Un nouveau pacte. pour les grandes villes du Québec. 19 mars 2014



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Transcription:

Un nouveau pacte pour les grandes villes du Québec 19 mars 2014

UN NOUVEAU PACTE POUR LES GRANDES VILLES DU QUÉBEC Le monde a changé. Les transformations sociales et économiques des sociétés avancées, ainsi que les effets de la mondialisation, ont transformé les villes, surtout les villes de plus grande taille. Les grandes villes sont devenues à certains égards des cités-états dans un monde globalisé aux frontières plus poreuses. Ce terme, qui fait image, a cédé la place, dans les débats internationaux, à un autre concept qui décrit la même réalité, celui de villes mondiales, ou en anglais, de «global cities». Ces villes, confrontées à des problèmes nouveaux, doivent assumer des responsabilités qui dépassent largement leur rôle traditionnel. Le Québec ne compte pas de villes de taille mondiale, mais il compte deux grandes villes, une métropole, Montréal, et une capitale, Québec, qui possèdent la plupart des caractéristiques de ces villes globales et qui sont confrontées aux mêmes défis. Le cadre institutionnel dans lequel évoluent ces deux villes québécoises ne s est cependant pas transformé pour tenir compte de ces nouvelles réalités. On peut observer, particulièrement au Canada et au Québec, un décalage important et croissant entre les obligations des villes et les outils dont elles disposent pour les assumer. Il en résulte un déséquilibre politique, un déséquilibre fiscal et un déséquilibre de gouvernance qu il est essentiel de corriger pour assurer le développement économique et social du Québec. Ce document de travail analyse les changements structurels qui ont affecté les villes, il en identifie les causes, il décrit ce qu est et ce que devra être le rôle des villes dans ce contexte nouveau, il se penche ensuite sur les conditions qui permettraient ce changement, un nouveau pacte entre les gouvernements supérieurs et les deux grandes villes du Québec, un nouveau partage des responsabilités, et des réformes fiscales qui permettraient à Montréal et à Québec de pleinement jouer le rôle qui devrait être le leur. Il se penche également sur le cadre stratégique susceptible de rendre fructueux le débat sur l avenir des villes. 1. LE NOUVEAU PARADIGME Depuis plusieurs millénaires, sur tous les continents, les villes ont toujours joué un rôle important. C est dans les villes que se sont toujours concentrés le pouvoir, les échanges et le commerce, que se sont développés les ports, que se sont implantées les fonctions économiques spécialisées, tout comme la production et la diffusion artistiques. C est dans l Antiquité que se sont créées ce que l on a par la suite appelé des cités-état. Depuis longtemps, on décrit les villes comme des locomotives économiques. Le poids des villes dans nos sociétés s est accru progressivement au fil des siècles. Ce processus s est renforcé au cours des dernières décennies, parce que les transformations de l économie et de la société ont joué en faveur des plus grandes villes. Ce mouvement majeur se poursuivra dans les années à venir et le poids des villes sera sans doute encore plus important parce que les villes exercent une attraction croissante. Cette nouvelle place des villes peut s expliquer par des facteurs économiques, sociaux et politiques, et notamment à travers quatre tendances lourdes : le développement de l économie du savoir, l évolution du rôle des États, les pressions démographiques et surtout, la mondialisation.

1.1. L attrait des villes : le phénomène de l urbanisation On a assisté à une tendance lourde, dans les sociétés avancées, celle de l urbanisation, à partir du milieu du XIXème siècle, qui résultait du développement de l industrie et de la perte de poids relatif de l agriculture. La recherche d emplois et le manque de ressources poussaient la population rurale vers les villes. Selon Statistique Canada, la population urbaine du Québec, à 15 % en 1851, est passée à 40 % au tournant du siècle, en 1901, pour monter jusqu à 63 % en 1941. Le processus s est poursuivi avec le boom économique d après-guerre, où l industrialisation accrue se doublait du développement d un secteur des services et de l économie tertiaire qui augmentaient encore plus le pouvoir d attraction des villes. L exode rural s est ainsi poursuivi tant et si bien que la proportion de la population habitant dans les villes a bondi à 78 % en 1966, un niveau auquel elle se maintient à peu près depuis. Selon le recensement de 2011, 81 % des Québécois habitaient dans les villes. C est une proportion légèrement inférieure à celle que l on retrouve dans les trois autres provinces industrialisées et urbanisées, 86 % en Ontario et en Colombie-Britannique, 83 % en Alberta. À l intérieur de ce processus d urbanisation, on assiste également à un déplacement du poids démographique des petits centres urbains vers les grands pôles urbains. En 2013, 25,5 millions de Canadiens, soit 69,7 %, habitaient dans les grandes villes, les régions métropolitaines de recensement. En 1981, la région métropolitaine de recensement de Québec comptait pour 9,1 % de la population québécoise. Cette proportion est passée à 9,5 % en 2001 et à 9,7 % en 2013. On assiste au même phénomène à Montréal. De 43,7 % en 1981, la proportion de la population québécoise habitant dans la RMR de Montréal est passée à 47,8 % en 2001 et à 48,8 % en 2013. Au 1 er juillet 2013, la RMR de Québec comptait 791 934 habitants, et celle de Montréal, 3 981 802. C est ainsi que ces deux centres urbains regroupent près de 60 % de la population du Québec. Ce renforcement des grandes villes dans les dernières décennies tient à d abord à un phénomène économique. On assiste à un déplacement plus marqué de l économie vers le secteur tertiaire, d autant plus marqué que les activités manufacturières sont en déclin dans nombre de pays industrialisés. Cela a affecté les grandes villes, mais plus encore les petites villes industrielles dont la survie reposait souvent sur une seule entreprise ou une seule industrie. Et les grandes villes, contrairement aux petites, ont pu compenser les pertes industrielles par le développement du tertiaire : finances, télécommunications, commerces spécialisés, services aux personnes et aux entreprises, administration publique, et toutes les activités liées à l économie du savoir universités, centres de recherche, industries de pointe, comme l informatique, les nouvelles technologies de l information et des communications. Ce sont toutes là des activités plus susceptibles de se développer dans les grands centres. Il y a aussi un phénomène démographique. Ce sont également les grands centres urbains qui, en période de faible fécondité, peuvent compter sur l apport à la croissance de la population qu est l immigration. Au Canada, l immigration explique les deux tiers de la croissance démographique des RMR. Au Québec, Montréal attire environ 85 % des quelque 50 000 immigrants qui choisissent la province à chaque année. Un nouveau pacte pour les grandes villes du Québec 2014-03-19 Page 2

