Les troubles du comportement : expression d une demande de protection de la personne? Olivier SAUTEL MCF Faculté de Droit Montpellier Directeur du DU Droit et Santé Membre de la CRCI Languedoc Roussillon
Vieillissement et troubles du comportement, fatalité ou réalité? Que peut faire le droit face à ces troubles? Faut-il protéger la personne?
Cas pratique fictif Une personne âgée ayant des troubles du comportement, le cas de Liliane X. Appauvrissement par des dons.
L ami : il aurait eu des cadeaux Un cadeau L île d Arros! La fille : elle veut protéger sa mère!
Faut-il protéger la personne? Hypothèse de départ : Une personne âgée avec des troubles du comportement
Avant de répondre à la question, il convient de préciser quelques points importants : -Le droit protège les personnes vulnérables. On peut imaginer que la personne âgée ayant des troubles du comportement est vulnérable. -Les mécanismes de protection juridique sont forcément attentatoires à la liberté de la personne : la personne protégée (en fonction du degré de protection) n est plus tout à fait libre.. D où la réticence parfois, pour les juges des tutelles, de mettre en place de telles protections. Plus de protection, c est moins de liberté!
Faut-il protéger la personne âgée atteinte par des troubles du comportement? Pour répondre la question : deux temps I - Il est nécessaire de protéger II - Mais il faut faire attention à l excès de protection
I - Le principe : Il est nécessaire de protéger la personne âgée atteinte de troubles du comportement. Mais cette affirmation doit être affinée : -Qui faut-il protéger? -Quand? -Comment?
Qui? Assurément, il convient de protéger la personne âgée dont les troubles sont tels qu ils altèrent de façon sensible son discernement. Sans discernement, la personne devient vulnérable. Ce n est donc pas spécifique aux personnes âgées, on retrouve la même problématique pour les enfants et pour les personnes non âgées atteintes de troubles psychiques.
Quand? La protection juridique s impose lorsqu il y a un besoin ou un danger pour la personne. Besoin, par exemple, de la représenter lors d une vente d un bien lui appartenant. La personne âgée a intérêt que l acte soit réalisé, mais elle n en a pas conscience. Danger, par exemple, parce que sans protection le patrimoine de la personne âgée peut faire l objet de détournement.
Quand?. Attention, la présence de parents proches (enfants, conjoints) peut être de nature à réduire la nécessité d une protection. Pourtant, la proximité de la famille ne fait pas disparaître cette nécessité de protection. Même bien entourée, la personne âgée atteinte de troubles demeure vulnérable. Sans protection juridique, elle sera considérée comme juridiquement capable de gérer sa personne et ses biens. Les proches n auront aucun droit particulier pour l assister. Voir notre cas fictif et l histoire de Liliane X.
Comment? Plusieurs scénarios peuvent être mis en place : -De façon ponctuelle. La personne âgée atteinte de troubles peut être protégée par l utilisation de procédés ponctuels et éphémères. Attention ces procédés ne sont pas spécifiques aux personnes âgées.
1 er - N importe qui peut intervenir pour gérer au nom de la personne âgée atteinte de troubles au travers du mécanisme de la GESTION d AFFAIRE (art. 1372 et s. du CC). «Lorsque volontairement on gère l'affaire d'autrui, soit que le propriétaire connaisse la gestion, soit qu'il l'ignore, celui qui gère contracte l'engagement tacite de continuer la gestion qu'il a commencée, et de l'achever jusqu'à ce que le propriétaire soit en état d'y pourvoir lui-même ; il doit se charger également de toutes les dépendances de cette même affaire. Il se soumet à toutes les obligations qui résulteraient d'un mandat exprès que lui aurait donné le propriétaire».
2 ième - Le conjoint peut demander une autorisation pour passer un acte pour lequel le consentement de la personne âgée atteinte de troubles est nécessaire (art. 217 CC). «Un époux peut être autorisé par justice à passer seul un acte pour lequel le concours ou le consentement de son conjoint serait nécessaire, si celui-ci est hors d'état de manifester sa volonté ou si son refus n'est pas justifié par l'intérêt de la famille. L'acte passé dans les conditions fixées par l'autorisation de justice est opposable à l'époux dont le concours ou le consentement a fait défaut, sans qu'il en résulte à sa charge aucune obligation personnelle».
