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Transcription:

22 MAI 2006 S.05.0091.F/1 Cour de cassation de Belgique Arrêt N S.05.0091.F OFFICE NATIONAL DE SECURITE SOCIALE, établissement public dont le siège est établi à Saint-Gilles, place Victor Horta, 11, demandeur en cassation, représenté par Maître Antoine De Bruyn, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Vallée, 67, où il est fait élection de domicile, contre INTER EUROPE EXPRESS, société privée à responsabilité limitée dont le siège social est établi à Molenbeek-Saint-Jean, avenue Jean Dubrucq, 86-102, défenderesse en cassation, représentée par Maître Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue des Quatre Bras, 6, où il est fait élection de domicile.

22 MAI 2006 S.05.0091.F/2 I. La procédure devant la Cour Le pourvoi en cassation est dirigé contre l arrêt rendu le 16 mars 2005 par la cour du travail de Bruxelles. Le conseiller Christine Matray a fait rapport. Le premier avocat général Jean-François Leclercq a conclu. II. Les moyens de cassation Le demandeur présente deux moyens libellés dans les termes suivants : Premier moyen Dispositions légales violées - principe général du droit prohibant l'abus de droit, principe consacré notamment par l'article 1134, alinéa 3, du Code civil ; - articles 1382 et 1383 du Code civil ; - articles 616, 1050, alinéa 1 er, et 1072bis, alinéa 1 er, du Code judiciaire ; - article 6.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales signée à Rome le 4 novembre 1950 et approuvée par la loi du 13 mai 1955, en vertu duquel toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement. Décisions et motifs critiqués L arrêt condamne le demandeur à payer à la défenderesse la somme de 5.000 euros à titre de dommages-intérêts pour appel téméraire et vexatoire aux motifs : «Que la [défenderesse] conclut à la condamnation du [demandeur] au paiement de dommages et intérêts pour appel téméraire et vexatoire ; Que [le demandeur] a manifestement agi avec une légèreté coupable à la suite d'une erreur évidente d'appréciation quant aux

22 MAI 2006 S.05.0091.F/3 chances de succès de son recours, faute que n'aurait pas commise tout justiciable normalement raisonnable et prudent, placé dans les mêmes circonstances (cf. cour d'appel de Liège, 16 juin 2003, R.G. 1998/RG/11) ; Qu'en effet, en présence d'un jugement particulièrement clair, précis et bien motivé, [le demandeur] a malgré tout estimé devoir aller en appel, alors qu'il ne possédait aucun document nouveau qui aurait pu entraîner la réformation du jugement a quo ; Que cette attitude, pour le moins téméraire [du demandeur], justifie pleinement [sa] condamnation au paiement ex aequo et bono d'une somme forfaire de 5.000 euros». Griefs Première branche Lorsque, comme en l'espèce, la loi l'y autorise, toute partie qui succombe devant le premier juge a le droit d'interjeter appel, même si elle ne possède aucun élément nouveau à faire valoir. Par l'appel, en effet, elle a l'opportunité et le droit de plaider sa cause devant une deuxième juridiction (comp. articles 616 et 1050, alinéa 1 er, du Code judiciaire). Certes, l'article 1072bis dispose qu'en cas d'appel téméraire et vexatoire, le juge peut condamner l'appelant à des dommages-intérêts (alinéa 1 er ), voire à une amende (alinéa 2). Un appel ne peut être téméraire et vexatoire et l'appelant ne saurait abuser de son droit d'appel du seul fait que le jugement du premier juge est bien motivé et que l'appelant n'apporte aucun élément nouveau. Le droit de l'appelant de faire juger sa cause par une seconde juridiction n'est en effet pas subordonné à la condition que l'appelant puisse présenter devant les juges d'appel une autre défense que celle déjà rejetée par le premier juge.