À ce phénomène démographique s ajoute une réalité sociologique, le fait que les villes exercent un attrait. Il y a, dans la société contemporaine, bombardée par la télévision et l Internet, une attirance accrue pour les villes, à cause des études, des opportunités d emploi, mais aussi le type de qualité de vie du milieu urbain, commerces, loisirs, culture, liberté, mode de vie. Cela attire en outre souvent dans les villes les éléments les plus jeunes, les plus instruits et les plus productifs. Cela contribue à renforcer le poids des cités. Et c est ainsi que l âge moyen dans les RMR canadiennes est plus bas que dans le reste du territoire, 39 ans contre 43,4 ans. Ce phénomène n est certainement pas unique au Québec et au Canada. Il s agit d une tendance mondiale, partout dans le monde industrialisé, mais aussi dans les économies émergentes où l urbanisation pose des défis majeurs. L Organisation de coopération et de développement économiques, l OCDE, arrive à un même constat pour ses pays membres. «L accélération de l urbanisation a renforcé le poids des grandes villes, ou des régions métropolitaines. Plus de la moitié (54 %) de la population totale de l OCDE vit dans des régions à prédominance urbaine, et l OCDE compte 78 métro-régions avec 1,5 million d habitants ou plus, qui tendent à concentrer une part importante de leur activités économiques.» (Villes, compétitivité et mondialisation, OCDE, 2007) Un document de l ONU va dans le même sens. «Entre 2011 et 2050, on prévoit que la population mondiale augmentera de 2,3 milliards, passant de 7,0 milliards à 9,3 milliards. Pour la même période, la population vivant dans des zones urbaines progressera de 2,6 milliards, passant de 3,6 milliards en 2011 à 6,3 milliards en 2050. Ainsi, les zones urbaines du monde devraient absorber toute la croissance démographique des quatre prochaines décennies tout en absorbant une partie de la population rurale. Cette tendance se manifestera surtout dans les pays en développement, parce que le processus est déjà abouti dans les sociétés industrialisées. Les villes gigantesques, celles qui auront plus de huit millions d habitants, il y en aura autour de 36 en 2025, seront toutes situées dans des pays en développement.» L Union européenne vit la même chose. «L Europe est l un des continents les plus urbanisés du monde. Aujourd hui, plus des deux tiers de la population européenne vivent dans des zones urbaines et ce chiffre ne cesse d augmenter. Le développement de nos villes déterminera l évolution économique, sociale et territoriale future de l Union européenne», dit un document de la CEE («Les villes de demain- défis, visions et perspectives.) Il s agit donc d un phénomène majeur sur lequel se penchent les autorités européennes, l OCDE, l ONU, mais qui ne semble pas être un thème de réflexion pour les autorités canadiennes et québécoises. 1.2. Le poids économique des villes Cette urbanisation a des conséquences économiques mesurables. L OCDE note que des villes comme Budapest, Séoul, Copenhague, Dublin, Helsinki ou Bruxelles, que l organisme appelle des métro-régions, concentrent près de la moitié du PIB de leur pays. Au Canada, Toronto, Montréal et Vancouver génèrent la moitié ou plus de la production nationale de leurs provinces respectives. En Norvège, en Nouvelle-Zélande et en République Tchèque, un tiers ou plus de la production provient de leur métro-région, soit Oslo, Auckland et Prague. Paris, Londres, Stockholm ou Tokyo représentent autour de 30 % du PIB national. On note aussi que la grande majorité de ces métro-régions, soit 66 sur 78, affichent des PIB per capita supérieurs à celui de leurs pays. Un nouveau pacte pour les grandes villes du Québec 2014-03-19 Page 3

On observe la même chose au Canada. Selon le Conference Board, les dix principales citésrégions comptaient pour 51 % du PIB et 51 % de l emploi en 2005. Et que pendant la décennie précédente, 65 % de la création nette d emplois s est faite dans ces zones urbaines. Tout près de 70 % de la population habite dans une agglomération urbaine. Plus de 90 % de la croissance démographique se concentre dans ces mêmes régions métropolitaines. Si bien que le Canada se classe tout en haut des pays les plus urbanisés de la planète. Au Québec. Montréal, avec 2 038 200 emplois, et Québec, avec 431 900 emplois en janvier 2014, offrent respectivement 50,26 % et 10,65 % des emplois du Québec. Dans le cas du PIB, celui de la région montréalaise équivaut à 51,1 % de celui de l ensemble du Québec, et celui de la région de Québec à 10,8 %. Les deux pôles urbains représentent ainsi 61 % de l emploi et 62 % du PIB. On note aussi que le PIB per capita de Montréal, à 44 668 $, est supérieur à celui de l ensemble du Québec, 41 298 $, et que l écart devient plus marqué dans le cas de Québec, avec 46 784 $. Mais ces données ne permettent toutefois pas de décrire les deux grandes villes du Québec comme des locomotives. Leur proportion de l emploi et de la production est supérieure à leur poids démographique, leurs revenus sont supérieurs, mais pas par une marge significativement différente de l ensemble du territoire du Québec. En outre, Montréal tire de l arrière sur le marché du travail, avec un taux de chômage de 7,9 % en janvier 2014, au-dessus de la moyenne québécoise de 7,5 %. À ce chapitre, la RMR de Québec se distingue avec un taux de sans-emplois de 4,1 %, le plus bas au pays. 1.3. Le rôle moteur des villes Mais cette domination économique n est pas que purement quantitative, elle n est pas qu un simple reflet mécanique de leur poids démographique. Non seulement les villes ont-elles un poids économique important, elles ont aussi un dynamisme supérieur qui leur permet de jouer leur rôle de locomotive. Les grandes villes ont en général un niveau de productivité plus élevé que le territoire sur lequel elles se trouvent, et leur contribution au produit intérieur brut dépasse leur poids réel, comme on l a vu plus haut dans le cas de Montréal et Québec. L Union européenne note la même chose : «La concentration de consommateurs, de travailleurs et d entreprises dans une zone ou une région, combinée aux institutions formelles et informelles qui assurent la «densité» et la cohésion d une agglomération, a le potentiel de produire des externalités et d accroître les rendements d échelle. Le PIB de l Europe est généré à 67 % dans les régions métropolitaines, alors que leur population ne représente que 59 % de la population européenne totale. Une comparaison de la performance économique des villes européennes indique également que les grandes villes obtiennent de meilleurs résultats que les autres». Ces avantages des villes peuvent s expliquer par plusieurs facteurs. Leur rôle d agglomération, qui leur permet d attirer des sièges sociaux, des services plus spécialisés, des infrastructures plus complètes, parfois la présence d un centre politique où se prennent les décisions. La spécialisation et la diversité, qui permet de produire une plus grande valeur ajoutée. La présence d un grand bassin de main-d œuvre, à la fois spécialisé pour les industries plus performantes, et moins spécialisé pour l ensemble des services et des commerces. Une concentration de la recherche, des universités, et une proximité entre le monde de la recherche et celui de la production. Un niveau de capital humain supérieur à la moyenne, avec des aptitudes plus élevées, des jeunes qualifiés, attirés par la vie urbaine et les salaires. Un capital physique, terrains, immeubles, infrastructures. Un nouveau pacte pour les grandes villes du Québec 2014-03-19 Page 4

Ces attributs traditionnels ont été renforcés par le développement de l économie du savoir. C est dans les grandes villes que sont produites les nouvelles idées, les nouvelles industries, les nouveaux produits. Mais l autre facteur qui a contribué à modifier et à renforcer de façon radicale le rôle des villes, c est la mondialisation, qui a transformé leur nature même. Le concept de mondialisation est une sorte de parapluie qui décrit un ensemble de phénomènes distincts, mais interreliés, de nature économique, politique et technologique. D abord, une augmentation importante des échanges de biens et services, une véritable explosion même. Dans le cas du Canada, les exportations, de 13 milliards en 1970, atteignaient 443 milliards en 2013. Cette augmentation a été possible entre autres par les effets du libéralisme économique, qui a mené à l élimination progressive des barrières tarifaires et nontarifaires, par la multiplication des marchés communs et des traités de libre-échange, par l ouverture au commerce des anciens blocs communistes, et par la montée des pays émergents, qui exportent davantage, mais qui sont aussi des marchés pour le monde industrialisé. Ensuite, des révolutions technologiques dans le domaine de l information et des communications, le développement de l informatique et des télécommunications. Cette révolution a eu un impact sur la production, en facilitant la sous-traitance, l outsourcing, la délocalisation, et de façon générale un éclatement de la production : à peu près tout peut être produit partout. L impact de ces nouvelles technologies a été particulièrement puissant dans le domaine financier, en permettant l information quasi-instantanée, le transfert de capitaux à la nanoseconde. Le monde est en quelque sorte devenu un marché financier unique, avec des mouvements de capitaux rapides et parfois dévastateurs, qui échappent au contrôle des États, d autant plus que l on a assisté à un mouvement de dérèglementation du monde financier. Cette internationalisation du capital a accru l interdépendance des pays, comme on l a vu au moment de l éclatement de la crise de 2008-2009. La mondialisation, c est aussi la croissance des déplacements des personnes, grâce à la démocratisation du tourisme, aux voyages d affaires, à la mobilité professionnelle, aux stages internationaux, et aux mouvements massifs d immigrants et de réfugiés. C est aussi la circulation de l information et des idées. Le résultat, c est une contraction du temps et de l espace. La planète s est rapetissée, et le temps s est accéléré. Il n y a plus de distance, et il n y a plus de délais. 1.4. L avènement des cités-états On aurait pu croire que cette mondialisation, parce qu elle échappe aux contrôles des pays et qu elle ne respecte pas les frontières, serait partout et nulle part, qu elle serait virtuelle, qu elle échapperait aux règles normales de la localisation. Mais ce n est pas ce qui s est produit. La mondialisation des activités financières, des échanges, de la production, des déplacements, des communications, a besoin de points de chute, ne serait-ce que des lieux de transbordements, ports et aéroports, de sièges sociaux, d institutions internationales, de services essentiels à son fonctionnement. Et ces lieux, ce sont les grandes villes qui le fournissent. Un nouveau pacte pour les grandes villes du Québec 2014-03-19 Page 5

