Idée débattue : Nous devons forcer les partis politiques à présenter autant de candidatures féminines que de candidatures masculine. Julie Miville- Dechêne Françoise Boivin Fatima Houda- Pepin LES FEMMES EN POLITIQUE Devant le constat d une faible représentation des femmes dans les chambres électives tant québécoise que canadienne, Julie Miville- Dechêne, présidente du Conseil du Statut de la femme, Françoise Boivin, députée du Nouveau Parti Démocratique à Ottawa et ancienne députée du Parti libéral du Canada, et Fatima Houda- Pepin, ancienne députée libérale de La Pinière à l Assemblée nationale du Québec et ancienne première vice- présidente de l Assemblée nationale, ont été invitées à se prononcer sur la nécessité de «forcer les partis politiques à présenter autant de candidatures féminines que de candidatures masculines». Si les deux premières ont présenté des positions nuancées sur l idée de l instauration de quotas pour la représentation féminine des élues, la dernière s est affirmée contre cette obligation. Tout d abord, Mme Miville- Dechêne n a pas pris position sur la question de l établissement d un quota de candidature féminine pour les partis dans la mesure où son organisation est actuellement en rédaction d un avis à ce sujet. Elle a tout d abord dressé un portrait de la représentation féminine à l Assemblée nationale et à la Chambre des communes, mentionnant que la situation n était «pas si drôle», alors que plusieurs éléments devraient jouer en leur faveur, telle que la très forte population féminine instruite et l obtention du droit de vote et d éligibilité depuis 75 ans au Québec. Pourtant, cette présence évolue assez lentement. En termes de solutions, un rapide portrait des avenues possibles a été brossé : limiter les dépenses dans les campagnes d investiture, récompenser les partis qui présentent plus de 30 % de femmes, récompenser les partis qui élisent plus de 30 % de femmes, refinancer le programme À égalité pour décider 1 ou autres programmes de formation, la valorisation de l articulation travail- famille pour les député.e.s, la réforme du mode de scrutin, les quotas légaux (une obligation de présenter un certain pourcentage de femmes) et les quotas partisans (un objectif du parti, sur une base volontaire). Elle souligne que les quotas partisans ont le désavantage d être plus ou moins efficaces, selon le poids du 1 Le programme À égalité pour décider «est un programme d aide financière qui vise à soutenir des projets qui ont pour but d accroître le nombre de femmes dans les postes décisionnels et dans les lieux de pouvoir locaux et régionaux. Un de ses objectifs est de réduire les obstacles qui empêchent les femmes de participer pleinement à l exercice du pouvoir, entre autres, en faisant la promotion de modèles de comportements égalitaires.» (Secrétariat à la condition féminine du Québec)
parti qui l adopte. Par exemple, Québec solidaire est la seule formation politique à avoir adopté une mesure de parité dans ses candidatures. Toutefois, l impact à l Assemblée nationale est évidemment proportionnel à son nombre de personnes élues. En ce qui a trait aux quotas légaux, elle mentionne qu ils suscitent une forte résistance, notamment chez les femmes, dans la mesure où demeure l idée qu ils sont incompatibles avec la compétence. Mme Miville- Dechêne rappelle toutefois qu il n y a aucune raison de croire que le bassin de femmes compétentes soit plus restreint que celui des hommes compétents. Par ailleurs, elle souligne qu une telle mesure devrait être provisoire, ayant une visée d action correctrice pour combattre les discriminations systémiques. Elle explique également que les quotas ont une efficacité relative à la sanction qui y est liée. Elle cite en exemple le cas français où les quotas sont beaucoup plus effectifs au niveau local qu au niveau national : au niveau local, une liste ne comptant pas un certain pourcentage de femme se voit retirée alors qu au niveau national, le parti ne respectant pas lesdits quotas se voit pénaliser d une amende. La plupart des partis préfèrent, au niveau national, s acquitter de l amende. Finalement, Julie Miville- Dechêne souligne que la question de la représentation politique doit être réfléchie en termes sociétaux. En effet, il est nécessaire de s intéresser aux racines des inégalités qui pèsent sur les femmes dans la multiplicité des aspects de leur vie. Mme Miville- Dechêne donne pour exemple les inégalités au sein des couples comme ayant un impact sur la capacité ou la possibilité des femmes de s engager en politique. Ensuite, Françoise Boivin a résumé sa position en disant qu elle était pour l idée d établir des quotas, mais qu elle n aurait pas aimé être élue en raison d une telle mesure. D emblée, elle rappelle que s il est nécessaire d augmenter le pourcentage de représentation féminine au sein des assemblées élues, celle- ci n est en rien garante de la défense de projets sociaux en faveur des femmes. Concernant les structures partisanes, elle souligne qu ayant évolué au sein de deux formations politiques différentes, elle peut affirmer que la question de l intégration et la valorisation des femmes au sein de la députation varie d un parti à un autre. Elle donne pour exemple le fait qu il existe des mesures d alternance des sexes au sein des instances du NPD. Malgré qu elle considère avoir fait, et faire encore aujourd hui, son chemin en politique sans penser à son sexe, elle considère qu une fois dans les structures partisanes et parlementaires, force est de constater qu il s agit de structures masculines, que ce soit en termes d attitudes ou même d organisation du temps. En amont même des questions d incitatifs à la présentation de candidature féminine, elle résume le défi des femmes en politique en trois étapes :
