A R R E T. En cause : la question préjudicielle posée par le Conseil d'etat en cause de R. Louvigny contre l'etat belge.



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Transcription:

Numéro du rôle : 599 Arrêt n 25/94 du 22 mars 1994 A R R E T En cause : la question préjudicielle posée par le Conseil d'etat en cause de R. Louvigny contre l'etat belge. La Cour d'arbitrage, composée des présidents M. Melchior et L. De Grève, et des juges K. Blanckaert, L. François, Y. de Wasseige, G. De Baets et E. Cerexhe, assistée du greffier H. Van der Zwalmen, présidée par le président M. Melchior, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : * * *

2 I. Objet de la question préjudicielle Par son arrêt n 43.874 du 27 août 1993, en cause de Robert Louvigny contre l'etat belge, représenté par le ministre de l'intérieur et de la Fonction publique, le Conseil d'etat, section d'administration, a posé la question préjudicielle suivante : «L'article 22 de la loi du 19 juillet 1991 organisant la profession de détective privé, en ce qu'il dispose en son alinéa 2 que le détective privé ne doit pas satisfaire à la condition de formation visée à l'article 3, 5, s'il est inscrit au registre du commerce au 15 avril 1991 et en ce qu'il dispose en son alinéa 4 que le détective privé, s'il est inscrit au registre du commerce au 15 avril 1991 et s'il introduit une demande d'autorisation dans les trois mois de l'entrée en vigueur de la loi, peut poursuivre l'exercice de ses fonctions pendant trois ans, même sans que l'autorisation lui ait été accordée, viole-t-il l'article 6 de la Constitution, en ce qu'il réserve, par référence à la notion de ' détective privé ' définie par l'article 1er de la loi, le bénéfice de ces dispositions aux seuls détectives privés qui, en tant que personne physique, étaient inscrits en cette qualité au registre du commerce au 15 avril 1991, et en ce qu'il exclut les détectives privés qui exerçaient leurs fonctions à la même date en tant qu'organe d'une société commerciale?». II. Les faits et la procédure antérieure R. Louvigny est, depuis 1974, gérant de la s.p.r.l. B.D.R.I. (Bureau de documentation, recherche et investigation) qui a notamment pour activité celle de détective, exercée soit par R. Louvigny lui-même, soit par des collaborateurs, lesquels sont soit engagés dans les liens d'un contrat de travail, soit déclarés comme indépendants. Le 19 juillet 1991, le législateur adopte une loi «organisant la profession de détective privé» (Moniteur belge du 2 octobre 1991). Dorénavant, aux termes de l'article 2 de la loi précitée, «nul ne peut exercer la profession de détective privé ou se faire connaître comme tel s'il n'a pas préalablement obtenu à cette fin l'autorisation du ministre de l'intérieur, après avis du ministre de la Justice». La même loi prévoit une mesure transitoire applicable à ceux qui exerçaient déjà la profession avant son entrée en vigueur. Celle-ci dispose que : «Le détective privé qui exerce déjà ses activités professionnelles au 15 avril 1991 dispose d'un délai de trois mois après l'entrée en vigueur de la présente loi pour demander l'autorisation visée à l'article 2. Il ne doit pas satisfaire à la condition de formation visée à l'article 3, 5, s'il est inscrit en cette qualité au registre du commerce au 15 avril 1991». (Article 22, alinéas 1er et 2) «S'il est déjà inscrit au registre du commerce au 15 avril 1991, et s'il introduit une demande d'autorisation dans les trois mois de l'entrée en vigueur de la présente loi, il peut poursuivre l'exercice de ses fonctions pendant trois ans, même sans que l'autorisation lui ait été accordée». (Article 22, alinéa 4)