22 MAI 2006 S.05.0091.F/4 Dès lors, en décidant que le demandeur a abusé de son droit d'appel puisqu'en présence d'un jugement particulièrement clair et bien motivé, «il ne possédait aucun document nouveau qui aurait pu entraîner la réformation du jugement a quo» et en le condamnant pour ce motif à payer à la défenderesse une somme de 5.000 euros à titre de dommages-intérêts, l'arrêt attaqué a porté atteinte au droit du demandeur à un procès équitable et à son droit d'interjeter appel d'une décision défavorable (violation de l'article 6.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des articles 616 et 1050, alinéa 1 er, du Code judiciaire) et a fait une application illégale de l'article 1072bis, alinéa 1 er, du Code judiciaire (violation de cette disposition et du principe général du droit prohibant l'abus de droit, principe consacré par l'article 1134 du Code civil). Seconde branche En tout état de cause, l'arrêt ne pouvait, pour décider que l'appel du demandeur était téméraire et vexatoire, se référer à «la faute que n'aurait pas commise tout justiciable normalement raisonnable et prudent placé dans les mêmes circonstances». En effet, le demandeur est un établissement public chargé de la perception et du recouvrement des cotisations de sécurité sociale (articles 5 et 9 de la loi organique du 27 juin 1969). A ce titre, il bénéficie notamment du privilège du préalable lui permettant de décider d'office que tel travailleur se trouve dans les liens d'un contrat de travail (article 22 de la loi du 27 juin 1969). La faute que le demandeur aurait commise à ce sujet doit par conséquent être appréciée non pas en fonction du comportement du justiciable normalement raisonnable et prudent mais suivant le critère de l'autorité normalement soigneuse et prudente placée dans les mêmes conditions.

22 MAI 2006 S.05.0091.F/5 Il s'ensuit qu'en décidant que l'appel du demandeur était téméraire et vexatoire par comparaison avec ce que n'aurait pas fait un justiciable raisonnable et prudent, l'arrêt a méconnu la nature et les attributions particulières du demandeur (violation des articles 5, 9 et 22 de la loi du 27 juin 1969) et a fait une application illégale des articles 1382 et 1383 du Code civil ainsi que de la notion d'abus de droit (violation du principe général du droit cité en tête du moyen et de l'article 1134, alinéa 3, du Code civil). Second moyen Dispositions légales violées - articles 1382 et 1383 du Code civil ; - articles 1017 à 1022 du Code judiciaire. Décisions et motifs critiqués L arrêt condamne le demandeur à payer à la défenderesse une indemnité de 5.000 euros pour couvrir les frais d'avocat aux motifs : «Que la [défenderesse] conclut à la condamnation [du demandeur] au paiement des dommages et intérêts pour (...) couvrir les frais, la dépense de temps et d'énergie et le préjudice moral résultant de la longue incertitude quant à sa situation sociale et financière ; ( ) Que (...), depuis l'arrêt rendu le 2 septembre 2004 par la Cour de cassation, les frais et honoraires d'avocat peuvent constituer un élément du dommage donnant lieu à indemnisation ;

22 MAI 2006 S.05.0091.F/6 Qu'il est manifeste en l'occurrence que l'attitude [du demandeur], que la cour [du travail] se doit de fustiger, a entraîné des frais d'avocat ; Que ceux-ci peuvent être évalués, ex aequo et bono, à 5.000 euros». Griefs Les articles 1017 à 1022 du Code judiciaire qui prévoient la condamnation aux dépens ne permettent pas au juge d'englober dans les dépens les honoraires et frais d'avocat et, partant, de les mettre à charge de la partie qui a succombé. Ces honoraires et frais ne sont en effet pas des dépens au sens des articles 1017 à 1022 du Code judiciaire. En l'espèce, l'arrêt attaqué n'a pas considéré les frais et honoraires d'avocat comme des dépens mais apparemment comme un dommage résultant de la «légèreté coupable» avec laquelle le demandeur a exercé son recours. En vertu des articles 1382 et 1383 du Code civil, tout fait ou négligence de l'homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer. En application de ces dispositions, les dommages-intérêts dus à la victime de la faute ne peuvent comprendre que ce qui est une suite nécessaire de celle-ci. Par conséquent, le juge ne peut condamner la partie qui a succombé et qui a commis une faute dans l'exercice de sa défense, au payement des honoraires et frais de l'avocat de la partie créancière que s'il constate qu'ils ont été une suite nécessaire de cette faute. En l'occurrence, l'arrêt ne constate pas que les frais et honoraires d'avocat de la défenderesse ont été causés par la prétendue légèreté de l'appel du demandeur et en tout cas il ne constate pas qu'ils seraient une suite nécessaire de celui-ci.

