Évaluation et traitement de l insomnie associée au cancer Josée Savard, Ph.D. Professeure titulaire École de psychologie, Université Laval Centre de recherche du CHU de Québec et Centre de recherche sur le cancer, Université Laval josee.savard@psy.ulaval.ca Suivez-moi sur : @Joseesavard
Difficultés de sommeil 3 types de difficultés: Difficultés à s endormir Difficultés à rester endormi Réveils trop tôt le matin Souvent mixtes www.ulaval.ca 2
Critères d un trouble d insomnie Durée d endormissement ou éveils nocturnes > 30 min Au moins 3 nuits/semaine Efficacité du sommeil < 85% durée totale de sommeil 6 hrs = 75% temps passé au lit 8 hrs Causent une détresse marquée ou une perturbation du fonctionnement quotidien Surviennent en dépit d opportunités adéquates de dormir Durée > 3 mois (entre 1 et 3 mois: épisodique; > 3 mois : persistante) Morin (1993), APA (2013) www.ulaval.ca 3
Prévalence de l insomnie : Études transversales Symptômes d insomnie: 30 à 50% Savard & Morin (2001), JCO Trouble d insomnie: Patients traités pour un cancer de la prostate: 18% Savard et al. (2005), Psycho-Oncology Patientes traitées pour un cancer du sein: 19% Savard et al. (2001), Sleep Insomnie chronique (> 6 mois): 95% des cas www.ulaval.ca 4
Étude épidémiologique longitudinale (n = 962) Savard et al. (2009), Journal of Clinical Oncology Savard et al. (2011), Journal of Clinical Oncology www.ulaval.ca 5
Répartition selon les types de cancer 34; 3% 81; 8% 23; 2% 118; 12% 269; 27% 469; 48% Sein Prostate Gynécologique Cou et tête Urinaire et GI Autre Savard et al. (2009, 2011), Journal of Clinical Oncology www.ulaval.ca 6
Overall Prevalence (%) of Insomnia Across Time 70 60 50 40 30 20 10 0 28 26 62 63 59% 59 54 52 36% 40 31 25 23 21 21 23 21 18 17 15 Syndrome Symptoms No symptoms Baseline 2 months 6 months 10 months 14 months 18 months Savard et al. (2009, 2011), Journal of Clinical Oncology www.ulaval.ca 7
Prevalence of Insomnia (%) Syndrome Across Cancer Sites and Time 40 35 30 25 36 31 30 29 25 26 29 27 24 25 Baseline 2 months 20 15 10 15 15 12 12 15 14 18 19 6 months 10 months 14 months 18 months 5 0 Breast Prostate Gyn Savard et al. (2009, 2011), Journal of Clinical Oncology www.ulaval.ca 8
Prevalence of Insomnia (%; syndrome and sx) Across Cancer Sites and Time 80 70 69 68 60 50 40 30 20 60 55 48 44 42 39 28 27 25 28 26 48 45 46 36 33 Baseline 2 months 6 months 10 months 14 months 18 months 10 0 Breast Prostate Gyn Savard et al. (2009, 2011), Journal of Clinical Oncology www.ulaval.ca 9
Definitions Persistent insomnia Syndrome Syndrome Remission Symptoms Symptoms Incidence No sx No sx Persistent good sleep Time Time +1 www.ulaval.ca 10
Incidence, Persistence, and Remission Rates Incidence First episode Total 14.4% 31.8% Persistence 50.7% Remission 45.8% Relapse 19.5% Total: combines first episodes and relapses while eliminating overlapping cases www.ulaval.ca 11 Savard et al. (2011), Journal of Clinical Oncology
Most Frequent Sleep Trajectories SY = Syndrome Sx = Symptoms GS = Good Sleepers Patients with Insomnia Syndrome 44.8% became SX 45.7% became GS at some time point Severity of Insomnia SY Sx GS 5.2% 2.9% 37.6% 3.3% 0 2 6 10 Time (months) 14 18 www.ulaval.ca 12 Savard et al. (2011), Journal of Clinical Oncology
Pourquoi l insomnie est-elle si fréquente chez les patients atteints de cancer? 3 types de facteurs étiologiques: Facteurs prédisposants: augmentent la vulnérabilité d un individu à souffrir d insomnie durant sa vie Facteurs précipitants: déclenchent un épisode d insomnie à un moment précis Facteurs de maintien: contribuent au maintien des difficultés dans le temps www.ulaval.ca 13
Facteurs prédisposants Genre féminin Tempérament anxieux Vieillissement Antécédents personnels ou familiaux de difficultés de sommeil Antécédents de troubles psychologiques Savard & Morin (2001), JCO Savard & Savard (2013), Sleep Med Clin www.ulaval.ca 14
