Longtemps annoncée, la «révolution



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Transcription:

Introduction L économie de l Internet «Non, Sire, c est une révolution» Marc Schwartz Ancien élève de l Ena, gérant du cabinet MS Finance & Conseil Longtemps annoncée, la «révolution numérique» est enfin là. Internet envahit nos existences, transforme la manière dont nous travaillons, change l accès à l information, aux loisirs et aux services de la vie quotidienne. Et si une révolution industrielle «exprime avec netteté le basculement rapide d économies et de sociétés dites traditionnelles dans une ère nouvelle», alors oui, sans aucun doute, la période que nous vivons est bien une révolution industrielle. Cette révolution est contemporaine de la mondialisation de l économie - elle en est une illustration et un support à la fois. Comme dans tout changement systémique, on connaît à peu près le modèle économique dans lequel nous évoluons, mais beaucoup moins bien celui vers lequel nous allons.. Dictionnaire d histoire, économie, finance et géographie, sous la direction de Frédéric Teulon, Presses Universitaires de France, Paris, 1995. Une mutation irréversible Par quelque côté que l on tente l analyse, les constats convergent : la France est en train de basculer dans l économie numérique. L année 2007 a marqué une étape importante, les Français vivent désormais clairement à l heure d Internet. Les deux tiers disposent d un micro-ordinateur à domicile, et plus de la moitié ont une connexion Internet. Les usages se développent. Plus de 50 % de nos concitoyens ont effectué une démarche administrative ou fiscale en ligne l année dernière (7 millions de déclarations de revenus en ligne). Plus de 20 millions de Français achètent désormais en ligne, le chiffre d affaires du commerce électronique ayant atteint 12 milliards d euros en 2007. Dans certains segments de l électronique grand public, de l informatique ou du voyage, plus de 10 % des achats passent par Internet. Le e-com- 24 Sociétal n 61

«Non, Sire, c est une révolution» merce est devenu un canal de distribution de masse. La recherche d emploi s effectue de plus en plus par Internet (28 % des internautes), et les adolescents sont près de 60 % à télécharger de la musique en ligne. Côté équipement, l accès à la téléphonie par Internet (ADSL) concerne aujourd hui plus du quart de nos concitoyens, par l intermédiaire de toutes les «box» qui apportent à la maison le téléphone, l Internet, la télévision, et de nouveaux services (comme la vidéo à la demande). Le haut débit est devenu la norme en matière d accès à Internet : plus de 90 %. Et plus de la moitié des Français accèdent à la télévision numérique, d abord par le câble et le satellite, dont le taux de pénétration stagne depuis l arrivée des nouveaux supports de diffusion : l ADSL (10 % de la population) et surtout la TNT (25 % de la population), qui tendent à se généraliser. Le temps passé à surfer sur la «toile», devant son écran d ordinateur et, bientôt, devant son téléphone portable, a rattrapé la consommation d autres médias. Conséquence logique : les annonceurs se portent de manière croissante sur l Internet. Les dépenses de publicité sur le réseau 2 connaissent une croissance de 30 à 40 % par an et représentent 10 % des investissements publicitaires totaux, dont ils captent la totalité de la croissance. Internet a dépassé la radio comme support d investissements publicitaires. Cette évolution irréversible est rendue possible par l évolution des réseaux de communication électronique. Paul Champsaur en analyse les. Sous toutes leurs formes : bannières publicitaires, liens sponsorisés. principaux enjeux et rappelle que les progrès techniques sont à la source d une croissance continue des débits de données, permettant ainsi la transition vers l ère numérique. Trois enjeux majeurs sont identifiés pour les prochaines années, qui vont façonner le marché des services électroniques et les marchés connexes : l arrivée de la fibre optique, qui va permettre d accroître considérablement les débits de données, la convergence entre la téléphonie fixe et la téléphonie mobile, et les relations entre le monde des télécommunications et celui de l audiovisuel, qui sont en concurrence pour l utilisation du «dividende numérique», c est-àdire l utilisation des fréquences hertziennes qui seront libérées dans quelques années par la fin de la diffusion analogique de la télévision. Vers une économie et une société numériques? Nous sommes donc en train d entrer de plainpied dans l ère numérique. Mais y entrons-nous tous de la même manière? Certainement pas, répond l association Renaissance Numérique, dont le délégué général, Erik Van Rompay nous rappelle que la fameuse «fracture numérique» continue d exister, et que les taux moyens d accès cachent d importantes disparités : les foyers disposant des revenus les plus faibles, les ouvriers ou les seniors sont sensiblement moins branchés que les autres catégories de la population. Même constat du côté des entreprises : les TPE françaises sont quatre à cinq fois moins nombreuses que leurs homologues britanniques 3 ème trimestre 2008 25

