Sénevé. Journal de l aumônerie de l ENS. Le Monde

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Sénevé Journal de l aumônerie de l ENS Le Monde Été 2012

Sénevé est le journal de l aumônerie de l École Normale Supérieure de Paris «Le Royaume des Cieux est semblable à un grain de sénevé qu un homme a pris et a semé dans son champ. C est bien la plus petite de toutes les graines, mais, quand il a poussé, c est la plus grande de toutes les plantes potagères, qui devient même un arbre, au point que les oiseaux du ciel viennent s abriter dans ses branches.» (Mt 13 31 32)

Sénevé Le Monde Été 2012 Équipe de rédaction : Tiphaine Lorieux et Xavier Lachaume

Le Monde Éditorial Depuis que le Christ est venu parmi les hommes, une opposition radicale entre les chrétiens et le monde semble s être installée. Les chrétiens sont dans le monde ; mais à l image du Christ, ils ne sont pas du monde : «je leur ai donné ta parole ; et le monde les a haïs ; parce qu ils ne sont pas du monde, comme moi je ne suis pas du monde» (Jn 17, 14). Les chrétiens sont dans le monde comme en un territoire hostile, «envoyés comme des brebis au milieu des loups» (Mt 10, 16). Pourtant, c est bien là qu ils doivent être, comme signes d espérance pour les hommes. Cinquante ans après l ouverture du deuxième Concile du Vatican, qui a profondément renouvelé le visage de l Église, nous avons choisi de nous intéresser à la dialectique qui lie les chrétiens au monde. Présenter en premier lieu la conception du monde chez saint Jean permettra de mieux saisir les notions en jeu dans l Écriture et de cerner au plus près les liens entre le Christ et le monde. S interroger sur notre place, à nous chrétiens, dans le monde, c est également réfléchir à la représentation que nous en avons : comment avons-nous appréhendé les terrae incognitae qui ont repoussé les frontières de notre monde? Comment aborder aujourd hui ces terres de mission qui constituent notre environnement immédiat? Le nœud du problème devient alors l attitude que le chrétien doit adopter à l égard du monde. Il s agit de trouver la juste voie entre le rejet sans nuance et l adhésion aveugle. Cette tension, au coeur de la vie de chaque chrétien, rejoint finalement la grande histoire de l alliance entre le monde et Dieu : un monde qui rejette son Dieu, un monde qui ne cesse de Le chercher, un monde que l Esprit travaille pour le ramener à Lui. Tiphaine Lorieux et Xavier Lachaume 2

Sommaire Éditorial........................................ 2 Le monde selon saint Jean 4 La lumière du monde Roch Lescuyer et Clary de Plinval.......................... 5 Le Christ dans le monde et la traversée du désert Roch Lescuyer.................................... 10 La demeure de Dieu avec les hommes Roch Lescuyer et Clary de Plinval.......................... 14 Aux frontières du monde 21 Une approche cartographique Pauline Henriot................................... 22 Témoins jusqu au bout du monde Ishwar-Arnold Rocke................................ 29 Le chrétien dans le monde 34 Le mépris du monde François Hou..................................... 35 Saint Antoine : une vie hors du monde? Tiphaine Lorieux................................... 41 Être ou ne pas être (du monde) Ségolène Lepiller................................... 45 Un monde en quête de Dieu 59 Le meilleur des mondes d Aldous Huxley Alyette Le Court de Béru.............................. 60 Souvenirs de Vatican II Claire Mathieu.................................... 67 3

Le monde selon saint Jean

La lumière du monde Le monde selon l évangile de Jean Roch Lescuyer et Clary de Plinval Le monde le terme grec ÑÓ cosmos est omniprésent chez saint Jean, avec une centaine d occurrences dans l évangile et les épîtres. Nous nous concentrerons sur l évangile et ne parlerons pas de la première épître. Bien plus, le sujet est assez vaste et nous n épuiserons pas l évangile de Jean sur la question. L usage du mot monde chez saint Jean semble au premier abord ambigu. Sans parler de la difficulté à classer les différents emplois du terme cosmos, le monde porte en lui-même le drame du péché. Comme créature de Dieu, il est bon. Le monde fut par lui [le Verbe] (Jn 1,10). Mais, exposé au péché, il est le lieu d un drame. Le monde entier gît au pouvoir du Mauvais. (1 Jn 5,19). Ce drame du monde se noue chez saint Jean autour du Christ, le Verbe, la lumière véritable, qui est venu dans le monde. Le monde, lieu de la mission du Christ Le monde apparaît d abord, chez saint Jean, comme le lieu où le Christ est venu. Le Verbe était la lumière véritable, qui éclaire tout homme, il venait dans le monde (Jn 1,9). Marthe, la sœur de Lazare, l a reconnu : Oui, Seigneur, je crois que tu es le Christ, le Fils de Dieu, qui vient dans le monde (Jn 11,27). Jésus est venu parce qu il a été envoyé. Le monde est dans saint Jean le lieu de la mission du Christ. C est Dieu, le Père, qui a envoyé Jésus. Dieu a tant aimé le monde qu il a donné son Fils unique (Jn 3,16). Jésus se désigne lui-même comme celui que le Père a consacré et envoyé dans le monde (Jn 10,36). Je suis sorti d auprès du Père et venu dans le monde (Jn 16,28). Et il fait comme le Père lui a commandé (Jn 14,31). Pourquoi le Christ est-il venu dans le monde? L évangile de Jean donne plusieurs réponses. Le sauveur du monde Ù Ò³ Ô ÒÚÓÝ ÓÒ Ð Ò Ð ÑÓÒ ÔÓÙÖ Ù Ö Ð ÑÓÒ Ñ ÔÓÙÖ ÕÙ Ð ÑÓÒ Ó Ø ÙÚ Ô Ö ÐÙ º (Jn 3,17) La mission de Jésus, c est de sauver le monde. Je ne suis pas venu pour juger le monde, mais pour sauver le monde (Jn 12,47). Les samaritains le reconnaissent. C est vraiment lui le sauveur du monde (Jn 4,42). Cependant, ce n est pas le monde comme tel que Jésus vient sauver, mais ceux qui sont dans le monde. C est pour eux que je prie, je ne prie pas pour le monde, mais pour ceux que tu m as donnés (Jn 17,9). Mais qu est-ce que le salut? 5

Roch Lescuyer et Clary de Plinval Le salut n est pas d abord le fait d être délivré du péché. Cette délivrance n est qu une étape en vue d autre chose. Cependant c est une étape nécessaire. Jean- Baptiste nous révèle en Jésus celui qui porte le péché du monde. Le lendemain, il voit Jésus venir vers lui et il dit : Voici l agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde (Jn 1,29). Au-delà de la délivrance du péché, Jésus est venu donner la vie au monde. La Croix n est pas d abord une justice de Dieu au sens d une satisfaction pour les péchés, d un simple prix à payer pour racheter les fautes. Une condamnation ne donne pas la vie, mais rétablit un ordre bafoué. Or, le Christ veut donner la vie. Moi, je suis venu pour qu on ait la vie et qu on l ait surabondante (Jn 10,10). Le don de la vie passe par la Croix. Jésus en parle comme d une élévation. ÓÑÑ ÅÓ Ð Ú Ð ÖÔ ÒØ Ò Ð ÖØ Ò Ùع Ð ÕÙ Ó Ø Ð Ú Ð Ð Ð³ ÓÑÑ Ò ÕÙ ÕÙ ÓÒÕÙ ÖÓ Ø Ø Ô Ö ÐÙ Ð Ú Ø ÖÒ ÐÐ º Ö Ù Ø ÒØ Ñ Ð ÑÓÒ ÕÙ³ Ð ÓÒÒ ÓÒ Ð ÙÒ ÕÙ Ò ÕÙ ÕÙ ÓÒÕÙ ÖÓ Ø Ò ÐÙ Ò Ô Ö Ô Ñ Ø Ð Ú Ø ÖÒ ÐÐ º (Jn 3,14-15) En quoi consiste cette vie éternelle? La vie éternelle, c est qu ils te connaissent, toi, le seul véritable Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ (Jn 17,3). Troisième raison révélée, Jésus dit qu il est venu pour rendre témoignage à la vérité. Je ne suis né, et je ne suis venu dans le monde, que pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque est de la vérité écoute ma voix (Jn 18,37). La vérité, c est donc le salut que Dieu veut pour nous. Quatrième et dernière raison de la venue du Christ dans le monde, c est pour un discernement que je suis venu en ce monde (Jn 9,39). Pour résumer les raisons de la venue du Christ dans le monde révélées dans l évangile de Jean, nous dirons que Jésus est venu pour sauver les hommes, que ce salut consiste en la vie éternelle, et que l acte de sauver passe par un discernement. Cet acte constitue par ailleurs un témoignage rendu à la vérité, qui est l amour que Dieu nous porte. Tâchons maintenant de comprendre pourquoi le salut de l homme passe par un discernement. Jésus est le Verbe, la lumière véritable Â Ù Ø ÐÓÖ ³ Ø ÔÓÙÖ ÙÒ ÖÒ Ñ ÒØ ÕÙ Ù Ú ÒÙ Ò ÑÓÒ ÔÓÙÖ ÕÙ ÙÜ ÕÙ Ò ÚÓ ÒØ Ô ÚÓ ÒØ Ø ÕÙ ÙÜ ÕÙ ÚÓ ÒØ Ú ÒÒ ÒØ Ú Ù Ð º (Jn 9,39) L évangile de Jean affirme que le Verbe, la lumière véritable, est venu dans le monde (Jn 1,9) 1. Jésus dit plusieurs fois qu il est la lumière venue dans le monde. Moi, lumière, je suis venu dans le monde, pour que quiconque croit en moi ne demeure pas dans les ténèbres (Jn 12,46) 2. En outre, il parle à son Père de la gloire qu il avait auprès de lui avant que fût le monde (Jn 17,5). La foi catholique a progressivement compris que Jésus s identifiait au Verbe. 1. Cf. également Jn 3,19 : La lumière est venue dans le monde. 2. Cf. également Jn 8,12 : De nouveau Jésus leur adressa la parole et dit : Je suis la lumière du monde. Qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, mais aura la lumière de la vie. Jn 9,5 : Tant que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde. 6

