LES LITIGES FONCIERS A TAHITI: EXAMEN CRITIQUE DES PROBLEMES

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Transcription:

81 LES LITIGES FONCIERS A TAHITI: EXAMEN CRITIQUE DES PROBLEMES Catherine Vannier * L'auteur rappelle la nécessité de s'atteler à trouver des moyens pour régler les difficultés rencontrées en matière foncière en Polynésie française. S'inspirant de l'exemple du groupement d'intérêt public en Corse, l'auteur préconise l'instauration dans le cadre d'un partenariat Etat/Polynésie française de règles spécifiques qui seraient selon elle de nature à permettre à de sortir d'indivisions lourdes et complexes qui constituent un handicap à la mise en valeur des terres. In order to understand the complexity of French Polynesian land law, it is important to first examine the history of the territory. This article thus examines the origins of contemporary problems encountered in the field of French Polynesian land law. Both a critique of the issues and a suggestion that the problems necessitate reform are provided. Pour mieux appréhender la problématique foncière aujourd'hui à Tahiti, il est indispensable d'aborder rapidement l'histoire de ce territoire. Les difficultés d'aujourd'hui ne sont que les conséquences de cette histoire. I BREF RAPPEL HISTORIQUE Avant les européens, la propriété foncière est lignagère. La terre appartient à une lignée familiale. A la lecture des critères juridiques d'aujourd'hui, on peut dire que la propriété est alors héréditaire, inaliénable et imprescriptible. Sous le protectorat français, en 1842, les autorités locales interdisent la vente des terres et leur location, mais, sous la pression des français, ce verrou saute. Dès 1844, la vente, la donation ou la location des terres deviennent possibles. Deux autres réformes sont aussi essentielles. En 1852, l'état civil s'organise (avec l'immutabilité du nom de famille) (loi du 11 mars). La même année, l'enregistrement des terres est ordonné (loi du 24 mars). Les tahitiens doivent déclarer la propriété de leurs terres. * Juge, Présidente de la section détachée de Nuku-Hiva (Marquises).

82 LAND LAW AND JUDICIAL GOVERNANCE Mais, l'état civil reste balbutiant et les polynésiens ont pu se déclarer sous un nom et enregistrer une terre sous un autre nom. Les règles applicables alors sont les lois tahitiennes. En cas de contestation, les conseils de district, chargés de trancher les conflits fonciers, se fondent sur la généalogie, la possession (le mot Aaitau@ apparaît) ou encore le partage entre les différents revendiquants. La Haute Cour Tahitienne est la juridiction d'appel des conseils de district. Cependant, dans certains cas, bien que saisie, la Haute Cour Tahitienne n'a pas toujours tranché les litiges, aucune décision n'ayant été retrouvée. A partir de 1866, le code civil commence à s'appliquer à Tahiti. Il est définitivement promulgué en son entier en 1874. En 1868, une nouvelle ordonnance sur l'enregistrement des terres est adoptée (6 octobre). Après l'annexion du 29 juin 1880, Tahiti connaît un changement fondamental opéré par le décret du 24 août 1887. Dorénavant, les propriétaires doivent enregistrer leur terre sous peine d'en être dépossédés. Il est ainsi indiqué dans le rapport de présentation au Président de la République : l'administration Aopérait comme si le Service du Domaine avait pris possession de tout le territoire de la colonie ; qu'elle ferait rétrocéder par ce service à chaque indigène la propriété sur une simple déclaration non contestée ou, après que les contestations, s'il s'en produisait, auraient été vidées, mais en entourant cette rétrocession de toutes les garanties légales en matière immobilière, les terres non réclamées ou dont la possession ne serait pas justifiée devant former le domaine des districts@. Ces textes s'appliquent d'abord à Tahiti et ses dépendances (ex Royaume de Pomare), puis, aux Tuamotu, aux ISLV (1898), aux Marquises (1902), à l'exception de quelques îles (Gambiers, Rurutu, Rimatara, Napuka). Le délai d'application du texte est prorogé à plusieurs reprises, les derniers litiges ayant été tranchés en 1932. Les déclarations deviennent des titres définitifs et servent de base à la chaîne des transmissions. Ils sont fondamentaux. Par ailleurs, il est nécessaire de mentionner, dans le cadre de cet exposé, un dernier texte, le décret du 22 mars 1923 concernant le partage. Alors que le principe du code civil est un partage en nature, ce décret opère un renversement radical dans les Etablissements Français d'océanie : le principe devient la licitation et le partage en nature l'exception. Le partage en nature n'était en effet possible que sur demande des héritiers détenant au moins la moitié des droits. Ainsi, par peur des licitations, les indivisaires ont préféré rester en indivision plutôt que de demander le partage des terres revendiquées par leur aïeul.

