Le langage en maternelle 23/11/2011 (Tarascon) M. BOISSEAU 1) La construction du langage chez l enfant (interaction et syntaxe) a. Interaction L interaction est différente des techniques d animation de groupe. Pour qu elle soit efficace, il est nécessaire de laisser le maximum de place aux enfants. Ce sont des petits détails qui vont assurer l efficacité de ces interactions. Il ne faut pas limiter l interaction à l incitation à prendre la parole, à produire une grande quantité d oral. La recherche de la qualité est incontournable. Pour cela, il est important et nécessaire de mettre en place des feedbacks réguliers. L organisation en grand groupe n est pas le meilleur choix pour favoriser ce type de travail car il faut régulièrement interagir au niveau des enfants les plus en difficulté. La solution, passe par la mise en œuvre d actions interindividuelles dans les temps d accueil notamment. C est fugace, mais efficace car l interaction est maximale. Il y a 40 ans, Laurence LENTIN préconisait ce type d organisation. Il y a 20 ans, le développement du travail en petits groupes de langage a commencé à être préconisé. Il est important de travailler avec les 3 ans, car c est le moment le plus approprié. Cependant, plus tard, ce n est pas trop tard. Le choix des bons créneaux horaire est important pour une meilleure efficacité. On retiendra par exemple que les groupes de soutien le matin avec reprise des activités dans la journée est l une des organisations les plus efficaces. A l inverse, on évitera le créneau entre midi et deux. Après 16 h 30, les actions mises en place ne seront pas vraiment efficaces, mais il est possible d envisager ce type d organisation pour les petits si c est après la sieste. b. Quelques exemples : L infrastructure à deux mots de deux syllabes des enfants de 2 ans (consonnevoyelle, consonne-voyelle) est un modèle universel, propre à toutes les langues. L interaction permettra de passer de la structure de base à la spécificité de chaque langue. 2 ans A partir de la production «cassée (v)oitu(re)», on peut avoir 2 types d action : - l enseignant(e) va reformuler «Ah, elle est cassée ta voiture». L interaction prend ici la forme d un feedback qui s ancre dans ce qui a été dit par l enfant, mais permet de glisser vers une formulation orale «correcte». Cette reformulation, cette construction, est accessible pour l enfant. Il n est pas nécessaire de faire répéter. Par contre, il est important que la reformulation soit bien articulée. L objectif de la reformulation est de grammaticaliser la production de l enfant, de structurer son discours. Lors du feedback, on recherchera la qualité par des apports successifs qui assureront les progrès syntaxiques. Page 1 sur 6
Les élèves pourront répéter s ils le souhaitent, mais ils ne seront pas obligés. Le simple fait de poser le feedback suffit. - Une autre option est de proposer une relance sous la forme «Pourquoi elle est cassée ta voiture?». Celle-ci permettra de favoriser la quantité de production. Ces deux types d interactions sont complémentaires. Le feedback favorise la qualité alors que la relance incite à produire plus. 3 ans Dans un groupe de langage, suite à une séance de motricité, l enseignante fait raconter à destination d une personne n ayant pas assisté à la séance. Un élève propose : «Moi il a fait une voiture en carton.». A partir de cette production, l enseignante va rechercher la qualité par des feedbacks permettant de construire le «je» : - Dans un premier temps, elle souffle à l enfant «Moi j ai fait une voiture dans le carton». L enfant ne réagit pas cette proposition. - Ensuite, elle reprend au niveau du groupe «Bon, tu as fait une voiture aves le carton», puis rajoute (en relance) «c est intéressant et après?» Il est important de travailler sur l utilisation des pronoms car ils constituent les «atomes» de base de la structure syntaxique. 4 ans C est le moment de la conquête des phrases complexes. Après un travail sur l album de «La petite poule rousse» durant lequel l enseignante a, dans un premier temps, présenté oralement l ouvrage, puis l a utilisé dans le cadre du coin écoute. Il est demandé aux élèves de raconter l histoire. L enseignante relance par des feedbacks : - «Elle fermait bien sa porte pour POUR QU i pour - Comme ça i pouvait pas rentrer le renard.» - Elle fermait bien sa porte POUR QU i rentre pas le renard. Et alors?» propose l adulte dans le cadre d une reprise. Ici, est utilisée une bonne phrase de l oral qui est fréquente dans les formes utilisées par les conteurs. La reprise du «pour qu i» est voulu pour que l enfant se sente en confiance et reprenne à son compte la phrase. On peut «académiser» la