Le monde selon saint Jean La lumière du monde La lumière permet de voir. C est elle qui éclaire. Jésus répondit : N y a-t-il pas douze heures de jour? Si quelqu un marche le jour, il ne bute pas, parce qu il voit la lumière de ce monde, mais s il marche la nuit, il bute, parce que la lumière n est pas en lui (Jn 11,9). Pour pouvoir discerner, il faut être dans la lumière. Jésus peut juger et discerner, non pas parce qu il a la lumière ou parce qu il est dans la lumière, mais parce qu il est la lumière. Jésus proclame qu il est la lumière du monde après l épisode de la femme adultère (Jn 8,12). Son œuvre de salut est liée au pardon qu il donne. Le fait que Jésus soit la lumière véritable lui permet de pardonner réellement, avec lucidité. Aux juifs qui l accusent, il répond qu il sait ce qu il fait. A la femme, il dit : Va, et ne pèche plus. Dans les psaumes, il est dit que la loi est pour l homme une lumière qui vient de Dieu. Le commandement du Seigneur est limpide, lumière des yeux (Ps 19,9), la parole du Seigneur est une lampe sur mes pas, une lumière sur ma route (Ps 119,105). Ta parole en se découvrant illumine, et les simples comprennent (Ps 119,130). Jésus, en étant la lumière véritable, fait plus qu éclairer : il peut donner le pardon que la loi ne pouvait pas donner. Personne ne sera justifié devant lui par la pratique de la loi : la loi ne fait que donner la connaissance du péché (Rm 3,20). Christ Roi, cathédrale melkite catholique de l Annonciation (Roslindale, Massachusetts). Le monde a rejeté Jésus Jésus est venu dans le monde, mais il a été rejeté. Le Verbe était la lumière véritable, qui éclaire tout homme, il venait dans le monde. Il était dans le monde et le monde ne l a pas reconnu (Jn 1,10). Ainsi il dit à ses disciples : Si le monde vous hait, sachez que moi, il m a pris en haine avant vous. Si vous étiez du monde, le monde aimerait son bien, mais parce que vous n êtes pas du monde, puisque mon choix vous a tiré du monde, pour cette raison, le monde vous hait (Jn 15,18-19). Jésus donne une explication. Les hommes ont mieux aimé les ténèbres que la lumière, car leurs œuvres étaient mauvaises (Jn 3,19). Les hommes préfèrent se donner la lumière à eux-même plutôt que d être éclairés. Et plutôt que de s apercevoir qu on n est pas parfait, on se met à l ombre. Ceux qui sont du monde rejettent Jésus. Ainsi sont les pharisiens, qui attaquent Jésus, mais également ses propres frères, à qui Jésus dit : Mon temps n est pas encore 7

Roch Lescuyer et Clary de Plinval venu, tandis que le vôtre est toujours prêt. Le monde ne peut pas vous haïr, mais moi, il me hait, parce que je témoigne que ses œuvres sont mauvaises (Jn 7,6-7). Aux juifs qui l attaquent, il dit : Vous, vous êtes d en bas, moi, je suis d en haut. Vous, vous êtes de ce monde, moi, je ne suis pas de ce monde (Jn 8,23). Le monde n a pas reçu Jésus. Jésus dit même que le monde ne peut recevoir l Esprit de Vérité. Si vous m aimez, vous garderez mes commandements, et je prierai le Père et il vous donnera un autre Paraclet, pour qu il soit avec vous à jamais, l Esprit de Vérité, que le monde ne peut pas recevoir, parce qu il ne le voit pas ni ne le reconnaît (Jn 14,15). Étant l ennemi du Christ, le monde se réjouit lors de sa défaite apparente. En vérité, en vérité, je vous le dis, vous pleurerez et vous vous lamenterez, et le monde se réjouira, vous serez tristes, mais votre tristesse se changera en joie (Jn 16,20). Le monde gît au pouvoir du mauvais (1 Jn 5,19), appelé le prince de ce monde (Jn 12,31 ; 14,30 ; 16,11 ; Ep 2,2), ce qui explique qu il rejette Jésus et ne peut le recevoir. Mais Jésus a acquis la victoire, et il console par avance ses disciples. Le vainqueur du monde Bien qu ayant été rejeté, Jésus a vaincu le monde. Avant de quitter ses disciples, il les raffermit. Je vous ai dit ces choses, pour que vous ayez la paix en moi. Dans le monde vous aurez à souffrir. Mais gardez courage! J ai vaincu le monde (Jn 16,33). L accomplissement de l œuvre du Christ manifeste le jugement de Dieu sur le monde. En particulier son prince est jeté dehors. Le Prince de ce monde est jugé (Jn 16,11). C est maintenant le jugement de ce monde, maintenant le Prince de ce monde va être jeté dehors (Jn 12,31). Il n a aucun pouvoir sur Jésus. Je ne m entretiendrai plus beaucoup avec vous, car il vient, le Prince de ce monde, sur moi il n a aucun pouvoir (Jn 14,30). Du monde au Père Ú ÒØ Ð Ø Ð ÈÕÙ Â Ù ÒØ ÕÙ ÓÒ ÙÖ Ø Ø Ú ÒÙ Ô Ö ÑÓÒ Ú Ö Ð È Ö Ý ÒØ Ñ Ð Ò ÕÙ Ø ÒØ Ò Ð ÑÓÒ Ð Ñ Ù ÕÙ³ Ð Òº (Jn 13,1) Le Christ vient du Père, mais il n est pas venu dans le monde pour y rester. Une fois son œuvre accomplie, il retourne vers le Père. Je suis sorti d auprès du Père et venu dans le monde. De nouveau je quitte le monde et je vais vers le Père (Jn 16,28). Son Royaume n est pas de ce monde. Jésus répondit [à Pilate] : Mon royaume n est pas de ce monde. Si mon royaume était de ce monde, mes gens auraient combattu pour que je ne sois pas livré aux Juifs. Mais mon royaume n est pas d ici (Jn 18,36). Pourtant il est venu chez les siens (Jn 1,11). Mais il est important de ne pas considérer le monde d ici-bas comme un but ultime. Qui aime sa vie la perd, et qui hait sa vie en ce monde la conservera en vie éternelle (Jn 12,25). C est le Père qui tire les disciples du monde pour les donner à Jésus. J ai manifesté ton nom aux hommes, que tu as tirés du monde pour me les donner (Jn 17,6). Jésus veut nous emmener avec lui vers le Père. Mais avant cela, il nous envoie à sa suite dans le monde. 8