ou allemandes à utiliser Internet pour se faire connaître. Et l on compte seulement un ordinateur pour douze élèves en France, contre un ordinateur pour sept ou huit élèves en Italie ou en Belgique. Renaissance Numérique propose une série de mesures, parce que «l Internet pour tous est une nécessité» : promouvoir les usages, équiper davantage la France en ordinateurs, accompagner la société vers le numérique, rapprocher l Internet et des citoyens, et combattre la fracture géographique. C est l objet du plan «France numérique 2012» que Eric Besson, secrétaire d état à la Prospective, à l évaluation des politiques publiques et au développement de l économie numérique vient de présenter, après les deux mois de débat des Assises du numérique. Dans l entretien qu il a accordé à Sociétal, Eric Besson, qui coordonne l ensemble des politiques publiques dans le domaine du numérique, rappelle le grand succès que ces Assises ont rencontré, avec 130 ateliers et plus de 250 forums interactifs. Il dévoile les grandes lignes du plan visant à «faire de la France une véritable République numérique à l horizon 2012». Ce plan est structuré en quatre volets : «les réseaux, pour permettre à tous les Français d accéder aux réseaux et aux services numériques ; les contenus, pour développer les production et l offre de contenus numériques ; les usages, pour accroître et diversifier les usages et les services numériques dans les entreprises, les administrations et chez les particuliers ; et la gouvernance de l économique numérique, qui mérite d être modernisée». L objectif d avoir un accès haut débit à Internet pour tous les foyers français à l horizon 2012 sera assurément un des points saillants de cette ambition numérique pour la France. Eric Besson reste fondamentalement optimiste : «non seulement un Google français, mais des Google français sont possibles!». Acceptonsen l augure Des modèles économiques et sociaux profondément renouvelés L impact du Web est visible dans tous les secteurs de l économie et de la société, avec ses nouveaux acteurs qui envahissent notre vie et notre langage. Faut-il rappeler que Google n existait pas il y a dix ans? Que son chiffre d affaire a atteint 16 milliards de dollars en 2007 et sa capitalisation boursière 150 milliards de dollars en juillet 2008? Et sait-on que le réseau social Facebook revendique aujourd hui 90 millions d utilisateurs dans le monde? Le secteur du tourisme, par exemple, voit sa chaîne de valeur profondément renouvelée par l utilisation d Internet pour l achat de prestations de transport ou la réservation d hôtels, pour se renseigner sur les destinations ou pour recueillir l avis des autres internautes grâce aux espaces communautaires. Le modèle économique des voyagistes, qui était fondé sur la vente groupée de produits rendus moins chers par l achat en masse, est bouleversé par la tendance au «depackaging» des offres et à la vente directe. Le secteur des médias est fortement impacté par Internet, qui est tout à la fois : un média (en 26 Sociétal n 61

