Recueil Dalloz 2009 p. 1179. Devoir de mise en garde du banquier dispensateur de crédit



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Transcription:

Recueil Dalloz 2009 p. 1179 Devoir de mise en garde du banquier dispensateur de crédit Jérôme Lasserre Capdeville, Maître de conférences, Université de Strasbourg 1 - Le banquier dispensateur de crédit est tenu au respect de diverses obligations légales, et notamment une obligation d'information (1), mais également, en vertu de la jurisprudence, d'une obligation de mise en garde (2). Cette dernière, dégagée explicitement par l'arrêt Epoux Jauleski du 12 juillet 2005 (3) et réitérée à de multiples reprises (4), n'a cependant pas encore livré tous ses secrets, comme en atteste l'arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 18 février 2009. 2 - En l'espèce, un établissement de crédit, la société S... finance, avait consenti à Mme R... un prêt. Il résultait de l'acte lui-même que Mme R... avait déclaré avoir des revenus, au titre de son couple, d'un montant de 3 913, et les mensualités qui lui étaient réclamées étaient d'un montant de 392,75. Cependant, faute d'avoir honoré ces dernières, Mme R... était poursuivie en paiement par la banque. La cour d'appel de Montpellier avait accueillie, par un arrêt du 19 juin 2007, cette demande et avait condamné Mme R... à verser à la société S... finance la somme de 10 855,44 au titre du prêt en question. Mme R... avait alors formé un pourvoi en cassation. Celle-ci faisait grief à l'arrêt de l'avoir déboutée de ses demandes tendant à voir prononcer la nullité du contrat de prêt et de l'avoir condamnée à payer la somme précitée. Selon ce pourvoi, il incombait aux juges du fond de rechercher si la banque avait satisfait à son obligation de mise en garde de l'emprunteur, auquel elle accorde son concours en vérifiant si ses capacités financières lui permettaient de faire face aux échéances du prêt. Dès lors, en statuant «sans préciser si Mme R... était un emprunteur non averti et dans l'affirmative si, conformément au devoir de mise en garde auquel elle était tenue, la société S... finance justifiait avoir satisfait à cette obligation au regard des capacités financières de l'emprunteur et des risques d'endettement nés de l'octroi du prêt litigieux», la cour d'appel aurait privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil. Ce moyen est cependant rejeté par un arrêt de la Cour de cassation du 18 février 2009 (5), aux motifs que «faute d'avoir mis la cour d'appel en mesure de constater l'existence d'un risque d'endettement qui serait né de l'octroi de la somme prêtée, Mme R... n'est pas fondée à lui reprocher d'avoir omis de procéder à une recherche que l'argumentation développée devant elle n'appelait pas». 3 - Plusieurs enseignements peuvent être tirés de cet arrêt. Tout d'abord, et cela n'est pas une surprise, l'obligation de mise en garde ne vaut qu'en présence d'un risque d'endettement pour l'emprunteur (I). De plus, et surtout, c'est à ce même emprunteur que revient la charge de mettre les magistrats en mesure de constater l'existence d'un tel risque (II). Enfin, cet arrêt témoigne du fait que, pour pouvoir bénéficier de l'obligation de mise en garde du banquier, l'emprunteur doit avoir un comportement à l'abri de toute contestation (III). I - La nécessité d'un risque d'endettement 4 - L'obligation de mise en garde à la charge du banquier n'est pas une obligation à caractère automatique comme pourrait l'être, par exemple, l'obligation d'information (6). Elle ne s'impose qu'en présence de risques d'endettement pour l'emprunteur qualifié de non averti (7). Cette solution ne saurait surprendre, et elle s'explique par le contenu même de l'obligation. En effet, celle-ci est classiquement définie comme le devoir pour le professionnel d'attirer l'attention de son cocontractant sur un aspect négatif du contrat ou de la chose objet du contrat (8). Ainsi, en matière de crédit, le banquier devra informer son client sur les dangers de l'opération projetée, c'est-à-dire le risque de ne pas pouvoir faire face aux échéances en raison de revenus et d'un patrimoine insuffisants. Dès lors, si ce risque n'est manifestement pas présent, le banquier n'aura pas à se demander si son client peut être

