Dr Alexia DELBREIL VIOLENCE ET HOMICIDE CONJUGAL
Introduction Nouveau regard sur la famille, le couple. La justice pénètre la sphère privée: caractère public de la prévention des violences intrafamiliales. Lien entre la violence conjugale et l homicide conjugal.
Violence conjugale: définition (1) Système de relation où l un des deux conjoints utilise les coups, la peur, l humiliation dans le but de contrôler l autre. Relation d emprise avec déni d altérité. mésentente ou dispute de couple. Campbell: «des agressions (même mineures) répétées, perpétrées par un intime, dans un contexte de contrôle et de coercition»
Violence conjugale: définition (2) 4 types: ú Physique: coups directs à mains nues ou par objet contondant, projection au sol, strangulation ú Psychologique: humiliation, chantage, insulte, contrôle de l emploi du temps, suspicion, harcèlement, isolement familial et social ú Sexuelle: rapport sexuel forcé, imposition de pratiques ou de postures vécues comme humiliantes, prostitution ú Économique: contrôle de l argent, des dépenses, ne peut pas disposer de son salaire
Violence conjugale: épidémiologie (1) Enquête ENVEFF 2000: ú 10% des femmes en couple déclarent avoir subies des violences dans les 12 mois. ú Pressions psychologiques (37%), insultes et menaces verbales (4,3%), agressions physiques (2,5%) et chantage affectif (1,8%). ú Toutes catégories socioprofessionnelles. ú Forte proportion de femmes jeunes en situation de précarité.
Violence conjugale: épidémiologie (2) Canada: ú 6% de la population. ú X 3 si couples séparés. ú Proportion homme/femme équivalente, mais femmes plus victimes de violences graves. EU: ú 1 femme sur 3 et 1 homme sur 4 ont été victimes de violence par un partenaire dans leur vie. ú Avant 25 ans pour la moitié.
Violence conjugale: épidémiologie (3) Importance de l intervention des forces de l ordre: ú Rappel à la loi diminue le risque de récidive violente (Fagan et al.,1989). ú Seulement ½ des victimes portent plainte (40% motif de respect de la sphère privée, 20% par crainte des représailles, 10% jugent qu il s agit d une infraction mineure, 10% que la police ne prendra pas leur plainte, 10% que la police protègera l agresseur) (Rennison et Welchans, 2000).
Violence conjugale: facteurs de risque d être victime Âge jeune Instabilité professionnelle Bas niveau socio- économique Alcoolisme ou toxicomanie du conjoint Volonté de séparation
Violence conjugale: droit pénal Violence entre conjoints = délit aggravé (art 222-9 et suivants CP). Variation des peines en fonction de l existence ou non d autres circonstances aggravantes (préméditation, usage d une arme, complicité ).
Homicide conjugal: définition Groupe des homicides intra- familiaux. Homicide commis sur un partenaire ou ex- partenaire intime, quel que soit le statut. Crime passionnel, uxoricide, maricide
Homicide conjugal: épidémiologie (1) En France en 2011 (étude nationale sur les morts au sein du couple): ú 146 victimes, ú 17,4 % des homicides = un homicide tous les 2 jours et demi au sein des couples, ú 38,3 % de violences antérieures régulières, ú ½ des auteurs femmes était victime de violence conjugale.
Homicide conjugal: épidémiologie (2) Au Canada en 2009: 16 % des homicides élucidés, la moitié des homicides intra- familiaux. Aux Etats- Unis en 2007: 9 % des homicides, 0,5 homicide conjugal pour 100 000 personnes de plus de 12 ans.
Homicide conjugal en droit pénal (1) Plusieurs qualifications: ú Meurtre (art 221-1 CP) ú Assassinat (art 221-3 CP) ú Violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner (art 222-7 CP) ú Empoisonnement (art 221-5 CP) Conjoint, concubin, personne liée par un PACS, ou ex- = circonstance aggravante depuis 1994 (2006 pour le PACS et les ex). Tentative jugée comme le crime.
Facteurs individuels du passage à l acte criminel (1) Victime: femme dans plus de 80 % des cas (risque x9). Individus entre 30 et 60 ans, écart d âge entre les partenaires. Catégories socioprofessionnelles les moins favorisées ou sans emploi. Isolement, précarité sociale.
Facteurs individuels du passage à l acte criminel (2) Présence d antécédents judiciaires (+ de 50%). ú Atteinte aux biens, aux personnes, conduite en état d ivresse. ú 45 à 70% atcd de violence physique sur conjoint. ú 1/2 des femmes auteurs victime de violence conjugale.
