LA DÉFENSE DES DROITS DE L HOMME Rana Plaza : autel du textile Christvient Lumbu Milandu Lycée Assomption Sainte Clotilde, Bordeaux 9
Mesdames, Messieurs, Je me tiens devant vous pour évoquer cette folie du textile, du toujours produire plus à bas coût, dans des conditions de travail immondes. Ce fléau touche de nombreux pays d Asie : Chine, Inde, Cambodge, Indonésie et Bangladesh Non sans conséquence, des autels du textile ont vu le jour comme Rana Plaza. Oui! Rana Plaza, autel du textile! Le 24 avril 2013, un immeuble du nom de Rana Plaza s est effondré. Il logeait des ateliers du textile au service de grandes marques occidentales : Nike, H&M, Zara et Gap. Parmi les 3 122 employés, 1 127 ont trouvé la mort. C était au Bangladesh. La majorité des personnes salariées sont des femmes comme Hony Chantam. Le «salaire est de cent dollars par mois pour un travail de dix à douze heures par jour, et parfois vingt-quatre heures lorsqu il y a des commandes importantes», selon ses dires rapportés à l Observatoire des multinationales. En plus de cela s ajoutent «les loyers de cinquante dollars ; l eau et l électricité coûtent vingt dollars». Comme vous l avez bien compris, ces ouvrières se saignent les veines pour nourrir leur famille. Elles se battent sans relâche pour éduquer leurs enfants. La misère, la fatigue, la pauvreté et la peur du lendemain s écrasent sur leurs épaules. Elles s endettent même pour consommer! Le site du collectif Éthique sur l étiquette révèle cette course aux salaires les plus bas en Asie de l Est. Cent soixante-quatorze euros par mois en Chine, cinquante et un euros en Inde, soixante euros au Cambodge et quatre-vingt-deux en Indonésie. 11
Les salaires des ouvrières ne valent pas plus que les articles vendus. Ces femmes sont «soldées»! Comment ce genre de chose a-t-il pu arriver? Qui l encourage et dans quel but? Eh bien, les premiers responsables, c est nous, les consommateurs et consommatrices! Coluche disait : «Pour qu un produit ne se vende plus, il suffit de ne plus l acheter.» Par notre envie de tout acheter sans se soucier des normes, nous avons oublié ces sacrifiés du textile. Nous avons oublié que c est à ce prix que nous avons des vêtements. Bien sûr, il est évident que les autorités locales ont aussi leur part de responsabilité. Les dirigeants préfèrent laisser continuer cet esclavage moderne et écraser toute opposition. Au Cambodge, le premier ministre Hun Sen, au pouvoir depuis 1985, broie les revendications ouvrières. Le 3 janvier 2014, la police a tiré sur les manifestants, faisant trois victimes. Ces trois révoltés morts étaient sans doute des parents qui ont laissé derrière eux femmes, maris, pères, mères, orphelins et amis. Si nos garde-robes sont tant remplies, le vide laissé par les morts demeure. Évidemment, j ai conscience de la place du textile dans le développement de ces pays ateliers. Il représente un tiers du PNB et 85 % des exportations rien qu au Cambodge! Sur les six cents mille ouvrières cambodgiennes, quatre cents mille travaillent pour des grandes marques. Il ne s agit pas de freiner la croissance de ces États souvent jeunes et sortis de la guerre. Il ne s agit pas également d interdire aux gens de travailler. Il ne s agit pas non plus d interdire la religion du libreéchange, qui le pourrait d ailleurs? Mais ces firmes transnationales jouent sur les frontières et contournent les lois habilement. Elles s engraissent alors que les salaires diminuent. 12
