Application des principes de droit européen en matière d immigration et d asile, au niveau de la Belgique 1



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Transcription:

Application des principes de droit européen en matière d immigration et d asile, au niveau de la Belgique 1 Comme dans les autres Etats membres de l Union européenne, la réglementation belge en matière d asile et d immigration a connu, ces dernières années de nombreuses réformes en lien avec l intégration du droit européen. Certaines de ces réformes ont permis de créer de nouveaux statuts, tel que la protection subsidiaire ou le statut de résident de longue durée, ou encore de les consolider, comme c est le cas pour les victimes de la traite ou le statut de mineur étranger non accompagné. D autres sont plutôt venues fragiliser les statuts et diminuer les garanties juridictionnelles existantes. En effet, même si les instruments européens permettent en général de maintenir des dispositions plus favorables, le Belgique s est appuyée sur ces instruments pour restreindre les droits des migrants par étapes. Tel est le cas en ce qui concerne le regroupement familial ou de l autorisation de séjour pour raison de maladie. En asile, on a multiplié les hypothèses de procédure accélérée et intégré le concept de pays d origine sûr. Par ailleurs, la pratique administrative, nous paraît de plus en plus discrétionnaire et l application qui est faite du droit européen n est pas toujours conforme à son interprétation autonome. Je vais tâcher d illustrer ce propos à travers trois thématiques d actualité en Belgique, ce qui fera peutêtre écho à des problématiques présentes dans d autres Etats : - les questions relatives au regroupement familial vis-à-vis des ressortissants de pays tiers et des nationaux sédentaires ; - la question récurrente du caractère effectif des recours en matière d éloignement ; - s il me reste du temps, j aborderai très brièvement l évolution du contrôle de la légalité de la détention suite à la transposition de la directive retour. 1. Le regroupement familial vis à-vis des ressortissants de pays tiers et des Belges sédentaires La réglementation belge en matière de regroupement familial a été modifiée par une loi du 8 juillet 2011 en vigueur le 22 septembre 2011. Cette réforme ne comportait aucune disposition transitoire. Elle s appuie sur la directive 2003/86, qui avait déjà été transposée, pour ses éléments obligatoires, en 2006. Cette réforme apporte de très nombreuses modifications par rapport à la réglementation antérieure. Ici, je me bornerai à en souligner deux traits saillants : - La généralisation de la condition de ressources stables régulières et suffisantes ; - L introduction de la discrimination à rebours. a. La généralisation de la condition de ressources stables régulières et suffisantes La Belgique a transposé l article 7.1.c. de la directive «regroupement familial». Désormais, le ressortissant de pays tiers qui souhaite être rejoint par un membre de famille doit justifier de ressources d un montant minimum équivalent à 120% du revenu d intégration sociale, soit actuellement 1282,14 euros. Les revenus tirés des régimes d assistance complémentaire et des allocations de chômage sont en principe exclus. La loi précise que si cette condition n est pas remplie, l administration doit déterminer en fonction des besoins propres du regroupant et de sa famille les moyens dont ils ont besoin. 1 Transcription de l intervention orale donnée lors de l événement «joint FRA-European Court of Human Rights handbook», Strasbourg, 11 juin 2013.

