* Extraits d'un entretien effectué dans le Karyassa 'supres de membres d'un clan Tamashek, les Kel Taddak. Document présenté par Etienne Le Roy.



Documents pareils
BANQUE ALIMENT BETAIL Présenté par Seidi Mohamed Abdourahmane

L EAU POTABLE : COMMENT LA PRÉSERVER Bien que l eau soit une ressource renouvelable, il ne faut pas pour autant la gaspiller. Les Québécois sont les

Offre et demande potentielle ECOWAS STDF 13/ OIE/ FAO/ CIRAD

Résumé. 1 Les chiffres du recensement général de la population et de l habitat (RGPH2) de 2009 sont en cours exploitation. Les données seront rendues

Jean GALLAIS (1967), Le delta intérieur du Niger, étude de géographie régionale, IFAN-Dakar, 2 tomes, 621 pages. SOMMAIRE Pages AVANT-PROPOS...

Revenu agricole 2013 : une année délicate pour les productions céréalières

les cinq étapes pour calculer les jours d avance

CAPRINS LAITIERS + BOVINS VIANDE ENSILAGE DE MAÏS

Agriculture paysanne durable: innovations et meilleures pratiques aux fins de transposition et de reproduction à plus grande échelle

L enfant du toit du monde

Adaptation Aux changements climatiques. Agriculture et sécurité alimentaire: Cas du Burkina Faso

Résultats et impacts

SEMINAIRE SUR LES RISQUES AGRICOLES POTENTIEL AGRICOLE ASSURABLE ET PERSPECTIVES D EVOLUTION

Title: OED Précis no Gestion de la production animale au Botswana: les précieuses leçons des expériences précédentes Job number: 98F0708

CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS

CONGRES REGIONAL CTA/ ATPS DE LA JEUNESSE EN AFRIQUE

Détail des cultures de l'exploitation en 2007

La cohabitation des races ovines Ouled Jellal (OJ) et Beni Guil (BG) et développement de l'élevage ovin dans le système pastoral du Maroc Oriental

mon maïs fourrage, (GNIS) rassemble toutes les parties prenantes de la filière semences française, soit 72 entreprises de sélection,

Un expérience pluridisciplinaire de l intensification écologique en Agriculture Familiale

Organisation des bâtiments dans les grands troupeaux 5 exemples d organisation spatiale en Europe

Santé Maternelle et Infantile (SMI) à Abéché, Tchad

Produire avec de l'herbe Du sol à l'animal

ACTION N 1 Réseau d élevages bovins laitiers en Agrobiologie

Le pastoralisme au Sahel : Module d animation et de formation de l IIED-ARED. Note d information générale

Qualité de vie des résidents en EMS: Perspectives croisées

NOTRE PERE JESUS ME PARLE DE SON PERE. idees-cate

Calcul de la marge brute en production laitière

Echantillonnage INTRODUCTION. Module 1

Satisfaction des stagiaires de BRUXELLES FORMATION Résultats 2013

RAPPORT DE FIN DE CYCLE

1. L'été le plus chaud que la France ait connu ces cinquante dernières années.

Être agriculteur aujourd'hui

Canada. Bulletin d information. Réfugiés pris en charge par le gouvernement. Réinstallation des réfugiés au

Spécimen de formulaire : Plan de préparation aux situations d urgence de La ferme

leur(s) leur LES EXERCICES DE FRANÇAIS DU CCDMD Homophones grammaticaux de catégories différentes

S engager pour la survie de l enfant: Une promesse renouvelée

Bovins viande. Effectifs troupeaux et animaux par région en Total élevages. Nbre de veaux pesés en VA0. Nbre de veaux pesés en VA4

CONSERVATION DU PATRIMOINE VIVANT DU MARAIS POITEVIN ENJEUX ET PERSPECTIVES. CREGENE: 2 rue de l église COULON cregene@gmail.

CTA Note politique. Protéger et promouvoir le pastoralisme en Afrique. dans les services essentiels aux pasteurs.

AVEZ-VOUS PENSÉ À L ALIMENTATION À LA DÉROBÉE?

Donner, léguer... pour la vie et les projets de l Église Réformée à Lyon. Parlons-en!

Ne vas pas en enfer!

«L énergie la moins chère et la moins polluante est celle qu on ne consomme pas»

PLAN R E V A RETOUR VERS L AGRICULTURE

Bali : 14 années de découvertes compilées dans un guide culture et voyage

Bureau d assurance voyage inc.

