Lecture analytique n 16 : Emile Zola, Germinal [Le roman Germinal est une peinture puissante de la vie misérable des mineurs de la deuxième moitié du XIXe siècle. Il met en scène un conflit dramatique entre les mineurs en grève et la compagnie minière. L'ouvrier Etienne Lantier, renvoyé de son atelier pour ses opinions contestataires, prend contact, dans son nouveau travail à la mine, avec tout un monde de souffrances et d'injustices. Une grève se déclenche, dont il prend la tête. Dans ce chapitre 7, Etienne tient une réunion clandestine, la nuit, dans la forêt, et incite les mineurs à poursuivre la grève.] Un silence profond tomba du ciel étoilé. La foule, qu on ne voyait pas, se taisait dans la nuit, sous cette parole qui lui étouffait le cœur ; et l on n entendait que son souffle désespéré, au travers des arbres. Mais Etienne déjà, continuait d une voix changée. Ce n était plus le secrétaire de l association qui parlait, c était le chef de la bande, l apôtre apportant la vérité. Est-ce qu il se trouvait des lâches pour manquer à leurs parole? Quoi! depuis un mois, on aurait souffert inutilement, on retournerait aux fosses, la tête basse, et l éternelle misère recommencerait! Ne valait-il pas mieux mourir tout de suite, en essayant de détruire cette tyrannie du capital qui affamait le travailleur? Toujours se soumettre devant la faim jusqu au moment où la faim, de nouveau, jetait les plus calmes à la révolte, n était-ce pas un jeu stupide qui ne pourrait durer davantage? Et il montrait les mineurs exploités, supportant à eux seuls les désastres des crises, réduits à ne plus manger, dès que les nécessités de la concurrence abaissaient le prix de revient. Non! le tarif de boisage n était pas acceptable, il n y avait là qu une économie déguisée, on voulait voler à chaque homme une heure de son travail par jour. C était trop cette fois, le temps venait où les misérables, poussés à bout, feraient justice. La foule, à ce mot de justice, secouée d un long frisson, éclata en applaudissements, qui roulaient avec un bruit de feuilles sèches. Des voix criaient : «Justice! Il est temps, justice!» Peu à peu, Etienne s échauffait. Il n avait pas l abondance facile et coulante de Rasseneur. Les mots lui manquaient. Souvent, il devait torturer sa phrase, il en sortait par un effort qu il appuyait d un coup d épaule. Seulement, à ces heurts continuels, il rencontrait des images d une énergie familière, qui empoignaient son auditoire ; tandis que ses gestes d ouvrier au chantier, ses coudes rentrés, puis détendus et lançant les poings en avant, sa mâchoire brusquement avancée, comme pour mordre, avaient eux aussi une action extraordinaire sur les camarades. Tous le disaient, il n était pas grand, mais il se
faisait écouter. forme nouvelle de l esclavage, reprit-il d une voix plus vibrante. La mine doit être au mineur, comme la mer est au pêcheur, comme la terre est au paysan Entendez-vous! la mine vous appartient, à vous tous qui, depuis un siècle, l avez payée de tant de sang et de misère!» Eléments d introduction : Emile Zola, Germinal, Quatrième partie, Chapitre 7 (1877). - Emile Zola (1840-1902. Seconde moitié du XIXe qui a porté la bourgeoisie au pouvoir, siècle de la révolution industrielle, et de l émergence d une nouvelle «classe»: la classe ouvrière, et de nouvelles philosophies politiques: socialisme, communisme, anarchisme). Ecrivain engagé dans les questions sociales et politique (il est sans doute l acteur le plus célèbre de l affaire Dreyfus avec sa Lettre ouverte publiée dans le journal l Aurore: «J accuse»). - Chef de file du naturalisme (voir cours sur le roman). - Germinal explore la question ouvrière à travers l univers des mineurs. Etienne, le héros, devient le leader d une révolte à la mine, révolte qui échouera, mais qui porte le germe, pour Zola, des révoltes à venir (d où le titre!) Idées essentielles : - Problématiques : Quelle peinture du monde des mineurs apparaît dans ce texte? En quoi Etienne apparaît-il comme un héros? Comment est retranscrit l affrontement entre les classes? Quelle vision de la misère nous donne ce texte? En quoi Etienne est-il un personnage éloquent? Montrez que Zola donne à Etienne une apparence quasi-prophétique? En quoi ce texte constitue-t-il une idéalisation de la classe ouvrière? Preuves : Citations Procédés Explications Un silence profond tomba du ciel étoilé. Hyperbole Métaphore La première phrase du texte donne au silence de la foule une dimension céleste. Il s'agit d'une hyperbole, qui donne le sentiment que le Ciel lui-même écoute Etienne. Ce n était plus le secrétaire de l association qui parlait, c était le chef de la bande, l apôtre apportant la vérité. Métaphores Hyperboles Etienne n est plus seulement le leader des mineurs, mais un «chef de bande», un «apôtre». Et il affronte un puissant ennemi : «la tyrannie du capital.» L'allusion initiale au «ciel» peut être rapprochée de la métaphore de l' «apôtre» : Etienne devient un messager céleste, un