formulation du «pour qu i» en introduisant le «pour qu il» si l on sent que l enfant est capable de l intégrer. Si on a l exigence que l enfant s empare de la forme écrite avec le placement du renard au début, on va bloquer le passage à la phrase complexe. De fait, on garde la structure telle quelle a été donnée par l élève. Si l on essaie d introduire la formulation «elle fermait bien sa porte pour que le renard ne rentre pas.», il y a de fortes chances pour que l élève qui rentre seulement dans le langage oral ne s empare pas de cette formulation qui correspond au langage écrit. A 4 ans, on favorisera le langage oral. Il est important qu à l oral il y ait production de phrases complexes. Page 2 sur 6
5 ans Comparaison de la production de deux enfants de niveau de langue différent : - «Moi j veux dire QUE QUAND on va aller chez les correspondants j vais pouvoir faire du vélo PARCE QU é m dit sur la bande QU é va m prêter le sien ma correspondante.» - «Moi i faire vu vélo. I dire ça.» Les pronoms. 80 à 90 % des phrases construites à l école primaire utilisent les pronoms. La comparaison de la production orale des deux enfants pourrait déboucher sur une ébauche de programmation : Objectif N 1 : - Aider à diversifier les pronoms (pour le deuxième enfant) Objectif N 2 : - Travailler le système des temps de conjugaison. L enfant N 1 a probablement le système de base à 3 temps : présent, futur (aller), passé composé. - Mettre en place la frise temporelle des événements. Objectif N 3 : - Différencier la complexité des phrases des enfants. L enfant N 1 emboîte ses phrases les unes dans les autres. - Encourager la complexification, l émergence des phrases complexes avec l utilisation des formes «parce que, quand, pour que». c. Quelques conseils : - Il est nécessaire d HYPERARTICULER, de bien remuer les lèvres, de THEATRALISER la prise de parole (utiliser la gestuelle, les mimiques, mettre le ton, ). - En interaction, il faut toujours proposer à l enfant un modèle un peu audessus de ce qu il est déjà capable de produire. La proposition doit l emmener un peu plus loin. Il ne faut pas vouloir sauter des étapes. Cependant, il existe une autre théorie disant qu il faut toujours proposer le niveau maximum. En interaction, ceci ne fonctionne pas. L interaction a pour objet de faire progresser l enfant, de le faire passer au niveau supérieur. - Si l on n est pas en interaction, par exemple lorsqu on raconte une histoire, on peut élever le niveau de langue car le vocabulaire passif est différent du vocabulaire actif. - L enfant a des capacités supérieures en compréhension par rapport à la production. Il faut donc lorsque l on parle en son nom utiliser des formulations plus structurées. - L utilisation de pronoms facilite l appropriation de la phrase complexe, même si ceux-ci sont redondants. - Les pronoms, je, tu, il, elle, on, nous, vous, ils, elles sont progressivement utilisées par les élèves de façon de plus en plus fréquente. Au final, 80 % des phrases produites par des élèves reposent sur ces mots. Page 3 sur 6
- Au niveau de la construction du langage oral, trois niveaux de difficultés sont à discerner : 1) L utilisation des pronoms. 2) La mise du système des 3 temps (avant, maintenant, après). 3) L émergence, puis l utilisation de phrases complexes. Schématiquement la mise en place se fait de la façon suivante : Pronom Temps Complexification d. Qu est-ce qu une interaction réussie? C est un moment où la parole a été laissée à l enfant. Le temps de parole a été important. Les temps de relance et de feedback ont été utilisés pour favoriser la prise de parole et l expression des élèves. Dans le cas des grands groupes, l effort a porté sur les enfants en difficulté. Le niveau d interaction a été adapté au niveau des élèves. 2) Les albums ECHOS : a. Le thème doit être très populaire pour l enfant, notamment pour les 3 ans : Raconter les exploits de la salle de motricité. Les sorties sur les fermes pédagogiques. Les recettes et la cuisine. b. 2 sortes : Les albums écho de première personne : 1) Prendre les photos (6 pour les 3 ans, 6 pour les 4 ans, une douzaine pour les plus grands) 2) Montrer les photos à l enfant et faire un questionnement neutre (Que fais-tu?). Noter où les élèves en sont en notant ce que les élèves produisent. 3) Reprendre pour chaque enfant les photos et réfléchir à la production des feedbacks nécessaires pour faire progresser l élève dans sa production orale ultérieure (en lien avec les photos) 4) Reprendre l album avec l enfant et relancer avec le feedback préparé afin qu il enrichisse sa production, qu il prenne plus en compte les éléments de la photo. 5) Lorsque l objectif est atteint et que l enfant est prêt demander à l élève de présenter son album à la classe. L enregistrer afin de pouvoir faire écouter sa prestation à l élève. Les albums échos de troisième personne : Comparaison avec l album écho de 1 ère personne : Page 4 sur 6
