Cour de cassation de Belgique

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Transcription:

9 JANVIER 2003 C.02.0046.F/1 Cour de cassation de Belgique Arrêt N C.02.0046.F ETAT BELGE, représenté par le ministre de la Justice, dont le cabinet est établi à Bruxelles, boulevard de Waterloo, 115, demandeur en cassation, représenté par Maître Paul Wouters, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Ixelles, rue Vilain XIIII, 17, où il est fait élection de domicile, contre 1. D. G 2. V 33 BELGIUM, société privée à responsabilité limitée dont le siège social est établi à Bruxelles, rue Montoyer, 47, défendeurs en cassation.

9 JANVIER 2003 C.02.0046.F/2 I. La décision attaquée Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 6 septembre 2000 par la cour d'appel de Bruxelles. II. La procédure devant la Cour Le conseiller Christine Matray a fait rapport. L'avocat général Thierry Werquin a conclu. III. Le moyen de cassation Le demandeur présente un moyen libellé dans les termes suivants: Dispositions légales violées - articles 17, spécialement 1 er et 2, et 22, spécialement 1 er, de la directive 86/653/ C.E.E. du 18 décembre 1986 du Conseil des Communautés européennes relative à la coordination des droits des Etats membres concernant les agents commerciaux indépendants ; - articles 10 et 249, spécialement alinéa 3, du Traité signé à Rome le 25 mars 1957 instituant la Communauté européenne, approuvé par la loi belge du 2 décembre 1957, dans sa version consolidée à Amsterdam le 2 octobre 1997, approuvée par la loi belge du 10 août 1998 ; - articles 1134, 1135, 1382 et 1383 du Code civil. Décisions et motifs critiqués Après avoir rappelé que «(le défendeur) et (le demandeur) font valoir qu il y a lieu d interpréter le droit belge et, en particulier, le contrat d agence commerciale conformément à la directive du conseil de la C.E.E. du 18 décembre 1986 relative à la coordination des droits des états membres concernant les agents commerciaux indépendants, qui prévoit notamment un préavis obligatoire d un mois par année du contrat, jusqu à la troisième année

9 JANVIER 2003 C.02.0046.F/3 commencée et les années suivantes, et une indemnité d éviction dans la mesure où l agent commercial a apporté de nouveaux clients ou développé sensiblement les opérations avec les clients existants», l arrêt attaqué décide cependant, pour rejeter les appels et confirmer le jugement entrepris, que «l application de la théorie de l interprétation conforme présuppose qu il y ait matière à interprétation ; ( ) en l occurrence le contrat d agent sur lequel se fondent les parties est clair et précis ; (le défendeur) a droit à un préavis de trois mois (article 21) mais n a pas droit à une indemnité d éviction (article 26) ; ( ) l application en l espèce de la théorie susvisée aboutirait à créer dans le chef d une partie une obligation d indemnisation que les parties n ont pas voulue elles-mêmes et serait contraire à l article 1134 du Code civil qui consacre le principe de l autonomie de la volonté ; ( ) le juge n a pas qualité pour se substituer aux parties et réviser ou réadapter les clauses d un contrat, sauf s il y est autorisé par la loi ; ( ) à tort, (le défendeur) entend interpréter le contrat d agence conformément à la directive C.E.E. et en tirer argument pour réclamer une indemnité d éviction, alors que le contrat ne suscite aucun doute et ne contient aucune lacune ni silence et, partant, n est pas sujet à interprétation ; ( ) l interprétation ne s impose que dans la mesure où le point à trancher ne serait pas résolu contractuellement, quod non en l espèce», de sorte que «dès lors qu il n y a pas matière à interprétation, la norme juridique à appliquer demeure la loi nationale ; ( ) tant que celle-ci n était pas adaptée aux dispositions impératives de la directive communautaire, le contrat d agence pouvait valablement produire ses effets». Statuant sur la demande subsidiaire introduite par le défendeur à l encontre du demandeur, l arrêt décide que «la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes [notamment arrêt F./B. du 19 novembre 1991 et arrêt W./M. du 16 décembre 1993 cités en conclusions par (le défendeur)] reconnaît aux particuliers le droit de réclamer à un Etat les dommages que leur cause la violation par cet Etat des obligations qui lui incombent en vertu du droit communautaire, particulièrement en cas de non transposition dans le droit national des dispositions impératives d une directive prévoyant des droits dans le chef de ces particuliers ( ) ; ( ) selon cette jurisprudence, la responsabilité de l Etat défaillant est acquise à la triple condition que le résultat prescrit par la directive à

