MICHEL PIQUEMAL Les Philo- fables ALBIN MICHEL
LES PORCS- ÉPICS Mots- clés : Cour toi sie / Indé pen dance / Autrui Par une froide jour née d hiver, des porcs- épics se ser raient les uns contre les autres afin de se tenir chaud. Mais très vite, à force de se ser rer, ils res - sen tirent la brû lure de leurs piquants et durent s écar ter. Quand ils eurent trop froid, leur ins tinct les poussa à se rap pro cher encore Mais de nou - veau, ils res sen tirent la brû lure de leurs piquants. Ils renou ve lèrent ce manège plu sieurs fois jus qu à ce qu ils trouvent enfin leur juste dis tance. Fable racontée par le phi lo sophe alle mand Schopen hauer (1788-1860) 11
Dans l ate lier du phi lo sophe L homme est un ani mal social. Il a besoin des autres. Mais cette néces saire proxi mité a son revers. Elle peut deve nir pesante. Même en famille, même dans un couple À nous donc de trou ver la juste dis tance. À nous d accep ter que l autre ait aussi ses propres amis et ses jar dins secrets.
LE SERPENT ET LES VILLA GEOIS Mots-clés : Nature / Mépris / Non-violence / Respect de soi Près d un petit village de l Inde vivait un énorme serpent qui ter ro ri sait les habi tants, piquant à mort ceux qui pas saient dans les parages. Excé dés, les villa geois allèrent en délé ga tion trou ver un sage pour se plaindre de sa méchan ceté. Le sage se ren dit à son tour auprès du serpent. Il lui parla lon guement, lui reprochant son inconduite Que lui avaient donc fait les villa geois? Pour quoi tant de meurtres et de vio lence gratuite? Il sut si bien trou ver les mots que le serpent en fut bouleversé. Il jura de s amender et il tint parole. À comp ter de ce jour, il ne fut plus le même. Lui, le ter ri fiant rep tile, devint une sorte de long ver maigre et flasque. Il per dit toute sa force, n osant même plus ava - ler la moindre limace. 13
Les villa geois, qui avaient la mémoire bien courte, en vinrent à se moquer de sa fai blesse. C était bien la peine d avoir des crocs veni meux pour ne jamais en faire usage! Les enfants, chaque fois qu ils le croi saient, lui jetaient des pierres ou lui déco chaient quelques coups de pied. Au bout de plu sieurs mois de cette vie, le serpent fut fati gué de tous ces coups reçus. Il se traîna non sans peine jus qu à la mai son du sage, et ce fut son tour de lui expo ser ses pro blèmes. J ai fait tout ce que tu m avais demandé, mais j ai l impres sion de n être plus moi- même. Les villa geois ne me craignent plus, et tout leur respect d antan s en est allé. Ils me méprisent, ils me battent, et j en ai le cœur qui saigne. Que peuxtu me dire? Ce que je peux te dire est fort simple, lui répon dit le sage. Je t ai inter dit de piquer à mort les villa geois sans rai son. Mais t ai- je inter dit de sif fler? Conte de l Inde 14 Dans l ate lier du phi lo sophe La sagesse indienne nous enseigne ce que Boud - dha a nommé «la voie du milieu»! En voici dans ce conte une appli ca tion. Si la vio lence n est pas
une solu tion, la lâcheté et la fai blesse non plus. La vie en société n est pas que cour toi sies et poli - tesses. Nous devons nous faire fer me ment res - pec ter. Mais tout le monde en a- t-il la force et l éner gie?
L ANNEAU DE GYGÈS Mots- clés : Bien et Mal / Morale / Jus tice Gygès était un ber ger qui avait trouvé sur le corps d un homme mort une mys té rieuse bague. Or, un jour qu il était convo qué par le roi en compa gnie de tous les autres ber gers, il joua avec sa bague et en tourna machi na le ment le cha ton. Quelle ne fut pas sa sur prise de consta ter que ce simple geste le ren dait invi sible! Les autres ber - gers par laient de lui comme s il était absent, et per - sonne ne remar quait sa pré sence. Il tourna de nou veau le cha ton et réap pa rut aux yeux de tous. Les jours sui vants, il renou vela l expérience et fut alors convaincu du pou voir magique de sa bague. Aus si tôt, de noirs des seins lui vinrent en tête. Il se mit à envier le roi et ses richesses. Il retourna au palais où il fit en sorte de séduire la reine. Puis, 16
pro fi tant de son invi si bi lité, il tua le roi et s empara du trône. Légende racontée par Platon (IV e siècle avant notre ère), La Répu blique Dans l ate lier du phi lo sophe Platon, qui raconte cette his toire, nous pose la ques tion : «Si nous pos sé dions l anneau de Gygès et étions sûrs de ne jamais être punis, en profiterions- nous pour voler, tuer et faire tout selon notre bon vou loir?» Autre ment dit, est- ce que nous évi tons de faire le mal parce que nous avons effec ti ve ment le sen ti - ment que c est mal et que ce serait indigne de nous d y céder ou bien est- ce juste par crainte des puni tions, du châ ti ment? La ques tion est d impor - tance, car elle est le socle sur lequel repose toute morale.
LE RÊVE DU PAPILLON Mots- clés : Être / Conscience / Illu sion / Rêve / Iden tité Un phi lo sophe chi nois raconte cette his toire à don ner le ver tige «Dans son som meil, un homme rêve qu il est un papillon. Il vol tige de fleur en fleur, il butine, ouvre et referme ses ailes. Il a la légè reté du papillon, sa grâce et sa fra gi lité. Sou dain, il se réveille, et il s aper çoit avec éton ne ment qu il est un homme. Mais est- il un homme qui vient de rêver qu il était un papillon? Ou bien est- ce un papillon qui rêve qu il est un homme?» D après Tchouang- Tseu, sage taoïste chi nois (IV e -III e siècle avant notre ère) 18
Dans l ate lier du phi lo sophe Le rêve et ses illu sions ont tou jours pas sionné les phi lo sophes. Car, lorsque nous rêvons, tout nous semble réel. Comment donc savoir si nous ne sommes pas, à l ins tant même, dans un rêve? La vie est un songe, a écrit le poète espa gnol Calderón. Et Borges, l écri vain argen tin, est allé plus loin encore, ima gi nant que notre vie n était que le rêve d une autre créa ture Vous arrive- t-il par fois de dou ter de votre propre réa lité? Comment s en convaincre?