Facteurs précipitants Réactions psychologiques: dx initial, récidive, traitements, etc. Traitements oncologiques Chirurgie: hospitalisation, effets secondaires (ex., douleur, nycturie) Chimiothérapie: effets secondaires (ex., nausées, fatigue), déficience hormones sexuelles (bouffées chaleur), perturbation rythmes circadiens Hormonothérapie: déficience hormones sexuelles (bouffées chaleur, douleur) Savard & Morin (2001), JCO Savard & Savard (2013), Sleep Med Clin www.ulaval.ca 15
Modèle de Spielman & Glovinsky (1991) Facteurs prédisposants Facteurs précipitants Facteurs de maintien INSOMNIE PAS D INSOMNIE Vulnérabilité Réaction aigüe Début des difficultés Difficultés chroniques www.ulaval.ca 16
Facteurs de maintien Mauvaises habitudes de sommeil Trop de temps passé au lit éveillé Horaire de sommeil irrégulier Siestes Activités incompatibles avec le sommeil dans la chambre à coucher Croyances erronées envers le sommeil J ai absolument besoin de dormir 8 heures pour bien fonctionner le lendemain. J étais de mauvaise humeur aujourd hui parce que je n ai pas bien dormi la nuit dernière. Si je ne dors pas bien, mon cancer va récidiver. www.ulaval.ca 17 Savard & Morin (2001), JCO Savard & Savard (2013), Sleep Med Clin
Mauvaises habitudes de sommeil e.g., siestes Désynchronisent l horloge biologique Affaiblissent l association entre la chambre à coucher et le sommeil Maintien des difficultés de sommeil dans le temps Fausses croyances envers le sommeil Si je ne dors pas bien, mon cancer va récidiver. Anxiété de performance Je dois absolument dormir.
Vicious Cycle of Performance Anxiety www.ulaval.ca 19
L insomnie n est PAS un problème banal Conséquences possibles Fatigue Difficultés de concentration/mémoire Perturbation du fonctionnement quotidien Difficultés psychologiques (dépression, anxiété, abus de substance) Comorbidité physique Utilisation accrue des services de santé Diminution de la qualité de vie Savard & Morin (2001), JCO Savard & Savard (2013), Sleep Med Clin www.ulaval.ca 20
Évaluation de l insomnie Aucun instrument spécifiquement développé pour les personnes atteintes de cancer Quelques instruments validés auprès de cette population: ISI, PSQI Devrait comprendre plusieurs méthodes: Entrevue clinique: Entrevue diagnostique de l insomnie; Duke Structured Interview for Sleep Disorders Autoenregistrement quotidien Questionnaires auto-administrés (Mesures objectives) www.ulaval.ca 21
Guide pancanadien de pratique Problèmes de sommeil (Howell et al., 2012) Élaboré par Groupe de travail consultatif national (groupe d experts) - consensus Collaboration: Partenariat canadien contre le cancer Association canadienne d oncologie psychosociale (ACOP) Guides: hébergés sur le site de l ACOP http://www.capo.ca/pdf/ Sleep_Disturbances_Guideline_Fre.pdf Mise à jour: aux 4 ans www.ulaval.ca 22
Guide de pratique Dépistage (Howell et al., 2012) Tous les professionnels, durant toute la trajectoire de soins. Étape 1: Item somnolence de l ESAS Sommeil rapporté à «Autre problème» > 0 ou Sommeil coché à Liste canadienne 2 questions additionnelles Avez-vous (régulièrement, depuis un mois, etc.) des problèmes de sommeil 3 nuits/semaine ou +? Si oui, effet négatif sur votre fonctionnement le jour ou votre qualité de vie? Ou Thermomètre de sommeil PROMIS www.ulaval.ca
Outil de dépistage de la détresse associée au cancer
Guide de pratique - Dépistage (suite) (Howell et al., 2012) Étape 2: Déterminer si le patient requiert une référence immédiate vers un spécialiste en vérifiant somnolence excessive (Epworth Sleepiness Scale; 10) et en posant questions ciblant la présence d autres troubles du sommeil (ex., mouvements périodiques des jambes, ronflement excessif, d épisodes d apnée du sommeil par autrui). www.ulaval.ca
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Diagnostic différentiel ICSD-2: 88 troubles d éveil-sommeil distincts (12 sous-types d insomnie) Plusieurs autres troubles du sommeil caractérisés par une plainte d insomnie Peu de données à savoir s ils sont plus prévalents dans contexte du cancer Primaire vs. secondaire (maintenant avec/sans comorbidité; NIH, 2005) www.ulaval.ca 27