Le monde selon saint Jean La lumière du monde Envoyés dans le monde, à la suite du Christ Tout comme Jésus, les disciples du Christ ne sont pas du monde. Ils ne sont pas du monde, comme moi je ne suis pas du monde (Jn 17,16). Cependant il ne s agit pas pour les disciples de ne pas être dans le monde, mais de se garder du mauvais. Je ne te prie pas de les enlever du monde, mais de les garder du Mauvais (Jn 17,15). Ils ont été tirés du monde, au sens de tirés du péché, par une grâce d élection, mais ils ne sont pas tirés du monde, au sens de la terre des hommes. Bien plus, ils sont envoyés dans le monde vers les hommes. Dans le monde, les disciples du Christ vont vivre ce que Jésus a vécu. En particulier, le monde va les haïr de même que le monde a haï Jésus. Si le monde vous hait, sachez que moi, il m a pris en haine avant vous (Jn 15,18). Jésus disait à ses frères : Le monde ne peut pas vous haïr, mais moi, il me hait (Jn 7,7). Si le monde ne peut les haïr, c est parce qu ils sont du monde. A l inverse, les disciples du Christ n étant pas du monde, le monde va les haïr. Saint Jean introduit dans son évangile une distinction très nette entre l œuvre de l esprit de Christ et l œuvre de l esprit du mal. Le monde est pour les disciples un lieu d épreuve. Ils auront à souffrir dans le monde. Je vous ai dit ces choses, pour que vous ayez la paix en moi. Dans le monde vous aurez à souffrir. Mais gardez courage! J ai vaincu le monde (Jn 16,33). Cette épreuve qui attend les disciples du Christ ne doit pas les affoler s ils la vivent avec Lui. Il a vaincu le monde. La lumière du monde Le monde le cosmos chez saint Jean ne désigne pas tant le monde physique que l homme qui en est au centre. C est l homme aux prises avec les forces du mal, mais également l homme que Jésus vient sauver, d où l ambivalence de l expression. Si on est attentif, suivant le contexte, on comprend de quoi Jésus parle. Il est plus difficile en revanche de comprendre comment les forces du mal exercent une emprise sur le monde. Quel est le rôle de l homme et de sa liberté dans ce drame? Quelles prises les hommes laissent-ils au prince de ce monde? Sur ce dernier point l étude du monde chez saint Jean renvoie presque systématiquement à la thématique de la lumière et des ténèbres. Le salut de l homme implique un discernement entre ce qui vient de Dieu et ce qui ne vient pas de Dieu. Dans une dualité assez marquée, ce qui ne vient pas de Dieu vient du prince de ce monde. Nous ne pouvons pas, par nous-mêmes, faire ce discernement. En revanche, Jésus peut le faire lui qui, non seulement est dans la lumière, mais est la lumière véritable qui éclaire tout homme (Jn 1,9). R.L. et C. de P. 9

Le Christ dans le monde et la traversée du désert Roch Lescuyer Ces quelques notes parlent du monde dans l évangile de Jean, mais suivent une autre direction que celle empruntée par l article sur le monde chez saint Jean. Elles partent du constat suivant. Plusieurs fois, lorsqu il est fait mention du monde et du Christ dans l évangile de Jean, la comparaison avec Moïse apparaît. Le peuple hébreu a reçu la manne? Le Christ est le pain véritable qui donne la vie au monde. Le serpent d airain a été élevé au désert? Le Christ a été élevé de terre, et cela a été le jugement de ce monde. Jésus ajoute : quand vous aurez élevé le fils de l homme, alors vous saurez que Je Suis. JE SUIS est la grande révélation que Dieu donne à Moïse sur le mont Horeb. Creusons un peu ces références de l évangile de Jean à la traversée du désert par le peuple hébreu. Le pain vivant Dans le chapitre 6 de l évangile de Jean, après la multiplication des pains, la foule veut consacrer Jésus comme roi. Si on voulait traduire ces versets en langue populaire, on dirait (ouvrez les guillemets avec des pincettes) : Un roi qui donne du pain à manger, et gratuitement en plus, c est le pied ; on va pouvoir vivre pépère, il nous faut ce type. Comme on veut mettre la main sur lui, Jésus s enfuit. La foule le retrouve à Capharnaüm, et une discussion sur le pain s engage. Du pain terrestre multiplié la veille, on passe à la manne que Dieu a donnée à son peuple au désert, et Jésus parle alors du pain de Dieu. ÆÓ Ô Ö ÓÒØ Ñ Ò Ð Ñ ÒÒ Ò Ð ÖØ ÐÓÒ ÕÙ Ø Ö Ø ÁÐ Ð ÙÖ ÓÒÒ Ñ Ò Ö Ù Ô Ò Ú Ò٠٠к  ٠РÙÖ Ö ÔÓÒ Ø Ò Ú Ö Ø Ò Ú Ö Ø ÚÓÙ Ð ÒÓÒ Ò³ Ø Ô ÅÓ ÕÙ ÚÓÙ ÓÒÒ Ð Ô Ò ÕÙ Ú ÒØ Ù Ð Ñ ³ Ø ÑÓÒ È Ö ÕÙ ÚÓÙ Ð ÓÒÒ Ð Ô Ò ÕÙ Ú ÒØ Ù Ð Ð ÚÖ Ö Ð Ô Ò Ù ³ Ø ÐÙ ÕÙ Ò Ù Ð Ø ÓÒÒ Ð Ú Ù ÑÓÒ º (Jn 6,31-33) Parfois la foule veut du pain, parfois elle vit dans la nostalgie de ce que Dieu a fait pour son peuple au désert. A l époque (ah... à l époque), Dieu nous donnait du pain chaque jour, il était présent près de nous. Mais Jésus n a multiplié les pains, ni pour travailler à notre place, ni pour nous faire vivre dans la nostalgie. Il l a fait comme signe pour faire comprendre le don qu il veut faire de lui-même. S il y avait un miracle de multiplication des hosties à chaque messe, il n y aurait pas forcément plus de monde à la messe. Tant que les gens penseront à leur ventre, ou vivront dans le passé, le don de Jésus ne pourra être pleinement reçu. En outre, ce n est pas Moïse qui vous a donné le pain qui vient du ciel. Jésus rappelle que c est Dieu qui a donné la manne. Moïse n a été qu un médiateur. Mais le peuple 10