qualifié de non averti et, par là même, créancier de l'obligation. 5 - Cette solution transparaissait clairement dans l'arrêt étudié. En effet, le débat ne portait même pas sur la qualité d'avertie ou de non avertie de Mme R..., comme cela est souvent le cas, mais sur l'existence d'un tel risque. Ce dernier ne paraissait justement pas présent. Lorsque le prêt avait été consenti à l'intéressée, il ne semblait pas présenter de danger particulier : Mme R... déclarait des revenus à hauteur de 3 913 par mois, ce qui lui permettait à l'évidence de payer les mensualités exigées qui ne s'élevaient qu'à 392. Dès lors, faute de difficulté apparente pour faire face au remboursement demandé, la banque comme les magistrats par la suite n'avaient plus à s'interroger sur la qualité de non avertie de Mme R... 6 - Ainsi, on le voit, la mise en oeuvre de l'obligation de mise en garde implique, chronologiquement, plusieurs recherches. Tout d'abord, le crédit ne risque-t-il pas d'être trop lourd pour l'emprunteur? En d'autres termes, y a-t-il un risque d'impossibilité pour le débiteur de supporter la charge de son remboursement? En cas de réponse positive, et seulement dans ce cas (9), le banquier devra se demander si l'intéressé peut être vu comme une personne avertie ou non avertie en matière de crédit. Diverses circonstances seront, à ce stade, prises en considération : profession, âge, expérience, assise financière, etc. Ce n'est alors que s'il peut être qualifié de non averti qu'il sera créancier d'une obligation de mise en garde de la part de son banquier (10). Le manquement du professionnel ne sera, par conséquent, jugé fautif que dans cette dernière hypothèse. Notons que cette solution, concernant les recherches à effectuer chronologiquement, transparaissait déjà dans un certain nombre d'arrêts antérieurs ayant donné lieu à des interprétations doctrinales divergentes (11). II - La démonstration de l'existence d'un risque d'endettement 7 - Mme R... reprochait aux juges du fond de ne pas avoir recherché si elle était un emprunteur non averti et, dans l'affirmative, si, conformément au devoir de mise en garde auquel elle était tenue, la société S... finance justifiait avoir satisfait à cette obligation au regard des capacités financières de l'emprunteur et des risques d'endettement nés de l'octroi du prêt litigieux. Or ce moyen était rejeté par la Cour de cassation au motif que «faute d'avoir mis la cour d'appel en mesure de constater l'existence d'un risque d'endettement qui serait né de l'octroi de la somme prêtée, Mme R... n'est pas fondée à lui reprocher d'avoir omis de procéder» à la recherche en question. Dès lors, si l'on suit cette solution, ce serait à l'emprunteur de faire la preuve au juge de l'existence d'un risque d'endettement. Si elle est de bon sens, cette solution ne doit cependant pas être appliquée trop strictement. A notre sens, elle ne vaut qu'en présence d'un prêt dont les échéances paraissent modérées, ou du moins non disproportionnées, rapport aux revenus mensuels de l'emprunteur. En revanche, lorsque la disproportion entre le montant du crédit et la capacité financière de l'emprunteur est manifeste, les juges devraient pouvoir la relever automatiquement. 8 - Une question se pose néanmoins. Comment un emprunteur peut-il démontrer le danger découlant d'un crédit dont les échéances sont nettement inférieures aux revenus, comme cela était le cas en l'espèce? Cette preuve risque d'être particulièrement difficile à rapporter. En effet, si l'intéressé vient, au cours de la durée du prêt, à voir ses revenus chuter, cela n'aura aucune incidence sur le comportement du banquier au jour de la conclusion du contrat de prêt. A notre sens, une hypothèse pourrait tout de même être imaginée : lorsque le crédit octroyé, bien que proportionné, est par nature particulièrement dangereux. Nous songeons ici, plus précisément, au cas du prêt relais. Pour mémoire, il s'agit d'un prêt intermédiaire destiné à financer l'acquisition d'un bien immobilier avant même d'avoir réussi à vendre son bien actuel. Or ce type de prêt, qui est accordé sur une courte durée, peut se révéler très risqué si l'on ne parvient pas à vendre son bien dans des délais suffisamment brefs. Il convient ainsi de noter que ces prêts relais se retrouvent de plus en plus souvent, aujourd'hui, dans des dossiers de surendettement. Dès lors, nous serions tenté de penser que la simple démonstration, par l'emprunteur, de la présence d'un tel prêt relais, si ce n'est de plusieurs, pourrait permettre de prouver l'existence, au moins en germe, d'un risque d'endettement, et ainsi de soumettre la banque à une obligation de mise en garde lorsque ce même emprunteur