Le 12 août 1992, R. Louvigny sollicite l'autorisation d'exercer la profession de détective privé. N'étant pas personnellement inscrit au registre du commerce, il produit la preuve de l'immatriculation de la s.p.r.l. B.D.R.I. dont il est le gérant. Le 7 juin 1993, le ministre de l'intérieur prend un arrêté refusant à R. Louvigny l'autorisation d'exercer la profession de détective privé au motif qu'il ne remplit pas la condition de formation prévue à l'article 3, 5, de la loi du 19 juillet 1991 et qu'il n'en est pas dispensé; que, d'autre part, il ne bénéficie pas des dispositions prévues à l'article 22. Le 28 juin 1993, R. Louvigny introduit au Conseil d'etat une demande de suspension de l'arrêté ministériel du 7 juin 1993. Par son arrêt du 27 août 1993, le Conseil d'etat ordonne la suspension de l'exécution de l'arrêté ministériel attaqué et saisit la Cour de la question préjudicielle rappelée ci-dessus. 3 III. La procédure devant la Cour La Cour a été saisie de la question préjudicielle par la transmission d'une expédition de la décision de renvoi précitée, reçue au greffe le 8 septembre 1993. Par ordonnance du même jour, le président en exercice a désigné les juges du siège conformément aux articles 58 et 59 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage. Les juges-rapporteurs ont estimé n'y avoir lieu en l'espèce de faire application des articles 71 et suivants de la prédite loi spéciale. La décision de renvoi a été notifiée conformément à l'article 77 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 30 septembre 1993 remises aux destinataires les 1er et 4 octobre 1993. L'avis prescrit par l'article 74 de la loi susdite a été publié au Moniteur belge du 7 octobre 1993. Le Conseil des ministres, représenté par le Premier ministre, dont le cabinet est établi à 1000 Bruxelles, rue de la Loi 16, et le ministre de l'intérieur, dont le cabinet est établi à 1000 Bruxelles, rue Royale 62-66, ont introduit un mémoire commun par lettre recommandée à la poste le 10 novemb re 1993 reçue au greffe le 12 novembre 1993. Robert Louvigny, domicilié à 5500 Dinant, Quai Prosper Van Geert 8, ayant élu domicile au cabinet de Me A. Tulcinsky, avocat à 1060 Bruxelles, rue d'ecosse 24, a introduit un mémoire par lettre recommandée à la poste le 12 novembre 1993 reçue au greffe le 16 novembre 1993. Par décision du 21 décembre 1993, la Cour a désigné le juge E. Cerexhe pour compléter le siège. Copies des mémoires mentionnés ci-avant ont été transmises conformément à l'article 89 de la loi organique par lettres recommandées à la poste le 28 décembre 1993 et remises aux destinataires les 29 et 30 décembre 1993.

Le Conseil des ministres et le ministre de l'intérieur ont transmis un mémoire en réponse commun par lettre recommandée à la poste le 24 janvier 1994 reçue au greffe le 25 janvier 1994. R. Louvigny a transmis un mémoire en réponse par lettre recommandée à la poste le 26 janvier 1994 reçue au greffe le 27 janvier 1994. Par ordonnance du 9 février 1994, la Cour a déclaré l'affaire en état et a fixé l'audience au 3 mars 1994. Cette ordonnance a été notifiée aux parties, et celles-ci et leurs avocats ont été avisés de la date de l'audience par lettres recommandées à la poste le 9 février 1994 remises aux destinataires les 10 et 11 février 1994. Par ordonnance du 16 février 1994, la Cour a prorogé jusqu'au 8 septembre 1994 le délai dans lequel l'arrêt doit être rendu. A l'audience du 3 mars 1994 : - ont comparu :. Me A. Tulcinsky, avocat du barreau de Bruxelles, pour R. Louvigny;. Me M. Mahieu, avocat du barreau de Bruxelles, pour le Conseil des ministres et le ministre de l'intérieur; - les juges E. Cerexhe et K. Blanckaert ont fait rapport; - les avocats précités ont été entendus; - l'affaire a été mis e en délibéré. La procédure s'est déroulée conformément aux articles 62 et suivants de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, relatifs à l'emploi des langues devant la Cour. 4 IV. En droit - A - Position du Conseil des ministres A.1. Le Conseil des ministres rappelle que les mesures transitoires prévues par la loi du 19 juillet 1991 contiennent deux distinctions dont la seconde seulement fait l'objet de la question préjudicielle. Cette seconde distinction est celle qui est faite parmi les détectives qui exerçaient la profession, par hypothèse officiellement, avant l'entrée en vigueur de la loi, entre ceux qui l'exerçaient à titre individuel, comme personne physique et qui étaient immatriculés en cette qualité au registre du commerce à la date du 15 avril 1991, et ceux qui exerçaient la profession sous le couvert d'une personne morale. Seuls les premiers sont dispensés de la condition de formation professionnelle, alors que les seconds n'en sont pas dispensés.

