Franck Macrez Maître de Conférences au CEIPI, avocat



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Transcription:

Jeux vidéos et mesures techniques de protection des œuvres: quelle(s) clarification(s)? (À propos de l arrêt Nintendo) Franck Macrez Maître de Conférences au CEIPI, avocat

1.- «Nintendo c./ PCBox» 1.1.- Faits et procédure 1.2.- Questions posées Questions préjudicielles Traduction 2.- Qualification juridique du jeu vidéo et textes applicables 2.1.- Quelle qualification? 2.2.- Conséquences de la qualification 3.- Étendue de la protection des mesures techniques 3.1.- Une notion large de la mesure technique efficace 3.2.- Un principe de proportionnalité à appliquer in concreto - Au niveau de la protection de la mesure technique - Au niveau du but du dispositif de contournement En guise de conclusion / ouverture Commentaires / lectures

1.- «Nintendo c./ PCBox» 1.1.- Faits et procédure - Nintendo commercialise des systèmes de jeu vidéo, portables (les consoles «DS») et fixes (les consoles «Wii»). Des mesures techniques sont présentes à la fois sur le matériel et sur les supports des jeux vidéos : un système de reconnaissance est installé sur les consoles et un code crypté sur le support du jeu, permettant d empêcher l utilisation de copies illégales des jeux vidéos, mais aussi interdisent l utilisation de tout jeu vidéo, programme ou contenu multimédia ne provenant pas de Nintendo.

- PC Box commercialise les consoles de Nintendo en y ajoutant un logiciel supplémentaire ainsi que des applications indépendantes. Cela permet de : o D utiliser ces applications, dénommées «homebrews», littéralement : «brassé à la maison» (ou «produit du terroir»?), jeux vidéos produits par des consommateurs ou des développeurs indépendants non «affiliés» à Nintendo, lesquels peuvent utiliser librement le potentiel matériel de la console. o Lire de la musique au format MP3 o Lire des fichiers vidéo dans différents formats Mais aussi

o Exécuter des jeux Nintendo téléchargés illégalement («Roms»)

à Pour Nintendo, la finalité principale des dispositifs commercialisés par PC Box consiste en le contournement des mesures techniques de protection des jeux Nintendo. Nintendo assigne en contrefaçon PC Box devant le Tribunale di Milano -

1.2.- Questions posées Questions préjudicielles Le Tribunale di Milano surseoit à statuer et pose à la Cour de Luxembourg les questions suivantes : «1) L article 6 de la directive [2001/29], examiné notamment à la lumière du considérant 48 [de celle-ci], doit-il être interprété en ce sens que la protection des mesures techniques de protection pour des œuvres ou des objets protégés par le droit d auteur peut être étendue à un système fabriqué et commercialisé par la même entreprise, dans lequel le hardware est pourvu d un dispositif apte à reconnaître sur le support séparé contenant l œuvre protégée (jeu vidéo fabriqué par la même entreprise ainsi que par des tiers, titulaires des œuvres protégées) un code de reconnaissance sans lequel cette œuvre ne peut être visualisée et utilisée dans le cadre de ce système, qui exclut ainsi, avec l appareil qui en fait partie, toute interopérabilité avec des appareils et produits complémentaires ne provenant pas de l entreprise fabriquant le système luimême? 2) Lorsqu il faut apprécier si l affectation d un produit ou d un composant au contournement d une mesure technique de protection prévaut ou non sur d autres finalités ou utilisations commercialement pertinentes, l article 6 de la directive [2001/29], examiné notamment à la lumière du considérant 48 [de celle-ci], peut-il être interprété en ce sens que le juge national doit recourir à des critères d évaluation mettant l accent sur la destination particulière assignée par le titulaire des droits au produit renfermant le contenu protégé ou, alternativement ou concurremment, à des critères quantitatifs fondés sur l importance des utilisations comparées ou à des critères qualitatifs tirés de la nature et de l importance des utilisations ellesmêmes?»

