DE LA LOI REBSAMEN À LA LOI EL KHOMRI : DES PERSPECTIVES, DES QUESTIONS S Fantoni Quinton PUPH Université Lille/CHRU Lille
La santé au travail : des lois qui se multiplient Loi 2004 Loi 2011 Loi n 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l emploi Loi 2016?
LA LOI REBSAMEN
3 séries de mesures impactant directement le système de santé au travail 1. Les points positifs 2. Les points d inquiétude 3. Les points en attente d un décret d application
1. Les points positifs (Maintenus dans le projet de loi EK) L 4624-1 conforté +++ Renforcement du poids de l alerte concernant la santé des salariés (L4624-3 ) Reconnaissance législative de l équipe pluridisciplinaire au sein du CHSCT Un outil de simplification maitrisé par le médecin : En cas d inaptitude ET quand «tout maintien en entreprise serait gravement préjudiciable à la santé du salarié» = motif réel et sérieux de rupture du contrat (avec indemnités : L.1226-12)
L. 4624-1 CT : PRECONISATIONS INDIVIDUELLES et maintien dans l emploi L4624-1 : conservé/renforcé+++ Le médecin «peut» proposer l appui de l équipe pluridisciplinaire en vue du maintien en emploi (!!!) Renoncement à la notion initialement introduite de recherche de consentement éclairé
L. 4624-1 CT : Obligation d informer réciproquement en cas de contestation (revu par projet de loi EK) La Loi Rebsamen indique expressément que désormais, en cas de contestation, l employeur ou le salarié «en informe l autre partie» (=> principe du contradictoire). Conforme aux évolutions jurisprudentielles
L. 4624-3 CT : Renforcement du rôle de signalement collectif Désormais, depuis le 19 août 2015 (date d entrée en vigueur des dispositions de la Loi Rebsamen), les propositions et les préconisations du médecin du travail ainsi que la réponse de l'employeur sont non plus simplement tenues, à leur demande, à la disposition mais directement transmises au CHSCT (ou, à défaut, des délégués du personnel) à l'inspecteur ou au contrôleur du travail, au médecin inspecteur du travail (MIRT) ou aux agents des services de prévention des organismes de sécurité sociale.
Composition des CHSCT (L. 4613-2 CT) La Loi Rebsamen de 2015 qui prévoit la possibilité pour le ou les médecin(s) du travail de donner «délégation» à un membre de l'équipe pluridisciplinaire du service de santé au travail ayant compétence en matière de santé au travail ou de conditions de travail (Nouvelle disposition à l alinéa 2 ème de l article L. 4613-2 susmentionné).
La fin de procédures de pure forme face à l absence de capacité restante en situation d inaptitude professionnelle (L. 1226-12 CT) Si l'avis du médecin du travail mentionne expressément que «tout maintien du salarié dans l'entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé», alors l employeur peut également rompre le contrat de travail (Nouvel alinéa de l article L. 1226-12 CT). Jusqu à présent : En vertu de l article L. 1226-12 dudit Code, l'employeur ne pouvait jusqu alors rompre le contrat de travail que pour deux motifs : Soit il justifiait de son impossibilité de proposer un emploi (dans les conditions prévues à l'article L. 1226-10 susmentionné) ; Soit il justifiait du refus par le salarié de l'emploi proposé dans ces conditions.
2. Les points d inquiétude et d interrogation Mission des SST étendues : introduction de la notion de tiers (Revu par projet de Loi EK) Cible du rôle exclusivement préventif de l action du médecin du travail englobant la question du poste de sécurité : L4622-3 Nouveau motif de licenciement précisé dans L1226-10 CT : le refus du salarié d une proposition de reclassement
LES MISSIONS DES SERVICES DE SANTE AU TRAVAIL (3 ) L. 4622-2 CT) «les services de santé au travail assurent la surveillance de l état de santé des travailleurs en fonction des risques concernant leur santé au travail et leur sécurité et celle des tiers, de la pénibilité au travail et de leur âge» = Introduction de la notion de tiers Dangereuse pour la philosophie même du système de santé au travail En contradiction avec le Code de la santé publique Quelle efficacité?