Facteurs individuels du passage à l acte criminel (3) Pathologies psychiatriques rares: ú Irresponsabilité pénale: 2,2% des hommes et 11,8% des femmes auteurs au Canada; 1% des auteurs en France en 2010 et aucun en 2011. ú Dépression ++ ú Troubles de la personnalité: narcissique, paranoïaque et borderline. ú Immaturité affective, impulsivité, défaillances narcissiques, dépendance et carences affectives/ éducatives.
Phase pré- criminelle (1) Couples (60%) en union libre > mariés > séparés ou divorcés (40%). Conflits fréquents. Alcoolisme chronique souvent associé à la violence et la précarité sociale. Menaces de mort (42%)/tentative d homicide (5%). Menaces suicidaires (40%)/tentative de suicide (5%).
Phase pré- criminelle (2) Facteurs déclenchants: ú Séparation du couple ou désir d indépendance de la victime (> 50%). ú Sentiment d humiliation, provocation (25%). ú Infidélité réelle ou imaginaire, jalousie (20%). ú Querelle (7%).
Motivations du passage à l acte Auteur obnubilé par le moment présent. Principales motivations: ú Possession, jalousie ú Querelle, vengeance ú Légitime défense ú L accident ú La libération ú L euthanasie
Violence conjugale et homicide conjugal Homicide: apogée d une violence physique régulière (30 %). Prudence devant les chiffres, car peu de plaintes! Fréquent quand la femme est auteur de l homicide. Signes alarmants: ú Escalade de la violence en fréquence et gravité. ú Menaces de mort ou suicidaires. ú Désir d indépendance ou de séparation. ú Consommation d alcool.
Passage à l acte criminel Mode opératoire: ú Lieu: domicile conjugal ou de l un des 2 partenaires (>80%). ú Préméditation rare (14%), PA impulsif. ú Arme blanche > arme à feu > mains nues > objets contondants. ú Parfois violence excessive («overkill») (50%). ú Alcoolisation de l auteur (45%). ú En général non associé aux violences sexuelles.
Phase post- criminelle 25 % d hommes armés se suicident, présence de symptômes dépressifs. Certains auteurs se dénoncent (37%) et beaucoup restent sur les lieux du crime (62%). Maquillage du crime rare (33%). Sentiment d apaisement ou de désespoir chez le névrotique. Revendication et victimisation chez le paranoïaque. Faible risque de récidive. Peine moyenne = 15 ans RC.
A qui s adresse la prévention? Prévention multidisciplinaire: ú Santé: médecins, infirmiers, psychologues, paramédicaux ú Justice: magistrats, gendarmes, policiers ú Milieu social et éducatif. ú Population générale, entourage des victimes potentielles.
Situations à fort risque létal Séparation du couple: 3 premiers mois +++. Désir d indépendance de la compagne. Recherche de contrôle et de domination du partenaire, jalousie excessive. Accroissement des conflits et de la violence. Consommation chronique d alcool. Difficultés financières. Arme à domicile. Menaces de mort ou idée d homicide- suicide. Menaces suicidaires. Atcd de tentative d homicide.
Mesures actuelles de prévention (1) Loi du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein des couples: ú Peut contraindre le conjoint à quitter le domicile commun. ú Contrôle judiciaire. ú Autres obligations: ne pas s approcher du domicile, ne pas entrer en relation avec la victime, obligation de soins.
Mesures actuelles de prévention (2) Loi du 9 juillet 2010: «ordonnance de protection» ú Mesures de protection décidées par le JAF en urgence. ú Applicables pendant 4 mois, renouvelables en cas de dépôt d une requête en séparation ou en divorce. ú Non respect: 2 ans de prison et 15 000 euros d amende.
Mesures actuelles de prévention (3) Loi du 9 juillet 2010: ú Violences psychologiques dans le CP. ú Délit de harcèlement moral au sein des couples. ú Placement sous surveillance électronique mobile des auteurs si peine 5 ans de prison. Loi du 5 mars 2007: ú Peine de suivi socio- judiciaire possible +/- injonction de soins. ú Suivi obligatoire si violence habituelle.
Rôle des associations Écoute anonyme. Soutien. Suivi psychologique. Information sur les droits des victimes. Orientation en cas de protection urgente.
Conclusion Homicide conjugal d origine multifactorielle. Homicide qui n est pas rare mais à faible risque de récidive. Deux situations prédominantes: séparation et violence conjugale. Importance de l information du public et des professionnels: sensibilisation au repérage des facteurs de risque de passage à l acte homicide. Nécessité d études en France pour permettre la recherche de facteurs prédictifs spécifiques.
«Peut être aussi qu elle a voulu que ce soit moi qui la tue et pas un autre»