Mais cette fonction des villes dépasse le rôle traditionnel de place d échanges. On a assisté à l émergence d une nouvelle architecture de la planète, qui se divise moins entre pays, dont les frontières sont devenues poreuses et les pouvoirs limités, qu en régions urbaines où se concentrent ces activités liées à la mondialisation. Les échanges mondiaux, au lieu de se faire entre pays, se font entre zones urbaines qui, parfois, sont à cheval sur les frontières des pays ou des États et provinces au sein des pays. Ces villes deviennent ainsi des points nodaux, des centres nerveux du réseau de la mondialisation, pour la circulation de l information, les échanges, la mobilité des capitaux, les mouvements de personnes. Cette réalité nouvelle est bien décrite par le concept de Cité-État, ou de Cité-région, qui définit les grandes villes comme les véritables pôles de développement dans leurs propres pays, capables de développer leurs propres stratégies, mais intégrées à un réseau mondial. Une ville comme Barcelone est plus liée aux autres ports méditerranéens que sont Gênes et Marseille qu à la capitale espagnole Madrid. Séoul est plus proche des grands centres asiatiques que sont Singapour et Hong-Kong que des plus petites villes de la Corée du Sud. L accélération des échanges sous toutes leurs formes a, dans les faits, rapproché les grandes villes du monde, ces cités-état. Mais elle les met aussi en opposition. Les confrontations sont de plus en plus dures à mesure que les protections traditionnelles pour des industries locales s affaiblissent. Les villes agissent en interaction, mais aussi en concurrence. Elles se battent entre elles pour les investissements, le talent, les marchés, la reconnaissance. C est donc par les villes que passeront de plus en plus les stratégies économiques. Le dynamisme et l énergie, qui feront la différence entre la médiocrité et le succès, dépendront aussi des synergies et du climat que les milieux urbains pourront créer. Ce virage considérable est bien résumé par une étude de l OCDE, «La ville dans le village mondial : «Finalement, l importance des villes pourrait fort bien s accentuer au cours du siècle prochain. L une des raisons à cela tient au fait que les villes vont se modeler en fonction d un nouvel espace, celui d une économie mondialisée plus ouverte et plus concurrentielle. Les réseaux interurbains qui se construisent à l échelle mondiale leur donneront sans doute davantage d importance. Grâce à ces réseaux, les villes auront plus d initiatives pour exploiter les marchés mondiaux et forger de nouveaux liens économiques au-delà des frontières nationales. En fait, ces réseaux exerceront une profonde influence sur les villes, tant d un point de vue politique qu urbanistique, et souvent d une manière beaucoup plus marquée qu au niveau national ou régional. Ils se comporteront comme de véritables autoroutes où se véhiculent les connaissances et le savoir-faire qui permettent de stimuler l innovation dans l action publique et l élaboration de projets. Ils serviront aussi de catalyseur pour la coopération économique.» Si le terme de «cité-état» décrit bien ce phénomène, c est un autre terme qui s est imposé dans les forums internationaux. Et c est celui qu a proposé un professeur de sociologie à l Université de Chicago, Saskia Sassen, qui a analysé en profondeur l évolution des villes comme relais de la mondialisation. Après avoir jonglé avec diverses appellations, «cités mondiales», ou encore «supervilles», qu elle utilisait en français, celui qu elle a retenu et imposé, c est celui de «cités globales», de «global cities». Cette réalité nouvelle a amené une évolution de la pensée économique, voulant que les villes, dans ce contexte de mondialisation, jouent un rôle encore plus stratégique qu avant, que leur développement et leur succès est absolument essentiel pour le succès des pays dont elles sont le pôle urbain. Un nouveau pacte pour les grandes villes du Québec 2014-03-19 Page 6

Une société dont le succès et la capacité de croissance reposent de plus en plus sur le savoir, l éducation supérieure, l innovation, la présence d industries de pointe, dépendra nécessairement de la vitalité de ses villes, et plus particulièrement de ses grandes villes, puisque c est là que se concentrent les institutions de savoir, les centres de recherche, les industries performantes. C est la concentration de ces atouts qui donne une masse critique nécessaire. Et qui permet d améliorer la compétitivité. De nombreux spécialistes et organismes économiques mettent maintenant les villes au cœur des stratégies de développement. Le taux d urbanisation d une société est devenu un critère de son potentiel de succès. Des spécialistes, comme Richard Florida, sont devenus des croisés du développement urbain. L Organisation de développement et de coopération économiques, depuis des années, analyse la performance des villes. En 2006, l OCDE a publié une importante étude, «Villes, compétitivité et mondialisation», qui décrit le rôle central des grandes villes, dans un contexte où elles servent de points nodaux dans un monde globalisé. Au Canada, le Conference Board affirme que l un des ingrédients majeurs pour que le Canada relève les défis du XXIème siècle et puisse ainsi connaître le succès, c est le succès de ses villes. «La prospérité du Canada dépend du succès de ses principales villes. Les gouvernements à tous les niveaux doivent diriger des ressources vers ces grandes villes, qui ont un potentiel spécial et qui font face à des défis uniques.» On assiste, dans le monde industrialisé, à un foisonnement d études, à la création de centres de recherches et de «think tanks» qui se penchent sur l émergence de ces villes globales, de leur rôle stratégique, de l importance de les soutenir et de les développer, d identifier les facteurs de succès. L Union européenne a créé des groupes de travail et publié un rapport sur la question, «Les villes de demain, défis, visions et perspectives. L OCDE, depuis une décennie, se penche sur la question avec ses examens territoriaux et a publié de nombreuses études sur la question. Les centres de réflexion se multiplient : A.T Kearney et le Chicago Council on Global Affairs, le Globalization and World Cities Research Network britannique, le Global Cities Eesearch Institute australien, le Martin Prosperity Institute du Rothmans School of Management de l Université de Toronto, le Economist Intelligence Unit, associé au prestigieux hebdomadaire britannique. Le Conference Board du Canada en a fait un des axes prioritaires de sa recherche, avec ses rapports «Villes-aimants». Le Canada n atteindra pas le niveau de prospérité qu il souhaite s il ne dynamise pas ses grandes villes, s il ne s occupe pas de ses villes. Et c est tout aussi vrai pour le Québec. Si le Québec n investit pas dans ses villes, il ne réussira pas à créer de la richesse autant qu il le devrait, et il ne comblera pas ses retards historiques. Mais c est une préoccupation qui ne semble pas se manifester au niveau des gouvernements du Québec et du Canada. 1.5. Les attributs des villes performantes Qu est-ce qui, en fait, caractérise ces villes globales, ces cités-états, et quels sont les facteurs qui permettraient de les renforcer? Si ces villes jouent un rôle majeur, quelle est la clé de leur succès? Il est clair que les déterminants généraux du succès économique et de la création de richesse s appliquent aux villes globales. Elles sont toutes tributaires des politiques macroéconomiques et du climat économique des pays où elles se trouvent. Et donc, la base du succès repose, dans Un nouveau pacte pour les grandes villes du Québec 2014-03-19 Page 7