Le monde selon saint Jean Le Christ dans le monde et la traversée du désert s est arrêté à Moïse. La foule fait des confusions dans son interprétation de l action de Dieu, mais Jésus vient rectifier. Le serpent d airain ÓÑÑ ÅÓ Ð Ú Ð ÖÔ ÒØ Ò Ð ÖØ Ò Ùع Ð ÕÙ Ó Ø Ð Ú Ð Ð Ð³ ÓÑÑ Ò ÕÙ ÕÙ ÓÒÕÙ ÖÓ Ø Ø Ô Ö ÐÙ Ð Ú Ø ÖÒ ÐÐ º Ö Ù Ø ÒØ Ñ Ð ÑÓÒ ÕÙ³ Ð ÓÒÒ ÓÒ Ð ÙÒ ÕÙ Ò ÕÙ ÕÙ ÓÒÕÙ ÖÓ Ø Ò ÐÙ Ò Ô Ö Ô Ñ Ø Ð Ú Ø ÖÒ ÐÐ º Ö Ù Ò³ Ô ÒÚÓÝ ÓÒ Ð Ò Ð ÑÓÒ ÔÓÙÖ Ù Ö Ð ÑÓÒ Ñ ÔÓÙÖ ÕÙ Ð ÑÓÒ Ó Ø ÙÚ Ô Ö ÐÙ º ÉÙ ÖÓ Ø Ò ÐÙ Ò³ Ø Ô Ù ÕÙ Ò ÖÓ Ø Ô Ø Ù Ô Ö ÕÙ³ Ð Ò³ Ô ÖÙ Ù ÆÓÑ Ù Ð ÙÒ ÕÙ Ùº (Jn 3,14-18) L expression élevé de terre se retrouve quatre fois en trois épisodes dans l évangile de Jean. La référence au serpent d airain que Jésus fait à Nicodème est la première : Comme Moïse éleva le serpent dans le désert, ainsi faut-il que soit élevé le Fils de l homme. (Jn 3,14). Citons l épisode du serpent d airain : ÁÐ Ô ÖØ Ö ÒØ ÀÓֹР¹ÅÓÒØ Ò Ô Ö Ð ÖÓÙØ Ð Ñ Ö ËÙÔ ÔÓÙÖ ÓÒØÓÙÖÒ Ö Ð Ô Ý ³ ÓѺ Ò Ñ Ò Ð Ô ÙÔÐ Ô Ö Ø Ô Ø Ò º ÁÐ Ô ÖÐ ÓÒØÖ Ù Ø ÓÒØÖ ÅÓ ÈÓÙÖÕÙÓ ÒÓÙ Ú Þ¹ÚÓÙ Ø ÑÓÒØ Ö ³ ÝÔØ ÔÓÙÖ ÑÓÙÖ Ö Ò ÖØ Ö Ð Ò³Ý Ò Ô Ò Ò Ù ÒÓÙ ÓÑÑ Ü ØØ ÒÓÙÖÖ ØÙÖ Ñ Ò º Ù ÒÚÓÝ ÐÓÖ ÓÒØÖ Ð Ô ÙÔÐ Ð ÖÔ ÒØ Ö Ð ÒØ ÓÒØ Ð ÑÓÖ ÙÖ Ø Ô Ö Ö ÙÓÙÔ ÑÓÒ Ò Á Ö Ðº Ä Ô ÙÔÐ Ú ÒØ Ö ÅÓ ÆÓÙ ÚÓÒ Ô Ò Ô ÖÐ ÒØ ÓÒØÖ Ð Ë Ò ÙÖ Ø ÓÒØÖ ØÓ º ÁÒØ Ö ÙÔÖ Ù Ë Ò ÙÖ ÔÓÙÖ ÕÙ³ Ð ÐÓ Ò ÒÓÙ ÖÔ ÒØ º ÅÓ ÒØ Ö ÔÓÙÖ Ð Ô ÙÔÐ Ø Ð Ë Ò ÙÖ ÐÙ Ö ÔÓÒ Ø ÓÒÒ ¹ØÓ ÙÒ Ö Ð ÒØ ÕÙ ØÙ ÔÐ Ö ÙÖ ÙÒ Ø Ò Ö º ÉÙ ÓÒÕÙ ÙÖ Ø ÑÓÖ Ù Ø Ð Ö Ö Ö Ö Ø Ö Ò Ú º ÅÓ ÓÒÒ ÓÒ ÙÒ ÖÔ ÒØ ³ Ö Ò ÕÙ³ Ð ÔÐ ÙÖ Ð³ Ø Ò Ö Ø ÙÒ ÓÑÑ Ø Ø ÑÓÖ Ù Ô Ö ÕÙ ÐÕÙ ÖÔ ÒØ Ð Ö Ö Ø Ð ÖÔ ÒØ ³ Ö Ò Ø Ö Ø Ø Ò Ú º (Nb 21,4-9) Évangéliaire d Averbode. 11

Roch Lescuyer Le livre de la Sagesse commente cet épisode. Quand la Bible commente la Bible, il peut être intéressant de regarder ce qui est dit. La deuxième moitié du livre de la Sagesse (chapitres 10 à 19) est consacrée à la relecture de l histoire du peuple d Israël. C est une méditation sur l œuvre de Dieu à travers son peuple. Ø Ñ Ñ ÐÓÖ ÕÙ ³ ØØ Ø ÙÖ ÙÜ Ð ÙÖ ÙÖ Ø ÖÖ Ð Ø ÖÓ Ø ÕÙ³ Ð Ô Ö ÒØ ÓÙ Ð ÑÓÖ ÙÖ ÖÔ ÒØ ØÓÖØÙ ÙÜ Ø ÓÐ Ö Ò ÙÖ Ô Ù ÕÙ³ Ù ÓÙØ Ñ ³ Ø Ô Ö Ñ Ò Ö ³ Ú ÖØ Ñ ÒØ Ø ÔÓÙÖ Ô Ù Ø ÑÔ ÕÙ³ Ð ÙÖ ÒØ ÒÕÙ Ø Ø Ð Ú ÒØ ÙÒ Ò ÐÙØ ÔÓÙÖ Ð ÙÖ Ö ÔÔ Ð Ö Ð ÓÑÑ Ò Ñ ÒØ Ø ÄÓ Ö ÐÙ ÕÙ ØÓÙÖÒ Ø Ú Ö ÐÙ Ø Ø ÙÚ ÒÓÒ Ô Ö ÕÙ³ Ð Ú Ø ÓÙ Ð Ý ÙÜ Ñ Ô Ö ØÓ Ð Ë ÙÚ ÙÖ ØÓÙ º (Sg 16,5-7) La deuxième occurrence de l expression élevé de terre se retrouve dans la discussion avec les juifs au chapitre 8. Jésus leur dit donc : Quand vous aurez élevé le Fils de l homme, alors vous saurez que JE SUIS et que je ne fais rien de moi-même, mais je dis ce que le Père m a enseigné, et celui qui m a envoyé est avec moi, il ne m a pas laissé seul, parce que je fais toujours ce qui lui plaît. (Jn 8,28). On constate que Jésus unifie dans la même phrase le symbole du serpent d airain et la révélation du nom de Dieu. Nous reviendrons sur cette juxtaposition des symboles dans le paragraphe suivant. La troisième occurrence apparaît pendant les rameaux. C est maintenant le jugement de ce monde, maintenant le Prince de ce monde va être jeté dehors, et moi, une fois élevé de terre, j attirerai à moi tous les hommes. (Jn 12,31-32). L expression élevé de terre suscite des réactions immédiates. La foule alors lui répondit : Nous avons appris de la Loi que le Christ demeure à jamais. Comment peux-tu dire : Il faut que soit élevé le Fils de l homme? Qui est ce Fils de l homme? (Jn 12,34). L évangéliste commente : Ils ne croyaient pas en lui. Pour quelle raison cette expression a-t-elle choqué les juifs? Le terme grec Ý Û élever, peut vouloir dire glorifier. Pour eux, Jésus semble dire qu il va être glorifié hors de la terre. Le Christ demeure à jamais, certes. Mais la foule le comprend encore en termes de gloire terrestre. Il est hors de question pour eux que le Christ soit élevé de terre. La phrase Mon Royaume n est pas de ce monde est une phrase difficile à comprendre pour le peuple juif. La révélation de l Horeb ÎÓÙ ÚÓÙ Ø ³ Ò ÑÓ Ù ³ Ò Ùغ ÎÓÙ ÚÓÙ Ø ÑÓÒ ÑÓ Ò Ù Ô ÑÓÒ º  ÚÓÙ ÓÒ Ø ÕÙ ÚÓÙ ÑÓÙÖÖ Þ Ò ÚÓ Ô º Ö ÚÓÙ Ò ÖÓÝ Þ Ô ÕÙ JE SUIS ÚÓÙ ÑÓÙÖÖ Þ Ò ÚÓ Ô º ÁÐ ÐÙ ÒØ ÓÒ ÉÙ ¹ØÙ Â Ù Ð ÙÖ Ø Ð ÓÑÑ Ò Ñ ÒØ ÕÙ ÚÓÙ º ³ ÙÖ ÚÓÙ ÙÓÙÔ Ö Ø Ù Ö Ñ ÐÙ Õ٠ѳ ÒÚÓÝ Ø Ú Ö ÕÙ Ø Ù ÑÓÒ ÕÙ ³ ÒØ Ò Ù ÐÙ º (Jn 8,23-26) Que Jésus se soit identifié à JE SUIS a été source pour les juifs d un profond scandale. Jésus se trouve face à des juifs, des pharisiens qui connaissent parfaitement la Loi. La résonance du terme est très forte pour eux puisque c est la grande révélation que Dieu a faite à Moïse. Un verset plus loin (Jn 8,28), Jésus unifie dans la même phrase les deux symboles, le serpent d airain élevé et la révélation du nom de Dieu. Quand vous aurez élevé le Fils de l homme, alors vous saurez que JE SUIS. On en déduit donc que c est à la Croix que Jésus se révèle comme JE SUIS. Le centurion, au pied 12

