions par l'administration du travail, de sorte que ne peuvent être retenues, pour justifier l application de cet article, les conventions, qui faute d'avoir été homologuées, n'ont pas entraîné la rupture du contrat de travail. 2 Rupture conventionnelle et droit des obligations La question ici posée est simple : hors les exceptions légales prévues par l article L. 1237-16 CT (accord de GPEC, PSE), où des ruptures d un commun accord peuvent intervenir sans être soumises au régime de la rupture conventionnelle (par ex : départ négocié accepté au titre d une mesure incluse dans un PSE afin d éviter un licenciement dit «sec»), y a-t-il encore une place pour la résiliation conventionnelle de droit commun (art 1134 al 2 C. civ.)? On pouvait très fortement en douter puisque l article L. 1237-1 CT dispose que la rupture d un commun accord est régie par les dispositions du «présent titre», c est-à-dire par les articles L. 1237-11 et suivants CT, qui régissent la rupture conventionnelle. C est d ailleurs en ce sens que s est exprimée la Cour de cassation dans un arrêt en date du 15 octobre 2014 (n 11-22.251) : «Aux termes de l'article L. 1231-1 du code du travail le contrat de travail à durée indéterminée peut être rompu à l'initiative de l'employeur ou du salarié ou d'un commun accord dans les conditions prévues par le présent titre ; que selon les dispositions de l'article L. 1237-11 du même code, la rupture d'un commun accord qualifiée rupture conventionnelle résulte d'une convention signée par les parties au contrat qui est soumise aux dispositions réglementant ce mode de rupture destinées à garantir la liberté du consentement des parties ; qu'il résulte de la combinaison de ces textes que, sauf dispositions légales contraires, la rupture du contrat de travail par accord des parties ne peut intervenir que dans les conditions prévues par le second relatif à la rupture conventionnelle». Cette solution soulève de réelles incertitudes pratiques, particulièrement pour les «mobilités intragroupe», qui peuvent notamment intervenir en cas de reclassement dans le cadre d un licenciement : lorsqu un salarié est «transféré» d une société d un groupe à une autre, l extinction de la première relation contractuelle, qui résulte de la volonté des parties à ce contrat, suppose-t-elle le respect des règles de la rupture conventionnelle? Ne peut-on pas voir dans cette opération une novation par changement de débiteur, une cession de contrat, voire une modification du contrat (mais celle-ci peutelle porter sur l une des parties au contrat?) sans qu il y ait rupture du contrat? Sur ce point, v. les observations de F. Ducloz et J.-F. Cesaro, «Le deuxième âge de la rupture négociée en droit social», JCP G n 43, 19 Octobre 2015, doctr. 1148 «Le recours à la technique de la novation du contrat est fréquemment évoqué en pratique et semble admis par la Cour de cassation. Elle appelle cependant certaines réserves. En effet, le Code civil ne prévoit que la novation des obligations et non la novation du contrat. De surcroît, il classe cette opération dans les cas d'extinction des obligations, ce qui pourrait être de nature à rendre applicable le droit du licenciement pour motif économique. Cette analyse peut cependant être discutée, car elle conduit à scinder en deux actes distincts, ce qui constitue, dans l'intention des parties, un seul et même acte. Il y a dans l'idée de novation des obligations une indivisibilité entre l'extinction d'une obligation et la création d'une nouvelle obligation. Pour reprendre les termes du professeur Vatinet, «La cause de la novation réside ( ) dans la volonté de substitution d'une obligation à une autre - l'animus novandi -, alors que la cause du mutuus dissensus est dans la volonté de rompre le contrat - appelons-la l'animus dissolvandi». En étendant aux contrats ce propos visant les obligations, il n'est dès lors pas inconcevable de considérer, au nom de la liberté des conventions, qu'il soit possible de retenir une qualification autonome de novation lorsque l'objectif de l'acte consiste, en un seul mouvement, à opérer une extinction du contrat lié à la recréation d'un rapport contractuel. Il ne s'agirait ni d'une simple rupture amiable ni de la simple conclusion d'un contrat nouveau. En ce sens, la jurisprudence relative aux salariés qui deviennent mandataires sociaux est éclairante : le juge social y admet que les parties peuvent convenir de transformer leur relation sans que cela emporte application du régime de la rupture. En l'état de ces incertitudes, on peut préférer les mécanismes organisant une véritable translation, sans rupture, de la relation contractuelle. Sans revenir sur le débat doctrinal relatif à cette possibilité, plusieurs instruments sont concevables. Le travailliste songera assez naturellement à l'application volontaire et

