Double vie. Les drogues et le travail

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Transcription:

Double vie. Les drogues et le travail Astrid Fontaine Les Empêcheurs de Penser en Rond, 2006 Recherches financées par l OFDT (2001 2003) «La sociologie nous apprend une chose plutôt désespérante: démontrer que l usage de drogues ne provoque pas les ravages qu il est censé provoquer, c est produire une connaissance inutile.» Albert Ogien

Trouver l équilibre «Il y a des gens qui, en rentrant du travail, boivent une bière devant la télé ou prennent un petit Lexomil. Moi j'ai arrêté de boire et j ai besoin de fumer mon joint le soir.» Yves, 30 ans Chargé de production TV Ancien alcoolo-dépendant Sevrage sans aide extérieure Usage quotidien de cannabis Usage mensuel de cocaïne en contexte festif

Des usagers qui travaillent ou des salariés qui se droguent? «Je travaille depuis 15 ans, je ne me suis jamais arrêté de travailler, pas même pour un arrêt maladie. Je me sens complètement intégré socialement, je me sens citoyen.» Sébastien, 38 ans Directeur informatique Usage quotidien d héroïne pendant 8 ans en contexte privé Sevrage sans aide extérieure et sans arrêter de travailler Usage hebdomadaire de cocaïne, d alcool et d ecstasy en contexte festif

Les effets des produits socialement acceptés? «L alcoolisme mondain est totalement intégré. Je n ai pas de problème avec les drogues, j en prends.» Henri, 36 ans Journaliste TV Usage quotidien de cocaïne, d alcool et de cannabis en contexte festif et professionnel Usage régulier d ecstasy, héroïne, divers médicaments

Les drogues comme outil d intégration «Ça me permet d être assidu et sociable, intégré. C est totalement ce qui m intègre.» Tristan, 40 ans Fonctionnaire dans une institution répressive Usage quotidien de cannabis, d alcool, de médicaments (Xanax) Usage occasionnel de cocaïne, d ecstasy, de LSD en contexte festif

Avoir une vie sociale en dehors du travail, supporter la pression «La drogue ne représente qu une petite partie de ma vie.» Franck, 32 ans Ingénieur dans le bâtiment Usage quotidien de cannabis Usage hebdomadaire de cocaïne et d ecstasy en contexte festif

Travailler pour être «comme tout le monde» «J ai besoin d avoir un cadre, de travailler, d être comme tout le monde.» Lou, 39 ans Visiteuse médicale Usage quotidien d amphétamines en contexte professionnel (coupe-faim qu elle proposait aux médecins généralistes) Qui a induit un Usage quotidien de cocaïne pendant 2 ans en contexte festif et professionnel Usage occasionnel de cocaïne et d ecstasy en contexte festif

Faire face «Ce n est pas le milieu de la drogue ça, c est un milieu périphérique, plus secret, plus caché, plus intimiste.» Armand, 49 ans Marchand d art Usage quotidien de cocaïne pendant 4 ans en contexte festif et professionnel Suivi d un Usage quotidien de Lexomil

Un usage maîtrisé des drogues? «Bien sûr, j ai vu des gens partir dans la cocaïne et dans l héroïne, mais c était aussi pour d autres raisons. La plupart reste à un niveau raisonnable.» Vincent, 24 ans Agent commercial Usage quotidien d alcool et de tabac induit par le travail Usage hebdomadaire de cocaïne et occasionnel d ecstasy en contexte festif

Être bon vivant, c est aussi prendre un risque «Évidemment ce que je fais est complètement répréhensible.» Dominique, 30 ans Enseignant universitaire à l étranger Usage quotidien de cannabis le soir en rentrant du travail Usage hebdomadaire de cocaïne et d ecstasy en contexte festif Usage occasionnel de kétamine en contexte festif

Le français moyen, le junky et le super héros «Franchement, je ne me sens pas comme eux.» Martine, 25 ans Assistante de production Usage hebdomadaire de cocaïne et d ecstasy en contexte festif Usage d alcool induit par le contexte professionnel

Drogues et milieu social «Lorsque les gens sont intégrés socialement, la dimension de la drogue est complètement autre.» Charles, 40 ans Haut fonctionnaire et homme d affaires Usage mensuel de cocaïne et d ecstasy en contexte festif Usage occasionnel d opium, LSD, amphétamines, kétamine, GHB en contexte festif

La «gueule de l emploi» «Je ne corresponds pas à l image, bien agréable, de la victime de la drogue.» Victor, 28 ans Chercheur et consultant Usage quotidien de médicaments (aspirine codéïnée, stimulants licites) en contexte professionnel Usage occasionnel de cocaïne, d ecstasy, de LSD en contexte festif