Le monde selon saint Jean Le Christ dans le monde et la traversée du désert de la Croix, a compris la réalité du fils de Dieu. Quant au centurion et aux hommes qui avec lui gardaient Jésus, à la vue du séisme et de ce qui se passait, ils furent saisis d une grande frayeur et dirent : Vraiment celui-ci était fils de Dieu! (Mt 27,54). Pendant sa vie apostolique, lorsque les démons proclamaient que Jésus était le fils de Dieu, Jésus les faisait taire. Par exemple en Mt 8,29 : Que nous veux-tu, Fils de Dieu? Es-tu venu ici pour nous tourmenter avant le temps? 1. La filiation divine ne doit donc pas être comprise en dehors de la Croix. De même, lorsque le diable tente Jésus, Si tu es Fils de dieu, dis que ces pierres deviennent des pains [...] jette-toi en bas, [...] prosterne-toi (Mt 4,3-10), il n obtient en retour qu un : Arrière Satan! Là aussi Jésus rejette une fausse approche de la filiation divine. L évangile montre que ceux qui font la paix sont fils de Dieu. Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu. (Mt 5,9). Jésus, à la Croix prend sur lui la violence du monde. Et il fait la paix. Toute autre considération risque de tourner au messianisme temporel, comme on l a vu pour la multiplication des pains ou pour l élévation du serpent d airain. En fin de compte, la comparaison avec le serpent d airain montre Jésus qui, élevé sur la Croix, fait la paix. Moi je vous dis de ne pas tenir tête au méchant : au contraire, quelqu un te donne-t-il un soufflet sur la joue droite, tends-lui encore l autre [...] Aimez vos ennemis, et priez pour vos persécuteurs, afin de devenir fils de votre Père qui est aux cieux, car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes. (Mt 5,39.44-45). Le peuple juif est prophète en son histoire En sauvant les hommes à la Croix, Jésus accomplit ce que le peuple hébreu a vécu au désert sous forme de signe. Il est le serpent d airain, le pain véritable, et il est JE SUIS qui se donne. L aventure du peuple juif nous est donnée pour qu en la scrutant, à l instar du livre de la Sagesse, nous comprenions l œuvre que Jésus accomplit. Comme le confirme saint Paul (1 Co 10,4), c est lui le rocher duquel a jailli l eau dans le désert (Ex 17,16). Scruter l action de Dieu doit nous préparer à recevoir ce que le Christ veut nous donner. R.L. 1. Que me veux-tu, Jésus, fils du dieu Très-Haut? Je t adjure par dieu, ne me tourmente pas! (Mc 5,7) ; Voyant Jésus, il poussa des cris, se jeta à ses pieds et, d une voix forte, il dit : Que me veux-tu, Jésus, fils du dieu Très-Haut? Je t en prie, ne me tourmente pas (Lc 8,28). 13

La demeure de Dieu avec les hommes Le monde selon l Apocalypse Roch Lescuyer et Clary de Plinval L Apocalypse parle peu du monde. En revanche, les quelques références qui y sont faites laissent émerger un thème particulier, celui de la demeure, du lieu où on habite. La demeure est un terme à forte connotation biblique. Ce thème renvoie à la question suivante : où suis-je fait pour habiter? Cette question renvoie elle-même à ce pour quoi je suis fait : où suis-je fait pour être? Et au delà, où est-ce que je veux être? L Apocalypse nous conduit à méditer sur la demeure de Dieu, et sur l invitation faite aux hommes à entrer dans sa demeure le texte grec dit entrer sous sa tente. Le livre biblique nous montre également les habitants de la terre, et l horizon limité de la cité terrestre. Nous commencerons par restituer les versets qui parlent du monde au sein de quelques rappels sur le contenu de l Apocalypse. Nous verrons alors que le texte grec a recours à différentes expressions, que nous examinerons l une après l autre. Après une vision inaugurale (chapitre 1), le Christ délivre un message à chacune des sept Églises auxquelles l Apocalypse est adressée (chapitres 2 et 3). A l Église de Philadelphie, Jésus donne cette consolation : ÈÙ ÕÙ ØÙ Ö Ñ ÓÒ Ò ÓÒ Ø Ò ÑÓÒ ØÓÙÖ Ø Ö Ö Ð³ ÙÖ Ð³ ÔÖ ÙÚ ÕÙ Ú ÓÒ Ö ÙÖ Ð ÑÓÒ ÒØ Ö ÔÓÙÖ ÔÖÓÙÚ Ö Ð Ø ÒØ Ð Ø ÖÖ º (Ap 3,10) L Apocalypse est ensuite constituée d une suite de visions, de tableaux pourraiton dire. Les chapitres 4 et 5 montrent un trône dans le ciel et un agneau comme égorgé apparaissant au milieu du trône. L agneau a le pouvoir d ouvrir le livre aux sept sceaux, ce qu il fait dans les chapitres 6 et 7. Après l ouverture du septième sceau retentissent sept trompettes (chapitres 8 à 11). A la sonnerie de la septième trompette la royauté du Christ est proclamée : Ø Ð ÔØ Ñ Ò ÓÒÒ ººº ÐÓÖ Ù Ð ÚÓ Ü Ð Ñ Ö ÒØ Ä ÖÓÝ ÙØ Ù ÑÓÒ Ø ÕÙ ÒÓØÖ Ë Ò ÙÖ Ò ÕÙ³ ÓÒ Ö Ø Ð Ö Ò Ö Ò Ð Ð Ð º (Ap 11,15) Des signes dans le ciel apparaissent, d abord une femme et un dragon (chapitres 12 et 13), puis sept coupes (chapitres 15 et 16) entre l apparition desquelles s insère une annonce du jugement (chapitre 14). La femme apparaît enceinte, puis accouche. 14

Le monde selon saint Jean La demeure de Dieu avec les hommes ÇÖ Ð ÑÑ Ñ Ø Ù ÑÓÒ ÙÒ Ò ÒØ ÑÐ ÐÙ ÕÙ Ó Ø Ñ Ò Ö ØÓÙØ Ð Ò Ø ÓÒ Ú ÙÒ ÔØÖ Ö Ø ÓÒ Ò ÒØ ÙØ ÒÐ Ú Ù ÕÙ³ ÙÔÖ Ù Ø ÓÒ ØÖÒ Ø Ò ÕÙ Ð ÑÑ ³ Ò ÙÝ Ø Ù ÖØ Ó Ù ÐÙ Ñ Ò ÙÒ Ö Ù ÔÓÙÖ ÕÙ³ ÐÐ Ý Ó Ø ÒÓÙÖÖ ½¾ ¼ ÓÙÖ º ÐÓÖ Ð Ý ÙØ ÙÒ Ø ÐÐ Ò Ð Ð Å Ð Ø Ò ÓÑ ØØ Ö ÒØ Ð Ö ÓÒº Ø Ð Ö ÓÒ Ö ÔÓ Ø Ú Ò Ñ Ð ÙÖ ÒØ Ð ÓÙ Ø ÙÖ ÒØ Ù Ðº ÇÒ Ð Ø ÓÒ Ð³ ÒÓÖÑ Ö ÓÒ Ð³ ÒØ ÕÙ Ë ÖÔ ÒØ Ð Ð ÓÙ Ð Ë Ø Ò ÓÑÑ ÓÒ Ð³ ÔÔ ÐÐ Ð ÙØ ÙÖ Ù ÑÓÒ ÒØ Ö ÓÒ Ð Ø ÙÖ Ð Ø ÖÖ Ø Ò ÙÖ ÒØ Ø Ú ÐÙ º (Ap 12,5-9) Le chapitre 13 décrit deux bêtes, la bête de la mer et la bête de la terre. Le pouvoir est donné à la bête de la mer sur toute race, peuple, langue ou nation : Ø Ð Ð³ ÓÖ ÖÓÒØ ØÓÙ Ð Ø ÒØ Ð Ø ÖÖ ÓÒØ Ð ÒÓÑ Ò ØÖÓÙÚ Ô Ö Ø Ð³ÓÖ Ò Ù ÑÓÒ Ò Ð Ð ÚÖ Ú Ð³ Ò Ù ÓÖ º (Ap 13,8) A partir du chapitre 15, les sept coupes sont répandues sur la terre. Lorsque la sixième coupe est répandue, les rois du monde entier se rassemblent pour la guerre au lieu dit Harmagedôn. ÈÙ Ð Ù ÙÐ Ù Ö ÓÒ Ø Ð Ù ÙÐ Ð Ø Ø Ð Ù ÙÐ Ù ÙÜ ÔÖÓÔ Ø Ú ÙÖ Ö ØÖÓ ÔÖ Ø ÑÔÙÖ ÓÑÑ Ö ÒÓÙ ÐÐ Ø Ø ÓÒØ ÔÖ Ø ÑÓÒ ÕÙ ÙÖ ÔÖÓ ÕÙ ³ Ò ÚÓÒØ Ö Ñ Ð Ö Ð ÖÓ Ù ÑÓÒ ÒØ Ö ÔÓÙÖ Ð Ù ÖÖ ÔÓÙÖ Ð Ö Ò ÂÓÙÖ Ù Ù Å ØÖ ¹ ¹ØÓÙغ (Ap 16,13-14) Le châtiment de Babylone est alors montré (chapitres 17 et 18) et deux combats eschatologiques sont menés par le Verbe de Dieu sur un cheval blanc (chapitres 19 et 20), entre lesquels s interpose le règne des milles années. Le jugement de Babylone commence par la vision d une prostituée montant une bête à sept têtes et dix cornes. ØØ Ø ¹Ð ÐÐ Ø Ø Ø ÐÐ Ò³ Ø ÔÐÙ ÐÐ Ú Ö ÑÓÒØ Ö Ð³ Ñ Ñ ÔÓÙÖ ³ Ò ÐÐ Ö Ô ÖØ Ø Ð Ø ÒØ Ð Ø ÖÖ ÓÒØ Ð ÒÓÑ Ò ÙØ Ô Ò Ö Ø Ð³ÓÖ Ò Ù ÑÓÒ Ò Ð Ð ÚÖ Ú ³ Ñ ÖÚ ÐÐ ÖÓÒØ Ù Ô Ø Ð Ð Ø ÕÙ³ ÐÐ Ø Ø Ò³ Ø ÔÐÙ Ø Ö Ô Ö ØÖ º (Ap 17,8) Enfin, l Apocalypse se termine par une vision de la Jérusalem céleste (chapitres 21 et 22) dont voici les premiers versets. On y parle d un ciel nouveau, d une terre nouvelle, et de l ancien monde qui s en est allé. ÈÙ Ú ÙÒ Ð ÒÓÙÚ Ù ÙÒ Ø ÖÖ ÒÓÙÚ ÐÐ Ö Ð ÔÖ Ñ Ö Ð Ø Ð ÔÖ Ñ Ö Ø ÖÖ ÓÒØ Ô ÖÙ Ø Ñ Ö Ð Ò³Ý Ò ÔÐÙ º Ø Ú Ð Ø ÒØ Â ÖÙ Ð Ñ ÒÓÙÚ ÐÐ ÕÙ Ò Ø Ù Ð Þ Ù ÐÐ ³ Ø Ø ÐÐ ÓÑÑ ÙÒ ÙÒ Ñ Ö Ô Ö ÔÓÙÖ ÓÒ ÔÓÙܺ ³ ÒØ Ò ÐÓÖ ÙÒ ÚÓ Ü Ð Ñ Ö Ù ØÖÒ ÎÓ Ð Ñ ÙÖ Ù Ú Ð ÓÑÑ º ÁÐ ÙÖ Ñ ÙÖ Ú ÙÜ Ð ÖÓÒØ ÓÒ Ô ÙÔÐ Ø ÐÙ Ù¹ Ú ¹ ÙÜ Ö Ð ÙÖ Ùº ÁÐ Ù Ö ØÓÙØ Ð ÖÑ Ð ÙÖ Ý ÙÜ ÑÓÖØ Ð Ò³Ý Ò ÙÖ ÔÐÙ ÔÐ ÙÖ Ö Ø Ô Ò Ð Ò³Ý Ò ÙÖ ÔÐÙ Ö Ð³ Ò Ò ÑÓÒ ³ Ò Ø ÐÐ º (Ap 21,1-4) 15