individuelle de l'article L. 1224-1 du Code du travail. Rien n'interdit en effet aux parties d'appliquer volontairement cette disposition. Il est également concevable de recourir à la technique de la cession de contrat. L'article 1340, alinéa premier du projet de réforme du droit des obligations prévoit qu'un «contractant peut, avec l'accord de son cocontractant, céder à un tiers sa qualité de partie au contrat». En ce cas, le cédant (en pratique l'employeur) ne peut être libéré qu'avec l'accord du cédé (en pratique le salarié) et uniquement pour l'avenir. À défaut de libération, il est «simplement garant des dettes du cessionnaire». Il nous semble qu'avec cette formule le législateur considère que la cession de contrat n'emporte pas d'extinction du contrat et règle la situation de celui qui cède sa qualité d'employeur. La difficulté à laquelle sera confrontée la jurisprudence consistera à distinguer les opérations dans lesquelles les parties ont manifesté l'intention de rompre le contrat et celles dans lesquelles elles ont organisé une translation de celui-ci. En effet, de nombreuses opérations se dénomment opérations tripartites sans préciser la nature des opérations conduites». On soulignera que dans l arrêt précité, la chambre sociale a retenu que le recours à la rupture d un commun accord conclue hors du dispositif de la rupture conventionnelle s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse. 3 Rupture conventionnelle et périodes de protection de certains salariés Plusieurs arrêts ont confirmé que la rupture conventionnelle pouvait être conclue alors même que le salarié se trouvait dans une période de protection contre le licenciement, alors que l on pouvait se demander s il n y avait pas là une fraude, ce qui avait pu être jugé à propos de ruptures d un commun accord intervenues avant la consécration légale du dispositif : - une cour d'appel a retenu à bon droit que, sauf en cas de fraude ou de vice du consentement, non invoqués en l'espèce, une rupture conventionnelle peut être valablement conclue en application de l'article L. 1237-11 du code du travail au cours de la période de suspension consécutive à un accident du travail ou une maladie professionnelle (Cass. Soc. 30 septembre 2014, n 13-16.297). La solution a été récemment rappelée dans un arrêt du 16 décembre 2015 (n 13-27.212) : «sauf en cas de fraude ou de vice du consentement, une rupture conventionnelle peut être valablement conclue au cours de la période de suspension du contrat de travail consécutive à un accident du travail ou une maladie professionnelle» ; - une cour d'appel a retenu à bon droit que, sauf en cas de fraude ou de vice du consentement, non invoqués en l'espèce, une rupture conventionnelle peut être valablement conclue en application de l'article L. 1237-11 du code du travail au cours des périodes de suspension du contrat de travail auxquelles la salariée a droit au titre de son congé de maternité, ainsi que pendant les quatre semaines suivant l'expiration de ces périodes (Cass. Soc. 25 mars 2015, n 14-10.149). Section 2 : Le processus de conclusion de la convention de rupture 1 Le ou les entretiens précédant la conclusion de la convention de rupture En vertu de l article L. 1237-12 CT, l employeur et le salarié conviennent du principe d une rupture conventionnelle lors d un ou plusieurs entretiens, la convention de rupture pouvant être signée dès l'entretien préalable (Cass. soc. 3 juillet 2013, n 12-19268). Au cours de cet entretien (ou de ces entretiens), le salarié peut se faire assister. L assistance du salarié peut être celle d une personne de son choix appartenant au personnel de l entreprise, qu il s agisse d un salarié titulaire d un mandat syndical ou d un salarié membre d une institution représentative du personnel ou de tout autre salarié. En l absence d institution représentative du personnel dans l entreprise, un conseiller du salarié choisi sur une liste dressée par l autorité administrative peut assister le salarié. Relativement à ce dernier cas, la Cour de cassation a précisé que «le défaut d'information du salarié d'une entreprise ne disposant pas d IRP sur la possibilité de se faire assister, lors de l'entretien au cours duquel les parties au contrat de travail conviennent de la rupture du contrat, par un conseiller du salarié choisi sur une liste dressée par l'autorité administrative n'a pas pour effet d'entraîner la nullité de la convention de rupture en dehors des conditions de droit commun» et que le choix du salarié de se faire assister lors de cet entretien par son supérieur hiérarchique, dont peu importe qu'il soit titulaire d'actions de l'entreprise, n'affecte pas la validité de la rupture conventionnelle (Cass. soc. 29 janvier 2014, n 12-27594). Lors du ou des entretiens, l'employeur a la faculté de se faire assister quand le salarié en fait lui-même usage, par une personne de son choix appartenant au personnel de l'entreprise ou, dans les entreprises de moins de cinquante salariés, par une personne appartenant à son organisation syndicale d'employeurs ou par un autre employeur relevant de la même branche.