Usagers réguliers (+ de 10 épisodes de consommation par an) de psychotropes licites et/ou illicites Exerçant une activité professionnelle régulière depuis plus d un an «Cachés» des statistiques sanitaires et judiciaires = n ayant jamais été en contact avec le corps médical ou le système judiciaire pour des raisons liées à leur consommation

Des histoires singulières Des trajectoires non linéaires Des stratégies de gestion de l usage: Maintien d une consommation strictement circonscrite aux temps de loisir Evitement de pratiques de consommation «dures» Modération et contrôle des quantités absorbées à chaque prise Espacement des prises quand la charge de travail est trop importante Rigueur et autodiscipline, organisation et anticipation Aménagement de temps de récupération

S agit-il d un «phénomène émergent» ou d un nouvel intérêt? Comment le mesurer? L entreprise peut-elle / doit-elle proposer autre chose que la prévention? Comment définit-on les «postes à risques»? Impact de l usage de psychotropes sur la rentabilité / Impact des conditions de travail sur la santé des travailleurs? Quelles sont les questions éthiques soulevées par l utilisation des tests de dépistage? Quelles sont/seront les conséquences humaines du dépistage?

Sur 62 personnes rencontrées Médicaments psychotropes Produits illicites et médicaments Produits illicites exclusivement 5 femmes 1 homme 1 femme 3 hommes 10 femmes 42 hommes

Contextes de consommation (sur 62) Usage festif et privé exclusivement 38 Festif et au travail parfois 16 Festif et au travail régulièrement 8 10 Femmes 28 Hommes 2 Femmes 14 Hommes 8 Hommes

S agit-il d un «phénomène émergent» ou d un nouvel intérêt? Comment le mesurer? L entreprise peut-elle / doit-elle proposer autre chose que la prévention? Comment définit-on les postes à risques? Quelles sont les questions éthiques soulevées par l utilisation des tests de dépistage?

Catégories professionnelles Prêt-à-porter Gestion, comptabilité Chef d entreprise Commercial Consulting Doctorant Enseignant à l université, professeur, instituteur Fonctionnaire Haute technologie Infirmier psychiatrique Journaliste Maraîcher Médecin Milieu carcéral Milieu de l art Ouvrier spécialisé Production événementielle Responsable d une agence d intérim Secrétaire Visiteuse médicale Milieu du spectacle

La consommation en population générale Baromètre Santé 2005 (12 à 75 ans) Tabac : 66 000 décès par an, 1ere cause de mortalité évitable 1960 : 57% de fumeurs réguliers, 11% de fumeuses 2000 : 33% de fumeurs réguliers, 21% de fumeuses Alcool : la France connaît une surmortalité masculine liée à l alcool de 30 % supérieure à la moyenne européenne (14% des décès, 2 cause de mortalité évitable) 2005 : 84,8 % des 12-75 ans ont consommé au moins une fois dans l année 14,4 % déclare avoir été ivre dans l année 9,4 % de la population (H: 13,8 % et F: 5 %) présenteraient des signes d usage problématique Médicaments psychotropes : la France est l un des pays les plus consommateurs de médicaments et de médicaments psychotropes au monde (entre 1991 et 1997, la consommation d antidépresseurs a progressé de 42,5%) 8,9 millions de 12-75 ans consommateurs occasionnels 3,8 millions de 12-75 ans consommateurs réguliers

La consommation en population générale Baromètre Santé 2005 (15 à 64 ans) 32,4 % déclare avoir déjà consommé au moins une drogue illicite au cours de sa vie 30,6 % déclare avoir déjà consommé du cannabis au cours de sa vie moins de 4 % a déjà consommé du poppers (produit le plus expérimenté après le cannabis) Moins de 1 % a déjà pris d autres drogues illicites 0,5 % consomme occasionnellement de l ecstasy ou de la cocaïne

Le «français moyen» Le «junky» Le «super héros»

Contexte socio-politique Coût social des drogues Evolution de la consommation de psychotropes en France, licites et illicites Banalisation des prescriptions de médicaments psychotropes pour des troubles mineurs Enjeu commercial que représente la diffusion des tests de dépistage proposés par l industrie pharmaceutique

Préoccupations de l entreprise confrontée à la consommation de psychotropes Les postes à risques Les accidents du travail Les arrêts maladies et l absentéisme La rentabilité

Questions éthiques liées au dépistage Fiabilité discutée des méthodes de dépistage Peu de connaissances sur le phénomène et absence de programmes de prise en charge expérimentés et évalués La stigmatisation d une population jusqu ici préservée Les atteintes aux libertés individuelles