En pratique, sur base de cette loi, l administration refuse les demandes de regroupement familial des personnes qui ne disposent pas du montant requis, ou qui travaillent sous contrat de durée déterminées, ou dans le cadre de l intérim, ou encore dans des emplois leur permettant de recouvrer des droits sociaux et l accès au marché du travail. En outre, même si les allocations de handicap ou de retraites sont prises en compte, leur montant atteint très rarement le seuil prévu par la loi, de sorte que les demandes sont rejetées. L examen concret mentionné par la loi, et qui est déduit de la jurisprudence Chakroun de la Cour de justice, est exercé de façon purement formelle, comme l a déjà constaté notre juridiction administrative, le Conseil du contentieux des étrangers (CCE, n 88.251, 26 septembre 2012, RDE n 169, p. 462). Toutefois, comme il s agit d annulation, cette jurisprudence a peu d impact et cette nouvelle réglementation crée un réel désarrois au sein des familles à revenus modestes ou précaires. La nouvelle réglementation et la pratique restrictive de l administration va clairement à l encontre de l arrêt Chakroun selon lequel «Les Etats peuvent indiquer un montant de référence mais pas un montant minimal en dessous duquel toute demande serait refusée indépendamment d un examen concret». La réforme porte clairement atteinte à l objectif de la directive regroupement familial, qui est de favoriser le regroupement familial et à l effet utile de celle-ci. Notre Conseil d Etat, amené à rendre un avis sur cette réforme dans le cadre de l élaboration de la loi, avait déjà émis des réserves sur ce point. Il n est pas inintéressant de souligner que de nombreux recours en annulation sont pendants devant notre cour constitutionnelle contre cette réforme et un arrêt pourrait être rendu d ici la fin d année. b. La discrimination à rebours : Traditionnellement, la Belgique attribuait aux membres de famille de Belges sédentaires les mêmes droits au regroupement familial qu aux membres de famille de citoyens UE. La réforme introduit la discrimination à rebours dans la mesure où elle impose désormais au regroupant de nationalité belge, les mêmes conditions matérielles qu au ressortissant de pays tiers (120% du revenu d intégration sociale). En outre, le regroupement familial n est plus possible pour les ascendants à charge. Par contre, une nouvelle catégorie de bénéficiaires est ouverte, celle des auteurs d enfant belge mineur. A cet égard, la Belgique transpose littéralement l arrêt Zambrano (C-34/09) en offrant aux parents de mineurs Belges un droit au regroupement familial inconditionnel. Par contre, pour le reste, le Belge est traité comme un ressortissant de pays tiers. De plus, alors que la jurisprudence européenne a interprété de façon assez large le facteur de rattachement communautaire (un citoyen UE qui revient dans son Etat membre après avoir séjourné dans un autre Etat membre (Singh, C-379/90 et Eind, C-291/05), même dans le seul but de bénéficier des règles plus favorables de regroupement familial (Akrich, C-109/01)), cette position est contestée par la Belgique qui refuse son application en pratique (cf. position du Conseil des ministres à l audience devant la Cour constitutionnelle). La régression du droit belge par rapport à ces propres nationaux pose question sous l angle des articles 8 et 14 de la CEDH, dans la mesure où elle peut porter une atteinte disproportionnée au droit à vivre en famille, et constituer une discrimination sur la base de l origine ethnique (cette réforme vise en effet expressément les Belges d origine étrangère) ou encore par rapport à l obligation de stand still prévue dans le cadre de l accord d association avec la Turquie. Au-delà de l interprétation large du facteur de rattachement communautaire, le droit de l Union n aide pas, en ce qui concerne la discrimination à rebours. La Cour de justice vient encore de rappeler dans son arrêt Ymeraga (87/12) l inapplicabilité de la directive 2004/38 aux situations purement internes,

et, partant, celle de la Charte des droits fondamentaux. C est évident qu à l heure de la citoyenneté européenne, le fait que des citoyens ayant exercé la libre circulation disposent de droits fondamentaux, comme celui de vivre en famille, tandis que ce droit est refusé aux sédentaires pose question. On pourrait envisager une lecture plus souple de la condition de «se trouver dans le champ d application de traité» reprise à l article 5, 1 de la Charte, qui implique non pas la violation d un droit de l Union mais que ce droit soit sérieusement mis en cause Cette lecture permettrait de donner effet utile à la Charte. 2. Recours effectif : La Belgique a été condamnée à plusieurs reprises pour violation du droit à un recours effectif, en lien avec la violation de l interdiction d expulsion collective (art. 4, 4 ème protocole à la CEDH) ou de l article 3 CEDH. Je ne crois pas exagérer en disant que les arrêts de la Cour européenne des droits de l homme ont invalidé l ensemble du système de recours en matière d éloignement en Belgique, sous l angle du droit au recours effectif. Arrêt Conka c/ Belgique, 5 février 2002 : Il concerne un rapatriement collectif de demandeurs d asile slovaques d origine rom déboutés de l asile. Ces familles ont été convoquées à la police soi-disant pour compléter leur dossier. Elles ont reçu un ordre de quitter le territoire, ont été privées de liberté, puis ont été expulsées. Je ne vais pas revenir en détail sur cette affaire qui a mis en évidence l absence de caractère suspensif du référé administratif (le recours en suspension d extrême urgence) contre une mesure d éloignement. A l époque l'administration n'était pas tenue de surseoir à l'exécution de la mesure d'expulsion tant que le référé était pendant, pas même au cours d'un délai minimum raisonnable permettant à la juridiction (le Conseil d'etat) de statuer. La pratique selon laquelle le greffier du Conseil d Etat prenait contact avec l administration afin de connaître ses intentions quant aux expulsions envisagées ne comportait aucune garantie. La Cour a ainsi précisé que : «les exigences de l'article 13, tout comme celles des autres dispositions de la Convention, sont de l'ordre de la garantie, et non du simple bon vouloir ou de l'arrangement pratique ( )». Suite à l arrêt Conka, la Belgique a modifié sa législation. Désormais, une mesure d éloignement ne peut être exécutée qu'au plus tôt cinq jours après la notification de la mesure, sans que ce délai puisse être inférieur à trois jours ouvrables. En outre, si la demande de suspension d extrême urgence est introduite endéans ce délai, l exécution est suspendue jusqu à la décision du juge sur cette demande. Arrêt MSS c/ Belgique et Grèce, 21 janvier 2011 : Cet arrêt vise un rapatriement forcé d un Afghan en Grèce dans le cadre du règlement dit de Dublin. De nouveau, la Cour va considérer que le recours en suspension d extrême urgence n est pas effectif. Ce n est pas tant sur le caractère suspensif que porte l arrêt, même s il précise que le caractère suspensif ne peut être envisagé de façon accessoire, c est à dire en faisant abstraction des exigences quant à l étendue du contrôle. La Cour se penche surtout sur l examen qui devrait être aussi rigoureux que possible- opéré par la juridiction administrative dans le cadre de cette procédure. Elle souligne que l exigence de preuve du caractère difficilement réparable du préjudice alourdit la charge de la preuve et entrave l établissement du caractère défendable du grief. Elle constate l absence de prise en compte d éléments nouveaux venant compléter le dossier, et des obstacles d ordre pratique permettant d accéder au recours. Par rapport à la demande d annulation, la Cour retient l absence d effet suspensif de plein droit, le fait que la jurisprudence constante constate la perte d intérêt au recours en cas d éloignement du territoire et donc l impossibilité d obtenir un redressement approprié. Suite à l arrêt MSS, aucune modification législative n a eu lieu. Toutefois, la juridiction administrative (le conseil du contentieux des étrangers) a rendu 7 arrêts d assemblée générale le 21 février 2011. Elle