peut être vu comme non averti en matière de crédit. Une intervention du législateur tendant à instaurer une obligation d'information renforcée en matière de prêt relais serait néanmoins, selon nous, plus opportune. Il serait gênant, en effet, que le risque d'endettement soit apprécié différemment selon la présence ou non d'un prêt relais (12). III - La prise en compte du comportement de l'emprunteur 9 - L'arrêt étudié rappelle que, en matière d'obligation de mise en garde, l'attitude de l'emprunteur a une incidence sur l'engagement de la responsabilité civile du banquier. En effet, les magistrats ont déjà estimé, il y a peu de temps (13), que des mensonges ou des omissions de la part de l'intéressé concernant son patrimoine, et plus particulièrement la présence d'autres crédits, l'empêchaient de réclamer le bénéfice de l'obligation de mise en garde du banquier dispensateur de crédit. Ainsi, pour la Cour de cassation, l'emprunteur, «eu égard à sa déloyauté que la banque ne pouvait normalement déceler, n'était pas fondé à imputer, de ce chef, à ladite société un manquement au devoir de mise en garde auquel est tenu le professionnel du crédit à l'égard de son client non averti» (14). Son attitude avait ainsi empêché le banquier de constater les risques du crédit octroyé. Celui-ci se trouvait, par conséquent, dans l'incapacité de remplir l'obligation pesant sur lui. 10 - De la même façon, et l'arrêt du 18 février 2009 en témoigne, lorsque l'intéressé déclare expressément des revenus lui permettant normalement de faire face aux paiements des échéances du crédit finalement obtenu, il ne peut réclamer, dans le même temps, le bénéfice automatique de l'obligation précitée, sauf, cela a été vu (15), s'il met la cour d'appel en mesure de constater l'existence d'un risque d'endettement. 11 - Cette solution emporte notre conviction. Imaginons qu'un emprunteur vienne à mentir, ou du moins à «exagérer», lorsqu'il déclare le montant de ses revenus, afin d'être sûr d'obtenir le crédit souhaité. Il serait alors choquant que, dans le même temps, il puisse prétendre être créancier d'une obligation de mise en garde, alors que c'est lui-même qui a exclu tout risque d'endettement par ses déclarations. N'oublions pas que le banquier est tenu à une obligation de non-ingérence dans les affaires de ses clients, qui n'est écartée que lorsque la loi ou la jurisprudence, notamment en présence d'une anomalie apparente, le prévoit (16). Or aucune disposition légale ne prévoit l'obligation pour le banquier de vérifier l'exactitude de toutes les déclarations réalisées par ses clients. De même, lorsque ces dernières ne sont pas objectivement anormales ou mensongères, le banquier n'a pas à se transformer en détective. L'intéressée ne pouvait donc prétendre que les revenus dont elle disposait au jour de l'octroi de l'ouverture du crédit ne lui permettaient pas de supporter la charge de son remboursement, alors que quelques mois plus tôt elle déclarait des revenus mensuels dix fois plus élevés que le montant des échéances. 12 - Ainsi, l'obligation de mise en garde du banquier dispensateur de crédit voit progressivement ses contours précisés par les différentes chambres et formations de la Cour de cassation (17). A ce titre, l'arrêt de la première chambre civile du 18 février 2009, qui doit être prochainement publié au Bulletin, n'est pas le moins intéressant puisqu'il vient clarifier opportunément le rôle, voire le comportement, de l'emprunteur pour pouvoir prétendre au bénéfice de cette obligation. Seuls ceux qui ont été cohérents dans leurs déclarations tout au long du contrat de prêt doivent pouvoir bénéficier de l'obligation étudiée (18). Ainsi, si un dicton populaire affirme que l'«on ne peut avoir le beurre et l'argent du beurre», nous serions tenté de transposer celui-ci en droit bancaire en déclarant que, sauf preuve contraire rapportée par l'intéressé, on ne peut prétendre au bénéfice d'un bon score (19) et de l'obligation de mise en garde du banquier. Mots clés : BANQUE * Responsabilité * Devoir de conseil * Prêt * Mise en garde * Endettement (1) L'offre de crédit à la consommation ou de crédit immobilier doit ainsi, par exemple, contenir un certain nombre d'informations (art. L. 311-8 s. et L. 312-7 s. c. consom.).