«Traduction» 1 : L article 6 de la directive 2001/29 vise-t-il les systèmes de reconnaissance installés dans le matériel (les consoles) et les codes cryptés des éléments protégés par le droit d auteur, malgré une limitation de l interopérabilité entre les systèmes et les produits? 2 : Lorsqu il faut apprécier si d autres appareils ont une finalité ou des usages possibles autres que le contournement, quelle importance faut-il accorder à l utilisation prévue des consoles et comment évaluer les différentes utilisations des autres appareils? (cf. Conclusions de l avocat général, 4 ; arrêt de la Cour, 19-20) La question n est posée que sur le terrain de la directive 2001/29 (droit d auteur «classique»), mais la Cour et l Avocat général se sont au préalable livrés à un exercice de qualification : un jeu vidéo renferme aussi du logiciel

2.- Qualification juridique du jeu vidéo et textes applicables 2.1.- Quelle qualification? Œuvre «classique» (Directive 2001/29) ou logiciel (Directive 2009/24, ex- Directive de 1991)? Le Tribunal Milanais avait tranché la question conformément à son droit national en écartant le droit spécial des logiciels : droit d auteur «classique» Mais le jeu vidéo est un objet (hyper-)complexe aux facettes multiples

L Avocat général, suivi par la Cour, a rappelé que la directive 2009/24 constitue une «lex specialis» par rapport à la directive 2001/29 (point 34) : «les dispositions de la directive 2009/24 prévalent sur celles de la directive 2001/29, mais uniquement dans les cas où le matériel protégé relève intégralement du champ d application de la première. Si les jeux Nintendo et sous licence Nintendo n étaient rien d autre que des programmes d ordinateur, la directive 2009/24 serait donc applicable, écartant la directive 2001/29. De fait, si Nintendo mettait en œuvre des mesures techniques distinctes pour protéger les programmes d ordinateur et les autres matériels, la directive 2009/24 pourrait s appliquer aux premiers et la directive 2001/29 aux seconds.» à Pas le cas en l espèce : les mesures techniques concernent les jeux vidéos pris globalement

La Cour confirme le statut de lex specialis du régime du logiciel (v. déjà : CJUE 3 juillet 2012, UsedSoft, C 128/11, point 56 ; CJUE 22 déc. 2010, C-393/09, BSA ; CJUE, gr. ch., 2 mai 2012, C-406/10, SAS Institute Inc. contre World Programming Ltd.) : «Dans la mesure où les parties d un jeu vidéo, en l occurrence ces éléments graphiques et sonores, participent à l originalité de l œuvre, elles sont protégées, ensemble avec l œuvre entière, par le droit d auteur dans le cadre du régime instauré par la directive 2001/29.»

à La formule employée semble large et laisser peu de place à la qualification de logiciel, voire aucune même pour les logiciels! (L interface graphique n est pas une «forme d expression du programme» : aff. SAS préc. ; V. B. Galopin, RLDI mars 2014). Un raisonnement en termes d accessoire et de principal semblerait plus raisonnable (v. conclusions Avocat général, point 35). à Formule quelque peu elliptique mais : - la question n était pas expressément posée - Une autre affaire est pendante posant précisément cette question (à suivre ) : Demande de décision préjudicielle présentée par le Bundesgerichtshof (Allemagne) le 19 août 2013, Affaire C-458/13, Grund / Nintendo.

2.2.- Conséquences de la qualification - Conséquence sur la titularité des droits dans le cadre de la création salariée ( ) - Qu en est-il de l épuisement du droit de distribution? o CJUE 3 juill. 2012, UsedSoft / Oracle : application de la règle de l épuisement de l article 4 2 de la directive 2009/24. o Les éditeurs de jeu vidéo trouveront argument pour éviter la contagion de la solution UsedSoft adoptée pour les logiciels (application de l épuisement des droits et le développement d un marché de l occasion) : application de la directive 2001/29 et considérant 29 o L épuisement des droits ne s appliquerait qu à du «pur» logiciel (E. Rosati, IPKat, 26 janv. 2014) - Troisième conséquence : la protection des mesures techniques