Le Conseil d'etat, rappelle le Conseil des ministres, a, dans son arrêt de suspension, considéré que «le critère de différenciation retenu par la loi, en ne répondant qu'imparfaitement aux intentions du législateur, paraît, à première vue, difficilement compatible avec le principe constitutionnel d'égalité». En réalité, poursuit le Conseil des ministres, le critère de différenciation mis en cause est compatible avec l'article 6 de la Constitution d'abord eu égard aux deux objectifs poursuivis par cette différence de traitement qui est faite, à savoir, d'une part, celui de contrôler la profession et, d'autre part, celui d'aménager la situation particulière des détectives existants. Ces deux objectifs relevant, selon le Conseil des ministres, du choix souverain du législateur, la censure de la Cour ne pourrait s'exercer que dans la mesure où le critère choisi par le législateur serait inadéquat par rapport à l'objectif visé. Le critère contesté est celui de l'exercice de l'activité de détective privé, dans le passé, comme personne physique, pour autant que l'intéressé soit immatriculé au registre du commerce. Pour le Conseil des ministres, cette exigence d'une inscription au registre d'immatriculation constitue un critère objectif, adapté aux objectifs poursuivis par le législateur. Le critère de différenciation est compatible aussi avec la nature des principes en cause : en effet, en soumettant la profession de détective privé à des conditions strictes d'honorabilité et de formation professionnelle, le législateur a entendu garantir le respect de la vie privée, droit en relation évidente avec la profession de détective privé. Enfin, le critère de différenciation est également proportionné aux objectifs poursuivis et aux principes en cause. L'identification d'une personne physique comme exerçant l'activité de détective privé par son immatriculation au registre du commerce constitue en effet un critère certain. En revanche, il n'aurait pas été raisonnable d'étendre le bénéfice des mesures transitoires à tous ceux qui auraient prétendu avoir exercé effectivement la profession sous le couvert d'une personne morale et ce, parce que différents problèmes se seraient posés quant à l'identification desdits bénéficiaires. Le Conseil des ministres admet cependant qu'il existe de nombreuses activités professionnelles réglementées prévoyant pareils critères d'identification des personnes physiques qui, exerçant la profession sous le couvert d'une personne morale, peuvent ou doivent être considérées comme titulaires de l'autorisation. Mais il ajoute que de tels critères étaient seulement concevables pour le futur. En réalité, ce dont peuvent se plaindre ceux qui, comme R. Louvigny, ne bénéficient pas de la dispense de la condition de formation, en raison du fait qu'ils n'exerçaient pas la profession comme personne physique avant l'entrée en vigueur de la loi, ce n'est pas d'être les victimes d'une discrimination; c'est d'une conséquence nécessaire de l'entrée en vigueur d'une nouvelle législation, assurément stricte, et dont les objectifs impliquaient que les mesures transitoires fussent considérées d'une manière également stricte. Une telle situation constitue la conséquence inévitable de tout changement de législation. 5 Position de R. Louvigny A.2. Selon R. Louvigny, le critère de différenciation retenu ne permet pas d'atteindre l'objectif déclaré des mesures transitoires. Non seulement l'obligation pour le détective privé d'être inscrit au registre du commerce était déjà en soi sujette à caution - certains greffes refusant cette inscription au motif que les détectives privés exerçaient une profession libérale -, mais ceux-là même qui exerçaient leur activité de détective privé en tant qu'employé ou en qualité d'administrateur ou gérant d'une société commerciale ont toujours été dans l'impossibilité d'obtenir une inscription au registre du commerce, étant donné l'absence de la qualité de commerçant dans leur chef personnel.