9 JANVIER 2003 C.02.0046.F/4 transposer comporte l attribution de droits, que le contenu de ces droits puisse être identifié sur la base des dispositions de la directive et qu il existe un lien de causalité entre la violation de l obligation incombant à l Etat et le dommage subi ( ) ; ( ) en l espèce les dispositions impératives prévoient notamment une durée de préavis minimum et une indemnité de rupture, visées aux articles 15 et 17 de la directive, que G. D. soutient n avoir pu obtenir de son commettant en raison de la carence de l Etat belge ; les trois conditions sont réunies ; ( ) quant au dommage subi par (le défendeur), ( ) la durée minimum de préavis obligatoirement prévue par la directive est la même que celle stipulée au contrat d agence ; ( ) il n a donc subi aucun dommage de ce chef ; ( ) il est en droit, par contre, d obtenir des dommages et intérêts équivalant à l indemnité d éviction qui lui aurait été allouée si l Etat belge n avait pas manqué à son obligation de transposition de la directive ; ( ) il peut réclamer une telle indemnité s il a apporté au commettant de nouveaux clients ou développé sensiblement les opérations avec les clients existants et si le commettant a encore des avantages substantiels résultant des opérations avec ces clients ; ( ) à bon droit, le premier juge a estimé que (le défendeur) répondait à ces exigences compte tenu de l accroissement important de son chiffre d affaires et des avantages substantiels que la (défenderesse) en a retirés non seulement au moment de la rupture du contrat, mais également pendant quelques mois après la rupture au moins ; ( ) l évaluation par le premier juge de l indemnité d éviction à trois mois de rémunération apparaît, en l occurrence, adéquate». Griefs La directive européenne du 18 décembre 1986, relative à la coordination des droits des Etats membres concernant les agents commerciaux indépendants, prescrit un régime d harmonisation des relations entre les agents commerciaux et leurs commettants. En son article 17, la directive du 18 décembre 1986 impose aux Etats membres de prendre les mesures nécessaires pour assurer à l agent commercial, après la cessation du contrat, soit une indemnité de clientèle si et

9 JANVIER 2003 C.02.0046.F/5 dans la mesure où, d une part, il a apporté de nouveaux clients au commettant ou développé sensiblement les opérations avec les clients existants et que le commettant retire encore des avantages substantiels des opérations avec ces clients et, d autre part, le paiement de cette indemnité s avère équitable, soit la réparation du préjudice causé par la cessation des relations avec le commettant. Aux termes de l article 22, 1 er, de la même directive, les Etats membres devaient mettre en vigueur les dispositions nécessaires pour se conformer à la directive avant le 1 er janvier 1990, étant entendu que lesdites dispositions devaient s appliquer au moins aux contrats conclus après leur mise en vigueur et aux contrats en cours le 1 er janvier 1994 au plus tard. Même si la transposition de la directive du 18 décembre 1986 en droit belge n a eu lieu qu avec la loi du 13 avril 1995 relative au contrat d agence commerciale, l obligation des Etats membres de l Union européenne, découlant d une directive, d atteindre le résultat prévu par celle-ci, ainsi que leur devoir, en vertu de l article 10 du Traité du 25 mars 1957 instituant la Communauté européenne, signé à Rome et approuvé par la loi du 2 décembre 1957 dans sa version consolidée à Amsterdam le 2 octobre 1997, approuvée par la loi belge du 10 août 1998, de prendre toutes mesures générales ou particulières propres à assurer l exécution de cette obligation s imposent à toutes les autorités des Etats membres, y compris, dans le cadre de leurs compétences, les autorités juridictionnelles. En appliquant le droit national, la juridiction nationale est tenue de l interpréter à la lumière du texte et de la finalité de la directive pour atteindre le résultat visé par celle-ci et se conformer ainsi à l article 249, troisième alinéa, du Traité instituant la Communauté européenne, dans sa version consolidée à Amsterdam le 2 octobre 1997, aux termes duquel la directive lie tout Etat membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens. Cette exigence d interprétation conforme s impose d autant plus aux autorités nationales que, comme le souligne l arrêt attaqué, les dispositions de la directive prévoyant une durée de préavis minimum et une indemnité de clientèle, à savoir les articles 15 et 17 de la directive du 18 décembre 1986, sont des dispositions impératives, lesquelles doivent prévaloir sur les