La Cour de cassation a récemment rappelé que l'article L. 1237-12 CT n'instaure pas de délai entre, d'une part, l'entretien au cours duquel les parties au contrat de travail conviennent de la rupture du contrat et, d'autre part, la signature de la convention de rupture prévue à l'article L. 1237-11 du code du travail (Cass. Soc. 3 juillet 2013, n 12-19.268). 2 L accord sur les éléments de la convention de rupture Les parties concluent une «convention de rupture» qui va définir ses conditions : la convention fixe ainsi, notamment, la date de rupture du contrat de travail, qui ne peut intervenir avant le lendemain du jour de l'homologation et le montant de «l'indemnité spécifique de rupture conventionnelle» qui ne peut pas, en vertu de l article L. 1237-12 CT, être inférieur à celui de l'indemnité légale de licenciement. Un avenant à l'ani du 11 janvier 2008, étendu par arrêté du 26 novembre 2009, prévoit que le montant de cette indemnité ne peut pas être inférieur à l indemnité conventionnelle de licenciement. Du fait des règles relatives à l application des accords collectifs, ce texte ne s applique que dans les entreprises relevant de branches d'activité représentées par le Medef, la CGPME ou l'upa. Il faut également souligner que la Chambre sociale a jugé, dans un arrêt du 10 décembre 2014 (n 13-22.134), que l'absence de demande en annulation de la rupture conventionnelle et partant d'invocation de moyens au soutien d'une telle demande, n'interdit pas à un salarié d'exiger le respect par l'employeur des dispositions de l'article L. 1237-13 du code du travail relatives au montant minimal de l'indemnité spécifique d'une telle rupture. La solution laisse fortement suggérer, ce qui paraît légitime, que le salarié aurait pu demander la nullité de la convention de rupture pour cette raison ; une option lui est donc ouverte (soit demande de rappel d indemnité/soit nullité de la rupture conventionnelle, ce qui peut lui faire produire les effets d un licenciement sans cause réelle et sérieuse). La remise d'un exemplaire de la convention de rupture au salarié étant, selon la Cour de cassation, nécessaire à la fois pour que chacune des parties puisse demander l'homologation de la convention et pour garantir le libre consentement du salarié, en lui permettant d'exercer ensuite son droit de rétractation en connaissance de cause, son absence rend la rupture conventionnelle nulle (Cass. Soc. 6 fév. 2013, n 11-27.000). 3 Le délai de rétractation La signature de cette convention par les deux parties fait courir pour chacune d'entre elles un délai de quinze jours calendaires pour exercer un droit de rétractation qui est exercé sous la forme d'une lettre adressée par tout moyen attestant de sa date de réception par l'autre partie. Quelques précisions jurisprudentielles ont été apportées à ce sujet : -L'erreur commise dans la convention de rupture sur la date d'expiration du délai de rétractation ne peut entraîner la nullité de cette convention que si elle a eu pour effet de vicier le consentement de l'une des parties ou de la priver de la possibilité d'exercer son droit à rétractation (Cass. Soc. 29 janv. 2014, n 12-24.539). Dans deux arrêts du 3 mars 2015, la Cour de cassation a pris position sur la réaction possible de l employeur à la suite de l exercice par le salarié de son droit de rétractation. Elle estime, dans le premier arrêt (n 13-15.551), que «la signature par les parties au contrat de travail d'une rupture conventionnelle, après l'engagement d'une procédure disciplinaire de licenciement, n'emporte pas renonciation par l'employeur à l'exercice de son pouvoir disciplinaire ; qu'il s'ensuit que si le salarié exerce son droit de rétractation de la rupture conventionnelle, l'employeur est fondé à reprendre la procédure disciplinaire par la convocation du salarié à un nouvel entretien préalable dans le respect des dispositions de l'article L. 1332-4 du code du travail et à prononcer une sanction, y compris un licenciement pour faute grave (l argument selon lequel la présence prévue du salarié durant la période de rétractation et d homologation contredirait la qualification de faute grave étant écarté) ; elle retient, dans le second arrêt (n 13-23.348), que «la signature par les parties d'une rupture conventionnelle ne constitue pas un acte interruptif de la prescription prévue par l'article L. 1332-4 du code du travail (délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance)». Dans un arrêt du 6 octobre 2015 (n 14-17539), la Cour de cassation a précisé que le droit de rétractation dont dispose chacune des parties à la convention de rupture doit être exercé par l'envoi à l'autre partie d'une lettre adressée par tout moyen attestant de sa date de réception. La lettre adressée pour rétractation non à l'autre