22 MAI 2006 S.05.0091.F/7 L'affirmation que la défenderesse a dû faire face à des frais pour sa défense et a subi «un préjudice moral résultant de la longue incertitude quant à sa situation sociale et financière» ne signifie pas que ces frais constitueraient un dommage et seraient une suite nécessaire de l'appel du demandeur. Ils sont une suite nécessaire de l'obligation dans laquelle la défenderesse s'est trouvée de faire dire par un tribunal que le contrat la liant à une dame M. et à un sieur P. n'était pas un contrat de travail. En revanche, ce n'est pas la «témérité» avec laquelle le demandeur a défendu son point de vue, qui a rendu ces frais nécessaires. Leur nécessité est inhérente au litige qui a opposé la défenderesse au demandeur et non pas à la prétendue témérité avec laquelle ce dernier a interjeté appel. Il s'ensuit que l'arrêt attaqué n'a pu légalement condamner le demandeur à verser à la défenderesse une indemnité de 5.000 euros pour frais et honoraires d'avocat (violation de l'ensemble des dispositions citées en tête du moyen). III. La décision de la Cour Sur le premier moyen : Quant à la première branche : Sur la fin de non-recevoir opposée par la défenderesse et déduite de ce que le demandeur critiquerait une appréciation gisant en fait : L examen de la fin de non-recevoir est lié à celui du moyen. La fin de non-recevoir ne peut être accueillie. Sur le fondement du moyen :

22 MAI 2006 S.05.0091.F/8 L'article 1072bis, alinéa 1 er, du Code judiciaire dispose que lorsque le juge d'appel rejette l'appel principal, il statue par la même décision sur les dommages-intérêts éventuellement demandés pour cause d'appel téméraire ou vexatoire. Au sens de cette disposition, l'appel n'est pas téméraire ou vexatoire du seul fait qu il est dirigé contre un jugement bien motivé du premier juge et que la partie appelante n apporte aucun document nouveau. En l'espèce, l'arrêt considère que le demandeur «a manifestement agi avec une légèreté coupable à la suite d'une erreur évidente d'appréciation quant aux chances de succès de son recours, faute que n'aurait pas commise tout justiciable normalement raisonnable et prudent placé dans les mêmes circonstances» au seul motif «qu'en effet, en présence d'un jugement particulièrement clair, précis et bien motivé, [le demandeur] a malgré tout estimé devoir aller en appel, alors qu'il ne possédait aucun document nouveau qui aurait pu entraîner la réformation du jugement a quo». En condamnant ainsi le demandeur à payer à la défenderesse la somme de cinq mille euros à titre de dommages et intérêts pour appel téméraire et vexatoire, l'arrêt n'est pas légalement justifié. Le moyen, en cette branche, est fondé. Et la cassation de la décision condamnant le demandeur à payer à la défenderesse la somme de cinq mille euros à titre de dommages et intérêts entraîne la cassation de la décision condamnant le demandeur à payer à la défenderesse la somme de cinq mille euros à titre d indemnité pour couvrir les frais d avocat, en raison du lien établi par l arrêt entre ces deux décisions. Sur les autres griefs : Il n y a pas lieu d examiner les autres griefs qui ne sauraient entraîner une cassation plus étendue. Par ces motifs,

22 MAI 2006 S.05.0091.F/9 La Cour Casse l arrêt attaqué en tant qu il condamne le demandeur à payer à la défenderesse la somme de cinq mille euros à titre de dommages et intérêts pour appel téméraire et vexatoire, la somme de cinq mille euros à titre d indemnité pour couvrir les frais d avocat et en tant qu il statue sur les dépens ; Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêt partiellement cassé ; Réserve les dépens pour qu'il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond ; Renvoie la cause, ainsi limitée, devant la cour du travail de Liège. Ainsi jugé par la Cour de cassation, troisième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Philippe Echement, les conseillers Daniel Plas, Christine Matray, Sylviane Velu et Philippe Gosseries, et prononcé en audience publique du vingt-deux mai deux mille six par le président de section Philippe Echement, en présence du premier avocat général Jean-François Leclercq, avec l assistance du greffier Jacqueline Pigeolet.