Ministère de l Economie, de l Industrie et de l Emploi Ministère du Travail, des Relations Sociales, de la Famille, de la Solidarité et de la Ville Direction de l animation de la recherche, des études et des statistiques Mission Animation de la Recherche 39-43, quai André Citroën 75902 Paris Cedex 15 Date : 3 juin 2010 Affaire suivie par : Michaël Orand Courriel : michael.orand@travail.gouv.fr Réf. : 2010 / n 52 Objet : Présentation des résultats des recherches sélectionnées dans le cadre de l appel à projets de recherche «Mobilité Professionnelle». Dans le cadre de l appel à projets de recherche concernant la mobilité professionnelle, quatre projets avaient été retenus, ceux des équipes du Centre Maurice Halbwachs (CMH), du Groupement de Recherche en Economie Quantitative d Aix-Marseille (GREQAM) du Groupe d Analyse et de Théorie Economique (GATE), et du Centre d Economie de la Sorbonne (CES). Cette note présente les résultats obtenus par les différentes équipes et disponibles depuis janvier 2010. Projet du Centre Maurice Halbwachs : «Fragilisation ou renforcement des plafonds de verre dans les restructurations?», coordonné par Sophie Pochic. Le travail du Centre Maurice Halbwachs porte sur la mobilité professionnelle des cadres au sein de Gaz de France et de ses filiales en Angleterre et en Hongrie, en s'intéressant en particulier au phénomène de «plafond de verre», qui empêche certaines catégories de salariés, notamment les femmes, d'accéder aux postes les plus élevés de la hiérarchie. Ce phénomène est étudié dans le contexte des fortes restructurations qui ont accompagné l ouverture à la concurrence du marché de l énergie dans ces trois pays. Les questions posées sont les suivantes : ces restructurations ont-elles renforcé les plafonds de verre existants? Ou au contraire ont-elles créé de nouvelles opportunités (via la mobilité internationale notamment) qui ont permis de réduire l importance de ces plafonds? À partir d une étude quantitative réalisée conjointement avec les services de gestion des Ressources Humaines de l entreprise et d une série d entretiens en face à face (73 en France, 21 en Angleterre, et 20 en Hongrie), les auteurs étudient les trajectoires de carrière des cadres au sein de l entreprise. Cette étude met en avant l existence de deux types de plafond de verre. Le premier concerne les femmes cadres. En effet, bien que la féminisation des cadres au sein de l entreprise soit un phénomène réel, il reste relativement limité. En particulier, l accès aux postes d encadrement supérieur reste très difficile pour les femmes. Une des explications de ce phénomène tient au modèle de carrière dominant en vigueur, qui exige une forte disponibilité et une mobilité géographique importante, en particulier dans les premières années de carrière.
Si ce modèle convient bien aux ingénieurs diplômés de Grandes Ecoles, souvent mariés à des femmes inactives, il est plus difficile pour les femmes, et en particulier pour celles ayant des enfants, de répondre à ces contraintes. Par ailleurs, même les femmes qui parviennent à se conformer à ce modèle de carrière font l expérience d un plafond de verre lorsqu il s agit d accéder à des postes de direction, dès lors qu entrent en jeu les normes informelles de carrière : phénomènes de cooptation, de réseaux etc. L autre type de plafond de verre mis en évidence par les auteurs est lié au diplôme initial. Celui-ci possède un poids encore très important dans la progression de la carrière des cadres et est un élément très fort d inégalité au sein de Gaz de France. Si le recrutement des cadres s est ouvert aux écoles de commerce, aux petites écoles d ingénieurs et à l Université, et n est plus comme auparavant essentiellement limité aux Grandes Ecoles d ingénieurs, il reste cependant plus difficile de progresser dans la hiérarchie sans un diplôme de Grande Ecole. La dérégulation des marchés de l énergie amorcée au début des années 1990 a renforcé les phénomènes de plafond de verre en Angleterre et en Hongrie. Dans ces deux pays, la principale conséquence de cette dérégulation des marchés de l énergie a été en effet la réduction des effectifs dans les entreprises de ce secteur 1 (près de 50% d effectifs en moins). Bien que ces réductions drastiques aient principalement touché les travailleurs les moins qualifiés, les cadres ont également subi des diminutions d effectifs importantes. Une des conséquences a été une élévation générale de l exigence en terme de niveau du diplôme, dont les premières victimes ont été les cadres issus de la promotion interne, tant en Hongrie qu en Angleterre. Une autre conséquence a été le renforcement des exigences en terme de disponibilité et de mobilité des cadres, qui a renforcé le modèle de carrière préexistant, aussi bien dans les filiales que dans la maison-mère. Mécaniquement, le phénomène de plafond de verre qu il provoquait s est vu lui aussi renforcé par ces