leur cas aussi, sur les interventions qui favoriseront la production et l élévation du niveau de vie, qui passent, dans les sociétés avancées, par une forte productivité. Le succès des villes tient à leur capacité, et à celles de leur pays, de favoriser l investissement, de stimuler l innovation, d investir dans l éducation. Il tient aussi au cadre fiscal, à l environnement réglementaire, à la prévalence de la démocratie et de la société de droit. Mais une ville n est pas un pays. C est une entité particulière qui a des besoins particuliers étant donnée la nature de son économie, les défis qu elle doit relever. C est entre autres une entité plus homogène qu un pays, concentrée en termes de densité, qui peut être sujet à des états d âme et dont le succès repose aussi sur les perceptions. La création de richesse dépend beaucoup de la vitalité que l on retrouvera dans les villes, de leur image, de leur capacité d attraction. Car les villes sont à la fois des creusets et des aimants. Des creusets où s opère une certaine alchimie. Des aimants qui peuvent attirer le talent, les entreprises, les capitaux. Cette question du talent est devenue cruciale parce que les «patterns» traditionnels de l embauche se sont inversés. Traditionnellement, c est la main d œuvre qui se déplace là où il y a des opportunités d emploi. Mais avec l économie du savoir, dans bien des cas, c est plutôt le bassin de main-d œuvre qualifiée qui attirera les entreprises. Une façon indirecte pour identifier les facteurs de succès est de s inspirer des classements des villes mondiales réalisés par plusieurs centres recherche, moins pour les classements euxmêmes, qui peuvent être affecté par la méthodologie, la subjectivité et les effets de mode, que pour comprendre les critères que ces organismes utilisent, qui traduisent une conception du développement urbain. Dans les pages qui suivent, nous allons nous référer à certains de ces classements mondiaux, en insistant moins sur les classements eux-mêmes que sur les critères retenus qui, on le verra, se recoupent. Il est clair qu à cette échelle mondiale, Montréal reste une ville de taille et d importance relativement modestes, qui ne peut pas rivaliser avec les grands centres urbains de la planète. À plus forte raison, Québec, une région urbaine dont la population est inférieure à un million, ne figure tout simplement pas dans plusieurs classements. Mais il faut noter que Montréal, et aussi Québec, peuvent compter sur plusieurs des attributs qui caractérisent les plus grandes villes. Malgré leur plus petite taille, les approches adoptées par les plus grands centres peuvent et doivent s appliquer. C est en renforçant ces attributs qu elles pourront se développer. Cela sera évident pour Montréal, une métropole internationale, même si elle est de taille moyenne et que son niveau de richesse est très bas. Pour certains, l application de ce raisonnement à Québec pourrait sembler moins évident. Mais il faut souligner le caractère unique de la Capitale nationale. Même si la RMR compte un peu moins de 800,000 habitants, elle affiche plusieurs caractéristiques propres à des villes de plus grande taille. Québec compte sur le siège d un gouvernement, et est donc un centre de décision, elle est un des principaux lieux touristique du continent, et donc un lieu de convergence internationale, elle peut compter sur une image de marque forte, on y retrouve des sièges sociaux, des universités et des centre de recherche, ainsi que des services, des commerces, une infrastructure, des institutions culturelles qui normalement ne se retrouvent pas dans une agglomération de cette taille. Aux États-Unis, les zones urbaines de la taille de Québec - Birmingham Alabama (749,000), Albuquerque, Nouveau-Mexique, (741,000), McAllen, Texas, (728,000), ou Omaha, Nebraska, (725,000), ne peuvent tout simplement pas se comparer à Québec en termes d influence, de rayonnement ou de qualité de vie. Un nouveau pacte pour les grandes villes du Québec 2014-03-19 Page 8

La mesure du succès des villes qui a, depuis une décennie, le plus d influence est certainement l approche développée par le géographe Richard Florida, professeur en aménagement urbain à l Université de Columbia, à partir de son essai «The Rise of the Creative Class». Ce fut une révolution dans la réflexion sur les villes. Selon lui, le facteur déterminant dans le succès des villes est la présence d une classe créative. Cette classe créative est composée de ceux qui doivent penser dans l exercice de leur fonction, métiers liés aux sciences et à la technologie, à la culture, professionnels et gestionnaires, éducation et formation, communications. Ce modèle repose sur une hypothèse, l inversion des mouvements traditionnels de population : contrairement au modèle classique où les gens se déplacent là où il y a de l emploi, ce seraient maintenant les entreprises qui se déplaceraient là où est le talent. La stratégie qui découle de ce postulat, pour le développement des villes, repose sur la capacité de celles-ci d attirer et de retenir ce talent, ce qui mène à privilégier des politiques pour renforcer l attractivité d une ville, comme la qualité de vie, la tolérance, la culture. Les classements des villes de Richard Florida reposent ainsi sur une série d indicateurs qui tiennent compte du poids de cette classe créative, ainsi que celui de la classe super-créative (artistes, architectes, informaticiens, etc.), des mesures du niveau d éducation (taux de scolarité), des indicateurs de tolérance (diversité, homosexualité, indice bohémien), des mesures de la qualité des services (parcs, établissements culturels), des mesures quantitatives de succès économiques (croissance de la population, de l emploi, revenu per capita, prix du logement). Montréal, évaluée par M. Florida, se classe assez bien. L approche de Richard Florida ne fait pas consensus. Mais on peut noter que plusieurs éléments de son approche se retrouvent dans la plupart des analyses des atouts des villes, notamment en ce qui a trait à la qualité de la vie. Le Globalization and World Cities Research Network, GaWK, issu de l Université Loughborough, du Royaume Uni, propose un indice des villes classées en villes «alpha», «beta», «gamma». Londres et New York sont les seules villes «alpha +». Hong Kong et Paris sont parmi les villes «alpha», Chicago, Milan et Toronto sont «alpha». Séoul, Melbourne, Barcelone et Montréal sont dans le groupe «beta+». Québec ne figure pas dans ce palmarès, ce qui s explique par les critères retenus, une quantité importante d indicateurs économiques qui tentent de déterminer les interconnexions commerciales entre les grandes villes pour établir une hiérarchie entre régions urbaines. Le Martin Prosperity Institute du Rothman School of Management de l Université de Toronto utilise quatre catégories d indicateurs. Catégorie talent : diplomation, dépenses en éducation, institutions d enseignement, classe créative. Catégorie technologie : brevets, innovation, croissance de l emploi, entrepreneuriat, politiques vertes. Catégorie tolérance : diversité, immigration, minorités visibles, intégration, présence gaie, droits. Catégorie qualité de vie : Symphonie-ballet-opéra, musées, spectacles, vie nocturne, criminalité, loisirs, voies cyclables. Dans ce classement de 61 villes, c est Ottawa-Gatineau qui arrive au premier rang. Les autres villes qui méritent un A sont Seattle, Oslo, Washington, Amsterdam, Tel Aviv, Copenhague et Londres. Montréal, au 11 e rang, et Québec, au 15 e rang, font partie du groupe des villes qui décrochent un A-, avec entre autres, New York, San Francisco, Paris. Dans le AT Kearney Global City Index, Montréal est au 30 e rang sur 60. New York, en tête, obtient une note de 6,35. Toronto est au 16 e rang avec 2,92, Montréal est au 30 e, avec 2,32. Un nouveau pacte pour les grandes villes du Québec 2014-03-19 Page 9