3.- Étendue de la protection des mesures techniques

Rappel des textes pertinents : - Article 6 de la directive 2001/29 : «1. Les États membres prévoient une protection juridique appropriée contre le contournement de toute mesure technique efficace, que la personne effectue en sachant, ou en ayant des raisons valables de penser, qu'elle poursuit cet objectif. 2. Les États membres prévoient une protection juridique appropriée contre la fabrication, l'importation, la distribution, la vente, la location, la publicité en vue de la vente ou de la location, ou la possession à des fins commerciales de dispositifs, produits ou composants ou la prestation de services qui: a) font l'objet d'une promotion, d'une publicité ou d'une commercialisation, dans le but de contourner la protection, ou b) n'ont qu'un but commercial limité ou une utilisation limitée autre que de contourner la protection, ou c) sont principalement conçus, produits, adaptés ou réalisés dans le but de permettre ou de faciliter le contournement de la protection de toute mesure technique efficace. 3. Aux fins de la présente directive, on entend par "mesures techniques", toute technologie, dispositif ou composant qui, dans le cadre normal de son fonctionnement, est destiné à empêcher ou à limiter, en ce qui concerne les oeuvres ou autres objets protégés, les actes non autorisés par le titulaire d'un droit d'auteur ou d'un droit voisin du droit d'auteur prévu par la loi, ou du droit sui generis prévu au chapitre III de la directive 96/9/CE. Les mesures techniques sont réputées efficaces lorsque l'utilisation d'une oeuvre protégée, ou celle d'un autre objet protégé, est contrôlée par les titulaires du droit grâce à l'application d'un code d'accès ou d'un procédé de protection, tel que le cryptage, le brouillage ou toute autre transformation de l'oeuvre ou de l'objet protégé ou d'un mécanisme de contrôle de copie qui atteint cet objectif de protection. ( )»

Article 6 tel qu interprété par le considérant 48 : «(48) Une telle protection juridique doit porter sur les mesures techniques qui permettent efficacement de limiter les actes non autorisés par les titulaires d'un droit d'auteur, de droits voisins ou du droit sui generis sur une base de données, sans toutefois empêcher le fonctionnement normal des équipements électroniques et leur développement technique. Une telle protection juridique n'implique aucune obligation de mise en conformité des dispositifs, produits, composants ou services avec ces mesures techniques, pour autant que lesdits dispositifs, produits, composants ou services ne tombent pas, par ailleurs, sous le coup de l'interdiction prévue à l'article 6. Une telle protection juridique doit respecter le principe de proportionnalité et ne doit pas interdire les dispositifs ou activités qui ont, sur le plan commercial, un objet ou une utilisation autre que le contournement de la protection technique. Cette protection ne doit notamment pas faire obstacle à la recherche sur la cryptographie.»

3.1.- Une notion large de la mesure technique efficace Première question : le matériel («hardware») est-il concerné par la protection des mesures techniques? Réponse positive de la Cour ( 26 ; v. aussi 43 des conclusions de l Avocat général) : «rien dans ladite directive ne permet de considérer que l article 6, paragraphe 3, de celle-ci ne vise pas les mesures techniques telles que celles en cause au principal, qui sont, pour une partie, incorporées dans les supports physiques des jeux et, pour une autre partie, dans les consoles et qui nécessitent une interaction entre elles» à Solution justifiée par l objectif de niveau élevé de protection (cons. 9 de la directive 2001/29) à Solution logique au regard de la lettre du texte : «toute technologie, dispositif ou composant qui, dans le cadre normal de son fonctionnement, est destiné à empêcher ou à limiter, en ce qui concerne les œuvres ou autres objets protégés, les actes non autorisés par le titulaire d un droit d auteur» (+ réputée efficace)

3.2.- Un principe de proportionnalité à appliquer in concreto Principe de proportionnalité doublement appliqué : - Au niveau de la protection de la mesure technique Art. 6 3 de la directive : les MTP doivent «être destinées» à empêcher ou limiter les actes portant atteinte aux droits des titulaires sur l œuvre (arrêt de la Cour, 31). Cons. 48 (rappelé dans l arrêt de la Cour au 30) : la protection «ne doit pas interdire les dispositifs ou activités qui ont, sur le plan commercial, un objet ou une utilisation autre que le contournement de la protection technique» Autrement dit, ces «mesures doivent être appropriées à la réalisation de cet objectif et ne doivent pas aller au-delà de ce qui est nécessaire à cette fin» ( 31) à En l espèce, PC Box soutient que la finalité réelle poursuivie par Nintendo par ses mesures techniques est d empêcher le fonctionnement de logiciels indépendants («homebrews») n étant pas une copie illégale d un jeu vidéo, permettant de lire des fichiers MP3, des vidéos, en exploitant pleinement les capacités de la console : les mesures techniques portent atteinte à des actes légitimes.