Roch Lescuyer et Clary de Plinval Le cosmos et la terre Avant toute chose, notons que différents termes grecs sont utilisés. L évangile de Jean parlait du monde avec un terme bien identifié : le cosmos. L Apocalypse utilise à la place plusieurs expressions. Le terme ÑÓ cosmos est utilisé dans l expression dès l origine du monde. Le grec Ô Ø ÓÐ ÑÓÙ désigne plus exactement la fondation du monde 1. L expression désigne à chaque fois ceux dont le nom n est pas inscrit dès l origine du monde dans le livre de vie (Ap 13,8 ; 17,8). Le terme cosmos est également utilisé dans l expression la royauté du monde (Ap 11,15) é Ð ØÓÙ ÑÓÙ. Lorsque la femme met au monde (Ap 12,5), le grec utilise le terme enfanter Ø ØÛ L épreuve qui doit fondre sur le monde entier (Ap 3,10) doit fondre Ô Ø Ó ÓÙÑ Ò Ð littéralement l habitée entière, participe moyen-passif. On complète par la [terre] habitée entière. Le monde est ici le lieu où on habite. Le séducteur du monde entier (Ap 12,9) est également le séducteur de la [terre] habitée entière. Les rois du monde entier (Ap 16,14) qui se rassemblent pour la guerre du grand jour sont également les rois de la [terre] habitée entière. Enfin, pour désigner l ancien monde (Ap 21,4), le grec dit simplement Ø ÔÖÛØ ta prota littéralement les premières. D après le neutre pluriel en grec, on complète par les premières [choses], d où les anciennes choses, puis l ancien monde. Le monde nouveau? Ces clarifications étant faites, on s aperçoit, dans un premier temps, que l Apocalypse ne parle pas, à proprement parler, de monde nouveau. On y parle de cieux nouveaux et de terre nouvelle (Ap 21,1), mais pas de monde nouveau au sens où ce serait un autre monde, un monde différent qui viendrait remplacer le nôtre. L Apocalypse parle de monde ancien (Ap 21,4), mais on a vu que l expression utilisée renvoie aux choses anciennes. Le terme français ancien appelle avec lui l existence d un nouveau, et ce nouveau serait complètement nouveau par rapport à l ancien. Mais ce n est pas le cas du grec. Certes, le monde ancien s en est allé, mais le monde nouveau s oppose au monde ancien seulement en tant qu il sera débarrassé de ce qui rejette Dieu. Le monde sera transfiguré, mais restera le même monde. Le corps du Christ en est le modèle. Par son incarnation, le Christ a assumé un corps physique. Par la résurrection, il quitte le monde physique Il n est plus ici (Mt 28,6) mais son corps glorieux est toujours son corps. Il dit à Thomas : Porte ton doigt ici : voici mes mains, avance ta main et mets-la dans mon côté, et ne deviens pas incrédule, mais croyant. (Jn 20,27). Jésus ressuscité a même mangé avec ses disciples. Une fois descendu à terre, ils aperçoivent, disposé là, un feu de braise, avec du poisson dessus, et du pain.[...] Jésus leur dit : Venez déjeuner (Jn 21,9.12). Si son apparition corporelle avait été un ectoplasme, aurait-il mangé et digéré? Le corps humain est au centre du monde physique au sens de cosmos. La Femme mit au monde un enfant mâle (Ap 12,5). On oublie parfois que le monde est le lieu où l on met au monde. La paternité, la maternité, la filiation, le don des corps sont une 16 1. Les traductions sont celles de la Bible de Jérusalem.

Le monde selon saint Jean La demeure de Dieu avec les hommes dimension essentielle du projet de Dieu sur l homme. Il n a pas donné de corps aux purs esprits que sont les anges. Au-delà du corps humain, le corps du Christ est au centre du monde physique. La théologie catholique utilise l expression dimension cosmique du corps du Christ (encore le cosmos). Le monde nouveau n est pas un autre monde, mais c est le même monde que le Christ a assumé pour le faire entrer dans la gloire. L habitation, la demeure et la tente L expression ancien monde étant mise à part, on s aperçoit que le thème soulevé par l emploi du mot monde dans l Apocalypse est celui de la demeure, du lieu où l on habite. Habiter et demeurer sont des termes à forte connotation biblique. Lorsque Jésus dit : Demeurez en moi comme moi en vous, c est le terme Ñ ÒÛ- meno, demeurer, rester qui est utilisé. En revanche, lorsqu il est dit que : Le Verbe a habité parmi nous (Jn 1,14), le texte grec utilise le terme ÒÛ Ò- littéralement dressé sa tente. Dans le désert, on habite en dressant la tente. Le tabernacle de nos églises le rappelle. Tabernacle signifie tente en latin, et les petits rideaux rappellent les rideaux d une tente, ceux de l arche de l alliance en particulier. La demeure de Dieu L usage du mot tente pour désigner l habitation se retrouve dans l Apocalypse. ÐÓÖ Ð Ø Ñ Ø ÔÖÓ Ö Ö Ð Ô Ñ ÓÒØÖ Ù Ð Ô Ñ Ö ÓÒ ÒÓÑ Ø Ñ ÙÖ ÙÜ ÕÙ Ñ ÙÖ ÒØ Ù Ðº (Ap 13,6) Notons d abord que le texte grec dit son nom et sa tente, que la Bible de Jérusalem a traduit par son nom et sa demeure. Ceux qui demeurent au ciel sont littéralement dans le texte ceux qui y campent ÒÓÙÒØ. Ensuite, notons que le texte identifie la demeure et ceux qui y demeurent. Quand le Verbe a dressé sa tente parmi nous (Jn 1,14), il a dressé sa tente en nous. Le royaume de Dieu est au milieu de vous (Lc 17,21). Quand l Apocalypse veut parler de la demeure de Dieu avec les hommes, c est encore l image de la tente qui est utilisée. J entendis alors une voix clamer, du trône : Voici la demeure de Dieu avec les hommes. Il aura sa demeure avec eux, ils seront son peuple, et lui, Dieu-avec-eux, sera leur Dieu. (Ap 21,3). Le texte grec dit : voici la tente de Dieu parmi les hommes. Les habitants de la terre Cette insistance de l Apocalypse sur le lieu où on habite est reflétée par l usage de l expression habitant de la terre, qui revient une dizaine de fois dans le texte. Cependant, lorsqu il s agit des habitants de la terre, le texte ne recourt pas à l image de la tente mais au terme ØÓ ÓÙÒØ. La situation des habitants de la terre dans l Apocalypse est peu enviable. Jésus annonce une épreuve. Puisque tu as gardé ma consigne de constance, à mon tour je te 17