Cet indice classe les zones métropolitaines à partir de 25 indicateurs dans cinq catégories, moins inspirées par Richard Florida. Catégorie activité économique : sièges sociaux, entreprises de services de haut niveau, marché des capitaux, nombre de conférences internationales, volume des ports et aéroports. Capital humain : capacité d attirer le talent avec taille de la population immigrée, qualité des universités, nombre d écoles internationales, étudiants étrangers, diplomation universitaire. Catégorie circulation de l information : chaînes télé, présence internet, nombre de bureaux de presse internationaux. Catégorie expérience culturelle : événements sportifs, musées, salles de spectacles, restaurants, voyageurs internationaux. Catégorie poids politique : ambassades ou consulats, think tanks, organisations internationales, conférences politiques. L étude du Economist Intelligent Unit, classait, en 2012, Montréal au 28 e rang sur 120 villes. L étude produite par BMO Groupe financier et le Boston Consulting Group, «Créer un nouvel élan à Montréal», notait que la métropole obtenait une bonne note dans six des huit catégories avec lesquelles le EIU mesure la compétitivité globale. «Montréal fait ainsi très bonne figure au regard de son capital physique, c est-à-dire ses infrastructures (aussi étonnant que cela puisse paraître!), la présence de leviers financiers, son efficacité institutionnelle, sa vitalité sociale et culturelle, son capital humain, représenté par l abondance de ses collèges et universités, et le fait qu elle soit peu exposée à des désastres naturels ou à des catastrophes environnementales. Mais notre métropole accuse par contre une puissance économique faible, c'est-à-dire qu elle sous-performe sur le plan économique et souffre d un attrait mondial limité» révélé notamment par une desserte aérienne réduite et une faible attractivité auprès des grands groupes internationaux.» Le Conference Board du Canada a publié deux rapports sur le rôle des villes au Canada. Le second, Cité-Aimants II, classe 50 villes canadiennes en fonction de leur capacité d attraction pour des travailleurs spécialisés et une population mobile, «Parce que les villes incapables d agir comme aimants et d attirer de nouvelles personnes auront du mal à rester prospères dans les décennies qui viennent». Attirer des travailleurs qualifiés et créatifs est crucial à la compétitivité de la nation et des villes. Mais l étude estime que même si les migrants universitaires utilisent d autres critères que les autres quand il s agit de décider où vivre, une ville attirante pour les diplômés universitaires le sera aussi pour les autres. Les leaders de ce classement sont : Calgary, Waterloo, Ottawa, Vancouver, St. John s, et Richmond Hill. Québec est au 19 e rang, avec un B, et Montréal au 35 e, avec un C. La catégorie «société» regroupe 14 indicateurs, liés à l accessibilité (modes de transport, densité de la population, accès à la culture), à la diversité (population immigrante, diversité et âge de la population, multilinguisme), à la cohésion sociale (intégration des immigrants, égalité des sexes, pauvreté, criminalité), à la créativité (emplois culturels). La catégorie santé comporte quatre indicateurs : nombre de lits, nombre de généralistes, de spécialistes, proportion de la population travaillant en santé. La catégorie économie : hausse du PIB, hausse de l emploi, taux de chômage, revenu disponible per capita, employés liés au savoir. Environnement : température moyenne, utilisation de l eau, qualité de l air, distance automobile du travail. Éducation : proportion de détenteurs d un bsc, diplômes supérieurs, nombre d enseignants. Innovation : emplois dans les sciences, emplois haute technologie, diplômés en géniemathématiques-informatique, productivité. Enfin, logement : pourcentage du revenu consacré au loyer ou à l hypothèque. Les six types de classement se retrouvent en annexe à la fin du document. Un nouveau pacte pour les grandes villes du Québec 2014-03-19 Page 10

2. DES LEVIERS POUR LES GRANDES VILLES Cette revue de plusieurs classements de villes peut aider à mieux définir les axes de développement et les types d intervention qui permettent à une ville globale de se distinguer. Le terme qui peut le mieux servir de dénominateur commun à la plupart des indicateurs associés au succès est sans doute celui d aimant : le pouvoir d attraction d une ville, sa capacité d attirer des entreprises, des capitaux, des activités, des individus, surtout ceux qui, par leurs spécialisation et leur talent, peuvent soutenir l économie du savoir. Et les ingrédients qui confèrent à une ville globale cette capacité d attraction sont son dynamisme économique, mesuré par la croissance, le niveau de vie, les attributs associés au savoir, un bassin de main-d œuvre spécialisée, mesuré par la diplomation, la classe créative, ainsi que la qualité de vie. Ce très large éventail des interventions incontournables démontre qu il est absolument impossible pour une administration municipale de s acquitter de ses fonctions sans déborder largement de ses responsabilités traditionnelles. Il y a un décalage croissant entre la réalité concrète des villes et le cadre dans lequel elles doivent évoluer. Les villes doivent s occuper de plus en plus de dossiers qui, en principe, ne sont pas de leurs champs de compétence. Cela pose des questions sur la place des villes, mais aussi sur le leadership municipal. Les villes ne sont plus comme avant, et cela n est pas reflété dans la façon dont le partage des responsabilités se fait entre les trois ordres de gouvernement. Dans les pages qui suivent, ces champs d interventions qui permettent à une ville de se distinguer en tant que ville globale sont regroupés non pas selon les regroupements traditionnels, par exemple, économie, urbanisme, etc., mais en fonction de la nature du partage de juridictions entre les municipalités et les gouvernements supérieurs. 2.1 Soutenir les responsabilités municipales traditionnelles Plusieurs axes d interventions nécessaires pour permettre à une ville de s imposer comme cité- État correspondent aux responsabilités traditionnelles des villes. Exprimé autrement, cela signifie que, lorsqu une ville s acquitte consciencieusement de ses obligations de base, elle contribue déjà à son essor. À contrario, délaisser ou négliger ces fonctions traditionnelles aurait des effets négatifs. Les services municipaux traditionnels de base: salubrité, voirie, déneigement, gestion des déchets. Les services municipaux associés à la qualité de la vie : loisirs, parcs, bibliothèques. Les fonctions de cohésion sociale, activités communautaires, vie de quartier, logement. Les fonctions de planification : permis, zonage, aménagement, urbanisme. Le développement et la promotion économiques : parcs industriels, représentation internationale, bureaux touristiques démarchage. Le leadership municipal, initiatives pour créer une cohésion, susciter la fierté, renforcer l image de la ville, lancer des projets porteurs. L exemple de Jean Drapeau à Montréal avec l Expo et les Jeux Olympiques nous rappelle que ce rôle n est pas nouveau. À Québec, c est une tradition. Quatre maires successifs se sont imposés par leurs grands projets : Gilles Lamontagne, Jean Pelletier, Jean Paul L Allier et maintenant Régis Labeaume. Un nouveau pacte pour les grandes villes du Québec 2014-03-19 Page 11

Mais il est clair que ce cadre est trop restreint. La conception traditionnelle de la fonction municipale, comme celle que professait Mme Andrée Boucher à Québec - déneigement, loisirs, voirie et déchets- ne correspond plus aux besoins et obligations des municipalités. Son refus de s impliquer dans un débat sur l aéroport de Québec, parce qu il s agissait d un domaine de juridiction fédérale, exprimait un point de vue incompatible avec le développement d une cité- État. 2.2 Élargir le cadre des responsabilités traditionnelles La façon dont ces champs d action traditionnels sont pris en charge a cependant évolué à travers le temps, un processus de transformation qui s est accéléré dans le cadre du développement des cités globales. La mondialisation économique et l intensification de la concurrence entre elles provoquent de profondes mutations dans la gouvernance des villes, que l on pourrait définir comme le passage d une culture de gestion vers une culture plus entrepreneuriale, reposant sur l innovation et la concurrence. Les interventions liées à la qualité de vie, par exemple, dépassent le cadre traditionnel des services de proximité pour devenir des sources d attractivité, parfois pour une clientèle qui ne fait pas encore partie du bassin de ses citoyens. On a assisté à une tendance des villes, dans ce contexte de concurrence, à soutenir des activités évènementielles, festivals, congrès, grands rassemblements, qui ont une fonction de loisir, mais qui ont aussi pour but de faire la promotion de la ville et de contribuer à son «branding». Les interventions liées aux loisirs et à la culture s élargissent pour forcer les villes à développer une véritable politique culturelle, parfois plus structurante pour la ville que celles des gouvernements supérieurs. Il ne s agit pas seulement de s assurer de la présence d une offre culturelle, de soutenir des festivals, mais d attirer des créateurs, de devenir un foyer de création. Les questions liés à l aménagement du territoire dépassent le zonage pour devenir l expression d une vision de la ville une conception de l aménagement une vision de la ville. Le développement économique dépasse la sollicitation et le démarchage, la promotion et le soutien aux projets, pour se transformer en véritable stratégie de développement, par exemple les grappes industrielles du maire Gérald Tremblay. Québec est un bel exemple de ville dont le succès s explique en partie par la clarté de sa stratégie, la compréhension partagée de miser sur la fonction gouvernementale, le tourisme et le savoir. Ce rôle de stratège est nouveau. 2.3 Optimiser les interventions des gouvernements supérieurs Plusieurs facteurs importants pour le succès des villes relèvent cependant clairement des niveaux de gouvernement supérieurs. C est par exemple le cas des grands déterminants de la création de la richesse, la fiscalité, les lois du travail, les normes environnementales, les politiques de développement économique qui ont une influence sur les investissements et la productivité. Le fait que Montréal et Québec aient un niveau de vie très bas à l échelle nord-américaine tient en grande partie aux retards de l ensemble du Québec à cet Un nouveau pacte pour les grandes villes du Québec 2014-03-19 Page 12