Cas Produit Prix Place (lieu) Promotion

Insurance of agricultural Risks. Jeudi 30 Janvier 2014

État de répartition des Maculinea dans le sud du Massif Central

Questionnaire Lycée SALLE DES EAUX DU MONDE

Épreuve de Compréhension orale

dossier de presse, 5 avril 2011

Annexe 2: Région des Savanes Caractéristiques et bas fonds identifiés

Une espèce exotique envahissante: Le Roseau commun. ou Phragmites australis

IOC 2010 Support à destination des éleveurs caprins CR n

Activité 45 : La responsabilité de l Homme sur son environnement géologique

Aide à l Utilisation du site «Mon Monitoring»

SECTION 5. Élaboration d un plan de sécurité. Sachez où aller et quoi faire si vous êtes victime de mauvais traitements. Un guide pour les aînés

Comment économiser de l électricité dans le bloc traite?

Indicateur : population présente tout au long de l année dans les départements littoraux métropolitains

«Si quelqu un veut venir après moi qu il renonce à lui-même, qu il se charge chaque jour de sa croix et qu il me suive» Luc 9 : 23.

«Pastoralismes d Europe : rendez-vous avec la modernité!» pour les 40 ans de la loi pastorale française

Systèmes bovins laitiers en Poitou-Charentes

L Initiative pour la Réduction de la Pauvreté et la Gestion de l Environnement (PREMI)

Adaptation, genre et autonomisation des femmes 1

PROSPECTUS INTERNATIONAL. International FRANÇAIS LETHBRIDGE, ALBERTA, CANADA

Bulletin d'information de la Confrérie St Hubert du Grand-Val

EPREUVE ECRITE D ADMISSIBILITE

C ÉTAIT IL Y A TRÈS LONGTEMPS QUAND LE COCHON D INDE N AVAIT PAS ENCORE SES POILS.

French 2 Quiz lecons 17, 18, 19 Mme. Perrichon

Le réchauffement climatique, c'est quoi?

Mademoiselle J affabule et les chasseurs de rêves Ou l aventure intergalactique d un train de banlieue à l heure de pointe

PRESENTATION DU PROGRAMME D ACTION NATIONAL DE LUTTE CONTRE LA DEGRADATION DES TERRES ET DES FORETS EN RDC

Un seul système national d étiquetage. pour l industrie laitière canadienne

Contenu : Pose d escalier préfabriqué monobloc en béton Rédaction : Hediger Damien / Etudiant ETC 3 ème année Date : 1 er octobre 2008

J ase AFRICAN JOURNAL OF ENVIRONMENTAL SCIENCES. édité par

Trajectoires laitières

PAC. ce qui change. vraiment

Auxiliaire avoir au présent + participe passé

Accès aux services et structuration des éleveurs laitiers du département de Dagana Asstel Dagana Réflexions phase 2 Comité pilotage du 24 avril 2015

Qu est-ce que l adaptation au changement climatique?

Matériel. . 9 cartes Personnage

ACTED. Bien que les guerres soient officiellement terminées, il persiste des conflits localisés à l Est du territoire.

SEMESTRE D ETUDE A MONASH UNIVERSITY SUNWAY MALAYSIA

Conventions de calcul pour la réalisation des cas types en agriculture biologique

PROFESSIONS AGRICOLES

Votre habitation et votre famille, en toute sécurité.

La mutualisation du stationnement

aissez-vous choyer, en plein cœur de la nature.

AUTOUR DE LA MISE BAS

DECLARATION DES PERFORMANCES N 1

Narrateur : Paillasson le cochon Auteur : Protection mondiale des animaux de ferme (PMAF)

22 Nous Reconnaissons la force du pardon

Les élèves, ta tache aujourd hui est de travailler sur ton projet de sciences humaines. J envoie de nouveau les directives.

Définition des variables présentées dans le RICA

FAIRE UN PAIEMENT TIPI

L eau c est la vie! À l origine était l eau... La planète bleue. Les propriétés de l eau. L homme et l eau. ... et l eau invita la vie.

