1 INSTITUT ROYAL DES SCIENCES NATURELLES DE BELGIQUE KONINKLIJK BELGISCH INSTITUUT VOOR NATUURWETENSCHAPPEN Les peuples chasseurs de la Préhistoire par Anne HAUZEUR* BRUXELLES BRUSSEL * Association pour la Diffusion de l'information Archéologique Asbl Rue Vautier, 29, Vautierstraat 1000 Bruxelles - Brussel
2 Sommaire Introduction 3-4 Mode de vie 4-7 L'évolution de l'outillage et des techniques Paléolithique inférieur 7-8 Paléolithique moyen 8-9 Paléolithique supérieur 9-12 Mésolithique 12 La vie spirituelle 12-15 Résumé 15
3 0 50 km Peuplement de la Belgique Paléolithique. Les peuples chasseurs regroupent les populations nomades vivant essentiellement de chasse, de cueillette et de pêche. À l époque préhistorique, ce mode de vie caractérise le Paléolithique (divisé en Paléolithique inférieur, moyen et supérieur) ainsi que le Mésolithique, pendant près d un million et demi d années en Europe nord-occidentale (fig. 1). Au cours de cette période, l Homme est resté prédateur, subissant les contraintes de son environnement auxquelles il a dû s adapter. En effet, les nombreuses variations climatiques qui caractérisent le Quaternaire ont entraîné, à chaque fois, une modification du paysage et des espèces animales (cf. Préhistoire : généralités). L affranchissement progressif de Fig. 1 - Ligne du temps.
4 l Homme par rapport au milieu environnant se traduit par une amélioration constante des moyens techniques mis en œuvre et par l apparition progressive d une pensée spirituelle. Mode de vie Ces chasseurs-cueilleurs sont contraints à vivre en petits groupes pour assurer au mieux leurs moyens de subsistance, en contrôlant un territoire de chasse. Comme le gibier est un élément vital, il faut le préserver pour pouvoir garantir sa subsistance. La vie des chasseurs de la Préhistoire les amène à établir des campements saisonniers, organisés autour de quelques huttes ou tentes, généralement localisés aux endroits giboyeux et riches en plantes sauvages (noisettes, glands, myrtilles, airelles, racines...). Le campement de plein-air a été l habitat usuel. Les abris sous roche et les grottes ne paraissent avoir été fréquentés que lors de la mauvaise saison pour se protéger des intempéries et du froid. Le nombre de grottes et d abris sous roche est actuellement plus élevé que celui des campements de plein-air, parce que ce type d habitat est plus facilement repérable qu un campement de plein-air, généralement enfoui a plusieurs mètres sous le sol actuel. Les seuls témoins conservés de ces installations temporaires sont les sols d habitat, tels qu ils ont été abandonnés par l Homme préhistorique. Dans un campement de plein-air, on retrouve les pierres de calage des piquets de la tente et celles qui ont maintenu au sol les peaux qui les recouvraient (fig. 2). Le foyer était installé à l entrée de la tente, limité par un cercle de pierres. Tout autour s organisaient les activités domestiques, Fig. 2 - Reconstitution d'un campement de plein-air.
5 telles que repas, fabrication d outils en pierre ou en os, dont les déchets jonchent le sol (ossements, produit de la taille du silex, outillage...). Dans le fond de la tente, un emplacement, vierge de tout vestige, était réservé pour les litières qui ont disparu. Ces tentes étaient facilement démontables (fig. 3). Les chasseurs emportaient avec eux piquets et peaux lors de leurs déplacements. D autres types de tente plus vastes font penser, par leur forme, aux yourtes des steppes sibériennes. Dans les grottes, outre les vestiges de la vie quotidienne (foyer, déchets,...) on retrouve parfois la sépulture de l un des membres du groupe. C est par la reconstitution de l histoire de plusieurs habitats que l on arrive à se faire une image assez fidèle du mode d existence de ces peuples chasseurs de la Préhistoire. Les moyens de subsistance sont attestés par la présence de nombreux ossements d animaux comme déchets de cuisine et l existence d un outillage spécialisé. On retrouve, à proximité des foyers, les os des animaux chassés par l Homme. Après avoir abattu un animal, les Hommes le dépiautaient et le dépeçaient sur place pour ne ramener au campement que les Zone de couchage Foyer Pierres de calage Déchets 0 1 m Fig. 3 - Habitation de Pincevent (France).