AC Bensadon L1226-12 : inaptitude d origine professionnelle et refus par le salarié d une proposition de reclassement «conforme» «L'employeur ne peut rompre le contrat de travail que s'il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l'article L. 1226-10, soit du refus par le salarié de l'emploi proposé dans ces conditions». (revu par le projet de Loi EK) Replacer dans la jurisprudence (impasse face à un (des) refus) Le refus reste non fautif, donc non privatif d IL L obligation de reclassement n est pas allégée pour autant
3. Introduction du principe d un suivi de santé lié aux besoins : L. 4622-4 CT, Attente décret en CE (+++) Bénéficieront d une surveillance médicale «plus ciblée», 3 catégories : (partiellement revu par projet de loi EK) Les salariés affectés à des postes présentant des risques particuliers pour leur santé ou leur sécurité, celles de leurs collègues ou de tiers ; Les salariés dont la situation personnelle le justifie.
LE PROJET DE LOI EL KHOMRI
Programmation Loi El Khomri Avant projet de Loi (janvier 2015) Conseil d Etat (février 2016) Commission des affaires sociales (avril 2016) 1ere lecture (Mai 2016)
Titre 1 er : Refonder le droit du travail et donner plus de poids à la négociation collective Titre 2 ème : Favoriser une culture du dialogue et de la négociation Titre 3 ème : Sécuriser les parcours et construire les bases d un nouveau modèle social à l ère du numérique Titre 4 ème : Favoriser l emploi Titre 5 ème : Moderniser la médecine du travail Titre 6 ème : Renforcer la lutte contre le détachement illégal Titre 7 ème : Dispositions diverses
Focus sur l article 44 du projet de Loi Vers un nouveau suivi individuel en santé au travail La réaffirmation des préconisations individuelles La réforme de la procédure d inaptitude médicale : un avis qui ne peut être rendu qu en dernier recours Une meilleure harmonisation des dispositions en cas d inaptitude d origine professionnelle ou non «L assouplissement» du licenciement pour impossibilité de reclassement à la suite de l inaptitude : motifs de rupture en cas d inaptitude La «nouvelle» contestation des avis médicaux Le travail de nuit revisité
Suivi de santé individuel : A l embauche UNE VISITE D INFORMATION & DE PREVENTION POUR TOUS LES SALARIES HORS RISQUES SPECIFIQUES (après l embauche et par un professionnel de santé membre de l équipe pluridisciplinaire) : ««Art. L. 4624-1. Tout travailleur bénéficie, au titre de la surveillance de l état de santé des travailleurs prévue à l article L. 4622-2, d un suivi individuel de son état de santé assuré par le médecin du travail et, sous l autorité de celui-ci, par les autres professionnels de santé membres de l équipe pluridisciplinaire mentionnée à l article L. 4622-8 qu il anime et coordonne, notamment le collaborateur médecin mentionné à l article L. 4623-1 et l infirmier. «Ce suivi comprend une visite d information et de prévention donnant lieu à la délivrance d une attestation, effectuée après l embauche par l un des professionnels de santé mentionnés au premier alinéa du présent article. Un décret en Conseil d État fixe le délai de cette visite et le modèle de l attestation.»
Suivi de santé individuel : A l embauche (suite) Pour les autres salariés (= risques spécifiques) : visite d aptitude avant l embauche par le médecin du travail C est le médecin du travail qui effectuera le suivi périodique de ces salariés Décrets en attente
Suivi de santé individuel : suivi périodique pour tous les salariés «Les modalités et la périodicité de ce suivi prennent en compte les conditions de travail, l état de santé et l âge du travailleur, ainsi que les risques professionnels auxquels il est exposé.» ; Décrets en attente
La portée renforcée des préconisations individuelles (1) Art. L. 4624-3. Le médecin du travail peut proposer, par écrit et après échange avec le salarié et l employeur, des mesures individuelles d aménagement, d adaptation ou de transformation du poste de travail ou des mesures d aménagement du temps de travail justifiées par des considérations relatives notamment à l âge ou à l état de santé physique et mental du travailleur. Le mot «mutation» a été supprimé
La portée renforcée des préconisations individuelles (2) Art. L. 4624-6. L employeur est tenu de prendre en considération l avis et les indications ou les propositions émis par le médecin du travail en application des articles L. 4624-2 à L. 4624-4. En cas de refus, l employeur fait connaître par écrit au travailleur et au médecin du travail les motifs qui s opposent à ce qu il y soit donné suite.