3 ième - Le conjoint peut se faire habiliter en justice pour représenter la personne âgée atteinte de troubles pour des actes particuliers (art. 219 CC). «Si l'un des époux se trouve hors d'état de manifester sa volonté, l'autre peut se faire habiliter par justice à le représenter, d'une manière générale, ou pour certains actes particuliers, dans l'exercice des pouvoirs résultant du régime matrimonial, les conditions et l'étendue de cette représentation étant fixées par le juge. A défaut de pouvoir légal, de mandat ou d'habilitation par justice, les actes faits par un époux en représentation de l'autre ont effet, à l'égard de celui-ci, suivant les règles de la gestion d'affaires».
4 ième - Le conjoint peut demander en justice que la personne âgée atteinte de troubles soit interdite de réaliser certains actes de disposition (art. 220-1 CC). C est la seule possibilité pour empêcher cette personne de réaliser des actes qui lui sont gravement préjudiciables. «Si l'un des époux manque gravement à ses devoirs et met ainsi en péril les intérêts de la famille, le juge aux affaires familiales peut prescrire toutes les mesures urgentes que requièrent ces intérêts. Il peut notamment interdire à cet époux de faire, sans le consentement de l'autre, des actes de disposition sur ses propres biens ou sur ceux de la communauté, meubles ou immeubles. Il peut aussi interdire le déplacement des meubles, sauf à spécifier ceux dont il attribue l'usage personnel à l'un ou à l'autre des conjoints».
5 ième Dans le cadre du régime de la communauté légale, les articles 1426 et 1429 du Code civil autorisent l un des époux a demandé à être substitué dans les pouvoirs de son conjoint lorsque ce dernier est hors d état de manifester sa volonté. Tel sera le cas si le conjoint âgé est atteint de troubles du comportement. Il existe donc quelques mécanismes de protection spécifiques surtout dans l hypothèse ou la personne âgée est mariée. En dehors de ce scénario, la gestion d affaire est de nature à protéger un peu la personne hors d état de manifester sa volonté, mais ce mécanisme n est pas adapté à cette situation et encore moins pour une personne âgée atteinte de troubles.
Ces protections (éphémères) ne sont donc pas adaptées à la protection de la personne âgée. La gestion d affaire est un mécanisme ponctuel, et les autres protections sont limitées à la présence d un conjoint - elles sont donc inadaptées aux personnes âgées veuves ou célibataires. Les troubles de la personne âgée posent donc la question de la mise en place de régimes de protection.
- De façon plus générale.la personne âgée atteinte de troubles du comportement peut bénéficier d un régime de protection. L article 425 du Code civil précise à ce titre que «Toute personne dans l'impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts en raison d'une altération, médicalement constatée, soit de ses facultés mentales, soit de ses facultés corporelles de nature à empêcher l'expression de sa volonté peut bénéficier d'une mesure de protection juridique prévue au présent chapitre. S'il n'en est disposé autrement, la mesure est destinée à la protection tant de la personne que des intérêts patrimoniaux de celle-ci. Elle peut toutefois être limitée expressément à l'une de ces deux missions».
Trois mécanismes de protection peuvent être mis en place : 1 er : le plus léger - la sauvegarde de justice Il s agit d un régime de protection temporaire (1 an renouvelable une fois). Elle est prononcée lorsque la personne a besoin d une protection juridique temporaire ou a besoin d être représentée dans l accomplissement de certains actes déterminés. La personne est assistée d un mandataire spécial.
2 ième : le mécanisme intermédiaire - la curatelle La curatelle est décidée lorsque la personne a besoin d une assistance permanente dans les actes important de la vie de tous les jours. Il s agit d un régime d assistance, la personne sera aidée d un curateur. La protection dure 5 ans au maximum - avec un renouvellement possible.
3 ième : le mécanisme le plus complet - la tutelle La tutelle est décidée lorsque la personne est hors d état d agir elle-même. Le trouble du comportement est alors tel, que la personne a besoin d être représentée. La personne âgée perd alors sa capacité d exercice : elle ne peut plus exercer ses droits. Il s agit d un régime de représentation, qui transfère les pouvoirs de gestion au tuteur. La protection dure 5 ans au maximum - avec un renouvellement possible.