a aussi émis un communiqué de presse où elle déclare que ces arrêts unifient sa jurisprudence et la rendent conforme à la jurisprudence de la Cour. Voici les traits essentiels de cette jurisprudence : - Elle pose que le recours de suspension d extrême urgence est suspensif de plein droit pour autant qu il soit introduit dans le délai légal de recours (15 jours), jusque la date du prononcé de l arrêt. Il faut souligner que l Etat belge est en recours devant le Conseil d Etat contre ces arrêts, et ne s estime pas tenu de sursoir à l exécution de l éloignement si le recours est introduit au-delà des 5 jours. - Elle affirme procéder à un examen systématique et méthodique de tout grief défendable invoqué, tiré d un droit garanti par la CEDH. Il faut souligner que cette jurisprudence n apporte aucune garantie formelle quant au respect du principe d effectivité. D ailleurs, dans un arrêt du 4 février 2013, la juridiction elle-même est allée à l encontre de la position de son assemblée générale en refusant d examiner dans le cadre de l extrême urgence une demande introduite au-delà de cinq jours suivant la notification de la décision d éloignement (CCE, n 96.579, 4 février 2013). Pour la juridiction, sauf force majeure, le recours en suspension introduit au-delà de 5 jours n est pas extrêmement urgent. Dans cette affaire, la personne avait invoqué des obstacles d ordre pratique liés à l accès à un avocat. A l heure où la Belgique annonce qu elle va réformer son système d aide juridique en vue de limiter le nombre de bénéficiaires, il faut craindre que des obstacles d ordre pratique continuent de se poser sous cet angle Yoh-Ekale Mwanje c/ Belgique, 20 décembre 2011 : Il s agit d une ressortissante camerounaise atteinte du HIV maintenue en détention sans soins appropriés à son état de santé, sans examen de l évolution de la maladie et de l impact sur la possibilité de retour. Dans cet arrêt la Cour constate que l examen du risque sous l angle de l article 3 a été réalisé par l administration avant des examens médicaux qui permettaient de définir le type de traitement requis et donc son accessibilité au Cameroun. Cette demande a eu lieu dans le cadre d une demande d autorisation de séjour pour motif médical. Il faut savoir qu il y a un contentieux important en Belgique sur les demandes de régularisation médicale, suite à l arrêt N c. Royaume-Uni, mais aussi, au vu du caractère stéréotypé de l examen du risque en cas de retour... Cependant, ici, la juridiction, saisie en annulation de la décision a estimé que l administration a correctement motivé sa décision au vu des éléments en sa possession. La Cour conclura en l absence d examen attentif et rigoureux dans la mesure où l instance de contrôle ne pouvait pas se placer fictivement au moment où l administration a adopté la décision litigieuse pour examiner sa validité au regard de l article 3, CEDH. Singh et autres c/ Belgique, 2 octobre 2012 M. Singh est un sikh afghan débouté de l asile en Belgique qui invoque un risque de refoulement indirect en Afghanistan, via Moscou. La protection lui a été refusée pour manque de preuve de sa nationalité et en raison de l absence de crédibilité de son récit. L administration et la juridiction estiment, sans de plus amples investigations, que les documents d identité produits et les attestations du HCR sont des faux et ne peuvent servir à établir la nationalité du requérant. Entre parenthèse, c est un exemple représentatif de l examen morcelé des demandes que mène l administration. Plutôt qu examiner les éléments de preuve dans leur ensemble, souvent elle les examine un à un, l absence de crédibilité de l un permettant d invalider la crédibilité des autres et de la demande dans son ensemble. Cet examen morcelé de la crédibilité est totalement désincarné et oblitère l examen du risque.