6 morceaux de choix, la tête et les membres. Ils chassaient aussi bien les gros animaux (cheval, aurochs, renne...) que le petit gibier et les oiseaux. Plusieurs des ossements abandonnés portent des traces de décarnisation provoquées par les outils en silex lors de la découpe de la viande. D autres ont été brisés pour en extraire la moelle. Chaque partie de l animal est exploitée au maximum : la viande, la moelle et la cervelle comme nourriture, les tendons pour les liens, les os pour en faire des outils ou des manches d outil, la peau pour les vêtements et les litières (fig. 4). La cueillette des plantes et des baies sauvages devait fournir un apport alimentaire important à certaines saisons. Elle n a pas laissé de traces sauf pour le Mésolithique où des coquilles de noisettes carbonisées se trouvent près des foyers. La pêche est attestée au Paléolithique supérieur par quelques vertèbres de poissons retrouvées parmi les déchets culinaires et par la présence de harpons en bois de renne. Cette activité semble non seulement plus répandue au Mésolithique vu les nombreux restes de poissons mais elle apparaît aussi plus perfectionnée avec des hameçons, des nasses et des filets Bois : sagaies, harpons... Peau : tentes, vêtements... Viande : nourriture Dents : parure... Tendons : fils Os : outils, manches d'outils Fig. 4 - Les chasseurs exploitaient les ressources de l'animal au maximum.
7 Nasse découverte au Danemark Harpon reconstitué Nasse reconstituée Hameçons (Danemark) Fig. 5 - La pêche (fig. 5). Les chasseurs mésolithiques appréciaient aussi les coquillages et les escargots comme en témoignent les amas de coquilles, parfois épais de plusieurs mètres, retrouvés à proximité des habitats. Paléolithique inférieur (début) L évolution de l outillage et des techniques (fig. 6) Paléolithique inférieur Les premiers outils créés par l Homme procèdent d une technique simple : on frappe un galet de quartz ou de silex sur une enclume de pierre pour obtenir un éclat de forme irrégulière, aux bords tranchants. En enlevant du galet plusieurs éclats sur une ou deux faces, on obtient un outil robuste muni d un tranchant efficace, le chopper ou le chopping-tool (fig. 7a). En perfectionnant la technique, l Homme produira des outils symétriques de forme ovalaire au triangulaire façonnés sur les deux faces, les bifaces (fig. 7b). Ces outils Paléolithique inférieur (fin) Paléolithique moyen Paléolithique supérieur Fig. 6 - Production d'outils par rapport à 1 kg de silex.
8 servent à de multiples activités et caractérisent le Paléolithique inférieur. À ce stade de l évolution technique, l Homme taille un bloc de matière première pour fabriquer un outil. Fig. 7a - Chopper (France). Fig. 7b - Biface (Petit-Spiennes). Paléolithique moyen Progressivement, l Homme va utiliser des éclats détachés en série du bloc et les transformer en outil. Il augmentera ainsi le rendement du bloc de matière pre- mière. Cette technique de débitage atteindra son développement maximum, au Paléolithique moyen, avec la méthode levallois (fig. 8). Elle consiste à préparer soigneusement le bloc de silex pour obtenir un nucléus de forme déterminée de façon à détacher de sa surface Éclat levallois Préparation des côtés du bloc Préparation d'une face et de l'endroit d'où l'on va détacher l'éclat Fig. 8 - Méthode levallois.
9 Fig. 9b - Racloir (Fonds-de-Forêt). Fig. 9c - Pointe (Fonds-de-Forêt). forme désirée mais exige de reformer le nucléus pour en obtenir de nouveaux. Cette méthode levallois requiert du temps et une quantité importante de matière première. Paléolithique supérieur Fig. 9a - Denticulé (Fonds-de-Forêt). un éclat de morphologie régulière et prédéterminée. Celui-ci peut être utilisé brut ou être retouché en couteau, en racloir ou encore en pointe (figs 9a, 9b et 9c)). L outillage se spécialise, certains types d outils sont destinés à des tâches particulières : le couteau pour la découpe de la viande, le racloir pour le travail des peaux ou du bois, par exemple. Cependant ce procédé de débitage est long. Il produit des éclats de Cet inconvénient disparaît lorsque l Homme prépare le nucléus de manière à détacher à chaque reprise, des lames (éclats réguliers très allongés aux bords parallèles), identiques entre elles. La standardisation des produits atteint son point culminant, permettant d emmancher facilement les outils façonnés à partir de ces produits sans devoir fabriquer chaque fois un manche approprié. Les outils ont des formes établies en fonction du travail à accomplir : grattoirs, Fig. 10a - Grattoir (Maisières-Canal). Fig. 10b - Perçoir (Goyet).
10 couteaux, perçoirs, burins... (figs 10a, 10b, 11a et 11b) Au Paléolithique supérieur, le grattoir est un outil abondamment représenté. Il est destiné au travail des peaux. Le burin est fréquent, outil lié au travail des matières osseuses. À cette époque, en effet, le travail de l os et du bois de renne atteint son développement maximum. L Homme fabrique des pointes de sagaies (fig. 12b) pour la chasse et des harpons (fig. 12a) pour la pêche. Corrélativement, il améliore la puis- Fig. 12b - Harpon (Goyet). Fig. 12a - Sagaie (Goyet). Fig. 11b - Couteau (Maisières-Canal). Fig. 11a - Burin (Kanne). Fig. 13 - Technique de lancement au propulseur.
11 Le bâton perforé sert à redresser les outils en bois de renne. 0 5 cm Fig. 14 - Bâton perforé (Goyet). Fig. 15 - Aiguille à chas. 5 cm Fig. 16a - Arc (Danemark). 0 3 cm 0 Fig. 16b - Flèche retrouvée avec sa pointe en silex (Danemark). 0 5 cm Fig 16c - Pointes microlithiques (Belgique).