Guide de pratique - Évaluation ciblée (Howell et al., 2012) Mesurer sévérité de l insomnie (Index de sévérité de l insomnie) et autoenregistrement Durée, fréquence Nature des problèmes de sommeil Facteurs de stress Facteurs de risque (fatigue, douleur, etc.) Condition comorbide (ex., dépression) Cause médicales: ex., corticostéroïdes, opiacés, alcool www.ulaval.ca
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Traitement pharmacologique : Le plus utilisé Paltiel et al. (2004; N = 909; 46% hospitalisés) 25.7% dernière semaine (tranquilisant/somnifère) Cancer du poumon: 42.5% Davidson et al. (2002; N = 982; ambulatoires) 21.5% (tranquilisant/somnifère) Casault et al. (2012; N = 1984; ambulatoires) Actuelle (rx pour sommeil): 22.6% Passée: 14.5% Durée moyenne: 58.1 mois www.ulaval.ca 31
Efficacité des hypnotiques Aucune étude dans contexte du cancer Certains appuis pour insomnie comorbide à un trouble psychologique (ex., dépression, TAG) et médical (e.g., péri and post-ménopause) Insomnie primaire (Holbrook et al., 2000): Améliorations importantes: Nombre d éveils Temps total de sommeil ( 61.8 min) Qualité du sommeil Petits effets: Latence d endormissement ( 4.2 min) Éveils nocturnes www.ulaval.ca 32
Limites du traitement pharmacologique Effets résiduels le jour suivant (surtout avec longue demi-vie): Somnolence Étourdissements fonctionnement cognitif/moteur Tolérance Dépendance (surtout psychologique) Modification de l architecture du sommeil; stade 2 and latence de sommeil REM sommeil à ondes lentes (profond) www.ulaval.ca 33
Recommandation (NIH, 2005) Utiliser les médications hypnotiques: Surtout pour insomnie transitoire et situationnelle Au dosage le plus faible possible À court terme (< 4 semaines) www.ulaval.ca 34
Traitement psychologique de l insomnie La thérapie cognitive-comportementale (TCC) est considérée comme le traitement de choix pour l insomnie primaire (NIH, 2005). L efficacité de la TCC a été démontrée chez les patients qui souffrent d insomnie comorbide à la douleur chronique (Currie et al., 2000), la fibromyalgie (Edinger et al., 2005) et à une condition médicale ou psychologique (Lichstein et al., 2000; Rybarczyk et al., 2002). www.ulaval.ca 35
TCC de l insomnie associée au cancer Études non contrôlées ou non randomisées: Davidson et al. (2001) Simeit et al. (2004) Étude à cas unique expérimentale: Quesnel, Savard et al. (2003) Études randomisées: Savard et al. (2005a; 2005b): multi TCC vs pas TCC Epstein et al. (2007) : multi TCC vs hygiène du sommeil et éducation Espie et al. (2008): multi TCC vs. TAU La TCC améliore le sommeil, diminue la détresse psychologique et améliore la qualité de vie. www.ulaval.ca 36
Guide de pratique Traitement (Howell et al., 2012) Combinaison d approches ciblant: Facteurs ayant contribué aux problèmes (ex., bouffées chaleur, douleur, nycturie) Facteurs contribuant à leur maintien: habitudes de sommeil néfastes, croyances dysfonctionnelles à propos du sommeil Traitement de choix: TCC de l insomnie Pharmacotx en attendant résultats de TCC avec sevrage ensuite ou pour cancer avancé www.ulaval.ca
Contrôle par le stimulus (Bootzin et al., 1991) Buts: Renforcer l association entre le sommeil et les indices qui mènent au sommeil (e.g., le lit, la chambre à coucher, l heure du coucher) Établir un cycle éveil/ sommeil régulier www.ulaval.ca 38
Application de la stratégie du contrôle par le stimulus (1) 1) Réservez au moins une heure pour vous détendre avant l heure du coucher Afin de diminuer l activation et induire la somnolence Faire des activités pour vous préparer au sommeil (e.g., lire, regarder la télé, écouter de la musique) 2) Allez au lit seulement lorsque vous êtes somnolent Somnolence fatigue www.ulaval.ca 39
Application de la stratégie du contrôle par le stimulus (2) 3) Si vous êtes incapable de vous endormir ou de vous rendormir à l intérieur de 20 à 30 minutes, quittez le lit et allez dans une autre pièce Faire des activités favorisant la somnolence Ne pas retourner au lit trop rapidement Répéter cette étape aussi souvent que nécessaire 4) Quittez le lit à la même heure chaque matin Utiliser un réveille-matin Même les fins de semaine et peu importe la quantité de sommeil obtenue www.ulaval.ca 40