FICHE N 8 Photodiversité, d une banque d images à un portail d activités en ligne Anne-Marie Michaud, académie de Versailles

Africa-Info : Cameroun: Première opération du cœur par radiofréquence au Cameroun Jeudi, 16 Février :22

Transcription:

(< Le chez soi pour nous, c'est l'eau 11 Cet entretien a été réalisé chez les Tamashek par J.-M. Yung le 30 novembre 1988, et traduit U au pied de la dune n. Il nous a impressionné. Le choix des extraits et leur édition ont également été réalisés par J.-M. Yung : ils illustraient plus particulièrement les conclusions des enquêtes réalisées au Mali dans le cadre dyune mission dyévaluation de 1,hydraulique pastorale. Les objectifs de cette mission étaíent dyapprécier les besoins en eau et les possibilités de la participation financière des populations puis d'apporter les garanties foncières et institutionnelles à de tels investissements. Les conclusions, dyune grande dignité, nous ont interpellés : M on a reçu tellement de missions, tellement de promesses, tellement de grands chefs que l'on commence à douter D. Si nous avons cherché, par les solutions préconisées, à répondre aux besoins ainsi révélés, nous avons également voulu ne pas décevoir une telle attente et faire connaître cet appel. * Extraits d'un entretien effectué dans le Karyassa 'supres de membres d'un clan Tamashek, les Kel Taddak. Document présenté par Etienne Le Roy. 83

L EAU sc Notre préoccupation essentielle c est l eau )) <( Nous croyons que la première préoccupation de l homme c est d avoir un chez soi et chez soi, pour nous, c est l eau. Ce sont les puits. C est à partir de là que l on peut lutter pour notre reconstitution. Notre reconstitution a pour base l eau et le cheptel. Nous ne pouvons rien pour l eau. Le cheptel, on peut le reconstituer avec le temps. C est cette année, à cause de la pluviométrie, que nous avons commencé à croire à nouveau que nous pouvons revivre, renouer avec l espoir. )) (c Avant quand les choses étaient bien équilibrées ), <(Avant quand les choses étaient bien équilibrées, on vivait dans une île, satisfaits de notre vie, mais le cours du temps a amené les déséquilibres... )) ({ Avant, en hivernage au inonleiit du nomadisme, on suivait le plateau du Gurma vers Hombori. On avait des chevaux, des chameaux porteurs, des troupeaux. On se rendait aux cures salies de Insagaran, de Dimamou. En septembre, on se rendait dans les 20nes des lacs Niangaye, Sere Yamou. Puis en février, mars, on descendait dans les bourgouttières de Sindingue, de Mopti et de là on quittait en juin, juillet et on repartait à Honibori. )> (( Maintenant on ne bouge pas d ici. Nous y sommes toute l année... )) (c Quand la catastrophe est venue 2 nous )) (c Voici la genèse de notre situation. )) * La sécheresse <( Quand la catastrophe est venue à nous, la population a éclaté. On est parti en exode vers le sud de Rharous ci ici, nous sommes partis vers le sud. On est allé trouver des peuples chez eux et on a perturbé leurs façons de vivre. Nous avons exploité leurs puits, leurs pâturages, leurs terroirs. Parfois, ça a frisé la bagarre... Notre bétail est presque complètement mort vers le sud et lorsque l hivernage est arrivé, nous étions au dernier stade de notre résistance. )) (( C est comme quelqu un qui a un tison entre les mains : l amour du pays, l exode. Je vais vous avouer, nous avons perdu la tête. Certains sont partis en exode en Lybye, en Algérie, au Nigeria, en Cote-d ivoire au sud du Mali. Mais nous sommes revenus ici par amour de notre milieu et de notre élevage. Nous sommes convaincus de pouvoir renouer avec l élevage ; animal par animal, l espoir nous est revenu. )) * La réduction de l espace pastoral i( Tout avait commencé par la dégradation de cette vallée du Fleuve, la proliftération des cultures et l inondation qui ne venait plus. Les piturages ont diminué, de mauvaises plantes se sont développies... Avant il y avait des espaces vides, maintenant il y a partout des peuplements nouveaux. Des 84