restructurations. En outre, l apparition de nouveaux métiers, en particulier tertiaires, pourtant plus féminisés que les métiers traditionnels du secteur énergétique n a pas permis de lutter contre le plafond de verre. Les nouvelles opportunités offertes par les restructurations en cours dans le secteur de l énergie concernent les carrières internationales. Mais, ces nouvelles formes de mobilité sont fondées sur les mêmes schémas que ceux en vigueur pour la promotion sur le territoire national (phénomènes de réseaux, cooptation par les pairs) et elles reproduisent les inégalités professionnelles préexistantes : les cadres issus de la promotion et les femmes sont moins sélectionnés pour des postes à l étranger, notamment à cause des difficultés à se conformer aux contraintes familiales que cela implique. Une nouvelle forme d inégalité apparaît également avec les opportunités de carrière à l étranger, entre les salariés de la maison-mère et les salariés des filiales. Alors que les phénomènes d expatriation sont nombreux, en particulier pour des cadres en fin de carrière qui se voient ainsi offrir un «bâton de maréchal» ou pour des jeunes cadres intervenant sur des missions précises et plus courtes (pour un achat par exemple), les phénomènes d «impatriation 2», au contraire, restent très limités. Ces derniers se faisant sur des périodes souvent plus courtes que les expatriations, ils ne permettent pas aux cadres des filiales de se déplacer en famille et n offrent pas de réelles opportunités de carrière. Projet du GREQAM : «Mobilité résidentielle des locataires HLM d origine étrangère et emploi», coordonné par Pierre-Philippe Combes. Le travail de l équipe du GREQAM cherche à expliquer pourquoi le différentiel de taux de chômage entre les personnes d'origine africaine et le reste de la population augmente avec la densité de l'aire urbaine (à l'exception de l'agglomération parisienne). Ils mettent en évidence des pratiques discriminatoires à la fois sur le marché du logement et sur le 1 Cela n est pas aussi vrai en France, tout du moins en 2007, avant la fusion entre Gaz De France et Suez 2 Les auteurs parlent d «impatriation» lorsqu un salarié d une filiales vient travailler pour la maison mère.
marché du travail, dont la conjonction explique pourquoi les individus d'origine africaine connaissent une différence de taux de chômage accrue dans les grandes agglomérations. Dans un premier temps, les auteurs étudient le marché du logement. Les individus d origine africaine sont surreprésentés dans le parc locatif public par rapport au reste de la population, mais n expriment pas de préférence particulière pour ce type de logement. Les auteurs font donc l hypothèse que cette situation est liée à une discrimination qui empêcherait les individus d origine africaine de sortir des logements sociaux. La discrimination testée est dite «à la Becker» dans la mesure où les propriétaires de logements discriminent les personnes d origine africaine sur le marché privé, non pas parce qu ils ont des préjugés négatifs à leur égard, mais parce qu ils tiennent compte du fait que les autres habitants en ont. Les auteurs montrent, à l aide de l enquête Logement de l Insee, que les individus d origine africaine ont une probabilité moindre d occuper un logement dans un immeuble possédé par un propriétaire unique, ce qui est une conséquence de ce type de discrimination. Dans un deuxième temps, les auteurs analysent le marché du travail, où les individus d origine africaine ont des taux de chômage plus élevés avec un différentiel qui croît avec la densité de l aire urbaine (avec une exception pour l agglomération parisienne cependant). L hypothèse examinée pour expliquer ce phénomène est celle d une discrimination des employeurs reflétant les préjugés d une partie de la clientèle. Sous cette hypothèse, le modèle développé par les auteurs prédit que le taux de chômage de la population discriminée est positivement corrélé au produit de la proportion d emplois en contact avec la clientèle et la proportion d individus potentiellement discriminants dans la zone d emploi. En recourant aux données de l Enquête Formation et Qualification Professionnelle, ils trouvent bien une corrélation positive entre ces variables 3. Cette corrélation explique également l augmentation du différentiel de taux de chômage avec la densité de la zone d emploi : en effet, si la proportion d emplois en contact avec la clientèle augmente avec la densité, et la part de consommateurs potentiellement discriminants diminue avec la densité, le produit des deux variables augmente avec la densité et provoque donc une augmentation du taux de chômage. Dans un troisième temps, les auteurs étudient conjointement les deux marchés de l emploi et du logement, en observant les transitions entre différents états d activité (emploi / chômage) et différentes zones de résidence (grandes agglomérations, petites