Le juge de tutelles peut adapter l étendue de la curatelle et de la tutelle en fonction de son état. Certains actes peuvent être laissés à la compétence de la personne âgée. Pour être complet, il me faut citer un 4 ième mécanisme : le mandat de protection future. Une personne majeure peut désigner un mandataire dont le rôle sera de la protéger en cas de survenance de troubles. Il s agit d une protection future, car la personne prend la décision au moment ou elle ne connaît pas d altération de ses facultés. La protection sera activée que si cette altération arrive. Ce mandat est impossible pour les personnes sous tutelle - elle est possible sous curatelle avec l assistance du curateur.
Ces régimes de protection (sauvegarde, curatelle et tutelle) sont décidés en cas de nécessité. Il faut donc que le trouble du comportement altère le discernement de la personne âgée. Ces mesures sont demandées : -Par la personne âgée elle-même, -Par son conjoint ou son partenaire pacsé, -Par un parent, un allié -Par le procureur (d office ou à la demande d un tiers). Remarque : le médecin traitant et le directeur de l établissement ne peuvent plus donner directement un avis au juge des tutelles. En revanche, ils peuvent informer le parquet d une nécessité de placer sous protection.
La demande de placement sous un régime de protection doit être nécessairement accompagnée d un certificat médical établi par un médecin choisi sur une liste établie par le procureur de la république. Ce certificat médical doit être circonstancié. Il doit : -Décrire avec précision l altération des facultés, -Donner des informations sur l évolution prévisible de l altération, -Indiquer les conséquences de l altération sur la nécessité d une assistance ou d une représentation de la personne. En outre, la demande doit contenir (si possible) le nom du médecin traitant.
Faut-il placer la personne âgée sous un régime de protection de type tutelle ou curatelle? Assurément tout est une question de cas particulier. -La famille est-elle présente? -La famille protège-t-elle la personne? -La personne ou son patrimoine sont-ils en danger? -. Seule certitude, il faut être attentif au risque d excès de protection.
II - Le risque d excès de protection Il y a un vrai risque à décider de la mise en place d un régime de protection puisque par ces régimes, on bride la liberté de la personne. 1 er élément : Il faut éviter de confondre la nécessité d une protection et la considération que l on se fait de la personne. Ce n est pas parce que la personne est faible, quelle doit être protégée. La personne âgée a le droit d être maladroite, imprévisible, inconséquente.. Ce droit nous appartient..il n y a pas de raison d être plus exigeant avec une personne âgée.
Seuls les troubles de nature à créer un vrai danger doivent être pris en compte.pour décider d un régime de protection. Or ce n est pas le cas de certains comportements qui nous surprennent parfois ou nous choquent lorsqu ils sont fait par des personnes âgées : -Amitiés improbables, -relations amoureuses ou sexuelles, -dépenses excessives, -lubies. Ce ne sont pas des motifs de placement sous tutelle ou curatelle!
2 ième élément : Au-delà de la question de la protection de la personne âgée, la question fondamentale reste celle du respect de sa personne. La décision de placer la personne âgée atteinte de troubles sous un régime de protection (tutelle ou curatelle), ou le refus de décider de ce placement doivent être fait en respectant la personne La famille a un rôle compliqué : -Elle peut être dans le refus. Et s opposer à la mise en place d un régime de protection (tabou), -Elle peut être dans l excès et avoir la volonté de placer à tout prix la personne âgée sous tutelle, pour la protéger ou pour profiter de son patrimoine!
Comment peut-on résumer la problématique de la personne âgée atteinte de trouble? -D un côté on trouve le personnel soignant, personnel qui va identifier rapidement l existence d un trouble et peut être l existence d un danger pour la personne et/ou pour son patrimoine.. Ce personnel est dans «l urgence», il sait car il voit! -De l autre côté, on trouve le juge des tutelles, qui n est pas capable d identifier le trouble et ses conséquences sans l expertise d un professionnel. Ce juge sera toujours attentif et prudent..il sera dans l attente et la réflexion! La décision ne sera jamais précipitée.
L évidence d un besoin de protection que peut avoir le personnel médical - est en rupture avec l apparente et nécessaire inertie du droit qui ne peut pas sans réflexion s interroger sur la question de la perte de capacité juridique. Il n y a donc par de recette miracle pour le droit et surtout aucune réponse toute faite. La décision de protection doit être prise au cas par cas.
Pour conclure sur une note d espoir.. Pour Liliane X. tout va bien. L histoire finit bien..liliane n a plus de troubles du comportement. C est pour cela que sa fille ne demande plus le placement sous un régime de protection. Liliane et sa fille se sont retrouvées chez Armani lundi 24 janvier 2011..