Application de la stratégie du contrôle du stimulus (3) 5) Réservez votre chambre uniquement pour le sommeil et les activités sexuelles Éviter de manger, regarder la télé, travailler, naviguer sur Internet ou lire dans la chambre à coucher 6) Éviter de faire des siestes Faire des activités stimulantes lorsque la somnolence survient (e.g., prendre une marche) Si nécessaire: avant 15 h, dans le lit et durée de moins d une heure. Les autres règles doivent être respectées (e.g., sortir du lit si le sommeil ne survient pas à l intérieur de 20 à 30 min) www.ulaval.ca 41
Restriction du sommeil (Spielman et al., 1987) But: Maintenir le nombre d heures passées au lit le plus près possible du nombre d heures dormies, ce qui amènera une légère privation du sommeil (favorisant l endormissement) et un sommeil plus efficace. Application: Temps passé au lit réduit au temps total de sommeil selon l autoenregistrement Temps passé au lit augmenté graduellement (15 à 30 min) lorsque l ES > 85% www.ulaval.ca 42
Exemple d application de la restriction du sommeil Selon son journal de sommeil, Pierre allait au lit à 23 h et se levait à 8 h (temps passé au lit = 9 heures) s endormait vers minuit et restait réveillé 2 heures durant la nuit (temps dormi = 6 heures) Efficacité de son sommeil = 6/9 x 100 = 67% Nouvel horaire de sommeil : Pierre ira au lit à minuit et se lèvera à 6 h jusqu à ce que son efficacité de sommeil augmente à au moins 85% www.ulaval.ca 43
Restructuration cognitive (Morin, 1993) Buts: Identifier et modifier les pensées automatiques et les croyances erronées envers le sommeil, et réduire l anxiété de performance. Application: Identifier les pensées et les croyances erronées Questionner leur validité Les remplacer par des pensées plus réalistes www.ulaval.ca 44
Exemple de restructuration cognitive (1) «Si je ne dors pas 8 heures, je ne fonctionnerai pas bien le lendemain. Ai-je toujours vraiment besoin de 8 heures de sommeil pour bien fonctionner? Quelle est la pire chose qui pourrait arriver si je ne dors pas bien? Pensées réalistes: Les besoins en sommeil varient beaucoup d une personne à l autre et en fonction du temps. Même si je ne dors pas 8 heures, je serai quand même capable de bien fonctionner comme c est le cas habituellement. Je serai seulement plus somnolent à certains moments de la journée. www.ulaval.ca 45
Exemple de restructuration cognitive (2) «Si je ne dors pas bien, mon cancer va récidiver.» Quelles sont les preuves qui supportent ma pensée? Est-ce que tous les insomniaques ont une récidive de cancer? Est-ce que tous les bons dormeurs n ont pas une récidive de cancer? Pensées réalistes: Il n existe aucune preuve scientifique démontrant que l insomnie peut provoquer une récidive de cancer. Le cancer est une maladie complexe et une récidive est influencée par une multitude de facteurs (souvent inconnus). M inquiéter ne fait qu empirer mon insomnie. www.ulaval.ca 46
Hygiène du sommeil But: Fournir de l information sur les effets de facteurs environnementaux et de comportements de santé sur le sommeil. Application: Éviter la caféine 4 à 6 heures avant le coucher Éviter de fumer avant le coucher et lors des réveils la nuit Éviter de prendre de l alcool avant le coucher Éviter les repas lourds et le sucre avec le coucher Faire de l exercice physique régulièrement mais au bon moment Aménager sa chambre confortablement (température, bruit, lumière) Limiter l utilisation de médicaments pour dormir www.ulaval.ca 47
À retenir L insomnie est très fréquente chez les patients atteints de cancer. L insomnie est associée à plusieurs conséquences négatives. Ce sont des facteurs comportementaux et cognitifs qui expliquent le maintien de l insomnie dans le temps, et ce, peu importe ce qui les a causées au départ. La TCC, en modifiant ces comportements et pensées/croyances, permet d améliorer le sommeil, de diminuer la détresse psychologique et d améliorer la qualité de vie. www.ulaval.ca 48