12 sance et la portée des sagaies en utilisant des propulseurs (fig. 13) en bois de renne. Des bâtons perforés (fig. 14 ) facilitent le redressement des pointes de sagaies. L Homme façonne aussi des lissoirs, des poinçons et des aiguilles à chas (fig. 15) pour assembler les peaux et percer des dents d animaux, utilisées comme éléments de parure. Mésolithique Lorsque la forêt tempérée (chêne, noisetier, orme, tilleul) se réinstalle définitivement, après les nombreux épisodes de climat froid, les grands troupeaux des steppes migrent vers le nord. Le gibier, qui est celui que l on chasse encore actuellement, vit en harde ou isolé. Pour chasser à l affût ou à l approche un tel gibier, le chasseur mésolithique recourt à une arme nouvelle : l arc (fig. 16a). C est une arme puissante et précise, très maniable en forêt. À l extrémité de la flèche (fig. 16b), il fixe une pointe microlithique en silex (fig. 16c). L Homme tente un premier essai d éle- vage; il domestique le chien et le dresse à la chasse. La vie spirituelle La vie des chasseurs-cueilleurs ne se limitait pas à la seule quête de la nourriture. En effet, chez les peuples vivant dans des régions ou le gibier abonde, les temps de repos et de loisirs sont fréquents et l Homme peut se libérer des contraintes matérielles pour donner libre cours à une pensée abstraite. La première ébauche d un sentiment artistique remonte au Paléolithique moyen, où l on trouve, des collections de coquillages fossiles ou de provenance lointaine ou bien de minéraux d aspect particulier. Les premiers témoins artistiques avant le Paléolithique supérieur sont rares. Peut-être existait-il une forme d art sur des matériaux périssables comme l écorce ou le bois. Le Paléolithique supérieur est caractérisé par l épanouissement de l art. L Homme orne les parois des grottes de peintures et de Fig.17-Scène de chasse (peinture du Levant espagnol), Mésolithique. Fig. 18 - Bâton sculpté (France).
13 0 3 cm Plaquette gravée (Chaleux). Dent perforée (Spy) Perles (Spy) Pendeloque (Spy) Bois de renne découpé et gravé de motifs abstraits (Trou Magrite) Rondelle d'os (France) "Vénus" (Trou Magrite) 0 5 cm Fig. 19 - Manifestations artistiques.
14 0 10 cm Fig. 20a - Sépulture du Paléolithique moyen (Kébara, Israël). gravures d animaux, de signes et de symboles dont la signification nous échappe (fig. 17). Il n existe aucun exemple de grotte ornée en Belgique. Le chasseur préhistorique grave aussi des plaquettes en pierre, des rondelles en os et décore des objets usuels (figs 18 et 19). On parlera donc d art mobilier pour ces objets, par opposition à l art pariétal des grottes. De nombreuses pendeloques en dents d animaux, des coquilles percées, des perles en os constituaient les éléments d une parure. Il existerait aussi des résilles en coquillages et des colliers. Le développement d une vie spirituelle apparaît avec l Homme de Néandertal, à la fin du Paléolithique moyen. L Homme, en se démarquant du milieu, éprouve le besoin d expliquer certains phénomènes qui l entourent (fig. 20a). Il enterre ses morts. La sépulture témoigne d une conscience de l au-delà, qu il est difficile de préciser. Parfois, une offrande Fig. 20b - Sépulture du Paléolithique supérieur (Sunghir, Russie). Reconstitution.
15 d outils de qualité accompagne le mort. Le Paléolithique supérieur nous en apprend davantage, sans toutefois que l'on parvienne à cerner la nature des sentiments religieux de l Homme (fig. 20b). L inhumation d un défunt est ritualisée et s accompagne de mobilier (outils, nourriture), d ocre rouge et de parure (colliers, résilles). Le défunt est souvent déposé sur une couche d ocre. Cette matière colorante rouge-brun est-elle le symbole de la vie, du sang? On a parfois retrouvé les vestiges d un repas funéraire en l honneur du mort. Les chasseurs mésolithiques conservent les mêmes traditions. Toutefois, les inhumations sont regroupées en de véritables cimetières. Il existe aussi des tombes de chien, geste d attention pour un compagnon de chasse. Les preuves matérielles d un sentiment religieux, d une vie spirituelle ne manquent pas. Il est seulement très difficile de les interpréter puisqu il n existe aucun texte et que seuls, les aspects matériels nous en sont parvenus. Résumé Les Hommes du Paléolithique et du Mésolithique sont des nomades, vivant de chasse, de cueillette et de pêche. Ils aménagent des abris temporaires et la vie s organise autour du foyer. L Homme s affranchit progressivement des contraintes du milieu. Outre les préoccupations matérielles (chasse, fabrication d outils...), l Homme, durant ses temps de repos, s adonne également à l art et essaie de répondre à certains phénomènes du monde environnant.