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Transcription:

LES ARRETS DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L HOMME CLEFS DE LECTURE ARRET CHAPIN ET CHARPENTIER C. FRANCE (req. n 40183/07), le 9 juin 2016 http://hudoc.echr.coe.int/eng#{"itemid":["001-163436"]} ARTICLE 8 combiné avec l ARTICLE 14 ARTICLE 12 combiné avec l ARTICLE 14 Dans l affaire Chapin et Charpentier c. France, les requérants allèguent que l annulation de leur mariage en raison de leur orientation sexuelle a entraîné une violation de l article 12 combiné à l article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l homme et des libertés fondamentales (la Convention) ainsi que de l article 8 combiné à l article 14 de la Convention. La Cour estime qu en l absence de consensus européen sur la question des mariages entre personnes de même sexe, l Etat n a pas outrepassé sa marge de manœuvre en annulant le mariage des requérants, et que de plus, la loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples homosexuels permettait à présent aux requérants de se marier. Elle conclut ainsi à une non-violation des deux articles invoqués.

L affaire concerne l annulation du LES FAITS mariage d un couple de même sexe, conclu avant l adoption de la loi «mariage pour tous» en France. LA PROCEDURE SUIVIE DEVANT LES JURIDICTIONS FRANÇAISES En mai 2004, les requérants, que sont M. Chapin et M. Carpentier, déposèrent un dossier de demande de mariage auprès des services de l état civil d une mairie. À la suite de la publication des bans de mariage, le procureur de la République près le tribunal de grande instance (TGI) de Bordeaux fit notifier son opposition à cette union. Toutefois, le mariage fut célébré et transcrit dans les registres de l état civil. Le procureur de la République fit assigner les requérants devant le TGI pour une demande en nullité du mariage. Le tribunal fit droit à cette demande. Puis, la cour d appel de Bordeaux confirma le jugement en notant tout d abord que «la législation française permettait, notamment au travers du concubinage et du pacte civil de solidarité, ouverts aux personnes de même sexe ou de sexe différent, «de multiples possibilités de la vie en couple, avec ou sans enfant, la loi assurant une égale protection pour tous, avec jurisprudence adaptée, droits égaux pour les enfants», si bien qu elle ne découvrait «aucune discrimination dans le droit de fonder un couple, de vivre en couple, de même sexe ou de sexe différent, ni de fonder une famille librement choisie naturelle ou légitime, avec possibilité d adoption» ; puis par ailleurs «qu il ne lui appartenait pas de trancher un problème de société qui ne pouvait que faire l objet d un débat politique et d une intervention du législateur». Enfin, la Cour de cassation rejeta le pourvoi des requérants. SUR LE FOND Sur la violation alléguée de l article 12 combiné avec l article 14 de la Convention Les requérants estiment que le fait de limiter le mariage aux personnes de sexe différent porte une atteinte discriminatoire (article 14) au droit de se marier (article 12).

Pour fonder son appréciation, la Cour se réfère à l arrêt Schalk et Kopf c. Autriche dans lequel elle avait estimé que «si l institution du mariage avait été profondément bouleversée par l évolution de la société depuis l adoption de la Convention, il n existait pas de consensus européen sur la question du mariage homosexuel» ( 36). De ce fait, bien qu elle reconnaisse que l article 12 s applique, la Cour estime que l autorisation ou l interdiction du mariage homosexuel était régie par les lois nationales des Etats contractants. Elle a également affirmé, dans l arrêt Oliari et autres c. Italie, que ces conclusions restaient valables malgré l évolution graduelle des Etats en la matière. Ainsi, rappelant son raisonnement dans l arrêt précité ; à savoir que pas plus que l article 12, l article 14 combiné avec l article 8, ne pouvait s interpréter comme imposant aux Etats contractants l obligation d ouvrir le mariage aux couples homosexuels, et donc que cette approche était également valable pour l article 12 combiné avec l article 14 ; la Cour ne voit aucune raison d arriver à une conclusion différente dans la présente affaire. De plus, la Cour note que depuis l introduction de la requête, la loi du 17 mai 2013 a ouvert le mariage aux couples de même sexe, et qu ainsi les requérants sont désormais libres de contracter mariage. La Cour conclut ainsi à une non-violation de l article 12 combiné avec l article 14 de la Convention. Sur la violation alléguée de l article 8 combiné avec l article 14 de la Convention Les requérants estiment avoir été victimes, dans l exercice de leur droit au respect de leur vie privée et familiale (article 8), d une discrimination (article 14) fondée sur leur orientation sexuelle. La Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle les Etats demeurent libres au regard de l article 14 combiné avec l article 8 de n ouvrir le mariage qu aux couples hétérosexuels en ce qu ils bénéficient d une certaine marge d appréciation pour décider de la nature exacte du statut conféré par les autres modes de reconnaissance juridique. Ce faisant, elle note que malgré le fait que les requérants ne pouvaient se marier, ils pouvaient néanmoins conclure un pacte civil de solidarité prévu par le droit français. Ainsi, et bien que les requérants fassent valoir les différences existant entre le régime du mariage et celui du pacte civil de solidarité, la Cour réitère qu elle n a pas à se prononcer en l espèce sur chacune de ces différences de manière détaillée. De plus, «elle note [ ] que ces différences correspondent dans l ensemble à la tendance observée dans d autres Etats membres et ne discerne nul signe indiquant que l Etat défendeur aurait outrepassé sa marge

d appréciation dans le choix qu il a fait des droits et obligations conférés par le pacte civil de solidarité» ( 51). Enfin, la Cour note à nouveau que désormais le droit français ouvre le mariage aux couples homosexuels et que les requérants sont ainsi libres de se marier. La Cour conclut ainsi à une non-violation de l article 8 combiné avec l article 14 de la Convention. La Cour conclut à l unanimité à une SOLUTION APPORTEE non-violation de l article 12 combiné PAR LA COUR avec l article 14 de la Convention ainsi qu à une non-violation de l article 8 combiné avec l article 14 de la Convention.

Avertissement Ce document a été écrit par le secrétariat général de la Commission nationale consultative des droits de l homme, et n est pas un document officiel de la Cour européenne des droits de l homme. Il s inscrit dans les missions de la CNCDH d éducation et de suivi du respect de ses engagements internationaux par la France.