Service public et bien commun Notes pour l'allocution prononcée par Monsieur Pierre Lucier, président de l'université du Québec, lors de la Collation des grades de I'École nationale d'administration pub1 ique, h Québec, le 25 octobre 2002.
2 Monsieur le Président d'honneur Monsieur le Directeur général, Mesdames et Messieurs de la direction, du corps professoral et du personnel de I'École nationale d'administration publique, Mesdames et Messieurs de la direction de l'université du Québec, Mesdames et Messieurs les diplômés de ce jour, Mesdames et Messieurs, C'est d'abord et avant tout votre fête h vous, chers diplômés. Nous sommes ici pour célébrer votre réussite et l'heureux aboutissement de vos démarches de formation. Bravo et félicitations b vous, et merci de VOUS être investis dans l'acquisition de compétences dont nous avons tous besoin. Bravo et félicitations aussi h celles et ceux qui vous ont accompagnés sur votre route, parents, amis, professeurs, personnels de I'École. Ils ont été avec vous aux heures de doute comme aux heures d'enthousiasme. II convient qu'ils soient associés h la fête d'aujourd'hui. Félicitations également h I'École, pour cette autre très riche moisson de diplômés. Le Québec est en pleine période de renouvellement des effectifs de la fonction publique. La présence, ici aujourd'hui, du représentant personnel du Secrétaire d'état au renouvellement de la Fonction publique nous le rappelle. Renouvellement des effectifs, mais aussi renouvellement du cadre et des perspectives de gestion de l'administration publique, comme l'illustre l'adoption encore récente de la nouvelle Loi sur l'administration publique. II
y a là un environnement qui, de soi, invite 21 revenir brièvement sur ce qui sous-tend et justifie cette grande mise h jour qui, si cette façon de faire était encore prisée par les instances gouvernementales de rédaction des lois, aurait sans doute figuré dans un préambule h la loi. Derrière la aqualité des services aux citoyensu (art. 1) h laquelle la loi accorde la priorité, derrière la promotion qu'elle fait du <<cadre de gestion axé sur les résultats>> (ibid), et du <<respect du principe de la transparence> (ibid), il y a, en effet, un préalable qui donne sens h tous ces choix. Un préalable non dit, sans doute parce qu'il va de soi, mais nous savons tous que le non-dit vaut souvent la peine d'être dit parce que, comme ici, il contient l'essentiel de toute l'entreprise. Ce préalable essentiel, qui donne sens h tout le reste, c'est le service public et son incontournable référence au bien commun qui en est le moteur et le fondement. À travers toutes les instances de services, ce qui caractérise l'administration publique et les services qu'elle rend, c'est la poursuite du bien commun, ce bien que personne n'a le droit d'annexer, de confisquer ou de réduire au profit d'intérêts particuliers et qui a donné son nom jusqu'h I'État lui-même - <<respub/icas, la chose publique, la <<République>>. Dans plusieurs de nos langues, le mot <<commun>> ou son équivalent a connu des évolutions et des ramifications étonnantes h plusieurs égards, jusqu'h signifier I'aordinaire, le <<banal>>, le <<courant>>, voire le <<trivial>> et le <<vulgaire. Pourtant, il n'est pas jusqu'h ces évolutions qui ne soient porteuses de significations convergentes, avec un trait rassembleur qui est de désigner ce qui appartient h tous, par opposition 21 ce qui est particulier et
4 appartient en propre h un individu ou h un groupe. Le bien commun est commun, non pas parce qu'il est le plus petit diviseur ou le compromis résiduel, mais parce qu'il est ce qui rassemble : c'est le bien auquel tous ont un droit d'accès sans pour autant pouvoir l'accaparer ou se l'approprier. C'est le bien commun qui est la justification et l'inspiration du service public et qui le distingue de toutes les autres formes de services. C'est lui qui fait que, en toute rigueur de temps, le <<client >> que sert l'administration publique n'est pas vraiment un << client s, ni l'enfant qui fréquente l'école, ni le malade qui entre 21 l'urgence, ni le conducteur qui va renouveler son permis de conduire. II s'agit plutôt de citoyens porteurs de droits et de responsabilités définis dans nos lois. Cela ne veut pas dire qu'ils ne doivent pas être traités aussi bien que des clients qui achètent un service, c'est-hdire avec efficacité, civilité et courtoisie, et au meilleur coût. Mais cela introduit le service public dans une mouvance qui n'a rien h voir avec la recherche du profit ou la volonté marchande de << fidéliser ses clients. Le champ du service public, c'est ce qui donne h I'ÉNAP son originalité et sa force. Il n'est pas vrai que toutes les approches de la gestion et de l'administration soient finalement interchangeables et que ce qui est valable pour l'administration en général s'applique indifféremment aux choses de l'administration publique. Bien sûr, celle-ci peut accueillir pratiquement tous les concepts, toutes les techniques et toutes les approches des sciences générales de l'administration, mais il y a des transpositions directes et sans nuances h l'administration publique qui introduiraient des distorsions inacceptables, voire de véritables détournements de finalités. La raison en
5 est bien simple : il y a d'essentielles différences de paradigmes entre les finalités du service public et celles de la recherche, si légitime soit-elle, de la rentabilité et du profit, entre le statut de << client >> et celui de << citoyen exerçant des droits >>. Dans le vaste brassage culturel qui accompagnera le renouvellement sans précédent de la fonction publique et dont on attend un dynamisme nouveau et des perspectives également nouvelles, il y a une transmission que nous devons absolument assurer, c'est celle des valeurs propres au service public. Jai eu la chance d'arriver dans la Fonction publique h un moment oh on y avait encore une pyramide d'âges h peu près normale, de sorte qu'il s'y opérait une sorte de transmission naturelle et comme par osmose de ces valeurs essentielles. spécifique. Je note même qu'on n'en parlait pas beaucoup de manière Pourtant, h la faveur des témoignages et des pratiques de l'entourage, h travers le traitement quotidien des dossiers, en préalable aux analyses et aux processus de décision, prenaient corps et racines des convictions fortes et partagées concernant la valeur et les exigences du service public. C'était au cœur même de la culture organisationnelle. Avec les brisures de recrutement que nous avons connues, ce corpus de valeurs a perdu beaucoup de ses lieux naturels de transmission. C'est pourquoi il me paraît essentiel que le renouvellement en cours de la fonction publique fasse leur place h l'approfondissement et h l'appropriation de ce grand héritage. C'est lui et lui seul qui donne sens aux nouvelles approches du cadre de gestion, c'est lui et lui seul qui peut fonder et éclairer les préoccupations éthiques actuellement en émergence dans l'administration publique et qui, vues h sa lumière, vont bien au-delà du seul conflit d'intérêt et du lobbying.
'. 6 L'ÉCole nationale d'administration publique ne se trompe pas en s'alignant résolument sur ces perspectives du service public, Elle rejoint en cela les grandes écoles d'administration publique, qui doivent h ce choix structurant leurs réussites scientifiques et pédagogiques et leur irremplaçable utilité publique. Elle fait elle-même en cela Oeuvre de service public, un service auquel le Gouvernement du Québec a raison de tenir et auquel l'université du Québec tient elle-même comme h une dimension de sa mission même. Chers diplômés, les valeurs du service public ont certainement accompagné, coloré et inspiré vos cheminements de formation h l'écote nationale d'administration publique. Je vous encourage 21 les cultiver et h en faire la promotion. C'est Id un bien extrêmement précieux. Je VOUS souhaite bonne route. Et beaucoup de joie au service du Bien commun.