partie signataire de la rupture conventionnelle, mais à l'administration implique l'absence de validité de la rétractation, rendait inutile. Le même arrêt apporte une précision relative à l articulation entre la prise d acte de la rupture et la rupture conventionnelle en précisant «qu'il résulte des articles L. 1237-13 et L. 1237-14 du code du travail qu'en l'absence de rétractation de la convention de rupture, un salarié ne peut prendre acte de la rupture du contrat de travail, entre la date d'expiration du délai de rétractation et la date d'effet prévue de la rupture conventionnelle, que pour des manquements survenus ou dont il a eu connaissance au cours de cette période». -V. également Cass. Soc. 14 janvier 2016, n 14-26.220 Il résulte de l'application combinée des articles L. 1237-13 et L. 1237-14 du code du travail qu'une partie à une convention de rupture ne peut valablement demander l'homologation de cette convention à l'autorité administrative avant l'expiration du délai de rétractation de quinze jours prévu par le premier de ces textes Section 3 : L homologation de la convention de rupture 1 L homologation en elle-même À l issue du délai de rétractation, la partie la plus diligente adresse une demande d homologation à l autorité administrative compétente, avec un exemplaire de la convention de rupture, cette demande devant être formulée au moyen d un formulaire réglementaire dont le modèle a été fixé par l arrêté du 8 février 2012. L autorité administrative dispose d un délai d instruction de 15 jours ouvrables (les dimanches et les jours fériés ne sont pas comptabilisés) pour contrôler le respect des conditions légales précédemment rappelées et la liberté de consentement des parties. À défaut de notification dans ce délai, l homologation est réputée acquise et l autorité administrative est dessaisie. La validité et l effectivité de la convention de rupture sont subordonnées à son homologation. Ce délai de quinze jours a fait l objet de précisions établies dans un arrêt en date du 16 décembre 2015 (n 13-27.212), bien que cet arrêt ne soit pas des plus clairs. En effet, dans l attendu de principe, l arrêt énonce que «qu il résulte de l'article L. 1237-14 du code du travail ( ) que doit être regardée comme implicitement homologuée toute convention de rupture pour laquelle une décision administrative expresse n'a pas été notifiée aux parties à la convention dans les quinze jours ouvrables à compter de la réception de la demande d'homologation». Cet attendu fait donc référence à la notification et l on pourrait donc que c est cette date qui compte (ce qui serait logique s agissant d un délai d instruction) ; toutefois, un autre attendu laisse planer un doute puisque la Cour de cassation juge que la cour d appel n a pas donné de base légale à sa décision en n ayant pas précisé «si la lettre en date du 22 mars 2010 par laquelle l'autorité administrative refusait d'homologuer la convention de rupture était parvenue aux parties au plus tard le 23 mars 2010 à minuit, date d'échéance du délai de quinze jours ouvrables dont disposait l'administration pour leur notifier sa décision expresse conformément aux règles régissant la notification des actes administratifs, une décision implicite d'homologation étant à défaut acquise». 