Concrètement, la Cour donne des indications / critères à la juridiction de renvoi : «vérifier si d autres mesures ou des mesures non installées sur les consoles pourraient causer moins d interférences avec les activités des tiers ou de limitations de ces activités, tout en apportant une protection comparable pour les droits du titulaire. À cette fin, il est pertinent de tenir compte, notamment, des coûts relatifs aux différents types de mesures techniques, des aspects techniques et pratiques de leur mise en œuvre ainsi que de la comparaison de l efficacité de ces différents types de mesures techniques en ce qui concerne la protection des droits du titulaire» ( 38) à Une véritable étude de marché doit être menée, tenant compte des coûts, des aspects techniques et pratiques de leur mise en œuvre, ainsi que de la comparaison entre les différents types de mesures techniques.

è Le rôle de l expertise sera crucial.

- Au niveau du but du dispositif de contournement La proportionnalité se retrouve également au niveau du «but» de la mesure technique. Le problème est qu on ne peut s en tenir aux déclarations du «maître» des mesures techniques titulaire des droits d auteur (Avocat général, 67, arrêt de la Cour, 34). à L article 6.2 impose une protection des MTP qui sont «principalement» conçus, produits, adaptés ou réalisés dans le but de permettre ou de faciliter le contournement. La Cour précise que «la preuve de l usage que font effectivement de ceux-ci les tiers va être, en fonction des circonstances en cause, particulièrement pertinente» ( 36). Cela signifie d «examiner la fréquence» avec laquelle les appareils incriminés sont effectivement utilisés pour l utilisation non autorisée d œuvres protégées, «ainsi que la fréquence avec laquelle ces appareils sont utilisés à des fins qui ne violent pas le droit d auteur sur les jeux Nintendo et sous licence Nintendo» ( 36).

è La question de la preuve à apporter semble rester problématique pour les praticiens.

En guise de conclusion / ouverture - La Cour a avancé un certain nombre de critères qui devront être appliqué in concreto : cette base méthodologique a un avenir certain devant les juridictions nationales. - Quid de l effectivité juridique des futures et éventuelles condamnations? P. ex. : condamnation des linkers de Nintendo DS par CA Paris, 26 sept. 2011. En pourtant http://lmgtfy.com/?q=acheter+un+linker+pour+nintendo+ds&l=1

- Une question de modèle / stratégie économique?...

Commentaires / lectures : À propos de la décision Nintendo : - Bernault, Carine : «Protéger n est pas verrouiller», EDPI 1 er mars 2013, n 3, p.4 - Bruguière, Jean-Michel : «Les mesures techniques doivent être efficaces mais pas trop», Prop. Int. avr. 2014, n 51, p.176 - Galopin, Benoît : «Affaire Nintendo : la CJUE précise les conditions de protection des mesures techniques», RLDI mars 2014, 102, n 3402 p.58 - Rosati, Eleonora : «Still on the CJEU Nintendo ruling and its implications for the videogame industry», IP Kat, 4 fév. 2014 - Rosati, Eleonora : «Nintendo ruling confirmed lex specialis nature of Software Directive : does this have implications for UsedSoft exhaustion?», IP Kat, 26 janv. 2014 - Roset, Sébastien : JCP Europe mars 2014, n 131 Quelques lectures complémentaires (liste non exhaustive) : - F. Duflot, «L'interopérabilité dans tous ses états (Définition de la notion d'interopérabilité)», Interopérabilité : aspects juridiques, économiques et techniques, RLDI, janv. 2007, suppl. au n 23, 751, p. 9 - S. Dusollier, Droit d'auteur et protection des oeuvres dans l'univers numérique Droits et exceptions à la lumière des dispositifs de verrouillage des oeuvres, Larcier, Bruxelles, 2005 - T. Maillard, La réception des mesures techniques de protection et d'information en droit français, thèse Paris-Sud, mars 2009, http://www.mtpo.org/ - T. Maillard, «Mesures techniques de protection, logiciels et acquis communautaire : Interfaces et interférences des directives 91/250/CEE et 2001/29/CE», RLDI 2005/5, n 154, http://www.mtpo.org/ - G. Vercken, «Quel est le nouveau rôle des mesures techniques?», RLDI 2006, suppl. n 20, p. 15 - G. Vercken, «La consécration des mesures techniques de protection, un combat d'arrière-garde?», Propriétés Intellectuelles 2007, 25, p. 413, spéc. pp.416-417