LCL Arbaretier Cours N 5 : Napoléon, Jomini et Clausewitz Dans ce cours nous allons étudier les trois géants, stratèges et/ou stratégistes, du début du 19 e siècle. Ces trois personnages furent des contemporains qui servirent dans des camps différents mais qui, pour les deux derniers, cherchèrent à théoriser l art militaire du 19 e siècle pour en déduire une tactique et une stratégie adaptées aux moyens de leur époque. Napoléon n a rien écrit sur la guerre. On trouve simplement les nombreux témoignages des généraux ou maréchaux qui l ont accompagné au cours de son épopée et certains traits de sa personnalité : charisme, connaissance parfaite du terrain et des moyens dont il dispose, une érudition multiforme, une très riche correspondance avec ses ministres : exemple du Comte Mollien, son ministre des Finances et enfin Le mémorial de Sainte Hélène. On sait qu il a été marqué par ses lectures, en particulier celles concernant les grands hommes de l Antiquité dont César et Alexandre. Il lit les cartes géographiques et les apprend par cœur ainsi que les récits de voyages Enfin, il lit les derniers théoriciens de la guerre et notamment le Comte de Guibert. Il ne conçoit pas d art opératif et n envisage que la tactique et la stratégie. 1
Le vicomte de Chateaubriand fut un grand adversaire politique de Napoléon qu il admirait cependant comme Frédéric II était admiré par les philosophes du 18 e siècle. Napoléon a selon lui bouleversé par sa pratique les habitudes de l art de la guerre héritées du 18 e Siècle. Austerlitz représente bien l utilisation que Napoléon fait du choc, du feu et de la manœuvre chers à Guibert. Il attire les ennemis dans un piège puis compense sa faiblesse numérique globale par une supériorité locale qui lui permet de prendre l ascendant sur l ennemi. Il n hésite pas à intoxiquer l ennemi par des faux semblants, de manière à lui dicter sa manœuvre. Il a l audace des chefs de la Révolution et manœuvre contre des chefs ennemis divisés et souvent timorés. La campagne de Russie marque un tournant dans l époque napoléonienne. En 1812, il est à l apogée de sa puissance politique et ne devrait qu aspirer à la stabilité. Napoléon, comme plus tard Hitler, cherche à abattre l Angleterre à travers cette campagne de Russie qu il souhaite brève. Les armées sont trop nombreuses pour que son système hyper centralisé continue à fonctionner. Ses alliés autrichiens et prussiens sont peu fiables comme le montreront la paix de Tauroggen signée le 30 décembre 1812 par Clausewitz avec les Russes et la trahison du corps de Ludwig Yorck von Wartenburg. L avancée des troupes françaises dans les différentes phases de la concentration au début de la campagne est toutefois remarquable. 2
L Europe et l Egypte furent le théâtre de l épopée napoléonienne. Napoléon cherchait à remporter des victoires décisives et à signer des traités e paix avec ses adversaires de la veille. Jamais au début il n y avait plus de 100 000 homes sur un champ de bataille (60 000 hommes à Austerlitz) ; mais au fur et à mesure ces armées s agrandirent et à Leipzig il y eut 300 000 hommes. La campagne de Russie voit une Grand Armée de 600 000 hommes regroupant tous les contingents des armées alliées. Napoléon avait un projet politique visant à regrouper les pays européens sous son obédience et attribuant à ses propres frères des couronnes européennes : Louis en Hollande, Joseph à Naples puis en Espagne, Jérôme en Westphalie... Il dissout le Saint-Empire Romain Germanique en 1806. Il centralise tous les pouvoirs en ses mains et ne délègue pas De Moscou il continue à gouverner la France et à créer la Comédie Française. A Sainte Hélène, naît le mythe napoléonien. Sa défaite finale à Waterloo scelle son échec et l immortalise. Jomini est un citoyen helvétique, d abord banquier avant de devenir militaire Il est l aide de camp puis le chef d état-major de Ney. Il déteste Berthier et rêve de lui succéder. Il finit par trahir l Empereur qu il admire mais qui ne reconnaît pas ses talents pour aller servir le Tzar Alexandre, lui-même très francophile et très francophone. Son traité de grande tactique est ignoré par Napoléon. Son mérite est de fusionner les enseignements du 18 e siècle avec l expérience napoléonienne. Il est quelque part le père de la science stratégique contemporaine. Il ne philosophe pas mais étudie les aspects relatifs au travail d état-major. Jomini est aussi l inventeur de l art opératique. Il sait diviser la guerre en plusieurs fronts dont il sait qu ils doivent opérer indépendamment les uns des autres. Il influence les Américains bien qu il ait œuvré à établir l école de guerre russe. Il construit sa théorie sur l observation des batailles de Napoléon et de la guerre qu il a vécue dans le camp français jusqu en 1813 et dans le camp allié à partir de 1814. Il définit les campagnes au niveau opératif mais ne s intéresse pas au niveau politique de la guerre. Il reprend le concept de ligne d opération de Guibert et de plan de campagne. 3
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Clausewitz est issu de la noblesse militaire prussienne. Il participe à l ensemble des opérations contre les Français malgré l intermède de la Campagne de Russie où il négocie une paix séparée pour le corps prussien. Il participe à Waterloo. Il devient ensuite directeur de l école de Guerre prussienne. Les principes de Clausewitz intègrent le niveau politique. Il étudie les interactions entre le niveau tactique et la stratégie. Il définit le concept de centre de gravité d une attaque ou d une opération, voire d un plan de campagne. Enfin, il étudie la «petite guerre» et envisage la guerre totale qui inspirera l école allemande des 19 e et 20 e siècles. 5
On oppose souvent Jomini et Clausewitz. Jomini est présenté comme l héritier de la guerre du 18 e siècle alors que Clausewitz est souvent perçu comme étant un précurseur des futures guerres totales du 20 e siècle. 6