apôtre apportant la parole divine. Est-ce qu il se trouvait Discours indirect libre des lâches pour manquer à leurs parole? Quoi! depuis un mois, on aurait souffert inutilement, on retournerait aux fosses, la tête basse, et l éternelle misère recommencerait! Ne valait-il pas mieux mourir tout de suite, en essayant de détruire cette tyrannie du capital qui affamait le travailleur? Toujours se soumettre devant la faim jusqu au moment ou la faim, de nouveau, jetait les plus calmes à la révolte, n étaitce pas un jeu stupide qui n e p o u r r a i t d u r e r davantage? Et il montrait les mineurs exploités, supportant à eux seuls les désastres des crises, réduits à ne plus manger, dés que les nécessités de la concurrence abaissaient le prix de revient. Non! le tarif de boisage n était pas acceptable, il n y avait là q u u n e é c o n o m i e déguisée, on voulait voler a chaque homme une heure de son travail par jour. C était trop cette fois, le temps venait où les misérables, poussés à bout, feraient justice. «Justice! Il est Discours direct Discours direct pour les dernières paroles
temps, justice!» l esclavage, reprit-il d une voix plus vibrante. La mine doit ê tre a u m ineur, comme la mer est au pêcheur, comme la terre e s t a u p a y s a n Entendez-vous! la mine vous appartient, à vous tous qui, depuis un siècle, l avez payée de tant de sang et de misère!» d Etienne. Est-ce qu il se trouvait des lâches pour manquer à leurs parole? Ne valait-il pas mieux mourir tout de suite, en essayant de détruire cette tyrannie du capital qui affamait le travailleur? Toujours se soumettre devant la faim jusqu au moment ou la faim, de nouveau, jetait les plus calmes à la révolte, n étaitce pas un jeu stupide qui n e p o u r r a i t d u r e r davantage? Questions oratoires e n e s s a y a n t d e détruire cette tyrannie du c a p i t a l q u i affamait l e travailleur? o n v o u l a i t voler à chaque homme une heure de son travail par jour. Lexique péjoratif Lexique péjoratif abondant pour désigner l ennemi : le capitalisme. «tyrannie du capital» qui «affame», qui «vole», qui constitue une «économie déguisée», donc hypocrite, trompeuse, laissant les ouvriers supporter le «désastre des crises».
l esclavage la tête basse, et l é t e r n e l l e misère recommencerait! la faim l e s m i n e u r s exploités Champ lexical de la misère et gradation Des hommes «poussés à bout»,» mineurs exploités, supportant à eux seuls les désastres de la crise, réduits à ne plus manger», ouvriers qui ont payé le prix «de tant de sang et de misère» réduits à ne plus manger tant de sang et de misère i l n y a v a i t l à qu u n e é c o n o m i e déguisée, on voulait voler à chaque homme une heure de son travail par jour. Phrase impersonnelle Pronom indéfini «on» Un ennemi sans visage : formules impersonnelles : «il n y avait là», «on voulait voler» s e s g e s t e s Gradation d ouvrier au chantier, ses coudes rentrés, p u i s d é t e n d u s e t lançant les poings en avant, sa mâchoire brusquement a v a n c é e, c o m m e pour mordre I l n a v a i t p a s l abondance facile et coulante de Rasseneur. Les mots lui manquaient. Souvent, il devait torturer sa phrase Champ lexical de la parole Parole inspirée pour un homme qui ne maîtrise pas parfaitement l art de la parole. il rencontrait des images d une énergie f a m i l i è r e, q u i e m p o i g n a i e n t s o n auditoire ; tandis que ses Antithèses Antithèse de l avant-dernier paragraphe : d une part, Etienne n a pas «l abondance facile», «les mots lui manquent», il doit «torturer sa phrase» ; m a i s c e s imperfections sont les garants mêmes de sa spontanéité créatrice : «à ces heurts
g e s t e s d o u v r i e r a u chantier, ses coudes rentrés, puis détendus et lançant les poings en a v a n t, s a m â c h o i r e brusquement avancée, comme pour mordre, avaient eux aussi une action extraordinaire sur les camarades. Tous le disaient, il n était pas grand, mais il se faisait écouter. La foule, qu on ne voyait pas, se taisait dans la nuit, sous cette parole qui lui étouffait le cœur ; et l on n entendait que son souffle désespéré, au travers des arbres. Q u o i! depuis un mois, on aurait souffert inutilement, on retournerait aux fosses, la tête basse, e t l é t e r n e l l e m i s è r e recommencerait! Indications spatiotemporelles Exclamations continuels, il rencontrait des images d une énergie familière». Cadre spatio-temporel qui rappelle les prêche dans le désert des grandes figures bibliques ( Moïse, Jésus). Ton lyrique et exalté : modalité exclamative, révolte face à l injustice. Non! l esclavage, reprit-il d une voix plus vibrante. La mine doit être au mineur, comme la mer est au pêcheur, comme la terre e s t a u p a y s a n Entendez-vous! la mine vous appartient, à vous tous qui, depuis un siècle, Présent de vérité générale Utilisation systématique du présent de vérité générale.
l avez payée de tant de sang et de misère!» l esclavage, reprit-il d une voix plus vibrante. La mine doit ê tre a u m ineur, comme la mer est au pêcheur, comme la terre est au paysan Entendez-vous! la mine vous appartient, à vous tous qui, depuis un siècle, l avez payée de tant de sang et de misère!» Comparaisons Comparaisons qui prônent une justice fondée sur la jouissance par le travailleur du produit de son travail (analyse très probablement inspirée de Marx): mine/mineurs ; mer/pêcheur ; terre/paysan.