9 JANVIER 2003 C.02.0046.F/6 stipulations contraires contrevenues entre parties en application de l article 1134 du Code civil. Si, aux termes de l article 1134 du Code civil, les conventions tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites et s imposent au juge, qui ne peut ni les modifier ni les interpréter, c est lorsqu elles sont «légalement formées» entre parties, ce qui n est pas le cas lorsqu elles contreviennent à des dispositions impératives d une directive communautaire. En pareille hypothèse, le juge national doit écarter les stipulations conventionnelles contraires aux dispositions impératives de la directive et donner à la convention toutes les suites que l équité, la loi ou l usage donnent à l obligation d après sa nature (article 1135 du Code civil), c est-à-dire lui donner une interprétation aussi conforme que possible à la directive qui s impose au juge. Il s ensuit qu en confirmant le jugement entrepris qui, d une part, avait rejeté comme non fondée la réclamation par le défendeur à la défenderesse d une indemnité de clientèle, aux motifs qu en l espèce l application de la théorie de l interprétation conforme aboutirait à créer dans le chef d une partie une obligation d indemnisation que les parties n ont pas voulue ellesmêmes et serait contraire à l article 1134 du Code civil qui consacre le principe de l autonomie de la volonté et qu en l espèce, il n y a pas matière à interprétation de sorte que la norme juridique à appliquer demeure la loi nationale et que tant que celle-ci n est pas adaptée aux dispositions impératives de la directive communautaire, le contrat d agence pouvait valablement produire ses effets et, d autre part, avait condamné le demandeur au paiement d un montant de 195.000 francs, majoré des intérêts, à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par le défendeur ensuite de la non-transposition, dans le délai imparti, de la directive du 18 décembre 1986, l arrêt : 1. ne justifie pas légalement sa décision de débouter le défendeur de sa demande tendant à l allocation d une indemnité de clientèle à charge de la défenderesse, dans la mesure où il ne tient pas compte, pour l interprétation du droit interne applicable, du texte et de la finalité de la directive précitée du 18 décembre 1986 pour atteindre le résultat visé par celle-ci (violation de l article 17, spécialement 1 er et 2, et 22, spécialement paragraphe 1 er, de la directive

9 JANVIER 2003 C.02.0046.F/7 du 18 décembre 1986) et, partant, méconnaît le caractère impératif de ces dispositions qui doivent prévaloir sur les conventions avenues entre parties (violation des articles 17, spécialement 1er et 2, et 22, spécialement 1 er, de la directive du 18 décembre 1986 et des articles 1134 et 1135 du Code civil) ainsi que les obligations qui résultent des articles 10 et 249, spécialement alinéa 3, du Traité instituant la Communauté européenne, dans sa version consolidée à Amsterdam le 2 octobre 1997, approuvée par la loi du 10 août 1998, et viole ces deux dispositions ; 2. par voie de conséquence, n a pas pu légalement condamner le demandeur à payer au défendeur un montant de 195.000 francs, majoré des intérêts, correspondant à l indemnité d éviction au paiement de laquelle le défendeur aurait pu prétendre, à titre d indemnisation pour le préjudice subi du fait de la non-transposition de la directive européenne du 18 décembre 1986 dans le délai imparti, sans violer les articles 1382 et 1383 du Code civil, ainsi que, par voie de conséquence, les autres dispositions visées au moyen. IV. La décision de la Cour Attendu qu'il ressort des constatations de l'arrêt que le défendeur a conclu avec la défenderesse un contrat d'agence commerciale autonome à durée indéterminée qui fut résilié par la défenderesse en avril 1994, sans indemnité, conformément aux stipulations contractuelles ; qu en juillet 1995, le défendeur a cité la défenderesse en paiement, notamment, d une indemnité de clientèle ; Attendu que l article 17 de la directive 86/653 du 18 décembre 1986 du Conseil des Communautés européennes, relative à la coordination des droits des Etats membres concernant les agents commerciaux indépendants, prévoit que ces Etats doivent prendre les mesures nécessaires pour assurer à l agent commercial, après la cessation du contrat, une indemnité soit sous la forme d une indemnité de clientèle, soit sous la forme de la réparation du préjudice que lui cause la cessation des relations contractuelles ; Qu en vertu de son article 22, cette directive devait être transposée en droit interne avant le 1 er janvier 1990 ; qu elle ne le fut en droit belge que par la loi du 13 avril 1995, entrée en vigueur le 12 juin 1995 ;