2 Contestation de la validité de la convention/homologation En vertu de l article L. 1237-14 CT, l'homologation ne peut faire l'objet d'un litige distinct de celui relatif à la convention. A. Compétence, qualité à agir et autres questions Tout litige concernant la convention, l'homologation ou le refus d'homologation relève de la compétence du conseil des prud'hommes, à l'exclusion de tout autre recours contentieux ou administratif. Le recours juridictionnel doit être formé, à peine d'irrecevabilité, avant l'expiration d'un délai de douze mois à compter de la date d'homologation de la convention (art. L. 1237-14 CT). Plusieurs précisions ont été apportées par la Cour de cassation à ce sujet : -une clause de renonciation à tout recours contenue dans une convention de rupture conclue doit être réputée non écrite, comme contraire à l'article L. 1237-14 du même code, sans qu'en soit affectée la validité de la convention elle-même (Cass. Soc. 26 juin 2013, n 12-19.268) ;

- le litige relatif à la rupture conventionnelle du contrat de travail d'un salarié ne porte pas en lui-même atteinte à l'intérêt collectif de la profession et l «action syndicale» relative à ce point est donc irrecevable (Cass. Soc. 15 janv. 2014, n 12-23.942). Un arrêt récent (Cass. Soc. 14 janvier 2016, n 14-26.220) apporte deux précisions intéressantes à propos de cette procédure d homologation, dans une affaire où l employeur avait notifié sa demande d homologation alors que le délai de rétractation n était pas expiré. Tout d abord, l employeur faisait grief à une cour d appel de le débouter de sa demande tendant à l'homologation de la convention de rupture. Dans son pourvoi, l employeur faisait valoir que l'article L. 1237-14 du code du travail prévoyait que tout litige concernant la convention de rupture, l'homologation ou le refus d'homologation relève de la compétence du conseil de prud'hommes, à l'exclusion de tout recours contentieux ou administratif et en déduisait qu'en cas de recours contre un refus d'homologation, le conseil de prud'hommes devait alors avoir le pouvoir non seulement de dire que la convention de rupture réunissait toutes les conditions pour être homologuée, mais aussi d accorder cette homologation. Il faisait ainsi valoir que la compétence exclusive reconnue par la loi n aurait pas de sens si le conseil de prud hommes pouvait seulement constater que le refus d un homologation était illégal sans pouvoir homologuer lui-même. Le pourvoi est rejeté aux motifs «qu'il n'entre pas dans les pouvoirs du juge judiciaire de prononcer, en lieu et place de l'autorité administrative, l'homologation d'une convention de rupture conclue en application des articles L. 1237-11 et suivants du code du travail». Ensuite, l'employeur faisait grief à la même cour d appel de l avoir débouté de sa demande tendant à l'annulation du refus d homologation de la convention de rupture en faisant valoir que l'envoi de la demande d'homologation à l'administration avant l'expiration du délai de quinze jours de l'article 1237-13 du code du travail ne devrait pouvoir justifier un refus d'homologation que s'il a pour effet de vicier le consentement d'une partie ou de la possibilité d'exercer son droit de rétractation. Ce pourvoi est également rejeté, la Cour de cassation énonçant «qu'il résulte de l'application combinée des articles L. 1237-13 et L. 1237-14 du code du travail qu'une partie à une convention de rupture ne peut valablement demander l'homologation de cette convention à l'autorité administrative avant l'expiration du délai de rétractation de quinze jours prévu par le premier de ces textes». Dans un important arrêt du 26 mars 2014 (n 12-21.136), la Cour de cassation a jugé qu'un salarié et un employeur ayant signé une convention de rupture ne peuvent valablement conclure une transaction, d'une part, que si celle-ci intervient postérieurement à l'homologation de la rupture conventionnelle par l'autorité administrative ou, s'agissant d'un salarié bénéficiant d'une protection mentionnée aux articles L. 2411-1 et L. 2411-2 du code du travail, postérieurement à la notification aux parties de l'autorisation, par l'inspecteur du travail, de la rupture conventionnelle, d'autre part, que si elle a pour objet de régler un différend relatif non pas à la rupture du contrat de travail mais à son exécution sur des éléments non compris dans la convention de rupture. La solution a été rappelée par un arrêt du 25 mars 2015 (n 13-23.368). B. Causes de contestation 1. Les causes pertinentes : les vices du consentement La Cour de cassation estime que le salarié peut contester la rupture conventionnelle à laquelle il est partie s il établit l existence d un vice du consentement. Avant de présenter certaines situations dans lesquelles ce vice du consentement a été retenu, il faut rapidement faire état des conséquences qui peuvent être attachées à sa constatation : le salarié devrait pouvoir logiquement solliciter sa réintégration, l acte de rupture étant nul ; cependant, il ressort de la jurisprudence que le salarié est fondé à demander à ce titre la «requalification» de la rupture conventionnelle en un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Ont été retenues comme constitutives d un vice du consentement les situations suivantes : -une cour d appel qui relève que l'employeur avait menacé le salarié et l'avait incité par une pression à choisir la voie de la rupture conventionnelle fait ressortir que le consentement du salarié avait été vicié, a légalement justifié sa décision de requalifier la rupture conventionnelle en licenciement sans cause réelle et sérieuse (Cass. Soc. 23 mai 2013, n 12-13.865) ;

-une cour d'appel peut retenir un vice du consentement dès lors qu elle estime souverainement que la salariée était au moment de la signature de l'acte de rupture conventionnelle dans une situation de violence morale du fait du harcèlement moral dont elle a constaté l'existence et des troubles psychologiques qui en ont résulté (Cass. Soc. 30 janv. 2013, n 11-22.332). 2. Les causes non pertinentes ou discutables Plusieurs solutions récentes méritent d être portées à votre attention : -L'existence, au moment de sa conclusion, d'un différend entre les parties au contrat de travail n'affecte pas par elle-même la validité de la convention de rupture, la cour d'appel a violé le texte susvisé (Cass. soc., 15 janvier 2014, n 12-23.942) -Après avoir constaté que le salarié avait conçu un projet de création d'entreprise, une cour d'appel a pu retenir que l'absence d'information par l'employeur sur la possibilité pour le salarié de prendre contact avec le service public de l'emploi en vue d'envisager la suite de son parcours professionnel n'avait pas affecté sa liberté de consentement à la rupture conventionnelle (Cass. Soc. 29 janv. 2014, n 12-25.951). -Une salariée déclarée apte avec réserves peut signer une rupture conventionnelle (Cass. Soc. 28 mai 2014, n 12-28.082), la cour d appel ayant relevé que la salariée n'invoquait pas un vice du consentement et constaté l'absence de fraude de l'employeur. Dans ces cas, on peut s interroger sur les agissements qui seraient aptes à constituer des actes frauduleux, puisque le recours à la rupture conventionnelle est admis en lui-même, alors même qu un licenciement serait encadré. Cette présentation de la rupture conventionnelle s achèvera avec un arrêt du 3 mars 2015 (n 13-20.549) dans lequel la Cour de cassation a retenu une solution assez surprenante, selon laquelle «lorsque le contrat de travail a été rompu par l'exercice par l'une ou l'autre des parties de son droit de résiliation unilatérale, la signature postérieure d'une rupture conventionnelle vaut renonciation commune à la rupture précédemment intervenue» : les parties peuvent donc revenir sur un licenciement par une rupture conventionnelle postérieure. En l espèce, la question avait pour intérêt de déterminer la rupture efficace (le licenciement ou la rupture conventionnelle postérieure). 3. Les sanctions possibles Ainsi que cela a été dit, la Cour de cassation n a, jusqu à maintenant, sanctionné l invalidité de la convention de rupture que par l affirmation selon laquelle la rupture s analyse alors comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Il faut cependant préciser qu à chaque fois, les juges avaient été saisis de cette demande et n avaient pas été saisis d une éventuelle demande d annulation avec réintégration. La question reste donc posée : un salarié pourrait-il demander sa réintégration (alors même qu il avait donné son accord pour un départ, mais un accord qui n est pas valable, puisque la convention est illégale) en soutenant que la rupture est nulle et ne peut donc produire aucun effet?