Roch Lescuyer et Clary de Plinval garderai de l heure de l épreuve qui va fondre sur le monde entier pour éprouver les habitants de la terre (Ap 3,10). Un aigle proclame trois malheurs pour les habitants de la terre. J entendis un aigle volant au zénith et criant d une voix puissante : Malheur, malheur, malheur aux habitants de la terre, à cause de la voix des dernières trompettes dont les trois Anges vont sonner (Ap 8,13). Ils tomberont dans les pièges de la bête. Et ils l adoreront, tous les habitants de la terre dont le nom ne se trouve pas écrit, dès l origine du monde, dans le livre de vie de l Agneau égorgé (Ap 13,8). Je vis ensuite surgir de la terre une autre Bête ; [...] au service de la première Bête, elle en établit partout le pouvoir, amenant la terre et ses habitants à adorer cette première Bête dont la plaie mortelle fut guérie [...] et, par les prodiges qu il lui a été donné d accomplir au service de la Bête, elle fourvoie les habitants de la terre, leur disant de dresser une image en l honneur de cette Bête qui, frappée du glaive, a repris vie (Ap 13,11.14). Dürer, Apocalypse : le dragon aux sept têtes. Les habitants de la terre se réjouissent de la chute des témoins de Dieu. Les habitants de la terre s en réjouissent et s en félicitent, ils échangent des présents, car ces deux prophètes leur avaient causé bien des tourments (Ap 11,10). Ce sont donc ceux qui rejettent le Christ plutôt que ceux qui le suivent. De plus les habitants de la terre se sont compromis avec la grande prostituée. C est avec elle qu ont forniqué les rois de la terre, et les habitants de la terre se sont saoulés du vin de sa prostitution (Ap 17,2). Enfin, on jeta le séducteur du monde entier sur la terre (Ap 12,9), perspective guère réjouissante pour ceux qui y habitent. Les chrétiens sur la terre Les disciples du Christ habitent la terre. Ils participent à la construction de la cité terrestre. Ils ne vivent pas ailleurs, abusés par le mirage d une vie future qui 18

Le monde selon saint Jean La demeure de Dieu avec les hommes les détourneraient d édifier la cité terrestre (CEC 2124, GS 20,2) 2. Comme le dit la lettre à Diognète, ils ne sont distingués du reste des hommes ni par leurs pays, ni par leur langage, ni par leur manière de vivre ; ils n ont pas d autres villes, d autre langage que celui parlé (Lett. Dio. 5). En habitant la terre, les chrétiens peuvent même habiter, de fait, là où sévit Satan. A l Église de Philadelphie, Jésus dit : Je sais où tu demeures ØÓ : là est le trône de Satan. Mais tu tiens ferme à mon nom et tu n as pas renié ma foi, même aux jours d Antipas, mon témoin fidèle, qui fut mis à mort chez vous, là où demeure Satan (Ap 2,13). Toutefois les chrétiens n attendront pas de la cité terrestre l accomplissement total de leur être et savent que Dieu seul peut les combler. L expression habitant de la terre a donc une connotation supplémentaire dans l Apocalypse. Les habitants de la terre qui ont compris qu ils n étaient que des pèlerins sur la terre semblent même épargnés des malheurs réservés à ceux qui y habitent. Puisque tu as gardé ma consigne de constance, à mon tour je te garderai de l heure de l épreuve qui va fondre sur le monde entier pour éprouver les habitants de la terre (Ap 3,10). Les habitants de la terre ne sont alors pas tant ceux qui y habitent que ceux dont c est l unique horizon. Coupés de Dieu, ils doivent trouver quelque chose à la place. Mais la soif de Dieu est au cœur de l homme. Comme cette soif, in fine, est à la mesure de Dieu, le monde va connaître une distorsion. En effet, les habitants de la terre vont réclamer de la cité terrestre qu elle réponde à leurs aspirations, alors qu elle ne le peut pas. La royauté du monde Terminons en notant que l Apocalypse parle plusieurs fois de la la royauté du monde. Cependant lorsque le Christ est désigné comme roi du monde (Ap 11,15), et que les rois du monde entier se rassemblent pour la guerre, ce n est pas la même expression qui est utilisée en grec. Dans le premier cas, le Christ a été établi roi du cosmos, dans le second, les rois de ce monde sont les rois de la terre habitée. ÈÙ Ð Ù ÙÐ Ù Ö ÓÒ Ø Ð Ù ÙÐ Ð Ø Ø Ð Ù ÙÐ Ù ÙÜ ÔÖÓÔ Ø Ú ÙÖ Ö ØÖÓ ÔÖ Ø ÑÔÙÖ ÓÑÑ Ö ÒÓÙ ÐÐ ººº ÕÙ ³ Ò ÚÓÒØ Ö Ñ Ð Ö Ð ÖÓ Ù ÑÓÒ ÒØ Ö ÔÓÙÖ Ð Ù ÖÖ ÔÓÙÖ Ð Ö Ò ÂÓÙÖ Ù Ù Å ØÖ ¹ ¹ØÓÙغ ººº ÁÐ Ð Ö Ñ Ð Ö ÒØ Ù Ð Ù Ø Ò Ö Ù À ÖÑ Òº (Ap 16,13-16) On a vu que la demeure de Dieu n est pas ailleurs, et que le Verbe a dressé sa tente parmi nous. Le Christ n est pas dans un ailleurs flou, et les chrétiens ne vivent pas dans un mirage de vie future. En revanche l expression nulle part ailleurs se dit en hébreu (comme par hasard) harmagedôn. Les rois de la terre se réunissent littéralement nulle part ailleurs. Il n est même pas dit du reste que cette guerre a eu lieu. Il est juste dit que les rois du monde se sont rassemblés pour la guerre. Saint Paul dit que l apparition du Christ balaie l impie par le souffle de sa bouche, il l anéantira par la manifestation de sa venue (2 Th 2,8). Il suffit au Christ d apparaître pour que le mal soit balayé 2. CEC Catéchisme de l Église Catholique ; GS Gaudium et Spes. 19

Roch Lescuyer et Clary de Plinval instantanément. L image de la chambre noire le fait comprendre : dans une chambre noire, on ne prend pas un balai pour chasser les ténèbres. On ouvre la fenêtre. Quand la lumière rentre, les ténèbres sont instantanément dissipées. La royauté du Christ (Ap 11,15) est donc réelle. La royauté du monde est acquise à notre Seigneur ainsi qu à son Christ, il régnera dans les siècles des siècles (Ap 11,15). Il a été établi roi du cosmos par sa victoire sur la Croix (Ap 5,5). Celle des rois de la terre (Ap 16,14) est fantoche et usurpée, tout comme l est la principauté du monde. Le prince de ce monde ne semble prince de ce monde que parce qu il l a décidé luimême. Alors, frémissant de colère et sachant que ces jours sont comptés (Ap 12,12), il se déchaîne. Mais peut-être fait-il beaucoup de bruit pour rien. R.L. et C. de P. 20