égard et à l inadéquation des politiques nationales. Dans la plupart des classements, Montréal et Québec perdent des points en raison de leur faible performance économique. Des facteurs importants sur lesquels les pouvoirs municipaux ont peu de prise sinon celui de faire des représentations. En plus de leur impact macroéconomique global, ces politiques nationales peuvent avoir un impact spécifique sur les grandes villes, soit parce que ces politiques ne tiennent pas compte des spécificités urbaines, soit parce que les villes sont plus vulnérables à leurs conséquences. Cela est sans doute plus marqué au Québec où, souvent les gouvernements privilégient des politiques qui, en principe, doivent s appliquer plus ou moins uniformément à toutes les régions. Par exemple, les politiques économiques globales, comme la fiscalité ou la réglementation peuvent avoir des impacts plus marqués dans les grandes villes, parce que c est là qu on trouve les entreprises qui peuvent choisir d aller ailleurs et les personnes plus mobiles qui peuvent quitter le Québec ou refuser de s y établir si les conditions ne sont pas favorables. Certaines infrastructures relevant des gouvernements supérieurs jouent un rôle vital pour le succès des villes. Les aéroports, dont le succès repose sur des politiques fédérales, ou les installations portuaires, de juridiction fédérale, dont la gestion peut ne pas être optimale si le degré de concertation n est pas suffisant. C est également le cas du transport ferroviaire. Certaines politiques ne tiennent pas compte des spécificités des grands centres urbains, que les gouvernements supérieurs ne maîtrisent pas toujours pleinement. Cela est sans doute davantage le cas pour Montréal que pour Québec, en raison de la composition démographique de la métropole et de son absence de proximité avec le gouvernement provincial. On pense aux politiques linguistiques qui, indépendamment de leur pertinence, n ont d impact économique négatif que pour Montréal. Ou récemment, à la réaction du milieu montréalais à une politique nationale, la Charte des valeurs. Ou encore, au débat sur les frais de scolarité et sa conséquence, le quasi-gel des droits, qui affectera davantage Montréal et Québec où se trouvent les grandes universités de recherche qui souffrent le plus du sous-financement. Il n existe aucun mécanisme formel pour tenir compte des spécificités et des besoins des grandes villes dans les politiques québécoise et canadienne, sinon à travers des efforts de représentation et l établissement de rapport de forces. Ce déséquilibre est renforcé par l affaiblissement des gouvernements traditionnels. Partout, les gouvernements disposent de moins de moyens financiers. Ils ont également moins de pouvoirs, parce que l interventionnisme est moins prisé, mais aussi parce que les règles du commerce mondial réduisent leur capacité d agir. En outre, les gouvernements supérieurs ont souvent du mal à prendre fait et cause pour une ville au détriment d une autre, ou pour favoriser les villes au détriment des réalités régionales. 2.4 Les responsabilités mal partagées Dans plusieurs secteurs, vitaux pour l avenir des villes, les administrations municipales et les gouvernements supérieurs, surtout provincial, interviennent dans des domaines où ils ont tous deux des compétences, sans que les règles de partage des ressources et des responsabilités soient claires. Cela est plus visible dans les secteurs où les investissements des gouvernements supérieurs sont importants. Un nouveau pacte pour les grandes villes du Québec 2014-03-19 Page 13

Ce qui caractérise les tensions, dans ces dossiers, c est le sous-financement chronique, ainsi que l imprévisibilité du financement, qui tiennent moins à une indifférence des gouvernements supérieurs, qu à leur crise financière permanente. Les infrastructures de transport. La fluidité des transports, et son opposé, la congestion, celui des marchandises et celui des personnes, jouent un rôle important pour le fonctionnement économique d une ville et sa qualité de vie. Cette responsabilité est partagée. En gros, le réseau de voirie urbain est de ressort municipal et les autoroutes sont de responsabilité provinciale. Si le gouvernement provincial intervient dans le financement et l entretien d axes routiers sur le territoire des grandes villes, c est parce le transport des personnes et des marchandises sur ces axes de circulation sert l ensemble de la population québécoise, de la même façon que les petites municipalités n ont pas à financer les portions des autoroutes, par exemple la 20 ou la 40, qui passent sur leur territoire. Le problème est que ces axes autoroutiers sont imbriqués dans le tissu urbain et peuvent avoir un impact important pour le développement et le fonctionnement d une ville, des impacts qui dépassent le champ de compétence et d analyse d un ministère des Transports. Pour reprendre les termes d un débat connu, celui du déséquilibre fiscal Ottawa-Québec, les besoins sont dans les grandes villes, la connaissance des dossiers aussi, mais l argent et le pouvoir de décision sont à Québec. Les exemples sont nombreux où la prise en compte des besoins et du knowhow municipal a été inadéquate. L échangeur Turcot à Montréal, et plus récemment, le dossier de la transformation de l autoroute Henri IV à Québec. Ou encore, le remplacement du Pont Champlain à Montréal, dont la nature et le financement sont discutés entre Ottawa et Québec sans que les municipalités qui seront affectées soient des parties prenantes. On note des incongruités anecdotiques, mais révélatrices, comme le fait que c est le ministre des Transports du Québec, Sylvain Gaudreault, qui ait annoncé la fermeture temporaire de voies sur le pont Champlain, ou le gouvernement fédéral qui décide l hiver de la fermeture de la Côte Gilmour à Québec. Plus récemment, la réponse du ministère des Transports à une priorité du maire Coderre, celle de couvrir une partie de l autoroute Ville-Marie, a été révélatrice, «ce n est pas dans les cartons du ministère», qui rappelle où est le centre de décision. Le transport en commun joue lui aussi un rôle essentiel dans le développement des grandes villes, pour la qualité de vie des travailleurs, la congestion, la pollution, et l image verte. C est de responsabilité municipale. Mais les bénéfices du transport en commun dépassent les frontières de la zone urbaine, et surtout, la nature de la fiscalité municipale ne permet pas son financement de façon adéquate. Pour ces raisons, et pour introduire une équité entre le financement des routes et celui du transport en commun, une participation des niveaux de gouvernements supérieurs se justifie. Et celle-ci est insuffisante pour les besoins criants des grandes villes. Un problème financier qui peut se doubler de problèmes politiques. Par exemple, dans la région montréalaise, où les transports en commun régionaux sont gérés par un organisme provincial, l Agence métropolitaine des transports, dont la présence vient brouiller les cartes. Un nouveau pacte pour les grandes villes du Québec 2014-03-19 Page 14