- N importe qui peut s entraîner à le raconter. - On ne dépassera pas un nombre acceptable de photos. S il y en a trop, on pourra construire plusieurs albums de niveau différents. i. Niveau 1 : Les phrases introduites par «on» avec un gérondif : «On avance dans l eau en s aidant de la corde.» ii. Niveau 2 : Les enfants qui décrivent la photo ne figurent pas dessus : «Voilà Nicolas. Il avance dans l eau en tenant la corde.» iii. Niveau 3 : Niveau de langue plus construit avec des phrases plus complexes. - Il concerne l ensemble de la classe et non un seul élève. - Il ne s agit plus d un album individuel mais collectif. On fait «raconter» les photos avec du recul. «Là, Alexandre grimpe sur la petite montagne». On commence par raconter aux enfants comme on raconte un album du commerce. 3) Le vocabulaire : a. Le vocabulaire attendu : Pour les PS, on visera les 750 mots essentiels, les plus faciles à l oral et utilisés dans des situations banales de conversation. Pour les MS, 1500 mots. Pour les GS, on essayera d atteindre les 2500 mots, l équivalent de «mon premier Larousse» ou «Le Larousse des maternelles». Ces mots seront étudiés par thématiques durant l année. Ils ne seront en aucun cas étudiés de façon systématique hors contexte. Les listes de mots sont regroupées par thème, par activité. b. 5 vecteurs sont à prendre en compte : La situation. L enfant raconte ce qu il fait, doit ou peut faire. On fait raconter ce que l on a fait. On ouvre sur les projets pour la fois suivante. Les albums écho. C est le meilleur vecteur car il beigne dans le vécu et est en lien avec la situation vécue. Il est intéressant à la fin de chaque album de lister le vocabulaire utilisé. L imagier. L illustration, la représentation des mots concrets va aider à acquérir le vocabulaire illustrable. Les jeux sur les imagiers : On travaillera avec des images ou photos en lien ave les activités de la classe, album, motricité, 1. Les lotos. Présentation de l image en couleur. Oralement, l image est nommée. Il peut y avoir un temps d échange. L enfant qui a l image correspondante l annonce par une phrase. Il prend l image et la place sur sa grille. 2. Les jeux de kim. 3. les Memory, mais avec oralisassions du mot, en faisant nommer les objets. Les albums en syntaxe adaptée (les oralbums) Page 5 sur 6
On insistera sur l émergence des phrases complexes, les pronoms, sur les outils de l oral. Le fait de raconter l album un grand nombre de fois va permettre une meilleure imprégnation. 4) Albums en syntaxe adaptée ou oralbums L album a donné lieu à différentes utilisations avec des objectifs différents : a. Pour Evelyne CHARMEUX et Alain BENTOLILA, les albums préparent à l entrée dans l écrit. Ils préparent les futurs lecteurs. b. Les oralbums, dans la continuité de Laurence LENTIN, sont des albums en lien avec les structures de l oral. Ils agissent sur la capacité à raconter. Chaque page est associée 3 niveaux de langue. Le format pour les enfants ne comporte que les illustrations. La série devrait comporter 30 albums couvrant l ensemble du vocabulaire de base des 3 niveaux. On peut proposer des activités autour de ces albums. Par exemple : 1. Retrouver la page décrite par l enseignante (sa page préférée). 2. Faire découvrir aux autres sa page préférée. 3. Parler de son image, de sa page préférée. Dans le cas où l enfant présente, il faut accepter que l enfant propose sa production uniquement à l enseignante avant de la formuler devant la classe. Les critiques : 1. On s est permis d écrire de l oral, mais ce procédé a déjà été utilisé en littérature (Céline par exemple). C est une spécificité française. Dans d autres cultures la question ne se pose pas. 2. On n a pas besoin d une version orale car on raconte souvent. Dans ce cas, on n assure pas une progressivité dans le vocabulaire et on ne garantit pas la régularité de la répétition. 3. Evelyne Charmeux a bien oralisé l écrit et cela n interroge personne. Bibliographie : Enseigner la langue orale en maternelle, Philippe BOISSEAU, Editions RETZ Les Oralbums, Editions RETZ : o Le corbeau et le renard o Le lièvre et la tortue o Le bonhomme en pain d épice o Le Petit Chaperon Rouge o La petite poule rousse o La reine des sorcières o Le renard, la tortue et l escargot o Les trois petits cochons o Boucle d or et les trois ours o Cendrillon o L arbre à goûters o Pour aller plus loin : http://www.langage-en-maternelle.fr/ Page 6 sur 6