Emblèmes de France, l art au service des valeurs républicaines - EXPOSITION ITINERANTE LECTURE D ŒUVRE - SCULPTURE méthodologie Nous vous proposons ici une démarche parmi d autres qui peuvent être appliquées lors d une étude d œuvre. La notice de l œuvre Cette notice est obligatoire dans une étude. C est en quelque sorte la carte d identité de l œuvre. Ainsi, il est important de la renseigner sur : - l auteur - le titre de l œuvre - la date de réalisation - la technique - les dimensions -le lieu de conservation Le contexte artistique et historique Si L œuvre présente un intérêt historique et/ou artistique, il est intéressant de la replacer dans le contexte de l époque. En effet, ces évènements ont pu amener un questionnement de l artiste et donc avoir une incidence sur la réalisation de l œuvre. - Noter les évènements historiques. - Noter les évènements qui sont propres à la vie de l artiste comme des rencontres, des voyages - Noter les évènements artistiques majeurs de l Histoire de l Art se rattachant à la date de réalisation : exposition qui a fait scandale, écrit d un critique d art - Noter si l œuvre appartient à un courant artistique.
Analyse de l oeuvre L analyse de l œuvre correspond à une description de la sculpture. Nous vous conseillons de partir d une description très générale et peu à peu de faire remarquer les détails. La nature de l œuvre Que voyez-vous? Une sculpture? Une installation? Le type d œuvre Dans quelle catégorie pouvez-vous classer l œuvre? S agit-il : - d un bas-relief? - d un haut-relief? - d une ronde bosse? La technique Quelle est la technique choisie par l artiste? - s agit-il d un modelage? - d un moulage? - d une fonte? - d une taille? - d un assemblage? Le matériau Quel est le matériau dominant de l œuvre? L artiste a-t-il utilisé du minéral (marbre, granit, calcaire )? Du métal (bronze, acier, aluminium )? Ou une ressource animale (os, ivoire )? Végétale (bois )? Interprétation L interprétation d une œuvre peut être propre à chacun. Il est intéressant de noter à la fois les ressentis de l artiste ou de la critique de l époque mais également de laisser une part à nos propres émotions. La thématique Quel est le thème de l œuvre? Qu est ce que l artiste a voulu évoquer? L oeuvre dénonce-elle quelque chose? Est-ce un témoignage? Une allégorie? L inspiration L artiste s est-il inspiré d un ouvrage littéraire? de la Bible? d un personnage connu? de l actualité? La critique Quelle a été la réaction des critiques à la sortie de l œuvre? La sculpture est-elle l œuvre phare d un courant, lequel et pourquoi? Notre ressenti Lire et apprécier une œuvre suppose de commencer par un temps d observation. L œuvre atteint son objectif si elle fait naître des questions, des sentiments (positifs ou négatifs), des émotions.
Emblèmes de France, l art au service des valeurs républicaines - EXPOSITION ITINERANTE LECTURE D ŒUVRE - SCULPTURE Le triomphe de la République La notice de l œuvre AUTEUR : Jules Dalou TITRE DE L ŒUVRE : le Triomphe de la République DATE : 1889 TECHNIQUE : Fonte MATÉRIAUX : Bronze DIMENSIONS : 12m LIEU DE CONSERVATION : Place de la Nation, Paris By Alceste at fr.wikipedia [Public domain], from Wikimedia Commons Le contexte artistique et historique En 1878, la troisième République cherche encore à asseoir sa légitimité. Le pays va alors connaitre une vague d édification de statues et bâtiments commémoratifs à sa gloire. On parle d un mouvement de «statuomanie». L Etat veut afficher sur les bâtiments et places publiques ses valeurs et fait appel, pour cela, aux artistes. C est dans ce contexte que la municipalité de Paris organise un concours pour la conception d un monument à la gloire de la République. Ce sont les frères Morice qui remportent le premier prix et offrent à la ville La République, œuvre installée sur la place du même nom. Jules Dalou, arrive en deuxième position, mais sa proposition est également retenue par le jury. Son œuvre monumentale, Le Triomphe de la République, sera alors installée place de la Nation en 1889. Lors de sa réalisation, l artiste a 40 ans, il revient de Londres où il s était exilé, menacé en tant que partisan de la Commune. Son œuvre s inscrit parfaitement dans le courant Néo-classique encore à la mode à la fin du XIX e siècle. L artiste, dans sa quête du «beau idéal», valorise la nudité, les drapés à l antique, les représentations mythologiques et allégoriques. Repères 1838-1902 : Jules Dalou 1870-1940 : Troisième République 1894 : Affaire Dreyfus Fin XVIII e moitié XIX e : Néo-classicisme