villes), pour les individus d origine africaine et le reste de la population. Ils obtiennent notamment les résultats suivants : les Français qui ont trouvé un emploi hors de leur zone de résidence ont deux fois plus de chances de trouver également un logement que les Africains dans la même situation ; les individus d origine africaine ont deux fois plus de chances d obtenir un logement dans une grande agglomération sans y avoir trouvé d emploi que les Français ; pour les petites agglomérations au contraire, les individus d origine africaine ont une probabilité moindre que le reste de la population de trouver un logement sans avoir également trouvé un emploi. Globalement, les auteurs trouvent des différences plus grandes sur le marché du logement que sur le marché de l emploi. Projet du GATE-Lyon II : «Statut résidentiel et Mobilité sur le marché du travail», coordonné par Nathalie Havet. Le rapport du GATE-Lyon II étudie d un point de vue général les liens entre le statut résidentiel (propriétaire ou locataire) et la mobilité professionnelle. L étude porte à la fois sur la France, à partir du Panel Européen des Ménages, et sur les Etats-Unis, à partir des données du Panel Study of Income Dynamics. La littérature sur le sujet de l influence de 3 Pour estimer la proportion d individus potentiellement discriminants, les auteurs utilisent plusieurs proxys (Français de naissance de plus de 50 ans qui occupent/occupaient des emplois d agriculteurs, artisans ou ouvriers, Français de naissance de plus de 50 ans qui n ont pas le baccalauréat, et électeurs du Front National pour les élections présidentielles de 2002) qui aboutissent à des résultats similaires.
la propriété immobilière sur la mobilité géographique et professionnelle est contradictoire. Oswald 4, à partir de données agrégées au niveau infra-national et national, obtient une corrélation positive entre taux de chômage et proportion de propriétaires. En revanche, des travaux plus récents (Munch et al. 5 pour le Danemark notamment) nuancent la vision négative d Oswald, en soulignant par exemple que les propriétaires sortent plus facilement du chômage lorsque l on regarde les emplois n impliquant pas de mobilité géographique. Le travail de l équipe du GATE fournit de nouveaux éléments pour alimenter ce débat, aussi bien pour la France que pour les Etats-Unis. Dans un premier temps, les auteurs étudient le lien entre propriété immobilière et durée du chômage. Lorsqu on observe la sortie globale vers l emploi, on ne constate pas d effet du fait d être propriétaire de son logement, aussi bien pour la France que pour les Etats- Unis. Ce résultat est en désaccord avec ceux obtenus par d autres études, notamment celle de Munch et al. sur le Danemark, qui concluait à une durée plus courte des épisodes de chômage pour les propriétaires, mais est compatible avec l absence de différence constatée par Battu et al. pour le Royaume-Uni 6. Les auteurs estiment ensuite l impact de la propriété immobilière en séparant les sorties vers un emploi impliquant une mobilité géographique et les sorties vers un emploi sans mobilité géographique associée (uniquement pour la France). Ils constatent un effet négatif de la variable «propriétaire» sur le taux de hasard pour les sorties avec mobilité et non significatif pour les sorties sans mobilité. Ce résulat est plus conforme aux résultats de Munch et al., mais la taille de l échantillon utilisé pour cette estimation est assez faible, et les résultats gagneraient à être confirmés par une estimation sur des échantillons plus importants. Dans un deuxième temps, les auteurs cherchent à évaluer l impact de la propriété immobilière sur la durée de l emploi. Ils observent pour cela différents types de transitions : emploi vers emploi, emploi vers chômage, ou emploi vers inactivité. Pour les Etats-Unis, le fait d être propriétaire n a d impact significatif sur aucun des trois types de transition. Pour la France en revanche, on observe des effets négatifs et statistiquement significatifs sur les transitions emploi-emploi et emploi-chômage. En observant uniquement les transitions emploi-emploi et en distinguant à nouveau les transitions associées à une mobilité géographique et celles n impliquant pas de mobilité, on constate une influence négative du fait d être propriétaire pour les transitions avec mobilité, et pas d effet significatif pour les transitions sans mobilité. Globalement, on constate donc que les propriétaires ont une mobilité plus réduite que le reste de la population, en particulier en ce qui concerne les transitions d un emploi vers un autre emploi. On peut donc s interroger sur le fait que cette mobilité réduite affecte la qualité des appariements à l emploi des propriétaires. Pour tester cela, les auteurs étudient l impact du fait d être propriétaire sur les salaires. Encore une fois, l effet obtenu est non significatif pour les Etats-Unis. Pour