«Non, Sire, c est une révolution» tant que support publicitaire), tous les médias, puisque l on peut y consommer de la presse, de la télévision, de la radio, de la musique, des contenus culturels, et davantage qu un média : une plateforme d accès un monde de services et de contenus. Francis Balle éclaire la manière dont le numérique et Internet entraînent une recomposition profonde de l univers des médias. Le Web apporte, nous dit-il, «le meilleur des trois mondes : informatique, télécommunications, audiovisuel». Il entraîne un renouvellement du modèle traditionnel de consommation des médias : développement de l auto programmation et de l autoproduction (on passe du «Media is the message» de Mac Luhan au «You are the Media» du Web 2.0), accessibilité permanente de tous les contenus, sur tous les écrans de notre vie, évolution vers les contenus et les services multimédias. Mais il nous invite à ne pas nous tromper d analyse. Si l Internet se développe aussi rapidement, si les médias se transforment, c est d abord parce que cette évolution est «en parfaite affinité avec l individualisme démocratique et la défiance spontanée vis-à-vis de toutes les institutions qui singularisent, ensemble, la société d aujourd hui : elles en sont à la fois la cause et la conséquence». L avenir des médias n est donc pas écrit «dans les promesses ou les prouesses des ingénieurs, mais plutôt chez nos contemporains, du côté de leurs idéaux, de leurs rêves, du côté de leurs désirs ou de leurs besoins». Un éclairage sur les médias d information est apporté par Marc Tessier. Internet change les modes d accès à l information : accès direct aux sites dédiés, érosion continue de l audience des médias traditionnels. Il apporte le meilleur (rapidité, liberté de choix, possibilité de comparer) mais aussi parfois le pire (interrogations sur la qualité, la véracité et la pertinence des informations publiées en ligne). Au-delà, Internet transforme aussi le métier même des journalistes, ce qui aura nécessairement des effets sur le contenu et la qualité des informations dans les sociétés développées, car «traiter un sujet est un métier qui ne s invente pas, tandis que l existence d une rédaction structurée est un gage de qualité». Finalement, assez peu de certitudes Nous voilà donc avec une certitude, et peutêtre une seule : le changement est garanti. On sait que les modèles économiques qui se mettent en place actuellement seront différents de ceux que nous connaissons. Mais il faut bien reconnaître que l incertitude domine sur ce que seront les modèles économiques de demain. Dans le secteur des médias, une ligne de partage traditionnelle est celle qui sépare les modèles gratuits, c est-à-dire financés par la publicité (radio ou télévision hertzienne traditionnelle) et d autre part les modèles payants d accès aux contenus (télévisions à péage, presse écrite). Or l explosion d Internet tend à banaliser l accès gratuit, légal ou illégal, à l information, aux services et aux contenus de toute nature. La presse écrite, la télévision et la radio sont frappées de plein fouet par ce mouvement, qui tend à détourner vers Internet une part crois- 3 ème trimestre 2008 27

sante de leurs ressources publicitaires, et rend les accès payants aux contenus plus difficiles à acclimater. Les bases économiques des médias d informations traditionnels sont, dit Marc Tessier, «minées par la baisse de leur audience, observée partout, la concurrence des diffusions gratuites par rapport au modèle payant qui est le leur, et l accroissement corrélatif des coûts unitaires». Mais l on voit bien que la notion de «gratuité» est un faux-semblant, car tout modèle économique se nourrit de la génération de revenus et de profits. Un modèle gratuit doit permettre de rémunérer les activités économiques qu il génère, sauf à organiser sa propre attrition, et tarir à terme les sources de la création culturelle. C est la thèse défendue par des économistes comme Olivier Bomsel 3 : «il y aura plus de gratuit, mais aussi moins de lisibilité dans le prix des produits». Et c est aussi la thèse de Denis Olivennes, pour qui «la gratuité c est le vol!» 4, et qui a conduit, à la demande de Christine Albanel, ministre de la Culture et de la communication, à la préparation d accords ambitieux et équilibrés permettant de lutter contre le téléchargement illégal de contenus sur Internet. C est vraisemblablement dans la combinaison de modèles gratuits et payants que s imaginera l histoire des médias, des entreprises de télécommunications et des fournisseurs de services, pour des opérateurs capables de déployer leurs contenus sur tous les supports : «Anything, Anywhere, Anytime». Un modèle «gratuit» D où viennent donc les revenus dans un modèle «gratuit»? Soit de la monétisation, via la publicité, de l audience créée sur les sites Internet, les réseaux communautaires et les plates-formes d accès aux services et aux contenus. Ce qui pose la question de la protection des données personnelles et de l exploitation commerciale d une audience traditionnellement rétive à la publicité. Soit de rémunérations indirectes, «encapsulées» dans la vente d autres services : offres groupées des opérateurs de télécommunications, abonnements «tout compris», désabonnements difficiles et onéreux - ce que les économistes appellent des «coûts de sortie». Pour autant, la structure économique de ce nouveau monde est loin d être écrite ; elle le sera progressivement, par ses acteurs euxmêmes. Il ne faut guère s en étonner. Souvenez-vous : c est bien d une révolution industrielle qu il s agit! Et Fernand Braudel nous rappelle à juste titre dans Le temps du monde qu une révolution industrielle «n est, à aucun moment de son parcours, un sujet bien délimité, un faisceau de problèmes donnés, dans un espace donné, en un temps donné».. Cf. Olivier Bomsel, Gratuit! Du développement de l économie numérique, Gallimard, 2007, ou «Le haut débit s est développé grâce aux contenus gratuits», Le Journal du Net, http://www.journaldunet.com/itws/itbomsel.shtml. Denis Olivennes, La gratuité c est le vol : Quand le piratage tue la culture, Grasset, 2007 28 Sociétal n 61