(2) Nombreux sont les auteurs à s'être intéressés à cette nouvelle obligation. V., p. ex., N. Bourdalle et J. Lasserre Capdeville, Le développement jurisprudentiel de l'obligation de mise en garde du banquier, Banque et Droit 2006, n 107, p. 17 ; F. Boucard, Le devoir de mise en garde du banquier à l'égard de l'emprunteur et de sa caution : présentation dialectique, RD banc. fin., sept. 2007, p. 24 ; S. Hocquet-Berg, Les fournisseurs de crédit à nouveau mis en garde!, RCA 2007. Etude 15 ; D. Gallois-Cochet, Le devoir de mettre en garde le client, RLDA, févr. 2008, p. 107. (3) Civ. 1re, 12 juill. 2005, Bull. civ. I, n 327 ; D. 2005. Jur. 3094, note B. Parance, AJ. 2276, obs. X. Delpech, et 2006. Pan. 155, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; RTD com. 2005. 820, obs. D. Legeais ; RDI 2006. 123, obs. H. Heugas-Darraspen ; JCP 2005. II. 10140, note A. Gourio ; Banque et Droit 2005, n 104, p. 80, obs. T. Bonneau. Cette solution apparaissait, plus implicitement, dans des arrêts plus anciens, et notamment : Civ. 1re, 8 juin 2004, Bull. civ. I, n 166 ; D. 2004. AJ. 1897 ; RTD com. 2004. 581, obs. D. Legeais ; JCP E 2004. 1442, note D. Legeais ; Banque et Droit 2004, n 98, p. 56, obs. T. Bonneau. (4) V., p. ex., Civ. 1re, 2 nov. 2005, Bull. civ. I, n 397 ; D. 2005. AJ. 3084, obs. V. Avena-Robardet ; RTD com. 2006. 171, obs. D. Legeais ; RDI 2006. 294, obs. H. Heugas-Darraspen ; 21 févr. 2006, D. 2006. Jur. 1618, note J. François ; RDI 2006. 294, obs. H. Heugas-Darraspen ; RTD com. 2006. 462, obs. D. Legeais ; JCP E 2006. 1522, note D. Legeais ; Banque et Droit 2006, n 108, p. 62, obs. T. Bonneau ; Com. 3 mai 2006, D. 2006. AJ. 1445, obs. X. Delpech ; RTD civ. 2007. 103, obs. J. Mestre et B. Fages ; Banque et Droit 2006, n 108, p.???, obs. N. Rontchevsky ; JCP 2006. II. 10122, note A. Gourio ; 20 juin 2006, Bull. civ. IV, n 145 ; D. 2006. AJ. 1887, obs. X. Delpech ; RTD com. 2006. 645, obs. D. Legeais ; RDI 2007. 140, obs. H. Heugas-Darraspen ; Civ. 1re, 12 juill. 2006, Bull. civ. I, n 398 ; RJDA 2007, n 87 ; Cass., ch. mixte, 29 juin 2007, Bull. ch. mixte, n 7 et 8 ; D. 2007. AJ. 1950, obs. V. Avena-Robardet, Jur. 2081, note S. Piedelièvre, et 2008. Pan. 871, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; RTD civ. 2007. 779, obs. P. Jourdain ; RTD com. 2007. 579, obs. D. Legeais ; Banque et Droit 2007, n 115, p. 31, obs. T. Bonneau ; JCP 2007. II. 10146, note A. Gourio ; ibid. E 2007. 2105, note D. Legeais ; Civ. 1re, 30 oct. 2007, D. 2008. Jur. 256, note E. Bazin, et Chron. C. cass. 638, obs. P. Chauvin et C. Creton ; RTD com. 2008. 163, obs. D. Legeais ; 6 déc. 2007, D. 2008. AJ. 80, obs. V. Avena-Robardet ; RTD com. 2008. 163, et 400, obs. D. Legeais ; Com. 11 déc. 2007, RTD com. 2008. 