R. Louvigny estime aussi que le législateur aurait pu trouver d'autres critères de différenciation et, par exemple, considérer, à l'instar de ce qui est fait dans l'arrêté royal du 6 septembre 1993 protégeant le titre professionnel et l'exercice de la profession d'agent immobilier, que l'immatriculation au registre du commerce est seulement un critère possible de différenciation. Enfin, R. Louvigny tient à faire remarquer qu'en réglementant une profession qui pouvait autrefois être exercée librement, le législateur établit une exception au principe de liberté du commerce et de l'industrie. R. Louvigny conclut en rappelant qu'à plusieurs reprises, le ministre de l'intérieur a reconnu l'existence d'une discrimination et a même admis que «si l'on constate des errements, il faudra modifier la loi». 6 Les mémoires en réponse A.3. Dans son mémoire en réponse, le Conseil des ministres formule les observations complémentaires qu'appelle le mémoire déposé par R. Louvigny. Le Conseil des ministres considère que l'interdiction professionnelle alléguée qui résulterait de l'entrée en vigueur de la loi du 19 juillet 1991 ne concerne pas, en réalité, la disposition légale soumise à la censure de la Cour mais seulement des mesures d'exécution dont le contrôle échappe à la Cour. Sur le critère retenu par le législateur de l'inscription au regis tre du commerce, le Conseil des ministres estime que le seul grief faisant l'objet de la question préjudicielle concerne l'éventuelle discrimination qui existerait entre les détectives privés qui, ayant exercé leur activité sous le couvert d'une personne morale, n'auraient pas été inscrits, pour ce motif et ce motif exclusivement, au registre du commerce, et d'autres détectives, exerçant leur activité comme personne physique, qui l'auraient été. Sur le principe de la liberté du commerce et de l'industrie qui serait prétendument violé, le Conseil des ministres tient à rappeler que celui-ci est précisément susceptible d'être aménagé par le législateur pour des raisons d'intérêt général. Enfin, le Conseil des ministres considère que la référence faite par la partie requérante devant le Conseil d'etat aux dispositions réglementaires concernant l'exercice de la profession d'agent immobilier est sans pertinence en l'espèce, le régime de cette profession étant spécifique et les objectifs poursuivis par le législateur étant différents. A.4. Dans son mémoire en réponse, R. Louvigny apporte des données supplémentaires et notamment la référence à d'autres arrêts de suspension du Conseil d'etat tendant à prouver que son cas n'est pas isolé. Pour le surplus, il déclare persister en son premier mémoire et insiste surtout sur le grief tiré de ce que le critère de l'inscription personnelle au registre du commerce ne permet pas de réaliser pleinement les deux objectifs de la loi précédemment décrits.

7 - B - B.1. La question préjudicielle porte sur la conformité à l'article 10 de la Constitution (ancien article 6) des alinéas 2 et 4 de l'article 22 de la loi du 19 juillet 1991 organisant la profession de détective privé en ce que le bénéfice des mesures transitoires que ces dispositions contiennent par référence à la notion de détective privé définie par l'article 1er de la loi est réservé aux seuls détectives privés qui, en tant que personnes physiques étaient inscrits en cette qualité au registre du commerce au 15 avril 1991, et en ce que ces mesures ne bénéficient pas aux détectives privés qui exerçaient à la même date leurs fonctions en tant qu'organes d'une société commerciale. B.2. L'article 22 de la loi du 19 juillet 1991 porte ce qui suit en ses alinéas 1er, 2 et 4 : «Le détective privé qui exerce déjà ses activités professionnelles au 15 avril 1991 dispose d'un délai de trois mois après l'entrée en vigueur de la présente loi pour demander l'autorisation visée à l'article 2. Il ne doit pas satisfaire à la condition de formation visée à l'article 3, 5, s'il est inscrit en cette qualité au registre du commerce au 15 avril 1991. (...) S'il est déjà inscrit au registre du commerce au 15 avril 1991, et s'il introduit une demande d'autorisation dans les trois mois de l'entrée en vigueur de la présente loi, il peut poursuivre l'exercice de ses fonctions pendant trois ans, même sans que l'autorisation lui ait été accordée.» B.3. Les règles constitutionnelles de l'égalité et de la non-discrimination n'excluent pas qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement justifiée.

