HISTOIRE DES ARTS Pour les élèves germanistes : une œuvre étudiée à la Neue Pinakothek de Munich en avril 2013 Paul Gauguin, Te Tamari No Atua, 1896 Domaine «Arts du visuel» (peinture) Thématique «Arts, ruptures, continuité» : Comment Paul Gauguin parvient-il à surprendre tout en illustrant un sujet très courant de la peinture européenne? 1 ère partie Présentation de l œuvre - Nature : tableau (huile sur toile) - Dimensions : 128 x 96 cm - Lieu de conservation : Neue Pinakothek, Munich - Titre : Te Tamari No Atua.
Le titre est inscrit en bas à gauche du tableau, sous la signature du peintre. Il signifie «Naissance du fils de Dieu» en langue polynésienne. - Auteur : Paul Gauguin (1848-1903) Paul Gauguin, Autoportrait, 1893, Musée d Orsay (Paris) Agent de change à Paris, marié et père de cinq enfants, Paul Gauguin se met à peindre durant ses heures de loisirs. A 35 ans, il abandonne travail, femme et enfants pour se consacrer exclusivement à la peinture et à la sculpture. Après un séjour en Bretagne, il décide de quitter l Europe et la civilisation industrielle et s embarque pour les mers du Sud. Son premier séjour à Tahiti (1891-1893) est pour lui une révélation : séduit par la beauté des indigènes et des paysages, il se lance dans une production intense. Gauguin rentre à Paris pour présenter ses tableaux, mais son exposition ne rencontre pas le succès espéré. Il retourne à Tahiti, où il partage sa vie avec Pahura, une jeune vahiné, qui lui donne un autre enfant. C est alors qu il peint Te Tamari No Atua, œuvre exposée en 1897. 2 ème partie Description de l œuvre Au premier plan, une jeune Polynésienne, en paréo, est allongée sur son lit décoré de motifs fleuris, semblant épuisée par l'accouchement. Juste derrière, une femme maorie tient le bébé dans ses bras. La jeune mère et l enfant ont le visage ceint d une auréole. Le dernier personnage peut être vu comme un ange aux traits polynésiens et aux ailes vertes largement déployées. Au fond, à droite, on voit quelques vaches dans une étable.
Te Tamari No Atua témoigne de l admiration de Gauguin pour la culture polynésienne : le paréo, la colonne de bois décorée à l arrière-plan Les couleurs intenses et le style primitif sont caractéristiques de la manière de peindre très personnelle que Gauguin a adoptée à Tahiti (voir Prolongements). 3 ème partie Interprétation de l œuvre On pourrait croire à une simple scène de genre exotique et, très humainement, une jeune mère endormie après la naissance de son enfant. C est sûrement Pahura, sa compagne et son modèle, que Gauguin a représentée au premier plan En réalité, Gauguin renouvelle l imagerie religieuse en transposant la naissance du Christ dans des formes tahitiennes. En effet, malgré les auréoles qui les rendent identifiables, ni Marie, ni Jésus, ne ressemblent aux figures saintes dont nous avons l habitude. Gauguin brise les conventions admises : Marie devient une Tahitienne et Jésus est bien différent des bébés blonds au teint clair, transmis par les peintres de la Renaissance (voir Prolongements). Ce choix pictural est provocateur. Il faudra attendre 1951 pour que l Eglise autorise le recours à une iconographie non occidentale dans un contexte sacré. Gauguin transpose aussi une grande part de sa propre vie dans cette œuvre. Il accordait personnellement une importance toute particulière à Noël, période qui correspond à des moments décisifs de son existence : la naissance d Aline, sa fille préférée, à Noël 1877, ou, en 1896, l année même de cette toile, la naissance d un autre enfant que lui donne Pahura. Si Gauguin se montre souvent ironique ou sévère avec le clergé de son temps, il ne cesse d être fasciné par la Nativité et la vie du Christ, auquel il s identifie en des autoportraits rudes et douloureux. Lui qui mène une existence peu conforme à la morale de son temps et qui a abandonné la sécurité d une vie bourgeoise pour l audace d une quête artistique sincère, il se sent proche de l esprit de pauvreté et de dépouillement intérieur de certains religieux. Gauguin voulait-il surprendre, voire choquer avec ce tableau présentant une interprétation novatrice de la Nativité, transposée avec exotisme? Le public et la critique accueillent le tableau dans l indifférence. Paul Gauguin meurt dans la misère aux Iles Marquises en 1903. Néanmoins, son style totalement novateur fera rapidement des émules, comme en témoigne la naissance du fauvisme (voir Prolongements). Plus globalement, les historiens considèrent que Gauguin est sans doute, avec Paul Cézanne et Vincent Van Gogh, le peintre de cette fin de XIX e siècle qui a eu le plus d'influence sur les mouvements de peinture du XX siècle. Conclusion : ce tableau s inscrit dans la thématique «ruptures et continuité». Continuité, car Gauguin s inspire d un thème très fréquent dans la peinture européenne, en particulier à la période médiévale et à la Renaissance : la naissance de Jésus ; Ruptures, d abord parce que le sujet est traité de manière très surprenante : pas de Rois mages ni de Joseph, le divin enfant relégué à l'arrière-plan et, surtout, une Marie tahitienne, épuisée et à moitié nue ; ensuite parce que ce tableau est représentatif du style novateur de Gauguin, en total décalage par rapport aux règles de la peinture académique. Prolongements Une autre peinture de la période tahitienne de Gauguin
Arearea (Amusements), 1892, musée d Orsay, Paris Une représentation de la Nativité à la Renaissance Sandro Botticelli, La Vierge adorant l enfant, entre 1480 et 1490, National Gallery of Art, Washington (Etats-Unis) Une peinture se rattachant au fauvisme
Henri Matisse, Intérieur à Collioure (la sieste), 1904 Le fauvisme est caractérisé par l'audace et la nouveauté de ses recherches chromatiques. Les peintres ont recours à de larges aplats de couleurs violentes, pures et vives, et revendiquent un art fondé sur l'instinct. Gauguin est l un des peintres qui a inspiré les «fauves».