163, obs. D. Legeais ; Banque et Droit 2008, n 118, p. 17, obs. T. Bonneau ; 8 janv. 2008, JCP 2008. II. 10055, note A. Gourio ; 27 mai 2008, RTD com. 2008. 609, obs. D. Legeais ; Civ. 1re, 18 sept. 2008, D. 2008. AJ. 2343, obs. V. Avena-Robardet ; RTD com. 2008. 830, obs. D. Legeais ; JCP 2008. Actu. 586, obs. L. Dumoulin ; ibid. E 2008. 2245, note D. Legeais ; Banque et Droit 2008, n 122, p. 21, obs. T. Bonneau. (5) Civ. 1re, 18 févr. 2009, D. 2009. AJ. 625, obs. V. Avena-Robardet, et Chron. C. cass. 747, obs. P. Chauvin et C. Creton ; RDI 2009. 235, obs. H. Heugas-Darraspen ; Juris-Data, n 047086 ; JCP 2009. Actu. 122, obs. L. Dumoulin. (6) V., supra, n 1. (7) Si les arrêts les plus récents parlent d'emprunteur «non averti», les plus anciens évoquent le «profane». Concernant les critères de qualification de l'emprunteur non averti, V. D. Legeais, obs. préc. in RTD com. 2008. 163. (8) M. Fabre-Magnan, De l'obligation d'information dans les contrats. Essai d'une théorie, LGDJ, 1992, n 11 et 467. (9) En effet, contre quel risque le banquier devrait-il mettre en garde l'emprunteur, même qualifié de non averti, si le crédit en question est proportionné à ses facultés contributives? L'obligation légale et jurisprudentielle d'information du banquier paraît, dans cette hypothèse, suffisante, que l'intéressé soit jugé profane ou averti. (10) Un tempérament est à apporter à cette solution. Il semble en effet que, même lorsque

son client peut être qualifié d'averti, le banquier soit tenu de le mettre en garde lorsqu'il détient sur le compte de ce client des informations que lui-même ignore. Cette situation ne devrait cependant que très rarement se rencontrer. (11) Com. 3 mai 2006, préc. ; 20 juin 2006, préc. ; Civ. 1re, 12 juill. 2006, préc. ; 26 sept. 2006, Juris-Data, n 035194 ; V., sur les divergences doctrinales, J. Lasserre Capdeville, Le banquier dispensateur de crédit face au principe de proportionnalité, Banque et Droit 2007, n 113, p. 16. (12) Certains ne manqueraient pas de souligner, en outre, qu'à l'heure actuelle le crédit revolving est tout aussi dangereux que le prêt relais, comme en attestent de trop nombreux dossiers de surendettement. (13) Civ. 1re, 30 oct. 2007, préc. note 4. (14) Ibid. (15) V., supra, n 7. (16) J. Lasserre Capdeville, Que reste-t-il au XXIe siècle du devoir de non-ingérence du banquier?, Banque et Droit 2005, n 101, p. 11. (17) Plusieurs arrêts récents sont venus, de la même manière, prévoir qu'il revenait au banquier de prouver qu'il a bien satisfait à son obligation de mise en garde : Cass., ch. mixte, 29 juin 2007, préc. ; Com. 11 déc. 2007, préc. (18) L. Dumoulin, obs. préc. ss. Civ. 1re, 18 févr. 2009. (19) Sur la technique du scoring, V. C. Gavalda et J. Stoufflet, Droit bancaire, Litec, 2007, 7e éd., n 499. Recueil Dalloz Editions Dalloz 2009