Les grands travaux peuvent avoir un effet très structurant sur les grandes villes, par exemple des parcs, des musées, des centres hospitaliers, pour la qualité de vie, l image, l activité économique. Et même si cet impact peut être déterminant pour les villes, il est fréquent que les villes participent peu à leur planification si le financement provient des niveaux supérieurs de gouvernement, même si ce sont ces villes qui détiennent le know-how nécessaire. C est par exemple le cas pour la façon dont ont été planifiés les grands travaux hospitaliers, le choix encore contesté de la localisation du CHUM à Montréal, ou plus récemment, à Québec, le sort de l Hôtel-Dieu, qui semble être décidé par le gouvernement du Québec, même si le sort de cette institution est vital pour la vie de la capitale. 2.5 Assumer des responsabilités élargies Si les villes sont des aimants et des creusets, elles sont aussi des entonnoirs, des lieux de convergence des principales problématiques qui confrontent nos sociétés et dont la résolution est essentielle pour assurer qualité de vie, harmonie et attraction. Les villes ont des avantages comparatifs dans le domaine économique, et leur croissance a des effets bénéfiques qui débordent sur l ensemble du territoire. Mais il y a un effet contraire, cette croissance engendre des externalités qui comportent des coûts et des inconvénients. Il y a un prix à payer pour le succès : criminalité, congestion, pollution, prix croissants du logement, pressions sur les infrastructures. Dans bien des cas, les grandes villes deviennent les terminus des problèmes de l ensemble de la société. Et cela vient avec des tâches et des responsabilités additionnelles. Selon l OCDE, la relation entre le revenu et la taille de la population est négative pour les régions métropolitaines de plus de six millions d habitants. Au Québec, nous n en sommes heureusement pas là. Mais les défis sont là. Les villes doivent s impliquer dans des dossiers qui ne sont pas nécessairement de leur compétence, mais qu elles ne peuvent absolument pas délaisser si elles veulent assurer leur développement harmonieux. C est le cas de l immigration, de la culture, de l ordre public et des questions liées à la violence et l insécurité, des politiques sociales et des luttes contre les inégalités, la culture, l environnement, et, à la limite, de l éducation et de la santé. Nous en parlerons plus en détail dans la section consacrée au partage des pouvoirs. 3. UN CADRE STRATÉGIQUE POUR UN NOUVEAU PACTE Cette revue des obligations des villes illustre de façon très claire l existence d un déséquilibre important entre les pouvoirs des villes, leurs moyens, et les tâches auxquelles elles sont confrontées. Elle illustre par conséquent l importance de modifier de façon significative le cadre de gouvernance dans lequel elles évoluent, ce que nous appellerons un nouveau pacte entre le gouvernement du Québec, ses grandes villes et éventuellement le monde municipal. Mais pour changer les choses, il faudra remettre en cause des traditions bien ancrées et affronter de profondes résistances. Un nouveau pacte pour les grandes villes du Québec 2014-03-19 Page 15

Il faut cependant être bien clair. La démarche proposée dans les pages qui suivent ne mène pas à l établissement de ce qu on appelle souvent une «liste d épicerie» dans le cadre d une campagne électorale. Dans ce document, les grandes villes ne déposent pas leurs demandes, elles proposent plutôt un projet de réforme majeur de la gouvernance municipale, et posent les premiers jalons d un nouveau cadre de fonctionnement pour Montréal et Québec et d une nouvelle façon d établir leurs relations avec le gouvernement du Québec. 3.1 D abord, vaincre les résistances Au niveau québécois, tout comme au niveau canadien, cette nouvelle vision des villes ne suscite pas une grande écoute, contrairement à ce que l on peut observer, par exemple, dans l Union européenne, qui semble plus sensible au rôle stratégique de ses grandes villes. Voici, par exemple, ce qu écrivait, en 2011, Johannes Hahn, Membre de la Commission européenne responsable de la politique régionale, dans la préface d un rapport intitulé «Les villes de demain, défis, visions et perspectives». «Nous devons mieux comprendre les défis auxquels seront confrontées, dans leur diversité, les villes européennes dans les années à venir. C est la raison pour laquelle j ai décidé de réunir des experts urbains et représentants de villes européennes afin que nous réfléchissions à l avenir. Ce rapport est le résultat de cette réflexion. Il a pour but de provoquer une prise de conscience des incidences éventuelles de certaines tendances, telles que le déclin démographique et la polarisation sociale, ainsi que la vulnérabilité de différents types de villes. Il souligne également les possibilités ainsi que le rôle essentiel que peuvent jouer les villes pour la réalisation des objectifs de l Union européenne, en particulier la mise en œuvre de la stratégie Europe 2020. Il présente des modèles et des visions prospectives. Enfin, il confirme l importance d une approche intégrée du développement urbain. Le processus de réflexion sur les «villes de demain» constitue une source d inspiration pour les décideurs et les professionnels impliqués dans le développement urbain, que ce soit au niveau local, régional, national ou européen. La réflexion sur l'avenir et le développement de visions des villes de demain revêtent une importance croissante à tous les niveaux. Le développement de nos villes déterminera l avenir de l Europe.» C est ce genre de préoccupation et de détermination qu il serait souhaitable de retrouver au Québec. Le cadre dans lequel évoluent les villes remonte à Constitution canadienne, datant de 1867, qui repose sur un partage entre deux ordres de gouvernements, le fédéral et le provincial. Dans un tel cadre, les villes n ont pas d existence propre, ne constituent pas un troisième niveau de gouvernement. Elles sont plutôt une émanation du gouvernement provincial, ce que l on a décrit comme des créatures du gouvernement provincial. Le cadre dans lequel évoluent les villes a été défini à une époque où le rôle des pouvoirs publics était radicalement différent et où la population était majoritairement rurale. Le pourcentage de la population urbaine atteint maintenant 81 %, dont 69,7 % dans les grandes agglomérations, les régions métropolitaines de recensement. Par ailleurs, ce cadre est à contre-courant des grandes tendances dans la dispensation des services publics voulant que le gouvernement le mieux à même de fournir les services est celui qui est le plus proche des commettants. Ce problème dépasse largement le statut juridique des villes. Les villes ne sont pas au cœur de préoccupations du gouvernement fédéral, de la plupart des gouvernements provinciaux, des partis politiques fédéraux ou de ceux du Québec. Elles ne constituent pas une priorité, elles n ont pas droit au niveau de ressources souhaitable. Un nouveau pacte pour les grandes villes du Québec 2014-03-19 Page 16

Peu de gouvernements ont été prêts à axer leur stratégie économique sur le développement des villes. Ce fut brièvement le cas du gouvernement libéral dirigé par Paul Martin à Ottawa, qui a voulu miser sur le développement des grandes villes, était prêt à leur accorder des sources de revenus et d en faire des partenaires à part entière. Mais il a rapidement dilué sa stratégie en faveur de l ensemble des municipalités, grandes et petites. On a assisté au même phénomène au Québec, où le parti-pris du gouvernement Bouchard pour Montréal a aussi été de courte durée, quand il a lancé des politiques régionales qui, en bout de ligne, niaient ce pari pour la métropole. Québec s en est mieux tirée dans les dernières années, mais moins en raison de sa nature de grande ville, mais grâce à son statut de capitale. Cette absence de choix pour les villes s explique en grande partie par des raisons liées à la politique. Nos structures électorales donnent aux régions non-urbaines un poids politique supérieur à leur poids réel tandis que les villes sont sous-pondérées. En outre, les gains politiques qui assurent les victoires électorales se font davantage en région. Dans le cas de Montréal, l électorat est figé, entre autres sur des bases linguistiques, et le potentiel d une bascule des circonscriptions électorales d un parti à l autre est limité, ce qui rend les efforts pour séduire la métropole peu rentables en termes électoraux. La dynamique n est pas de même nature à Québec, dont la population peut changer d allégeance, ce qui encourage les efforts de séduction des partis politiques fédéraux ou provinciaux. Cela explique en partie le succès relatif de la ville de Québec dans ses représentations. Les nouvelles stratégies politiques, enfin, reposent moins sur les grandes politiques globales que sur des interventions très ciblées pour remporter les circonscriptions une à une. Cela favorise les régions d abord parce que l appui aux villes n est pas populaire auprès des tranches de l électorat que l on veut séduire, ensuite parce qu une promesse bien ciblée en région peut être récompensée en termes électoraux. Ce contexte politique ne se traduit pas uniquement en comportements électoraux. On sent une réticence des gouvernements à donner l impression de privilégier ou même de s occuper des grandes villes. Cela s explique par la méfiance du monde rural à l égard des grandes villes, et aussi par les problèmes réels que connaissent plusieurs régions. Le discours politique, tant libéral que péquiste ou caquiste, part du principe que les villes sont prospères et que les problèmes sont ailleurs. Cette réticence, on la retrouve dans les stratégies de développement, souvent régionalistes, dans la façon de diluer les politiques urbaines pour traiter de façon similaire les grandes villes et les villes de taille moyenne. On peut la mesurer de multiples façons. Par exemple, par le fait que les villes, et à plus forte raison les grandes, n ont pas droit à leur propre ministère et relèvent plutôt du MAMROT, le ministère des Affaires municipales, des Régions et de l Occupation du territoire. Les deux premiers grands dossiers que ce ministère met de l avant, sur son site Internet, sont la Politique nationale de la ruralité et l Occupation et la vitalité des territoires. Cette réticence se retrouve dans de nombreux discours. Le document de consultation prébudgétaire libéral en 2007, «Des régions plus prospères», ne consacrait que trois pages sur 44 aux deux grandes villes. Le gouvernement Marois, dans sa stratégie nationale de mobilité, consacre 25 pages au milieu urbain, et 25 au milieu rural, quand, de toute évidence, le transport en commun est essentiellement urbain. Ou encore, dans le dernier budget fédéral de février, on décrit le pont Champlain comme «un nouveau pont pour le Saint-Laurent», sans doute pour éviter de citer Montréal. Un nouveau pacte pour les grandes villes du Québec 2014-03-19 Page 17