la France, l effet de la propriété immobilière sur les salaires est positif et statistiquement significatif : toutes choses égales par ailleurs, les propriétaires ont des salaires plus élevés que les locataires. En conclusion, le rapport présenté par le GATE montre que si aux Etats-Unis, les propriétaires et les locataires semblent avoir des comportements assez semblables sur le marché du travail, ce n est pas le cas pour la France. En particulier deux effets négatifs semblent associés à la propriété immobilière en France : les propriétaires au chômage sont moins enclins à déménager pour trouver un nouvel emploi et les propriétaires déjà en emploi déménagent moins que les locataires pour changer d emploi. Cependant, cette 4 Oswald, A. «A conjecture on the explanation for high unemployment in the industrialised nations : part 1» (1996), «The misssing piece of unemployment puzzle» (1998), «The Housing Market and Europe s Unemployment : a Non-Technical Paper» (1999) 5 Munch, J-R, Rosholm, M. & Svarer, M. (2006), «Are Home Owners really more unemployed?», The Economic Journal 110 6 Battu, H., Ma, A. & Phimister, E. (2008) «Housing Tenure, Job Mobility and Unemployment in the UK», The Economic Journal 118
plus faible mobilité des propriétaires ne doit pas être perçue que négativement, puisque les salaires des propriétaires sont plus élevés que ceux des locataires, ce qui tendrait à montrer un appariement à l emploi de meilleure qualité. On peut expliquer cela en prenant la question dans l autre sens : devenir propriétaire étant un investissement coûteux et risqué, on ne décide de devenir propriétaire qu une fois que l on a un appariement à l emploi jugé suffisamment correct, ce qui est conforme avec le fait que la part de propriétaires croît avec l âge des individus. Projet du Centre d Economie de la Sorbonne : «Mobilité et inégalités de revenu de long terme», coordonné par Jean-Marc Robin. Le rapport du Centre d Economie de la Sorbonne est consacré à l étude de la mobilité salariale, et cherche en particulier à étudier la «force égalisatrice» de cette mobilité, c est-à-dire le fait que les évolutions différentes des individus dans l échelle des salaires (le passage par des épisodes de chômage notamment) réduisent les inégalités de salaire sur le long terme. L idée principale de ce travail est de comparer une mesure de l inégalité de salaire à un moment donné avec la même mesure effectuée à partir d une agrégation des revenus sur le long terme, afin d éviter des artefacts liés à l utilisation de données en coupe. Pour cela, les auteurs construisent des modèles de revenus intégrant notamment les mobilités au sein de l échelle des salaires et des transitions emploichômage. Ces modèles permettent ensuite de prolonger des trajectoires de revenus pour les individus observés et de construire des revenus de long terme, à différents horizons. Le rapport présente deux volets. Le premier volet est une étude de l impact de la mobilité salariale pour la France uniquement. A partir de l Enquête Emploi (1997-1999), trois mesures de l inégalité salariale sont calculées : variance de la distribution, indice de Gini et ratio entre le 9 ème décile et le 1 er décile. Le rapport entre ces inégalités calculées à partir des revenus de long terme et à partir des données en coupe est inférieur à 1, ce qui prouve la force égalisatrice de la mobilité salariale. Les auteurs ont également simulé les revenus de long terme pour divers horizons : 1 an, 5 an, 10 ans et à horizon infini. La comparaison des indices d inégalité pour ces différents horizons montre que plus l on prend un horizon lointain, moins les inégalités sont fortes, ce qui confirme à nouveau la force égalisatrice de la mobilité dans l échelle des salaires. Le deuxième volet est une comparaison internationale entre la France, l Allemagne, le Royaume-Uni, le Canada et les Etats-Unis. Les données utilisées par les auteurs sont l Enquête Emploi (1997-1999) pour la France, le Survey of Labour Income Dynamics (1996-2001) pour le Canada, le Survey of Income and Program Participation (1996-1999) pour les Etats-Unis, le German Socio-Economic Panel (1995-2001) pour l Allemagne et le British Household Panel Survey (1995-2001) pour la Grande-Bretagne. Les auteurs procèdent comme précédemment, en calculant deux statistiques d inégalité (ratio entre le 9 ème et le 1 er décile et indice de Gini) pour les données en coupe de l année 1998 d une part et pour les revenus calculés à un horizon infini d autre part. Ils constatent que si les différences entre pays sont fortes en 1998 (les Etats-Unis étant le pays le plus inégalitaire, suivi du Canada, puis de la Grande-Bretagne et enfin de l Allemagne et de la France), ces différences entre pays tendent à s estomper sur le long terme. Ainsi, les pays les plus inégalitaires sont aussi ceux pour lesquels la force égalisatrice de la mobilité salariale est la plus forte.