1- Elles doivent se choisir elles- mêmes. 2- Elles doivent être choisies dans les investitures de leur parti. 3- Elles doivent être élues. Si, selon Mme Boivin, les mêmes défis se posent pour un homme et une femme lors de la dernière étape, ce n est pas aussi simple pour les deux premières. Elle souligne également que plusieurs autres éléments se jouent en amont, notamment l éducation, la socialisation politique au sein de la famille, etc. Concernant plus précisément les quotas, elle rappelle qu il est difficile de les établir au niveau des candidatures : rien n est gagné si les femmes sont présentées dans les circonscriptions perdantes. Malgré tout, elle considère que si les quotas sont le «coup de pied» nécessaire à un changement, ils sont importants. Elle rappelle cependant qu il y a encore beaucoup de choses à changer dans les façons de penser pour intégrer les femmes dans le jeu politique et qu il s agit d un univers peu attirant puisque les partis peinent à trouver des gens, en général. En dernier lieu, Fatima Houda- Pepin s est montrée très défavorable à l imposition de quotas sous forme de prime aux partis qui présentent des candidatures. Elle résume son désaccord en expliquant qu elle a un malaise avec l idée de femmes candidates emmenant leur «dot» au parti. Selon elle, les partis politiques doivent plutôt jouer un rôle d exemple en adoptant des règles internes en matière d égalité, à l instar de la formation Québec solidaire. Elle ajoute que cet effort doit concerner l ensemble des instances du parti afin que la parité s installe dans l entièreté de la hiérarchie. Plus encore, les partis doivent faire élire ces femmes et mettre de l avant des politiques favorisant l agenda des femmes, tant en termes économique que social. Elle considère toutefois que l imposition de quotas légaux dans les pays en développement serait nécessaire car la place des femmes y est beaucoup plus marginale en raison du poids plus lourd du patriarcat. Elle rappelle que si des barrières importantes se dressent devant les femmes qui désirent s impliquer en politique, elles sont d autant plus grandes devant certains groupes plus particuliers : les jeunes femmes, les femmes immigrantes, les femmes autochtones, etc. Dans la période d échange, Mme Miville- Dechêne a d ailleurs appuyé ses propos. Mme Houda- Pepin affirme qu il faut nuancer l idée que les femmes sont importantes dans les assemblées, car elles font de la politique autrement. D une part, si celles- ci peuvent apporter des préoccupations, des sensibilités ou des expériences différentes,
en tant que femmes, elles sont tout de même sujettes à la ligne de parti, à l instar de leurs collègues. Finalement, après avoir rendu un hommage aux suffragettes québécoises, elle termine en soulignant que le simple fait d emmener plus de femmes vers la politique ne peut être suffisant. Des changements plus larges doivent animer la société pour permettre une plus grande égalité. Lors de la période d échange entre les panélistes et de la période de questions, les principales thématiques abordées ont été l idée de faire la politique autrement, la partisannerie comme frein au changement et l imposition des quotas par l État via le financement public des partis. Concernant l idée que les femmes font la politique autrement, Mme Miville- Dechêne a tenu à rappeler qu il fallait éviter l écueil d une pensée naturaliste, en ce sens où les femmes ne font pas la politique différemment en raison de leur sexe, mais bien en raison de leurs expériences différentes en termes de genre. De plus, dans une assemblée paritaire, elle souligne qu il y aurait toute sorte de femmes, féministes ou non. Elle ajoute qu on pourrait y compter des femmes plus ou moins compétentes, tout comme on y retrouve des hommes plus ou moins compétents. Selon elle, les femmes ne peuvent visiblement pas faire de la politique différemment, constatant qu il y a assez peu d alliances de députées interpartis. Dans la même veine, Mme Boivin appuie également l idée que la présence des femmes dans les assemblées n entraîne pas nécessairement des avancées pour la condition des femmes. Par ailleurs, lorsqu on leur a demandé de se prononcer sur l idée de refonder le politique sur des bases dénuées de domination masculine pour permettre aux femmes de prendre place dans cet univers, Mme Miville- Dechêne et Mme Boivin ont mobilisé le dilemme de «la poule ou l œuf». Elles ont souligné que la présence des femmes y est nécessaire pour en modifier les bases, mais que les bases doivent également être modifiées pour y accueillir plus de femmes. Faisant suite à l idée des alliances interpartis, Mme Houda- Pepin raconte qu elle a elle- même vécu quelques difficultés dans la mise sur place du Cercle des femmes parlementaires à l Assemblée nationale. Si ce cercle visait à permettre un lieu de discussion et d avancée pour les députées, les travaux ont rapidement été teintés par les enjeux partisans de l heure, empêchant la discussion entre les élues. Toutefois, après un travail acharné, celles- ci ont réussi à établir des consensus sur des thématiques non- partisanes. De la salle, Mme Louise Harel, qui a été ministre de la Condition féminine lors de périodes effervescentes (notamment lors des discussions sur la Loi sur l équité salariale), a déploré que le concept de genre et la solidarité des femmes parlementaires soient en perte de vitesse à l Assemblée. Elle rappelle que dans les années 80,
puisqu elles n étaient que huit élues, celles- ci n ont pas eu d autres choix que de se serrer les coudes pour faire avancer leur agenda, leur ayant permis des «pas de géantes» (le partage du patrimoine, l abandon des poursuites contre le Dr Morgantaler, l équité salariale, etc.). Dans la même foulée, celle- ci s est prononcée en faveur des quotas. Finalement, dans la période de questions, une participante au colloque a amené la proposition qu un minimum de candidature féminine soit exigé légalement en se fondant sur le fait que les partis reçoivent majoritairement du financement public. Les trois panélistes ont déclaré que ce serait là une avenue intéressante. Mme Boivin a précisé par ailleurs que la réalité ottavienne est différente dans la mesure où le financement public a été aboli au palier fédéral.