Analyse de l oeuvre Cette œuvre se classe dans la catégorie des sculptures dites «rondes bosse». Elles se distinguent des «reliefs» qui sont liés à un fond. La ronde-bosse, elle, est une sculpture visible en trois dimensions, de façon à pouvoir être observée de tous les côtés. Elle repose soit sur le sol, sur un socle, ou logée dans une niche. Ce monument de 32 tonnes, d abord réalisé et inauguré une première fois en plâtre en 1889, sera fondu en bronze en 1899 pour son inauguration officielle en présence du Président Sadi Carnot. Cet ouvrage sera, techniquement, le plus important jamais exécuté au XIX e siècle. La composition de l œuvre nous propose une lecture pyramidale. Le regard est invité à décrypter la partie basse richement ouvragée pour monter progressivement vers le sommet, élément fédérateur de l ensemble. Une femme drapée à l antique, en marche et volontaire, est portée sur un char tiré par deux lions. Quatre personnages, accompagnés d enfants, poussent et entourent ce mouvement. Ils sont tous porteurs d objets illustrant leur identité, leur rôle dans cette équipée. Interprétation Jules Dalou consacre une vingtaine d années à la réalisation de cette œuvre. Il livre ici une interprétation de la République riche en allégories et en symboles. L œuvre se compose d un ensemble de sculptures ayant chacune une signification. La somme de ces éléments livre un message global fort. Cette femme, coiffée d un bonnet phrygien (symbole de liberté) et drapée à l antique, incarne la République. Elle tient dans une main le faisceau du licteur, symbole de la république romaine et de la loi. Son autre main, tendue, offre à voir une posture volontaire et dynamique de la République. Celle-ci marche sur un globe terrestre, symbole de l universalité. La République cherche à s affirmer, à triompher. Le concours proposé par la municipalité de Paris pour figurer la République, montre bien le questionnement et le besoin de représentation du pouvoir. La République est abstraite, encore fragile et contrairement à la monarchie, où le pouvoir s incarnait dans l image du roi (fleur de lys, portrait en majesté, initiales), la République est en manque de repères visuels, de symboles qui donneraient aux citoyens des images nouvelles. Cette Marianne n est pas sans rappeler celle de Delacroix dans son œuvre La liberté guidant le peuple. On retrouve la même énergie et esthétique dans cette République de Dalou: la posture dynamique, la musculature, le drapé, le bonnet phrygien et le sein nu. Le tableau de Delacroix (1830) glorifiait lui aussi le peuple citoyen.
Interprétation (suite) Le char est tiré par deux lions à la musculature imposante. Ils symbolisent la force populaire. Dans cet ensemble, à la tête du convoi, ils occupent un rôle essentiel : ils font avancer le char. Ici, le peuple est littéralement à la base de la République, il l a fait naître et la fait avancer. Un homme, le visage tourné vers la République, indique le chemin à suivre par son geste et son flambeau. Ce personnage incarne le génie de la liberté. Son flambeau symbolise la lumière qui guide l humanité (évocation des Lumières du XVIII e siècle) et dans son autre main, il tient les chaines brisées du despotisme. A la droite du char, une femme tient la main de justice et l enfant qui l accompagne porte la balance d équité. Dans cet ouvrage, la Justice se tient aux côtés de la République et soutien son mouvement. La main de justice est l emblème du pouvoir judiciaire des rois de France, elle fait partie des régalia données au roi lors de son sacre. La balance est un symbole ancien de la fonction de juger. Elle fait référence à l idée d équilibre et de mesure.
Interprétation (suite) A l arrière du char, une femme dénudée distribue des fruits. A ses pieds, on reconnait la corne d abondance, source de richesses inépuisable. Elle promet un avenir serein, d ordre et de paix. A la gauche du char, un homme, muni d une masse et d un tablier en cuir, à l image du forgeron, incarne le travail. A ses côtés, l enfant portant un livre symbolise l instruction. C est sous la III e République que seront votées les grandes lois scolaires : Jules Ferry, alors ministre de l instruction publique, va rendre l enseignement primaire obligatoire, gratuit et laïc pour les enfants de six à treize ans. La République se donne pour mission d inculquer à chacun une même langue, des connaissances et des valeurs communes. La sculpture vient illustrer quelques grands fondements et valeurs de la République: l égalité, le suffrage universel, la paix, le travail et l instruction. L objectif est clairement affiché, au-delà de glorifier la République, l œuvre est pensée pour être lisible et riche d enseignements. Le peuple en est le spectateur quotidien et direct. Jules Dalou propose une sculpture qui s affranchit de l académisme de l époque dont ont fait preuve les frères Morice par exemple. En effet, Dalou ne suit pas les codes établis par l Académie, c est-à-dire les écoles dites classiques. Cela est visible par son choix d un ensemble de personnages au lieu d un seul qui serait sublimé et par le choix d une posture dynamique, en mouvement plutôt que statique ou fixe. Au sortir de l affaire Dreyfus, l inauguration du Triomphe de la République fut le prétexte à une grande manifestation populaire et républicaine. La critique est unanime. Charles Péguy décrit cet événement : «Ce n était pas la République amorphe et officielle, mais vive la République triomphante, vive la République sociale, vive cette République de Dalou qui montait claire et dorée dans le ciel bleu clair, éclairée du soleil descendant» (Les Cahiers de la Qinzaine, 5 janvier 1900). La grande famille républicaine se rassemble et la force métaphorique du monument, conçu en 1889, trouve enfin toute sa place en ce contexte politique de 1899.
Pour aller plus loin - la «statuomanie» sous la III e République - L art public - Les artistes et l Etat Œuvre similaire: La République des frères Morice