La Cour va se prononcer sur l effectivité du recours dans le cadre de l examen de l asile en plein contentieux, cette fois. Elle estime que tant l administration, que la juridiction qui est pourtant compétente en plein contentieux- ont écarté des documents qui étaient au cœur de la demande de protection, en les jugeant non probants, sans vérifier au préalable leur authenticité, alors qu il eut été aisé de le faire auprès de l UNHCR. Il n y a donc pas eu d examen attentif et rigoureux. A ce jour, rien n a changé dans la réglementation ou les pratiques des instances. A vrai dire, depuis l arrêt MSS, rien n a été fait pour remédier aux carences constatées par la Cour. De plus, depuis un peu plus d une année la Belgique a mis en œuvre le concept de pays d origine sûrs et a établi une liste comportant 6 pays des Balkans, plus l Inde. Dans ce contexte, la demande fait l objet d une présomption de non fondement et le recours ouvert à l encontre de la décision administrative est un recours en annulation de stricte légalité, éventuellement assorti d une demande en suspension. La question de l effectivité des recours en Belgique est donc loin d être résolue. 3. Détention : En Belgique, le contrôle de la détention administration est de la compétence des juridictions judiciaires qui statuent sur la détention préventive. Il s agit donc de juridictions qui sont spécialisées sur les questions pénales et ne connaissent pas en général le droit de l immigration. Ces juridictions ont également tendance à adopter une approche répressive. Elles ont traditionnellement une interprétation restrictive du contrôle de légalité de la détention qui leur incombe. A titre d illustration, un arrêt de la Cour de cassation du 21 mars 2012 casse un arrêt de la chambre en accusation qui considère que l examen de la détention sous l angle du droit à la vie familiale ressortit de l examen d opportunité et non de légalité qu il est sensé opérer. Un autre arrêt de la Cour rappelle que l examen sous l angle de l article 3 CEDH appartient au contrôle de légalité (Cass. 18 janvier 2012). Avec ces arrêts, la Cour impose de confronter l éloignement projeté aux droits fondamentaux. La Belgique a transposé la directive «retour» par une loi du 19 janvier 2012, en vigueur le 27 février 2012. Je ne vais pas entrer dans le détail de cette réglementation très touffue. Quoi qu il en soit, les cour et tribunaux tardent à s adapter à ces nouvelles normes. En juin 2012, notre Cour de cassation a intégré le caractère subsidiaire du recours à la détention et le principe de la gradation des mesures, et précisé qu il appartient l autorité judiciaire de vérifier le risque de fuite en fonction des critères donnés par la loi, même lorsque la détention repose sur une autre cause (Cassation, 27 juin 2012), Paradoxalement, dans un arrêt du 2 janvier 2013, la Cour admet comme motif d ordre public permettant de justifier une détention en vue d un éloignement sans délai, le fait d être pris à travailler «en noir». Non seulement la Cour ne vérifie pas sur la nécessité de cette détention et le risque de fuite. En outre, elle ne s interroge pas sur l interprétation à donner à la notion d ordre public reprise dans la directive. Elle reprend les termes de la directive 2004/38, soit «une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société», mais cette référence est purement formelle. En effet, il n est nullement tenu compte de l interprétation restrictive dont fait l objet ce concept, ni du principe de proportionnalité repris dans la directive. Conclusion : D une part, il y a actuellement une tendance à transposer ou à appliquer les dispositions les moins favorables aux étrangers. D autre part, la jurisprudence européenne n est pas nécessairement impactée en droit belge, pour des raisons politiques, mais aussi probablement en raison de sa complexité de ces droits. Revient aussi en force ce préjugé sous-jacent que les étrangers n ont pas de droits ou ne devraient pas en avoir.

On peut espérer que des initiatives telles que le handbook, qui propose un outil complet, synthétique et accessible au plus grand nombre, se multiplient et permettent une spirale vertueuse, en proposant des bonnes pratiques où l étranger est vu comme un sujet de droits. Je vous remercie de votre écoute. Isabelle Doyen Directrice Association pour le droit des étrangers asbl ELENA network coordinator for Belgium