Pourtant! Devrions-nous ignorer les droits de ces travailleurs et travailleuses? «Toute personne a droit au travail, au libre choix de son travail, à des conditions équitables et satisfaisantes de travail et à la protection contre le chômage», nous rappelle la Déclaration universelle des droits de l homme dans son article 23. Dans ce même article il est aussi stipulé que : «Tous ont droit sans aucune discrimination, à un salaire égal pour un travail égal. Quiconque travaille a droit à une rémunération équitable et satisfaisante, lui assurant ainsi qu à sa famille une existence conforme à la dignité humaine et complétée s il y a lieu par tous les autres moyens de protection sociale». Trouvez-vous qu être payé cent euros pour parfois vingt-quatre heures de travail est correct et digne? Toujours dans la Déclaration universelle des droits de l homme : «Toute personne a droit au repos et aux loisirs et notamment à une limitation raisonnable de la durée de travail et à des congés payés périodiques.» Cette déclaration démontre combien les droits des ouvriers et ouvrières partent en fumée sur l autel de la rentabilité. Deux semaines après le drame du Rana Plaza, une usine de pull-overs a pris feu. Cela a fait huit morts. Leurs corps calcinés sont la conséquence de cette folie qui ronge le textile d où proviennent nos jeans, nos chaussures, nos pulls et autres habits. Les inspections n ont pu fermer que vingt usines, soit moins de 1 % de tous les ateliers. Les commandes des distributeurs valent-elles plus que la vie humaine aujourd hui? J espère ne pas le croire même si des chiffres et des faits nous prouvent le contraire. À l ère du XXI e siècle, l «armée de réserve du textile» grandit et se compose d une catégorie bien plus faible et plus fragile que les adultes : les enfants. À peine plus grands que la taille des jeans qu ils produisent et souvent âgés de six à dix ans, ces enfants sont au premier front des injustices. 13
Leurs mains ne sont pas dédiées à l écriture alors que tout enfant a le droit à l éducation. Ces mains servent plutôt à fabriquer des ballons de foot que certains appellent, comme Neil Kearney, secrétaire général de la Fédération internationale des travailleurs du textile, de l habillement, et du cuir (FITTHC), «les ballons de la honte». Ces «victimes de la mode» sont souvent «affamées et fouettées en cas d erreur», dénonce le journal Libération. Pour ceux-là, il est encore plus difficile d échapper à la toile d araignée du textile qui les mène dans une spirale de pauvreté et de violence sans fin. Tout ceci se fait au mépris de l article 37 de la Convention internationale des droits de l enfant (CIDE) «Nul enfant [ne peut être] soumis à la torture ni même à des peines ou des traitements cruels, dégradants et inhumains». Cet article énonce aussi que «tout enfant [ ]soit traité avec humanité et avec le respect dû à la dignité de la personne humaine». Anonymes et victimes de l indifférence du monde, ces enfants connaissent le même destin que ceux de Sialkat. Dans cette ville du nord-est du Pakistan sont assurés «80 % de la production de ballons du monde», rapporte encore Libération. Des tâches ingrates «sont effectuées pour 200 roupies au lieu de 1 500» comme le demande la loi. L article 37 de la CIDE mentionne très bien «une réglementation appropriée des horaires et des conditions de travail» pour ces enfants qui travaillent quinze heures par jour. Mesdames et Messieurs, ne vous y trompez pas! Ces enfants sont aussi des esclaves modernes et leurs patrons des esclavagistes. Le mot «esclavagisme» est dur mais au fond tellement léger pour qualifier les conditions de travail de ces enfants. N auraient-ils pas droit, eux aussi, de dire avec Voltaire : «Ce qui sert à vos plaisirs est mouillé de nos larmes»? 14
Pour ma part, je m oppose à cette réalité et propose une autre vision. Je veux un monde plus juste où tous les pays auraient un même niveau de vie élevé. Je veux un monde où entreprises et salariés marchent ensemble vers l équité sociale, la croissance économique et la protection de l environnement. Je veux un monde où adultes et enfants puissent cohabiter en paix sans être maîtres ni esclaves. C est pour cela que je suis devant vous. Merci de votre attention. 15