LES LITIGES FONCIERS A TAHITI: EXAMEN CRITIQUE DES PROBLEMES 83 Parallèlement à ces licitations, il convient d'aborder le rôle de la Caisse du Crédit Agricole qui n'hésitait pas à saisir les terres de ses emprunteurs pour une ou deux échéances impayées, et en méconnaissance bien souvent d'autres propriétaires indivis. Ces ventes aux enchères ont donc laissé un très mauvais souvenir dans la population et sont vécues comme une véritable spoliation. C'est ainsi que de grands domaines se sont constitués dans la première moitié du XX siècle. Enfin, il convient de souligner l'absence d'homogénéité dans les différents archipels composant la Polynésie française. Ainsi, aux ISLV, ce n'est qu'en 1945 que le code civil est applicable. (Décret du 5 avril 1945) Aujourd'hui, la situation foncière est l'héritage de cette histoire. Elle connaît de nombreuses difficultés et reste très complexe. II DIFFICULTE LIEE A L'ETAT CIVIL Il n'est pas rare d'être saisi d'une demande en partage d'une terre ayant été revendiquée à la fin du XIX siècle, et sans qu'aucun partage entre les enfants de ce propriétaire n'ait été effectué. Il est donc indispensable d'établir la généalogie par les actes d'état civil. Mais, comme nous l'avons indiqué précédemment, l'état civil était balbutiant à cette époque. Les polynésiens changeaient de nom, ils ont pu se déclarer sous un nom à l'état civil et déclarer une terre sous un autre nom. Les descendants doivent démontrer que leur aïeul est bien la même personne que le revendiquant. Ex: une terre a été revendiquée sous le nom de Teina a Maihea. Deux familles revendiquent les terres revendiquées par Teina a Maihea. Aucune ne démontre leur lien avec ce dernier. Le partage opéré est alors un partage par souche. Les sous partages peuvent être demandés, mais, rarement un sous partage par tête, notamment en raison de l'absence de tous les indivisaires dans la procédure. Par ailleurs, il est souvent impossible de procéder au partage par tête, la superficie à partager n'étant pas suffisante. III DIFFICULTE LIEE AU NOMBRE DES INDIVISAIRES Il est impossible de connaître l'ensemble des indivisaires lorsque le partage remonte à quatre, voire cinq générations. Le risque d'oublier une souche est important. IV DIFFICULTE LIEE A LA COMPLEXITE ET AU COUT D'UNE TELLE PROCEDURE Les parties doivent produire l'ensemble des pièces permettant d'établir leurs droits (actes d'état civil remontant sur plusieurs générations, déclarations de propriété ou tomite, arrêt de la Haute Cour Tahitienne lorsqu'elle a été saisie..). Puis, un géomètre est désigné pour proposer un projet de partage. Lorsque les terres sont situées sur une île éloignée (ex : les Marquises), le coût en sera augmenté. Par ailleurs, si la valeur de la