3.2 Une approche stratégique : un développement bipolaire Comment briser cette logique régionaliste qui nuit à Montréal et à Québec, et par voie de conséquence, à l ensemble du Québec? En principe, Montréal pourrait lancer une bataille, comme l a réussi Toronto, comme l ont fait d autres villes dans d autres provinces. C est par exemple ce que tente de faire Jacques Ménard, président pour le Québec de la BMO Groupe financier, qui a produit une étude avec le Boston Consulting Groupe sur les retards de la métropole, intitulée «Créer un nouvel élan à Montréal». Si une telle initiative peut mobiliser le milieu montréalais, elle ne réussira pas à briser la logique régionaliste qui prévaut au Québec. En apparence, il peut sembler normal que ce soit la métropole qui aille au front pour revendiquer un statut de grande ville. C est la candidate logique pour profiter de ce changement, en raison de sa taille et de sa fonction économique. Mais cette stratégie est vouée à l échec au Québec. On a pu observer, au fil des décennies, à quel point il est difficile pour un gouvernement fédéral de sembler favoriser le Québec, de le traiter différemment des autres provinces. On assiste, pour de toutes autres raisons, au même phénomène dans le cas de Montréal. Les réticences sont fortes à l idée de lui donner un quelconque statut, en raison de la méfiance d une grande partie de la population québécoise à l égard de sa métropole. Elle tient en partie aux relations difficiles des régions avec leurs grandes villes, un comportement que l on observe dans d autres provinces et dans d autres pays, mais qui se double ici du fait que Montréal est très différente du reste du Québec, qu elle revêt un caractère étranger, en raison de sa composition linguistique et de sa diversité ethnique. Voilà pourquoi le modèle qui permettrait le mieux de faire avancer le dossier des grandes villes, c est une stratégie que l on peut qualifier de bipolaire, qui repose sur le développement de ses deux principaux centres urbains, Montréal, sa métropole, et Québec, sa capitale. Cette stratégie repose sur des considérations politiques, mais aussi sur des réalités sociales et économiques. Au Québec, il y a une seule grande ville qui est une métropole, qui a les attributs et la vocation internationale propre à une très grande ville de taille mondiale. Et c est Montréal. Et qui, à ce titre, en toute logique, a des besoins particuliers qui la mettent dans une classe à part. Mais le Québec a la chance de compter sur une deuxième grande ville, Québec, plus modeste en taille, qui n est pas une métropole, mais qui peut compter sur de nombreux attributs lui permettant de jouer le rôle d une ville capable de tirer son épingle du jeu dans la concurrence internationale. Québec joue en outre un rôle de centre pour toute une portion importante du territoire du Québec. Et Québec contribue de façon significative à la création de richesse. La ville de Québec joue un rôle économique assez important, et surtout, a un potentiel assez prometteur pour que le Québec développe une stratégie bipolaire et fasse reposer son développement sur ses deux centres urbains, en jouant sur la concurrence et la complémentarité. Au plan strictement politique, l expérience du passé et l analyse du contexte actuel indique qu il ne sera pas possible pour Montréal de revendiquer un autre statut pour jouer pleinement son rôle de cité-état. Les réticences de la population sont trop grandes et la volonté politique, peu importe le parti, n est pas là. Sans oublier les scandales et la corruption qui ont entaché son image. De son côté, la ville de Québec ne peut pas espérer disposer d outils propres aux grandes villes si Montréal, qui a quatre fois sa taille, ne peut pas les obtenir. Un nouveau pacte pour les grandes villes du Québec 2014-03-19 Page 18

Bref, dans cette bataille politique, Québec a besoin de l appui de Montréal, en raison de sa taille et de son statut de métropole. Mais Montréal a aussi besoin de Québec, une ville qui entretient des liens étroits et harmonieux avec plusieurs régions du Québec et qui ne suscite pas la même méfiance. Des concessions ou un statut différent, qui sembleraient inacceptables si on les consent uniquement à Montréal, seraient perçus de façon beaucoup plus positive si on les accorde aussi à Québec. Bref, Québec a besoin du poids économique et démographique de Montréal, et Montréal a besoin de l influence et de l acceptabilité sociale de Québec. Une stratégie gagnant-gagnant, d autant plus, qu en joignant leurs forces, les deux villes, qui représentent une part importante de la population québécoise, donnent une légitimité accrue à leur cause. Mais il n y a pas que le calcul politique. L idée de miser sur ses deux grandes villes représente pour le Québec un modèle de développement plus prometteur, parce qu une stratégie bipolaire est plus équilibrée, qu elle permet de mieux intégrer le monde urbain et le monde régional et de réduire la coupure villes-campagnes. Il y a en outre une complémentarité réelle entre les deux villes, qui ont plusieurs attributs communs, vie universitaire, industries du savoir. Ce sont aussi les deux grands centres touristiques du Québec. Et n oublions pas leur proximité géographique, les deux grands carrefours d un corridor extrêmement achalandé. L alliance entre les deux centres urbains est souhaitable. Elle est dans l intérêt des deux villes. Québec profite, en s associant à Montréal, d une reconnaissance à laquelle un centre urbain de 750 000 personnes n aurait pas accès en temps normal. Montréal, de son côté, avec une alliance, pourrait faire accepter par l ensemble de la province des égards qui n auraient jamais été acceptés si elle était la seule à les réclamer. 4. LES PILIERS D UN NOUVEAU PACTE Un nouveau pacte entre le gouvernement du Québec et ses deux grandes villes est absolument nécessaire, pour le développement de Montréal et de Québec, mais aussi pour que le Québec dans son ensemble retrouve la voie de la création de richesse. Ce nouveau pacte pourrait reposer sur cinq piliers. 4.1 La reconnaissance Le premier axe d intervention pourra sembler symbolique. Et c est celui de la reconnaissance. Il y a un préalable à un débat sur le partage des pouvoirs et sur le partage des ressources, et c est l acceptation d un principe : que le gouvernement, et que les partis politiques, reconnaissent formellement le rôle unique de leurs deux grandes villes, pour briser le régionalisme, et créer les bases qui serviront de guide dans l action par la suite. Cette reconnaissance est le fondement d un nouveau pacte, sans lequel rien ne sera possible. Cette reconnaissance ne se retrouve ni dans les programmes politiques des partis, ni dans les énoncés des gouvernements. Elle existe ailleurs, notamment chez nos voisins ontariens, où l obtention du pouvoir habilitant dont rêvait Montréal a pris une forme toute différente dans le cas de Toronto. La ville-reine a obtenu beaucoup plus qu une certaine liberté fiscale. Un nouveau pacte pour les grandes villes du Québec 2014-03-19 Page 19