Aux frontières du monde

La représentation chrétienne du monde au temps des grandes découvertes, une approche cartographique «Cartographier, c est décrire la création. Donc cartographier, c est prier» (E. Orsenna, L entreprise des Indes) Pauline Henriot On dénie rarement une certaine esthétique aux cartes anciennes, mais leur représentation du monde prête le plus souvent à sourire. Certaines sont même si inexactes que l on ne parvient plus à saisir ce qu elles représentent au premier coup d œil. Pourtant leur étude peut s avérer très enrichissante, et ne se limite pas à une recension amusée des errements de géographes qui ne disposaient visiblement pas de l image satellite. Car une carte, même la plus moderne, n est jamais une simple projection objective des lieux sur un plan abstrait. La carte est avant tout le reflet de l espace mental d une civilisation. C est pourquoi dans presque toutes les civilisations, les cartographes ont d abord dessiné une mappemonde ronde, au centre de laquelle se trouvait leur pays. Et souvent, le sacré est présent sur la carte. Les paysages et l univers décrits ne sont pas séparés du religieux. La carte allie univers spirituels et physiques. Dès lors, sa création est déjà un objectif en soi, un voyage vers la connaissance et la réalisation. Et l étudier, c est d abord étudier la façon dont une civilisation perçoit le monde qui l entoure, et lui donne sens. Les cartes les plus révélatrices à cet égard sont les mappemondes. Ainsi, les mappae mundi de l occident médiéval sont-elles le reflet d une perception chrétienne du monde. Tout d abord parce que la Bible est une source d inspiration déterminante de la cartographie médiévale. Le monde est vu au prisme de la géographie biblique. Il est donc constitué de trois continents : l Asie, l Europe et l Afrique, associés au trois fils de Noé, Sem, Japhet et Cham, à partir desquels le monde fut repeuplé après le déluge. Le cartographe cherche aussi à inscrire sur la carte les sites mentionnés dans la Bible, et en particulier à dessiner un monde englobant l Éden, placé souvent à l extrême orient. Mais l influence du christianisme sur la cartographie médiévale va au-delà d une simple lecture littérale des descriptions bibliques. La disposition même de la carte est là pour rappeler que le monde est d abord marqué par le Christ, dans toutes ses parties. En effet, les mappemondes médiévales prennent la forme dite du T dans l O. L O, c est le monde habité, l Œkoumène, représenté comme un cercle parfait ; au-delà, c est soit l océan, soit les antipodes, terres inhabités peuplées de monstres 22

Aux frontières du monde Une approche cartographique étranges. Le T est lui constitué de la Méditerranée pour la barre verticale, et du Nil et de la mer Noire pour la barre occidentale. Il sépare ainsi les trois continents. Surtout, la carte est orientée, au sens propre du terme : l orient est placé vers le haut. Dès lors, le monde n est plus seulement celui de la Genèse, mais aussi celui du christianisme. Le T devient la Croix chrétienne, avec Jérusalem à son sommet, et par conséquent au centre du monde. C est pourquoi bien des cartes ne signalent pas Jérusalem comme une simple ville, mais comme un point essentiel de la carte. Certaines vont jusqu à utiliser le même signe pour marquer Jérusalem et les points cardinaux. Ce que nous donnent à voir ces cartes, c est donc tout un programme de lecture. Au sommet, l Éden, d où l homme tomba, puis, au centre de la carte, Jérusalem, couronnant une croix formant les trois parties du monde habité. Le monde est ainsi présenté comme chrétien dans sa forme même, chaque partie étant surplombée par la croix. Cette lecture est d ailleurs confirmée par les décors des bordures des mappemondes. Ainsi, au sommet de la mappemonde d Hereford (v 1300) trône une figure du Christ en majesté, dominant le monde dessiné à ses pieds. Le lecteur de la carte apprend ainsi, en même temps que la position des terres, la primauté de celui qui les a créées. Les mappae mundi médiévales obéissent donc avant tout à une vision religieuse du monde. C est pourquoi il faut se garder de faire du T dans l O la simple conséquence d une absence de connaissance géographique. Certes, une grande partie de l héritage de la géographie grecque est perdue au Moyen-Age, mais les concepteurs de cartes sont parfaitement conscients que d autres représentations du monde sont possibles. La représentation zonale, héritée de la Grèce antique, qui divise le monde en cinq zones climatiques parallèles, du Nord au Sud, est connue. On dispose aujourd hui d environ 150 cartes médiévales ayant adopté cette disposition, minoritaire mais non négligeable. Et l idée que la terre est ronde est loin d être exclue. Le choix de ne représenter sur la carte que le monde habité comme un disque n est d ailleurs pas incompatible avec l idée d une sphéricité de la terre. Le cartographe se limite simplement au dessin de l hémisphère peuplé. D ailleurs, cette spiritualisation de la cartographie n empêche pas la création de cartes de qualité. Les mappae mundi médiévales aussi utilisent des connaissances 23

Pauline Henriot géographiques récentes, et peuvent décrire avec précision un rivage ou un itinéraire. Ainsi, une des cartes réalisées vers 1320 par Petrus Vesconte pour illustrer un traité sur les croisades représente la Palestine. Il y figure bien sûr des références à l Ancien Testament (douze tribus, tombe de Job), puisqu il s agit de rappeler la nécessité spirituelle de la croisade, mais aussi de donner des informations pratiques, comme la localisation des forts croisés, ou le tracé des côtes. Cette carte a longtemps été considérée comme un modèle pour la cartographie moderne, par sa précision. T dans l O, centralité de Jérusalem et inscription de références bibliques dans la carte témoignent ainsi de choix du cartographe, et plus largement de la vision du monde de l époque, et pas seulement de l état de ses connaissances. Pourtant, au cours du XIVème siècle, ce type de représentation est rapidement abandonné dans l occident chrétien, pour passer à des cartes plus proches de celles que nous connaissons actuellement. Le chef d œuvre du XIVème siècle, l Atlas Catalan, place toujours Jérusalem au centre, mais renonce à la symbolique du T en orientant sa carte vers le sud. Cette orientation sera suivie par les grandes mappemondes du XVème, comme celle de Fra Mauro. En 1492, Martin Behaim construit la première sphère terrestre. Désormais, le monde n a plus de centre, la distinction entre monde habité et monde inhabité tombe. On semble s attacher plus à la précision qu à la symbolique. À cette époque les figures mythologiques tendent aussi à disparaître des cartes, ou à se cantonner aux bordures. Sur l Atlas Catalan est pour la première fois portée la mention «Terra incognita» : les espaces inconnus sont déclarés pour tels, et non plus recouverts de monstres divers ou de figures de mythes anciens. Jonathan Swift pourra bien, plus tard, ironiser sur ces cartographes de l Afrique qui, faute de savoir placer les villes, dessinent des éléphants, mais désormais, le remplissage des blancs est uniquement esthétique, et n a plus de prétention à l exactitude. La cartographie se veut rationnelle, exacte et fiable. Pourquoi ce tournant? Une réponse peut sembler s imposer. Des progrès dans le domaine de la géographie (redécouverte de la géographie grecque, découvertes des explorateurs sur la côte de l Afrique) ont donné à l Europe une vision plus juste du monde. Dès lors, les cartes fausses (T dans l O) auraient naturellement cédé place aux cartes justes et utilisables. Mais cette explication n est que partiellement satisfaisante. Elle n explique en tout cas pas toutes les transformations subies par les cartes. Pour ce qui est de l abandon du T dans l O, il faut ainsi noter que cette représentation n est pas globalement erronée, au moins jusqu à la découverte de l Amérique, qui remet en cause la division du monde en trois parties. Mais cette découverte est postérieure à la transformation cartographique, initiée dès le début du XVème. Elle est d autant plus tardive qu il faut rappeler qu en 1492, Colomb croit simplement avoir atteint l Asie. L idée d un nouveau continent ne sera évoquée qu en 1503 par Américo Vespucci, dans son Mundus Novus, et ne sera pas confirmée avant longtemps. Pour cela, il faudra d abord Balboa, qui atteint la mer du Sud (futur Océan Pacifique), puis Magellan qui passe le détroit austral par 52,5 degrés de latitude, contourne l Amérique, et démontre ainsi qu elle est au moins une péninsule détachée de l Asie. Puis c est la découverte du Mexique par Cortés et celle du Pérou par Pizarre et Almagro. Puis l exploration du Rio Grande par Cristobal de Lugo. Quarante ans de navigation sur les rivages de l Amérique dessinent de mieux en mieux l immense terre ferme découverte. Cette immensité fait finalement d elle un 24