9 JANVIER 2003 C.02.0046.F/8 Que l article 29 de la loi du 13 avril 1995 relative au contrat d agence commerciale dispose que la loi ne s applique pas aux obligations dont l exécution a été demandée en justice avant la date de son entrée en vigueur, ce qui est le cas en l espèce ; Attendu que l'obligation des Etats membres, découlant d'une directive, d'atteindre le résultat prévu par celle-ci ainsi que leur devoir, en vertu de l'article 5 du Traité CE, de prendre toutes mesures générales ou particulières propres à assurer l'exécution de cette obligation s'imposent à toutes les autorités des Etats membres, y compris, dans le cadre de leurs compétences, les autorités juridictionnelles ; que, dès lors, en appliquant le droit national, la juridiction nationale est tenue de l'interpréter dans toute la mesure du possible à la lumière du texte et de la finalité de la directive pour atteindre le résultat visé par celleci et se conformer ainsi à l'article 189, alinéa 3, du Traité ; Attendu qu'en tant qu'il soutient qu'une convention n est pas légalement formée entre parties au sens de l'article 1134 du Code civil lorsqu'elle contrevient à des dispositions impératives d'une directive communautaire qui n a pas été transposée dans le délai et que le juge national doit dès lors écarter les stipulations conventionnelles contraires à pareilles dispositions et interpréter la convention d une manière aussi conforme que possible à une telle directive, le moyen manque en droit ; Attendu que, pour le surplus, l'arrêt considère que «l'application de la théorie de l'interprétation conforme présuppose qu'il y ait matière à interprétation; qu'en l'occurrence, le contrat d'agence sur lequel se fonde les parties est clair et précis [ ] ; que le juge n'a pas qualité pour se substituer aux parties et réviser ou réadapter les clauses d'un contrat, sauf s'il y est autorisé par la loi; qu'à tort [le défendeur] entend interpréter le contrat d'agence conformément à la directive C.E.E. et en tirer argument pour réclamer une indemnité d'éviction, alors que le contrat ne suscite aucun doute et ne contient aucune lacune ni silence et, partant, n'est pas sujet à interprétation [ ] ; que dès lors qu'il n'y a pas matière à interprétation, la norme juridique à appliquer demeure la loi nationale; que tant que celle-ci n'était pas adaptée aux dispositions impératives de la directive communautaire, le contrat d'agence pouvait valablement produire ses effets» ;

9 JANVIER 2003 C.02.0046.F/9 Qu'ainsi, l'arrêt justifie légalement sa décision de confirmer le jugement entrepris qui avait débouté le défendeur de sa demande d'indemnité de clientèle et qui avait dès lors condamné le demandeur au paiement de dommages et intérêts pour la non-transposition de la directive dans le délai imparti ; Que, dans cette mesure, le moyen ne peut être accueilli ; PAR CES MOTIFS, LA COUR Rejette le pourvoi; Condamne le demandeur aux dépens. Les dépens taxés à la somme de six cent trente et un euros dix-sept centimes envers la partie demanderesse. Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Claude Parmentier, les conseillers Philippe Echement, Didier Batselé, Albert Fettweis et Christine Matray, et prononcé en audience publique du neuf janvier deux mille trois par le président de section Claude Parmentier, en présence de l avocat général Thierry Werquin, avec l assistance du greffier adjoint Christine Danhiez.