8 L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d'égalité est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. B.4.1. Le premier objectif de la loi du 19 juillet 1991 est de contrôler l'exercice de la profession de détective privé en ne la rendant accessible qu'à des personnes dignes de confiance et ayant reçu une formation adéquate (Exposé des motifs, Doc. parl., Sénat, 1990-1991, n 1259/1, p. 2 et Rapport de la Commission de l'intérieur, Doc. parl., Sénat, 1990-1991, n 1259/2, p. 4). B.4.2. Le second objectif de la loi du 19 juillet 1991 est d'aménager, par un régime transitoire, la situation particulière de ceux qui exerçaient la profession de détective privé avant la mise en vigueur de la loi. A cette fin, la loi opère une distinction entre les détectives privés selon qu'ils étaient ou non inscrits au registre du commerce à la date du 15 avril 1991. Les premiers, à condition d'avoir exercé leur activité à la date du 15 avril 1991 et d'avoir introduit une demande d'autorisation dans un délai de trois mois après l'entrée en vigueur de la loi, sont dispensés de la condition de formation visée à l'article 3, 5 ; en outre, s'ils ont introduit la demande d'autorisation, ils peuvent poursuivre l'exercice de leur fonction pendant trois ans, même sans que l'autorisation leur ait été accordée. Les seconds, au contraire, sont contraints de suspendre leurs activités jusqu'à ce qu'ils aient satisfait aux exigences de la loi. B.4.3. Pour distinguer le premier groupe du second, le législateur a donc retenu comme seul critère celui de l'inscription du détective privé au registre du commerce en date du 15 avril 1991. C'est la compatibilité avec l'article 10 de la Constitution (ancien

9 article 6) de ce critère exclusif de différenciation qui fait l'objet de la question préjudicielle. B.5.1. En retenant comme seul critère de différenciation celui de l'inscription au registre du commerce, le législateur écarte notamment les personnes physiques qui, tout en remplissant les exigences d'honorabilité et de formation professionnelle, exerçaient l'activité de détective privé en tant qu'organes d'une personne morale et ne pouvaient donc être inscrites à titre personnel au registre du commerce. Le critère retenu ne répond donc qu'imparfaitement à l'objectif poursuivi par le législateur dans les mesures transitoires de la loi du 19 juillet 1991, à savoir maintenir dans leur fonction ceux qui avaient exercé leur activité en remplissant les exigences d'honorabilité et de formation professionnelle. B.5.2. S'il est vrai que le critère de l'inscription au registre du commerce est en soi un critère objectif de différenciation, il n'a pas été démontré - et la Cour n'aperçoit pas - que d'autres critères ne puissent pas être retenus par le législateur pour accorder le bénéfice de la mesure transitoire, de sorte que n'en soient pas exclues des personnes physiques qui ont exercé dans le passé, en quelque qualité que ce soit, la profession de détective privé en remplissant les exigences de formation et d'honorabilité. Retenu comme critère à la fois suffisant et exclusif de différenciation, le critère de l'inscription au registre du commerce crée ainsi une discrimination entre détectives privés tout à la fois non proportionnelle et non pertinente par rapport aux objectifs poursuivis par le législateur. B.6. Il résulte de ce qui précède que les alinéas 2 et 4 de l'article 22 de la loi du 19 juillet 1991 violent l'article 10 de la Constitution (ancien article 6).

10 Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 22 de la loi du 19 juillet 1991 organisant la profession de détective privé, en ce qu'il dispose, en son alinéa 2, que le détective privé ne doit pas satisfaire à la condition de formation visée à l'article 3, 5, s'il est inscrit au registre du commerce au 15 avril 1991 et en ce qu'il dispose, en son alinéa 4, que le détective privé, s'il est inscrit au registre du commerce au 15 avril 1991 et s'il introduit une demande d'autorisation dans les trois mois de l'entrée en vigueur de la loi, peut poursuivre l'exercice de ses fonctions pendant trois ans, même sans que l'autorisation lui ait été accordée, viole l'article 10 de la Constitution (ancien article 6) en ce qu'il réserve, par référence à la notion de ' détective privé ' définie par l'article 1er de la loi, le bénéfice de ces dispositions aux seuls détectives privés qui, en tant que personnes physiques, étaient inscrits en cette qualité au registre du commerce au 15 avril 1991, et en ce qu'il exclut les détectives privés qui exerçaient leurs fonctions à la même date en tant qu'organes d'une société commerciale. Ainsi prononcé en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 22 mars 1994, par la Cour composée du juge faisant fonction de président L. François, du président L. De Grève, et des juges K. Blanckaert, P. Martens, Y. de Wasseige, G. De Baets et E. Cerexhe, par suite de l'empêchement légitime du président M. Melchior d'assister au prononcé du présent arrêt au délibéré duquel il a participé. Le greffier, Le président f.f., H. Van der Zwalmen L. François