84 LAND LAW AND JUDICIAL GOVERNANCE terre n'est pas très élevée (ex : les Tuamotu dont la seule ressource est le coprah), le coût de l'expert peut être supérieure à la valeur de la terre. Quel est alors l'intérêt des parties? De plus, il existe encore plusieurs îles qui ne sont pas cadastrées ou pas entièrement cadastrées. L'expert se trouve confronté au positionnement de la terre avant même de procéder à son partage. V L'INFIME ROLE DES PARTAGES AMIABLES Compte tenu de ces difficultés, les partages amiables sont quasiment inexistants. Ainsi, récemment, lors d'un colloque sur le foncier, les notaires ont indiqué que les partages ne représentaient que 0,50% du produit notarial. Le partage amiable est une exception en Polynésie française. Alors qu'en métropole, le partage amiable est devenu la règle et le partage judiciaire l'exception, en Polynésie française, c'est le partage judiciaire qui est la règle. C'est ainsi qu'il existe une chambre des terres au TPI de Papeete aux fins de traiter ce contentieux. Pour tenter de trouver une solution et d'éviter l'engorgement du tribunal, pour aussi favoriser la conciliation entre les parties, a été instaurée en 1996 une Commission de Conciliation Obligatoire en Matière Foncière. Tout contentieux concernant le foncier doit préalablement avoir été traité par cette commission. Cependant, par manque de moyens, cette commission est aujourd'hui asphyxiée par le nombre de dossiers. VI LA JURISPRUDENCE ET LES TEXTES LOCAUX Les règles applicables en métropole et les nouvelles réformes en matière successorale récemment adoptées par le Parlement français sont totalement inadaptées à la situation de la Polynésie française. Par exemple, sur la gestion de l'indivision, un certain nombre d'actes d'administration peut être pris à la majorité des 2/3. Les indivisions en Polynésie française sont lourdes, et le nombre d'indivisaires est souvent pour ne pas dire toujours inconnu. Les 2/3 d'une inconnue reste une inconnue. Devant ces difficultés, la Cour d'appel a dû élaborer une jurisprudence particulière pour faciliter les sorties d'indivision. Ainsi, constatant qu'il est impossible que tous les indivisaires soient présents dans la procédure, et bien souvent, que de nombreux indivisaires restent inconnus, la Cour d'appel a admis le principe que la représentation d'une souche par au moins une personne suffit. En effet, si tous les indivisaires devaient être appelés à l'instance, le dossier deviendrait vite ingérable et le greffe des terres totalement asphyxié. Il suffit donc que toutes les souches soient représentées dans l'instance par au moins une personne pour procéder au partage. De même, lorsqu'une souche a été omise, le code de procédure civile de la Polynésie française prévoit que le partage n'est pas remis en cause. La souche omise sera alors indemnisée en valeur.

LES LITIGES FONCIERS A TAHITI: EXAMEN CRITIQUE DES PROBLEMES 85 VII L'USUCAPION, UN ROLE FONDAMENTAL EN POLYNESIE FRANCAISE Avant de clore mon exposé, il me paraît important de souligner le rôle de l'usucapion en Polynésie française. Cette prescription acquisitive est largement critiquée, et pourtant, elle est fondamentale. Outre le fait qu'elle est l'unique moyen d'acquérir la propriété dans les îles où la procédure de revendication des terres n'a pas eu lieu (Rurutu, Rimatara par exemple), elle permet aussi à des descendants ne pouvant démontrer qu'ils sont les ayants droit du revendiquant de rapporter la preuve qu'ils ont toujours occupé la terre en qualité de propriétaire pendant plus de trente ans. Cette règle, appelée aitau en tahitien, était déjà connue en Polynésie française avant l'application du code civil. VIII CONCLUSION Il est nécessaire de trouver des moyens pour assainir le foncier en Polynésie française. L'usucapion et les pratiques de la Cour d'appel sont bien évidemment insuffisants. Il est indispensable que des règles spécifiques à la Polynésie française puissent être adoptées. Il convient de rappeler que le pays dispose d'une compétence associée avec l'etat en matière de droit des successions. Ces réformes si elles sont menées à bien, pourront être un outil intéressant pour permettre à la population de sortir d'indivisions lourdes et complexes qui constituent un handicap à la mise en valeur des terres. Le gouvernement français a mis en place un groupement d'intérêt public en Corse dont le but est de rassembler tous les éléments propres à reconstituer les titres de propriété en Corse pour les biens fonciers et immobiliers qui en sont dépourvus. Il serait intéressant de prendre cet exemple et, sans le plaquer directement, de l'adapter à la situation polynésienne tout aussi critique que celle de la Corse. La situation foncière est inextricable aujourd'hui et un GIP en Polynésie française pourrait permettre la reconstitution des titres de propriété comme en Corse. Un partenariat Etat/Polynésie française apparaît indispensable, car, économiquement, il est essentiel voire vital pour le pays de trouver des réponses aux problèmes posés par le foncier.

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