DOCUMENT villages sont apparus, les bourgouttières sont devenues des rizières. Dans le Séno, les gens de la montagne sont descendus et ont pris possession des terres. Alors, on a choisi cet endroit pour l occuper et ne plus le quitter. )) (( Nous sommes un peuple en réhabilitation )) * Vulnérabilité (( L inventaire de nos dgficultés serait trop long car nous sonimes un peuple en réhabilitation. Mais il y en a une qui tranche : elle s appelle l eau - un puits. D * Maladie (( Les gens ont atteint un degré de baisse du revenu tel qu ils sont exposés à tout. Ils ne disposent plus de bêtes pour tirer l eau, de bêtes pour aller chercher des céréales, de revenus pour se vêtir. Ça se nianifeste au niveau des maladies avec le froid. >) * Défaut d héritage (( L ashiuf (dotation en pré-héritage) a niaintenant disparu. Il est rare. Ça a disparu en 1985. Ça avait déjà diminué en 1972. B * Difficultés pour se marier (( La pratique de la taggalt - la dot - est restée mais le fond est parti. Avant on donnait 20 génisses, maintenant 2 ou 3. Il est fréquent que les jeunes ne puissent plus se marier car on ne peut plus honorer les engagements. )) * La résistance - U Nous remercions I ODEM )) (1) (( Nous nous sommes refusés à l éclatement mais nous soinmes à la croisée des chemins. Ceux qui sont partis à l intérieur du Mali, on les a récupérés. Ceux qui était en niauvaise situation à l extérieur du Mali sont revenus... >) (( La communauté du disponible qui reste ici, c est ce qui nous fait vivre. Par exemple moi j ai 3 vaches laitières. Je partage le lait avec les familles déniunies. Si je vends un animal, j achète du grain, je le partage avec des familles démunies sans le vendre ou soumettre les autres à une quelconque récompense. Tout le monde utilise mon chameau de transport. B (1) Office pour le développement de l élevage dans la région de Mopti, dont le siège est à Sévaré. 85

L EAU Le projet * Stabilisation <( Les cycles de nomadisation auxquels nous étions habitués sont rompus, maintenant iious sommes quasiment stables ici. * Organisation de l espace (( Nous avons partagé notre territoire : l est est réservé pour la saison chaude, les mois de mars/avril, mai/jziin. L ouest est pâtziré de novembre à mars. L hivernage, tout est en pâture, mais en s éloignant le plus possible jusqu à 40 kilomètres sauf les laitières qui restent... i( Nous allons commencer à cultiver car ça aide à conserver le cheptel. )) * Hospitalité et ouverture de l espace N D autres éleveurs viennent ici, des Tamashek, des Peuls, des Maures. Ce sont les animaux qui ont quitté le delta. Tant qu il n y a pas d eau dans les mares, ils pivotent autour des puits ici. Nous sommes obligés de les accepter pour les pâturages et Peau. Ils viennent demander si on les accepte. Chacun est accepté s il n apporte pas de désordre. II y a un ordre. Chacun doit accepter la place qu on lui donne, ne pas couper la forzt, respecter l aire de transhumance, là il est accepté. N i( Avec nos voisitis en niai/juin on va chez eux car la nappe ici est tarie. Les animaux titubent, n arrivent plus à aller aux pâturages. Les animaux se couchent, ne peuvent plus se relever. Eux viennent chez nous en juin/jziillet car ils manquent de pâturages. Ce sont nos voisins. Avant de forer le puits on menait la même vie qu eux. Ils nous ont toujours acceptés au bord du lac. )) * Hospitalité et impératifs financiers (( On ne demande rien pour payer l eau. C est défendu de vendre l eau. Ce n est pas conforme au Coran. On n a pas le droit de vendre l eau. On fait payer pour chaque vache. Là on le fait car c est pour pouvoir obtenir un puits. N * Besoin d une aide i( Nous avons rompu avec le noniadisme et décidé de nous implanter définitivement ici. Il faut que les conditions d occupation du territoire soient remplies, qu il y ait des points d eau. )) (( Les paysans qui cultivent obtiennent quelque chose de leurs efforts. Pour nous élevezirs qui n avons presque plus de cheptel, nous savons que la restauration est possible et qu elle sera plus rapide si nous somines assistés dans cette restauration... )) u La tête de stabilité c est Peau. Nous et vous réunis et les bonnes volontés, nous croyons qu en résolvant le problème de l eau, nous parviendrons à restaurer le cheptel. )) 86

(( On a fondé tellement d espoirs. Mais on doute, on a reçu tellement de missions, tellement de promesses, tellenient de grands chefs que l on co?nzlnence à douter. )) Les gens croient qu n a des moyens que l on ne veut pas mettre à contribution. Nous sonimes disposés à laisser dénombrer notre cheptel, ce que nous avons, animal par animal par PODEM et à eux de dire ce que nous sommes capables de donner comme contribution pour l eau. )) I 87