LA REFORME DE LA PROCEDURE D INAPTITUDE MEDICALE (1) Art. L. 4624-4. Après avoir procédé ou fait procéder par un membre de l équipe pluridisciplinaire à une étude de poste et après avoir échangé avec le salarié et l employeur, le médecin du travail qui constate qu aucune mesure d aménagement, d adaptation ou de transformation du poste de travail occupé n est possible et que l état de santé du travailleur justifie un changement de poste déclare le travailleur inapte à son poste de travail. L avis d inaptitude rendu par le médecin du travail est éclairé par des conclusions écrites, assorties d indications relatives au reclassement du travailleur.
LA REFORME DE LA PROCEDURE D INAPTITUDE MEDICALE (2) Inaptitude : en dernier recours (uniquement quand n existe plus aucune mesure d aménagement, d adaptation ou de transformation du poste de travail occupé et que l état de santé du travailleur justifie un changement de poste) Simplification des procédures : échanges avec salarié/employeur et étude du poste Toujours nécessité de préciser des capacités restantes
HARMONISATION DES DISPOSITIONS EN CAS D INAPTITUDE D ORIGINE PROFESSIONNELLE OU NON Avis des DP systématique Formulation d indications sur la capacité du salarié à bénéficier d une formation «le préparant à occuper» un poste adapté (art. 1226-2 et L. 1226-10 modifiés) (E>50 S) Justification par écrit au salarié en cas d impossibilité de reclassement mais pas d indemnité spéciale («doublée) en cas d inaptitude non professionnelle
Motifs possibles de rupture en cas d inaptitude Impossibilité de proposer un emploi ( «poste») Refus du salarié d une proposition conforme Si l avis du médecin du travail mentionne expressément que tout maintien du salarié dans l entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement
LA «NOUVELLE» CONTESTATION DES AVIS MEDICAUX Saisine du conseil de prud hommes, statuant en la forme des référés, d une demande de désignation d un médecin-expert inscrit sur la liste des experts près la cour d appel. L auteur de la saisine en informe le médecin du travail. Le médecin-expert peut demander au médecin du travail la communication du dossier médical en santé au travail du salarié prévu à l article L. 4624-8, sans que puisse lui être opposé l article 226-13 du code pénal. L avis du médecin-expert se substitue à celui du médecin du travail.» ;
Travail de nuit L avant-projet de loi redéfinit le travail de nuit et le travailleur de nuit : Est considéré comme travail de nuit tout travail effectué au cours d une période d au moins 9 heures consécutives comprenant l intervalle entre minuit et 5 heures. Au plus tôt, la période de nuit commence à 21 heures et s achève, au plus tard, à 7 heures (au lieu de 6 heures actuellement) sauf dérogations légalement et/ou collectivement prévues. (Article L. 3122-29 qui deviendrait L. 3122-2 du Code du travail) Est considéré comme travailleur de nuit le salarié qui : Accomplit, au moins deux fois par semaine, selon son horaire de travail habituel, au moins trois heures de travail de nuit quotidiennes ; OU Accomplit, au cours d'une période de référence, un nombre minimal d'heures de travail de nuit (Nouvel article L. 3122-5 du Code du travail) surveillance médicale particulière dont les conditions seront déterminées par décret en Conseil d Etat. (Nouvel article L. 3122-11 du Code du travail)
Les points positifs La réaffirmation d un système centré sur la prévention. Le maintien en emploi au cœur du dispositif de santé au travail L harmonisation des régimes de l inaptitude quelle que soit l origine. La réaffirmation d un suivi de santé individuel
Et après? Passage à l AN : amendements? Rejet. 49-3? Des points en attente de décrets qui vont conditionner la portée du texte de Loi Des propositions qui interrogent